Le 18 novembre, c’était la journée internationale du jeu vidéo. Un événement quelque peu anecdotique pour moi d’une date qui, comme un ensemble d’autres marqueurs, tente de légitimer le jeu vidéo comme on le tente depuis 40 ans. Et si l’évolution entre les années 80 et aujourd’hui est notable, elle reste encore teintée d’une grande fragilité. De Death Race qui avait défrayé la chronique en 1976 à Call of Duty aujourd’hui, le pas reste finalement assez simple à franchir. Et il n’a pas fallu bien longtemps après cette journée internationale pour voir le jeu vidéo ébranlé à nouveau par l’intervention de Carine Galli, chroniqueuse de RMC Story, chez « Estelle Midi ». Et pour être tout à fait honnête, l’extrait m’a fait sourire. Oui, il faut le prendre avec philosophie. Édito.

Derrière cet échange entre Carine Galli et les autres personnes en plateau assez raisonnables, plusieurs poncifs tournent autour du jeu vidéo. Le plus difficile étant celui à faire raisonner aux gens que s’ils jouent à Candy Crush ou au Scrabble sur leur téléphone, ils jouent eux aussi aux jeux vidéos. Car lorsque l’on parle des 40 millions de joueurs et joueuses évoqués par Charles Magnien, l’on fait référence aux chiffres avancés par le SELL, à savoir le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs. Un chiffre qui comprend aussi bien les passionnés de jeu vidéo que les joueurs occasionnels, voire très occasionnels. La donne a changé.
Mais cette réflexion catalyse pour moi un autre problème : le manque de crédit accordé par les grands médias, radio ou télévisuels, au 10ème art. Et s’il existe quelques exceptions que j’évoquerai plus tard, il me semble que la plus grande stagnation dans la reconnaissance du jeu vidéo se fait ici. Car d’un côté, on ne trouve pas forcément intéressant de légitimer le jeu vidéo et son évolution en usant des mêmes exemples cités précédemment, mais de l’autre côté, il est interdit, pour une raison étrange dans les lignes éditoriales, d’inviter des gens pour le légitimer. Le jeu vidéo est intéressant à évoquer uniquement quand certains politiques l’accusent de certains maux, ou pour en charger une certaine catégorie de la population qui le voit comme un échappatoire d’une culture qui les délaisse de plus en plus, se dédouanant de la responsabilité qu’ils ont et qu’ils ont toujours eu. Et même si aujourd’hui, il est incontournable de par sa place de premier produit culturel, il reste que 40 ans plus tard, le JV n’a pas toujours pas sa « Grande Librairie », son « Masque et la Plume » ou son « D’art d’art ». Il reste toujours cantonné au rôle de paria de la culture. C’est quand même dommage.
Alors certains font bouger les choses. Sur France Inter pendant 10 ans, Frédéric Sigrist s’est attardé dans son émission « Blockbusters » à parler de culture populaire. Et même si l’émission ne parlait pas que de jeu vidéo, elle restait la seule, à une heure de grande écoute, où l’on pouvait parler de Monkey Island ou de Street Fighter. Malheureusement, l’émission s’est arrêtée cette année, laissant Olivier Bénis porter seul la présence du jeu vidéo sur l’antenne dans l’émission « La faute aux jeux vidéo » pour des chroniques radios courtes et originales. Depuis 2 ans, RFI laisse carte blanche à Jennifer Lufau pour parler jeux vidéos dans « Bienvenue dans le Game« , et notamment sur l’inclusion dans le média. Une façon d’autant plus originale de l’évoquer et de le faire découvrir. Et bien sûr, je n’oublie pas le travail de Mélinda Davan-Soulas du côté de BFM (si si, je vous assure), de Guillaume Delalande chez M6, mais surtout de l’indéboulonnable Erwan Cario du côté de Libération avec son podcast « Silence On Joue » depuis 20 ans ou presque, perpétuant un héritage commencé dix ans plus tôt dans le canard, même si l’on excentre du sujet principal.

Malheureusement, toutes ces initiatives restent confidentielles. Et avec la disparition de Game One dans quelques semaines, l’écosystème vidéoludique français perd son seul bastion de stabilité, le seul qui parlait de jeu vidéo sans tabou et à heure de grande écoute. Alors certains diront que ce sera pour mieux se réinventer et que le combat du média jeu vidéo devra se faire ailleurs, ce à quoi je n’adhère pas totalement. Je ne sais pas de quoi le futur des médias sera fait, et peut-être que je me trompe. Mais je reste persuadé qu’il faut pousser pour l’existence d’une émission, radio ou télé, (voire de plusieurs) qui permettrai(en)t de lever le voile sur ce qu’est le jeu vidéo tel que nous voulons qu’on en parle. Game One, de par ses audiences assez impressionnantes parfois, nous a montré que ce combat était totalement légitime. Après tout, le nerf de la guerre est ici.

