Après notre exploration en profondeur du jeu vidéo français dans le deuxième numéro de notre magazine, nous revenons avec une nouvelle interview sur PlayStation Inside. Préparez-vous à découvrir Dawnmaker, le titre développé par Arpentor Studio, une boîte basée à Lyon et composée de deux personnes uniquement : Adrian Gaudebert et Alexis Caroff. La conversation que vous allez lire a été menée avec Alexis Caroff et est le fruit du travail de Florian Verdier et Yacine Ouali.
Bonne lecture avec PlayStation Inside !
Florian (PlayStation Inside) : Bonjour Alexis Caroff ! Dawnmaker, jeu de stratégie et de construction, est sorti le 31 juillet sur PC. Avant d’y arriver, parlons de toi Alexis. Quel est ton premier coup de cœur de joueur ?
Alexis Caroff : Bonjour ! Mon tout premier coup de cœur était Final Fantasy Tactics sur Game Boy Advance. Il s’agissait déjà de stratégie en tour par tour. C’était moins poussé que dans les épisodes suivants, mais ce qui me plaisait déjà à l’époque était cet aspect de réflexion tactique sur tous les éléments du jeu. Et puis je trouvais l’histoire très bien aussi, même si je ne l’ai pas revisitée depuis.
Florian (PSI) : Le meilleur jeu auquel tu as joué reste dans cette veine du tactical-RPG, ou s’agit-il d’un genre différent ?
Alexis Caroff : Pas du tout. Le meilleur jeu auquel j’ai joué, celui auquel je ne trouve aucun reproche si ce n’est que j’en veux plus, c’est Inside. C’est pour moi un jeu où je ne vois aucune amélioration possible, que ce soit dans la narration, les puzzles, l’échelle… C’est vraiment l’un des jeux que je considère comme parfait, et c’est peut-être même le seul
Florian (PSI) : Peux-tu nous parler du moment qui a défini ta volonté de travailler dans le jeu vidéo ?
Alexis Caroff : J’étais en seconde au lycée, donc très tôt, et j’avais un ami qui m’avait dit (suivez bien) qu’un ami de son petit frère qui voulait faire un jeu vidéo. Il savait que je dessinais et cette personne avait besoin d’un dessinateur. J’étais content de le faire, et je suis tombé sur un groupe de jeunes très motivés. Il étaient une quinzaine rassemblés sur un forum, et ils venaient de toute la France et même de Suisse. On ne connaissait rien à l’époque du game design, du management, de la gestion de projet… Mais il y avait beaucoup de volonté de faire un jeu. Alors évidemment on a lamentablement échoué, car quand tu ne sais pas comment gérer un projet, ça ne fonctionne pas (rires). Mais ça a eu le mérite de nous rassembler. On a compris qu’on avait besoin d’étudier tout ça, et on s’est mis sur un projet plus petit, mais plus sérieux. Mais celui-ci n’a pas abouti non plus car on ajoutait des éléments au fur et à mesure et c’est devenu trop gros.
Après ça, on a fait des game jam, on a développé nos compétences de gestion de projet… on a appris à coder, à monter une association, à organiser des évènements. J’ai fait mes études en les orientant pour l’association, avec les Beaux-Arts puis une école de jeu vidéo. J’y ai appris à faire du jeu vidéo de manière professionnelle, puis j’ai monté ma propre structure avec mon associé.
Florian (PSI) : C’était une connaissance de l’époque, Adrian Gaudebert (cofondateur d’Arpentor Studio, ndlr) ?
Alexis Caroff : Pas du tout. Je l’ai rencontré à travers ma copine qui avait vu un post dans un forum Discord. Adrian disait vouloir faire du jeu vidéo « engagé, avec des idées visant à améliorer la société, avec des éléments non violents, etc… du jeu vidéo de gauche, globalement (rires). On s’est bien aligné sur les valeurs. On a commencé par faire Phytomancer, un petit titre de stratégie où l’on contrôle des plantes magiques. Il y a trois types de cases sur un quadrillage, avec d’un côté des cases de nature, de l’autre des cases de pollution, et au milieu des cases neutres. C’est ensuite un système de « jeu de la vie », avec la pollution qui progresse sur les cases neutres, et de même pour la nature. Les plantes magiques permettent de dépolluer les cases pour que la nature puisse gagner du terrain, ou de renforcer les cases naturelles. Petit à petit, l’idée est d’encercler les cases de pollution et de reverdir chaque niveau.
On a mis 6 mois pour faire ce jeu. On l’a commencé à sept, et fini à quatre, puis on a monté Arpentor Studio à deux avec Adrian.
Florian (PSI) : Quel est le jeu qui t’inspire le plus en tant que développeur ?
