Histoire de Media Molecule

Comment ne pas imager Media Molecule par une constellation d’artistes rassemblant joueurs et développeurs. De ces millions d’étoiles émerge une forme reconnaissable. En se concentrant quelques secondes, sans cligner des yeux, on peut apercevoir une ampoule.

Les plus attentifs évoquent même les contours d’une planète en lieu et place des habituels filaments jaunes et blancs au creux du globe de verre… Racontars ou propos bien fondés ? La réponse apparaîtra sans doute à la lumière des lignes qui vont suivre.

Logo de Media Molecule

Guilford en devenir

Guilford, c’est une charmante ville du sud de l’Angleterre qui a enrichi en 2006 son patrimoine culturel (déjà joliment fourni) avec un studio plein d’idées et de projets à réaliser. Mais attardons-nous justement sur les lieux pour comprendre en quoi la campagne anglaise a pu initier un si beau voyage.

1er juillet 2002, bientôt 20 ans nous sépareront de cette date capitale pour l’équipe de Media Molecule. Avec 50 livres en poche, soit pas grand-chose, Mark Healey et sa bande de potes réalisent un métrage qui les inspirera beaucoup pour leur premier jeu vidéo : Rag Doll Kung Fu. Il leur donnera des idées et éléments concrets, dans le cadre de la réalisation des cinématiques notamment.

Photos tirées du making of du métrage qui servira de base au jeu Rag Doll Kung Fu

Cela donnera un jeu à la physique qui ne manquera pas de rappeler l’étonnant Fall Guys: Ultimate Knockout. Toutefois une chose est certaine, si Media Molecule n’est pas encore de ce monde au moment de la sortie de RDKF (octobre 2005), cela ne saurait tarder car nos quelques amis débordent de créativité.

Il suffit de visionner le trailer de Rag Doll Kung Fu ou de jeter un œil sur son logo pour saisir le niveau de fun qu’on pouvait en attendre. La singularité, une des forces de Media Molecule, et ce n’est ici que le début…

Pas de temps à perdre : Mark Healey, Alex Evans, Kareem Ettouney et David Smith pitchent le 1er décembre 2005 à PlayStation leur démo « Mr Yellowhead ». C’est encore une fois très axé sur la physique du personnage, qui apparait comme la caractéristique la plus mise en avant dans ces deux minutes de démo qui sont en fait les prémices des prémices de LittleBigPlanet.

Car sous ses pauvres atours, un cube jaune et une banderole violette, ce personnage qui faisait tout simplement ce qu’il pouvait pour s’en sortir ne savait pas que dans une seconde vie…il trouverait refuge dans le corps de Sackboy ! 

Little que de nom

13 mois ont filé et une entreprise est née : Media Molecule. Mark, Dave, Kareem et Alex (tous anciens de chez Lionhead, derrière Fable, entre autres) ont sauté dans le grand bain en embarquant avec eux un commercial (Chris Lee) et une comptable (Mags Hardwick).

Mark Healey en 2006
Le studio à Guilford

Près de dix mois après la création du studio, le fameux Sackboy vient au monde. Nous sommes en octobre 2006, six mois avant l’annonce de LittleBigPlanet à la Game Developers Conference. Parlons de ce premier aperçu à la GDC. Healey et Alex sont sur scène et se fendent de propos essentiels pour comprendre l’esprit et les volontés de cette belle équipe, propos encore valables à ce jour et sur leur dernier jeu (Dreams) : « Tout est question de créativité, ce jeu s’adresse à tous mais les gens créatifs sauront en tirer parti. ». S’il n’y avait qu’une seule phrase pour définir la philosophie et les jeux du studio, ce serait sans doute celle-ci qu’il faudrait retenir.

La suite, vous la connaissez peut-être. Le jeu passe gold le 19 septembre 2008, emmène avec lui une version beta et une sortie fixée au 5 novembre de la même année. Et si Media Molecule n’est pas encore sous la houlette des PlayStation Worldwide Studios, cela ne les empêche pas de sortir un DLC très affilié PS. Oui messieurs dames, Metal Gear Solid a bien fait une incursion dans LittleBigPlanet premier du nom. Si vous ne nous croyez pas (ou si la nostalgie revient au galop), voici la vidéo.

Pour rester dans la nostalgie, Dinowan (de JVcom) a affublé le jeu d’un 18/20, rien que ça. Et ce n’est pas ses confrères qui casseront la tendance ultra positive du jeu, car les développeurs peuvent se targuer d’avoir atteint le 95/100 sur Metacritic. Ce qui est loin d’être un fait commun. Puis, décrocher un BAFTA (équivalent britannique de nos Césars), ce n’est pas non plus à la portée de tous.

Nous n’allons pas énumérer tous les prix reçus mais sachez qu’il y en a sans doute plus que d’œufs dans votre frigo, ce qui selon votre consommation bien sûr…commence à faire ! Plus symbolique encore que les 5 millions de copies vendues, nous voulons mettre plus en avant le 1er million de niveaux conçus sur le jeu. En 9 mois, cela montre que ce dernier avait déjà conquis le cœur des joueurs, et surtout que ces derniers adhéraient à la proposition créative du studio.

