Annoncé comme une claque visuelle et un action-RPG fulgurant, Lost Soul Aside débarque enfin après des années d’attente. Promesses d’un gameplay nerveux, héritages assumés de Devil May Cry et Final Fantasy, mise en scène digne des grands blockbusters… sur le papier, tout y est. Mais manette en main, la question demeure : génie en retard ou mirage trop lisse ? Voici ma critique, sans spoiler.
La quête d’un homme face à l’impossible
Il était une fois en 2014, au beau milieu de la Chine, un jeune développeur solitaire du nom de Yang Bing qui se lance dans un projet fou et insensé : créer seul un action–RPG en attendant avec impatience Final Fantasy XV. Inspiré aussi par Devil May Cry, il imagine un univers chatoyant, des combats aériens virevoltants et un héros accompagné d’une mystérieuse créature bavarde. Ce rêve, c’est Lost Soul Aside.
À ce moment-là, personne n’aurait parié qu’un tel rêve puisse voir le jour. Pourtant l’histoire allait bientôt basculer. Yang Bing rêvait depuis tout petit de créer des univers à travers des BD ou des jeux. Il déménage et intègre alors une formation centrée sur l’art et le design à l’Université Dongguk de Séoul et obtient un Master of Fine Arts. Deux ans plus tard, après un travail acharné sous Unreal Engine 4 en utilisant énormément d’assets gratuits sur le net, il publie enfin une première vidéo de gameplay de ce qui deviendra Lost Soul Aside. En quelques jours, internet s’enflamme. Comment un développeur isolé pouvait-il produire un résultat bluffant digne d’un AAA de l’époque ? Une promesse est née. Le prototype devient un phénomène. Et avec ce souffle, naît la possibilité d’un avenir plus grand.
En 2017, Sony repère le potentiel et l’intègre au China Hero Project, le programme visant à soutenir des créateurs chinois prometteurs. Pour Yang Bing, c’est une renaissance, il fonde Ultizero Games, assemble une équipe et transforme son rêve d’enfant solitaire en un chantier collectif.

Dans ce nom Ultizero, j’y vois une référence à Final Fantasy avec Ultima, qui est généralement l’un des sorts les plus puissants de la série ou souvent l’arme ultime du héros principal. Et je vois dans le zéro une manière souvent utilisée pour évoquer l’origine, le commencement. Donc Ultizero pourrait se lire comme “l’ultime commencement” ou “le pouvoir ultime né du néant”. Mais ce n’est qu’une divagation de mon esprit.
Cependant, passer du talent individuel à une production structurée s’avère un défi colossal. Le projet Lost Soul Aside, qui devait être une épopée flamboyante, se transforme en une lutte quotidienne contre la technique, le temps et l’organisation.
Les années passent, les nouvelles se font rares. Quelques extraits de gameplay apparaissent lors de salons comme ChinaJoy en 2021, rallumant la flamme chez les fans, mais pas assez pour apaiser l’impatience. Entre-temps, Tencent entre dans le capital du studio, apportant des ressources mais aussi des attentes accrues.
Le développement se poursuit dans l’ombre, sur fond de rumeurs et de doutes. Certains joueurs parlent d’arlésienne, d’autres refusent d’abandonner l’espoir. En 2022, Sony officialise son rôle d’éditeur global. L’annonce rassure. Lost Soul Aside n’est plus un mirage, il existe. Les précommandes ouvrent début 2025, mais le jeu est repoussé de quelques mois pour parfaire l’expérience. Enfin, en août 2025, après onze années de travail acharné, Lost Soul Aside passe gold. L’impossible devient enfin réalité.

Entre rêve accompli et mirage vidéoludique
Lors de ma traversée de Lost Soul Aside, j’ai eu le sentiment de plonger dans un rêve en mouvement, où chaque pas et chaque saut devient une phrase d’un récit que le joueur compose lui-même. L’histoire, centrée sur un jeune héros prénommé Kaser, lié à une mystérieuse créature-dragon Arena (trop bavarde par moments), reste très classique : entre quête de vengeance, forces obscures à vaincre et mystères d’un monde en péril. Le scénario de Lost Soul Aside se présente comme un canevas ambitieux mais paradoxalement superficiel, oscillant entre des idées grandioses et une exécution souvent trop timide.
Pourtant, le récit n’est pas là pour imposer des émotions toutes faites. Les arcs narratifs sont esquissés, les relations entre les personnages se dessinent comme des silhouettes dans la lumière. Elles existent, mais laissent de l’espace à l’interprétation du joueur. Ce qui pourrait sembler un manque de profondeur devient en réalité un choix. C’est le gameplay qui raconte l’histoire. Chaque combo aérien, chaque enchaînement fulgurant, chaque transformation en créature-dragon devient une extension du personnage et de sa progression, comme si le joueur écrivait le récit par le mouvement, plutôt que par les mots. Malgré cela, le scénario est pauvre.
La relation entre Kaser et Arena (qui me fait penser au Bahamut Zero des Final Fantasy) est la seule qui se développe au fur et à mesure de notre avancée dans l’histoire. Ils se parlent beaucoup afin de nous dévoiler les subtilités de l’univers, mais parfois trop. Le jeu étant sous-titré, j’ai eu du mal à suivre toutes les lignes de dialogues. Ce n’est pas évident de lire tout le texte quand il faut jongler entre des passerelles ou échapper à un couloir rempli de pièges.