Alexis Caroff : Beaucoup de jeux m’inspirent. L’un de ceux qui m’a le plus inspiré est Dark Souls. Encore une fois ce n’est pas du tout du tactical. Dark Souls m’a inspiré par sa narration, sa manière de raconter des choses autrement. Je pense aussi à Total War, mais en tant qu’artiste je vais aussi piocher mon inspiration ailleurs. Typiquement, Dawnmaker est très influencé par l’esthétique Ghibli avec le côté champêtre, les formes rondes…
Florian (PSI) : Peux-tu nous parler de tes premières créations, notamment Hunting Grounds et Abyss Crew ? Hunting Grounds est un peu particulier car il y a un aspect un peu transmédia.
Alexis Caroff : Hunting Grounds est le premier gros jeu sur lequel j’ai pu travailler en tant que freelance. J’étais étudiant à l’époque et j’avais besoin d’un stage. J’ai fait du freelance et j’étais environment artist sur le projet, même si j’ai fait beaucoup plus que ça très vite car le studio était indépendant. Mon travail à la base était de réaliser les environnements sur Unreal 4 en 3D. Hunting Grounds nous fait jouer dans l’équivalent du Valhalla des Indiens. Le projet n’est toujours pas sorti d’ailleurs, et je ne suis pas persuadé qu’il sorte un jour car son ambition est trop grande et il est en développement depuis très longtemps. C’était mon premier projet, et quand j’ai commencé, le développement avait déjà débuté depuis quatre ans. On était une dizaine à peu près.
Ensuite j’ai travaillé sur Abyss Crew, qui est un projet plus petit. On y joue un sous-marin, c’est un jeu en équipe où chacun contrôle un des postes pour essayer de survivre dans les abysses. J’ai réalisé les interfaces des différents joueurs.
Florian (PSI) : Que t’ont appris ces expériences pour la création de Dawnmaker ?
Alexis Caroff : Ça m’a appris, je dirais, à communiquer et faire des réunions efficaces. J’en retire plus des compétences communicationnelles auprès d’une équipe. J’ai aussi appris à sérialiser mon travail, à l’intégrer dans un jeu, à coder.
Florian (PSI) : Et que t’a apporté Adrian Gaudebert ?
Alexis Caroff : Adrian me complète très bien. C’est un ancien développeur de chez Mozilla où il y a passé neuf ans. Ça nous a permis d’ailleurs de faire Dawnmaker sans moteur de jeu, il est directement en Java Script. Adrian fait toute la partie programmation, il travaille aussi sur la game design. Et en termes de stratégie d’entreprise et de vision de projet, il m’a vraiment appris à mettre en place tout ça, à maintenir une cohésion d’équipe.
Florian (PSI) : Parlons désormais de Dawnmaker. Comment expliquer le concept du jeu, et quelles en sont les inspirations ?
Alexis Caroff : Dawnmaker est un jeu de stratégie où l’idée est de mélanger du deck-building et du city-building, le tout avec un message écologique. L’univers a été recouvert par des fumées toxiques et est inhabitable. L’humanité trouve un moyen de repousser le brouillard avec des phares et donc on va construire des colonies qui au début cherchent à survivre puis à gagner du terrain sur la fumée, à libérer les régions et passer aux suivantes.
On voulait faire un deck-building qui ne reposait pas sur du conflit. Après Slay the Spire qui a inspiré maints jeux tous basés sur du conflit, on a voulu faire différemment, du non-violent.
S’agissant de nos inspirations, on a beaucoup regardé les jeux de plateau comme Dominion ou Seven Wonders.
Florian (PSI) : Étiez-vous réellement deux sur l’intégralité de la production ?
Alexis Caroff : Non, évidemment. Dans les crédits de Dawnmaker on a travaillé avec des freelance tels qu’Agathe qui a travaillé sur la partie UX, Marie qui a fait un stage chez nous sur du narrative design qui sera intégré avec une mise à jour, Pierre-François qui a travaillé au sound design et Nicolas à la composition, Christina qui a travaillé à la localisation, Laura qui a fait de la communication, et Aurélie qui a été sur de l’ingénierie son.
On a dû se séparer de certaines personnes en cours de production car nous avions décidé de revoir la direction artistique et cela ne convenait plus à tout le monde dans leurs habitudes de travail.
Florian (PSI) : À quoi devait donc ressembler Dawnmaker au départ ?