Car oui, vous et moi, nous savons ce que c’est réellement que le jeu vidéo. Qu’il ne se résume pas au gentil Mario d’un côté et au méchant Call of de l’autre. Et encore, tout cela serait remettre en cause la légitimité de certaines licences en dépit de la complexité de ce qu’elles peuvent soulever. Oui, j’ai vu, dans l’intervalle, une certaine vidéo. Que le jeu vidéo est plus complexe, plus subtil qu’on en parle. Qu’il a des vertus. Qu’il est même étudié pour imaginer un monde meilleur, et j’en suis en première ligne. Mais ça, vos parents ne le savent pas. Carine Galli ne le sait pas. Ce n’est pas qu’elle ne veut pas le savoir, c’est qu’elle n’en a pas l’utilité de le savoir. Mais ce n’est pas à eux de le savoir, ni à eux de regarder les Games Awards. C’est à nous de leur montrer. Non pas pour les convaincre que le jeu vidéo est extraordinaire, juste pour les convaincre que le jeu vidéo, c’est autre chose que ce qu’ils pensent. Et que c’est aussi Candy Crush et le Scrabble sur téléphone.
Mais il va aussi falloir montrer que nous sommes assez adultes pour le mériter. Que les guerres de chapelle, que les comportements idiots qui consistent à considérer que tel jeu est une bouse ou le meilleur jeu de tous les temps parce que quelqu’un l’a dit sur internet, doivent cesser. Et là, la faute n’est pas à rejeter sur les médias ou autres, nous nous sabordons tout seuls. Nous avons la responsabilité de mieux connaître notre médium, et non pas juste de faire croire qu’on le connaît en alignant trois vagues arguments pour discréditer son adversaire ; de même que nous avons la responsabilité de ne pas non plus discréditer les personnes qui ne savent pas par des insultes ou des menaces de mort. Ce n’est que du jeu vidéo ! Et ce serait donner raison à tous ceux qui nous déconsidèrent, parce qu’ils nous voient violents et décérébrés. Et ce n’est pas comme ça, je pense, que nous finirons par avoir raison. Ni en court-circuitant le dialogue en disant d’aller jouer à telle ou telle chose.

Pourtant, le jeu vidéo s’immisce. Que n’est parfois pas ma surprise de découvrir des émissions de divertissements posant des questions sur le jeu vidéo, en le rendant aussi banales qu’une question sur les peintres ou l’histoire de France. Ce n’est pas toujours maîtrisé, mais l’initiative est louable. Le temps sera long pour avoir une émission qui correspond à ce que mérite le jeu vidéo. Cela passera par des petites chroniques, et c’est d’ailleurs déjà le cas sur les ondes. Quand cela sera-t-il le cas sur le câble ? Serait-ce pour un futur proche ? Et qui pour le catalyser ? Des réussites comme Clair Obscur ? Une production française d’une profonde inspiration ? Et pour…quel résultat…finalement ?
Car le jeu vidéo se heurte à beaucoup d’obstacles. Jouer aux jeux vidéo, ce n’est pas facile. Il faut le matériel et les compétences pour. Faire tenir une manette à quelqu’un n’est pas si intuitif que ça. Le jeu vidéo est également cher, et tout le monde ne peut pas s’allouer un budget pour découvrir tout ce qu’il peut sortir, malgré les nombreuses promotions. Et puis il lui faut trouver son public. Si ce dernier semble acquis, le rêve serait surtout d’intéresser les gens qui ne jouent pas, car c’est ici que la réussite de la transmission est la plus éclatante. Mais il faut rendre le jeu vidéo accessible, simplifier des bases, le vulgariser, le sublimer.
Le jeu vidéo, c’est comme les oiseaux, finalement. Il y a le gentil Rougegorge d’un côté, ça, c’est Mario. Et puis la méchante Pie bavarde de l’autre, ça, c’est Call of Duty. Mais entre ces deux extrêmes, il y a toute une diversité d’espèces formidables à observer, et à comprendre. Que la Pie n’est pas voleuse comme Call of ne rend pas violent, ou que les jeux vidéo ne mènent pas systématiquement à l’addiction. Et qu’à l’inverse, on peut être addict jusqu’à la maladie à observer les oiseaux ! Ce n’est pas l’habit qui fait le Macareux moine. La méconnaissance mène à l’imprudence.