1-million

MM + Sony = Big Destiny ?

L’union tant attendue s’écrira le 2 mars 2010, jour où Media Molecule rejoint (enfin !) les PlayStation Worldwide Studios.
S’en suivra un déménagement vers un plus grand studio, tout ce qu’il y a de plus logique finalement.

Deux mois plus tard, LittleBigPlanet 2 est annoncé dans la capitale anglaise sur un air de musique parfaitement raccord. Après les deux millions de niveaux façonnés par les joueurs, l’ambition est plus grande et précisée dès le trailer, avec des punchlines comme « Build whole games », « Construire des jeux entiers » pour les anglophobes. Le « c’est notre plus grande aventure fait à la main…et la vôtre ! » dénote très bien la perspective dans laquelle MM lance ce second gros projet.

Comme ils le disent si bien par un joli effet dans leur vidéo d’annonce, LBP 2 n’est pas un jeu de plateforme mais une plateforme destinée à accueillir et rassembler myriade de jeux !

Le déménagement en question

Quoi de mieux pour faire cela que de réaccueillir (plus beaux que jamais) les 2 millions de niveaux de LBP1 ? Oui, la proposition était parfaite. Pourtant, les ventes sont moins convaincantes qu’on aurait pu l’imaginer… Un peu plus de 3 millions de copies écoulées à ce jour, ce qui est beaucoup, mais 2 millions de moins que le premier LittleBigPlanet.

Cela engage le studio sur une pente descendante, qui sans être inquiétante, montre tout de même les limites de l’intérêt que les joueurs PlayStation peuvent porter à l’égard des productions made in Media Molecule. Originaux et assez uniques dans le milieu, leurs jeux-outils ne peuvent plaire à tous, mais leur existence fait du bien.

Avant de quitter la route de LittleBigPlanet2, il est important de signaler que le jeu s’est enrichi huit mois après sa sortie d’une comptabilité PS Move. Friand d’expériences variées et atypiques, il aurait été dommage que le jeu ne se limite qu’à nos bonnes vieilles DualShock 3.

Enfin, de ceux qui ont présenté LBP2 à la Gamescom de manière si singulière (oui, le mot revient), avec des lits et des téléviseurs au plafond quand ce n’était pas dans une baignoire, on n’en attendait pas moins. L’audace paye pour MM qui rassemblait au 16 mai 2012 sept millions de niveaux créés par les utilisateurs en combinant les deux LittleBigPlanet. Sans compter les nouveaux BAFTA sur l’étagère à récompenses et des petites (ou grandes ?) réussites comme l’entrée dans une exposition du musée britannique V&A.

Une main tendue vers l’univers

Partie un peu en décalage avec le fil de la présentation, mais il paraît indispensable d’aborder le destin des licences de Media Molecule lorsque ces derniers laissent le contrôle des rennes à d’autres. C’est ce qu’il adviendra de LittleBigPlanet (cross-gen PS4 et PS3, avec bien plus d’acheteurs dans la version next gen) qui verra son troisième opus développé par Sumo Digital. L’univers, sa bande son et ses possibilités de création seront bien respectés mais le jeu a moins d’impact que les deux premiers opus. Avec un « petit » 79 sur Metacritic, il n’égalera pas ses prédécesseurs, sans doute en raison d’une aventure bien trop sage et d’une finition moins exemplaire que celle à laquelle nous avait habitué le studio anglais.

À savoir que l’exploitation de la licence LBP ne s’arrête pas au numéro trois paru en 2014. Avant cela, LittleBigPlanet était sorti sur PSP (2009) avec une campagne qui lui était propre, ce qui sera aussi le cas de la version PS Vita codéveloppée par Double Eleven et Tarsier Studios.

Quant au karting, c’est aussi un domaine que Media Molecule a investi grâce à une belle alliance avec United Front Games, le studio derrière ModNation Racers, jeu ayant fait office de très bon Mario Kart-like pour la PS3. Au final, confier des univers aussi personnels à d’autres n’est pas toujours une mauvaise idée (comme il possible de le penser de prime abord), les différentes productions évoquées juste avant en sont même la preuve contraire.

Puis le tout récent Sackboy: A Big Adventure sorti sur PS5 (& PS4), entièrement développé par Sumo Digital, affiche lui aussi un 79 sur Metacritic et de bons retours de la part des joueurs. Comme quoi, les réappropriations ont du bon !

La révolution ne tient qu’à un iota

Alors que LittleBigPlanet 2 allait battre de son plein, une partie des équipes de Media Molecule empruntait un chemin de traverse dès décembre 2010. C’est seulement le 14 aout 2012 que nous en apprîmes plus.

Tearaway surprenait les spectateurs de cette édition de la GamesCom avec un trailer bourré d’idées folles mais baignant aussi dans une ambiance particulière, presque poétique. Avec un personnage fragile et un joueur qui rentre littéralement dans le jeu, en incrustant ses doigts. C’est presque impossible à expliquer avec des mots, d’où la présence du trailer que nous vous recommandons donc de regarder.