Alexis Caroff : Fondamentalement, on a toujours eu le concept de base, mais l’objectif au départ était de se placer après l’effondrement d’un Empire avec plusieurs cités États émergentes qui devaient s’imposer les unes aux autres pour prendre le pouvoir. Mais l’adversité nous posait problème car on ne voyait pas les cités adverses dans le jeu. On avait du mal à rendre le tout intéressant. Et on a voulu changer ça et on a eu l’idée qui est celle de Dawnmaker aujourd’hui, où l’on peut montrer l’ennemi, à savoir la pollution.
On a donc changé de braquet au bout d’un an de développement. On a aussi décidé de passer de la 3D à la 2D, ce qui n’était pas simple pour des raisons de performance notamment.
Florian (PSI) : Tu parlais de l’écologie, qui est au centre de Phytomancer et Dawnmaker. Est-ce la thématique la plus importante pour vous ?
Alexis Caroff : C’est important pour nous, mais on ne veut pas faire des jeux où le message passe avant le gameplay. On a aussi globalement des thèmes sociaux, d’organisation de société qui comptent.
Florian (PSI) : Est-ce un piège d’être fan d’un genre de jeu quand on développe un titre du même style ?
Alexis Caroff : Être fan du genre a ses avantages car on a une plus vaste connaissance du sujet. Mais le risque en effet, est de faire des systèmes vite très complexes et durs à prendre en main. Typiquement, les Total War sont très difficiles à prendre en main. Quand on est un studio indépendant et qu’on veut intéresser les gens à autre chose que le jeu de stratégie favori sur lequel ils ont 10 000 heures, il faut savoir les intéresser avec un bon marketing et une prise en main plus intuitive.
Florian (PSI) : Est-ce pour cela par exemple qu’on se retrouve avec des niveaux et pas une immense carte à la Civilization, pour faciliter l’accessibilité ?
Alexis Caroff : Oui, on a fait des efforts sur l’accessibilité. Elle n’est certes pas parfaite, mais on a fait en sorte qu’un casual gamer puisse jouer à Dawnmaker et s’amuser dessus. Le fait d’être en niveau permet de réduire la quantité d’informations pour le joueur, pour lui donner le temps de se familiariser avec les mécaniques du jeu. On a aussi travaillé pour faire en sorte que le titre soit jouable en lisant le moins possible les cartes, même si on n’y arrivera jamais totalement.
Florian (PSI) : Comment avez-vous intégre le deck-building dans ce jeu de stratégie ?
Alexis Caroff : Au niveau du gameplay ça nous a pris du temps. Au début, nos decks étaient à la base des bâtiments, et pas des cartes liées à des actions. Aujourd’hui notre recette fonctionne mieux, avec un système de combo qu’on a réussi à apprivoiser et à le combiner au city-building. Un problème que nous avons eu par exemple est que le système fonctionne quand la masse critique de contenu est suffisante. Avant, on n’a pas assez de combos disponibles et donc pendant longtemps, le jeu ne fonctionnait pas car nous n’avions pas assez de contenu.
On a donc mis du temps avant d’avoir notre vertical slice, pour avoir quelque chose de présentable. Mais pour faire ça, il fallait qu’on produise 80% du jeu et non pas 15 à 20% comme c’est habituellement nécessaire.
Florian (PSI) : Qu’en est-il des mises à jour à venir de Dawnmaker, et des prochains titres d’Arpentor Studio ?
Alexis Caroff : On va effectivement avoir une grosse mise à jour fin septembre – début octobre (l’interview a été réalisée mi-septembre, ndlr) avec de nouveaux personnages jouables avec leur propre set de bâtiments et leur propre deck. On a aussi ajouté plus de contexte au niveau de la narration du jeu, pour expliquer comment on en est arrivés à cet état de fumée toxique et de pollution. Et puis on va continuer à ajouter du contenu.
Pour la suite, on n’a pas encore prévu d’autre jeu car on attend d’abord d’engranger des bénéfices avec Dawnmaker. J’espère évidemment qu’Arpentor va continuer à sortir des jeux de stratégie ! Pour le moment, on est dans nos espérances en termes de vente, la sortie s’est bien passée. Ça va nous prendre un peu de temps pour être rentables, mais on est contents du résultat car Dawnmaker est loin d’être un flop, on en est satisfaits.
Florian (PSI) : Souhaites-tu recommander un jeu à nos lecteurs, pour terminer ?
Alexis Caroff : Je recommanderais le jeu de nos copains d’Obelisk Studio, qui s’appelle Ghostland Yard, un petit platformer très exigeant, mais très simple en même temps. On joue un petit fantôme devant retrouver sa grand mère. La prise en main est simple car on peut aller à gauche, à droite et sauter. Le design est minimaliste mais très poussé. Le jeu est très léché, on s’y amuse beaucoup.
Florian (PSI) : Merci beaucoup Alexis pour cette conversation !
Alexis Caroff : Merci beaucoup !