3 BAFTA pour un jeu (portable), ils l’ont fait...

En tout cas, avant même de retrouver sa petite jaquette dans nos beaux rayons, le jeu recevait le prix du « Meilleur jeu portable » à l’E3 2013. Et cela n’était pas volé. Voici sans doute l’un des meilleurs jeux de la PS Vita, cette console injustement abandonnée dans un sens, tant elle regorgeait de potentiel et de technologies à exploiter.

C’est d’ailleurs Tearaway qui en fera le meilleur usage, en toute objectivé dans un monde de subjectivité. Avec 87 sur Metacritic, toujours plus de BAFTA et des messages d’amour de la communauté, c’est un franc succès.

Comme un tel succès sur une machine si obscure dans l’écosystème PlayStation ne pouvait se borner à cette dernière, Media Molecule a fusionné avec Tarsier Studios le temps de projeter l’univers sur PS4 : Tearaway Unfolded voyait le jour (2015). Ce coup-ci, c’est la DualShock 4 qui était mise à profit et l’adaptation avait brillamment concrétisé le pari de porter un jeu très singulier (troisième, oui !) propre à une console qui l’est tout autant vers la machine de salon présent dans bon nombre de foyers de joueurs.

Pas le temps de rêver...

E3 2015, trois mois avant la sortie de Tearaway Unfolded, MM annonçait un sacré projet : Dreams. Le message ouvrant le teaser est clair : « Tout ce que vous allez voir a été créé sur une PS4 ». La fin l’est d’autant plus, puisque des bulles renfermant des mondes différents peuplent l’écran. Des bulles expérientielles, c’est une belle manière, bien que nébuleuse pour certains, de présenter Dreams qui offrira aux joueurs un puissant outil de création.

Depuis LittleBigPlanet, l’avenir d’un jeu n’a jamais autant été livré à l’imagination des joueurs. Cette créativité débordante, nous avons d’ailleurs pu la retrouver dans une exposition de pré-lancement du jeu à Paris. En février 2020, Interactive Dreams présentait une douzaine d’expériences ludiques toutes aussi fascinantes. Dans l’une d’elles, nous pouvions être plongé dans un jeu de rythme. En arpentant un autre tableau, nous pouvions découvrir la psyché humaine via une suite de casse-têtes. Puis dans une salle collée à l’exposition, des « dreamers/rêveurs » s’adonnaient à la création de niveaux en un temps limité (Game Jam).

Voilà là toute l’essence du jeu, de l’acte de création que cherche à provoquer Media Molecule avec un jeu-outil assez fascinant. Autant pour les explorateurs que nous sommes que pour les arrangeurs d’un soir ou d’une vie que nous pouvons devenir.

À la manière d’un musée, Dreams présente ses œuvres comme des tableaux au cœur de Paris

Sorti cinq ans après son trailer d’annonce, Dreams est tout de même parvenu à se hisser à la cinquième place des ventes du PS Store en février, que ce soit en Europe ou outre-Atlantique. C’est déjà une jolie performance pour une production hors du commun. Nous vous conseillons évidemment de vous jeter dessus, si ce n’est pas déjà fait. Tout curieux du jeu vidéo et des milliards de possibilités dont il regorge se doit de partir à la découverte de Dreams, donc vous êtes forcément concerné. Bah oui, si vous êtes encore en train de nous lire, c’est que vous accordez pas mal de votre temps à la planète JV…

Et au réveil ?

Oui, la question a toute sa place ici. Qu’adviendra-t-il de Media Molecule dans les mois et années à venir ? Si l’on sait qu’en 2016, une succursale s’est ouverte à Brighton pour des raisons de praticité (transports quotidiens vers Guilford délicats pour certains membres), rien ne laisse présager un changement radical d’identité. On peut juste souligner le départ d’un des quatre membres fondateurs du studio. Alex Evans a en effet quitté le navire pour voguer vers de nouveaux horizons, en septembre 2020 (peu après la sortie de Dreams finalement). Sans rancœur, aucune, il souhaitait même le meilleur à ses anciens (mais éternels ?) compagnons de création : « Merci à eux pour ces 13 premières années merveilleuses et vive les 13 prochaines années de Media Molecule ! »

Un peu avant ce départ, Mark Healey (autre cofondateur des quatre fantastiques) rappelait qu’en tant que créateur de jeux, il voulait préserver cette magie au sein du studio britannique. Avant d’ajouter que « même si une partie du studio va développer des fonctionnalités et améliorer le mode création de Dreams, nous allons assurément faire un autre jeu ». Voilà, c’est dit. Ne reste plus qu’à attendre avec la plus grande des sagesses la suite des événements, en priant fort pour que les équipes de Media Molecule gardent cette liberté créative de l’extrême que Sony leur offre via une confiance sans faille. Aujourd’hui plus que jamais, il paraît essentiel de préserver le grain de folie et de singularité (c’était la dernière occurrence, croix de bois…) insufflé par MM ! Un studio qui a osé convertir en gameplay les songes des joueurs, ainsi que les leurs, guidant au passage les lumières de la communauté.