En parcourant l’univers du jeu, on y perçoit des échos de Final Fantasy XV dans la grandeur du monde et la mélancolie diffuse qui traverse les séquences, ainsi que dans le design du héros. Il y a de même des résonances de Devil May Cry dans la fluidité et la brutalité chorégraphiée des affrontements, et même des clins d’œil à Kingdom Hearts dans la manière dont les forces mystérieuses et les créatures fantastiques ponctuent le voyage du héros.
Dans sa dimension plus contemplative et symbolique, Lost Soul Aside semble lorgner du côté de NieR: Automata, notamment dans sa manière de lier de l’action effrénée et des touches de mystère narratif. Mais là encore, la comparaison met en lumière ce qui manque : tandis que l’univers de NieR impose une identité forte et singulière, celui-ci paraît plus générique, trop poli pour marquer durablement.
Le jeu fonctionne ainsi comme un patchwork d’idées audacieuses, où l’influence de titres emblématiques est perceptible à chaque tournant, mais où le joueur doit souvent se contenter de percevoir ces échos plutôt que de les vivre pleinement. Le résultat donne une certaine frustration tant le gameplay est bon mais le reste est fade et sans saveur. Pourtant, mon aventure (environ 33h) fut agréable mais il me reste un goût d’inachevé assez amer. J’aurais aimé découvrir plus en profondeur les personnages qui gravitent autour de Kaser, surtout qu’il n’y en a pas pléthore, donc ça aurait pimenté l’histoire et enrichi l’univers.

Quand le combat devient une chorégraphie
Le gameplay de Lost Soul Aside est l’un des points les plus réussis du jeu, en offrant une sensation de fluidité et de puissance rare dans les action-RPG contemporains. Le système de combat repose sur des enchaînements rapides et acrobatiques, où chaque mouvement, dash ou esquive est pensé pour maintenir un rythme nerveux et dynamique. L’une des mécaniques les plus marquantes est le switch instantané entre plusieurs armes, qui transforme chaque affrontement en une chorégraphie stratégique. Passer d’une épée lourde à une double lame ou à une épée plus légère permet de varier les combos, d’adapter son style aux ennemis et de créer des séquences spectaculaires, presque cinématographiques.
Cette liberté de transition entre les armes exige autant de réflexion tactique que de réflexes, et elle donne au joueur un sentiment de contrôle total sur le chaos du combat. Le résultat est un gameplay où la vitesse et la précision se mêlent à l’expressivité, faisant de chaque affrontement non seulement un défi mais aussi un moment de spectacle interactif, où le plaisir vient autant de la maîtrise technique que de la beauté des mouvements.
Pour rendre ce gameplay jouissif, le studio a adopté un monde couloir à l’ancienne. Ici, pas d’Open World gigantesque et absurde, juste un enchaînement de couloirs où l’on alterne combats, phases d’explorations et esquive de pièges. En termes de contenu annexe, le jeu propose quelque chose de simple et efficace, à savoir du défi multiple et du boss rush. Il n’y a en effet pas de quêtes annexes inutiles à la Final Fantasy VII Rebirth. Même pour les collectibles, il y en a un peu, et ces derniers n’apportent que peu de liant avec le lore.
Une esthétique impeccable mais une âme absente
Entre un scénario aseptisé et un gameplay dynamique, la direction artistique révèle un paradoxe. Le jeu est trop lisse. Les environnements, bien que techniquement impressionnants, souffrent d’un excès de finition qui gomme les aspérités et les détails donnant normalement vie à un monde. Les villes, forêts et donjons brillent par leur qualité visuelle, mais ils manquent souvent de personnalité, avec des textures impeccables, des couleurs harmonieuses, des perspectives spectaculaires… mais peu de caractère. On admire la perfection, mais rarement le chaos ou la surprise, ce qui laisse un sentiment de beauté froide, comme un diorama virtuel plutôt qu’un univers organique à explorer.
Ce constat se prolonge dans le bestiaire. Malgré des idées prometteuses, les créatures hybrides inspirées de mythologies diverses avec des designs visuellement frappants, les affrontements contre les monstres restent souvent répétitifs. Beaucoup de modèles se ressemblent, les comportements des ennemis sont simples, et l’ensemble ne parvient pas à générer une tension ou une diversité mémorables. Là où le gameplay ultra-nerveux devrait rencontrer un bestiaire à la hauteur, la rencontre est tiède, laissant parfois le joueur admiratif des animations mais peu surpris par le challenge.

Les cinématiques se distinguent comme l’un des rares moments où le jeu parvient à marier une esthétique et de l’intensité narrative de manière convaincante. Bien que le scénario général reste relativement simple, ces séquences offrent un souffle cinématographique qui surprend et captive. La direction artistique retrouve ici une texture plus travaillée, avec des éclairages dramatiques, des compositions visuelles soignées et des cadrages dynamiques renforçant le sentiment d’un monde vivant et épique.
Les cinématiques sont également percutantes par leur rythme. Elles ne traînent jamais inutilement ; chaque plan, chaque mouvement de caméra et chaque transition sont pensés pour accentuer l’impact émotionnel ou l’intensité d’une situation. On retrouve une influence des films d’action à la Battle Royale et des trailers de grandes licences japonaises à l’image de Crying Freeman, avec des mouvements de caméra rapides, des combats stylisés intégrés dans la narration et une mise en scène qui transforme un simple échange ou affrontement en un moment mémorable.
Un autre point fort est la fluidité avec le gameplay. Les passages cinématiques s’intègrent harmonieusement, sans rupture brutale, créant un continuum narratif où le joueur passe presque naturellement de l’action contrôlée à la mise en scène scénarisée. Cela donne au jeu un rythme soutenu et évite les temps morts, renforçant la sensation d’urgence et de maîtrise qui caractérise l’expérience de combat.
Un autre domaine où le jeu conserve de l’impact est la bande-son, qui accompagne efficacement chaque combat et chaque séquence narrative. Les thèmes, rythmés et immersifs, renforcent l’intensité des affrontements et ajoutent un souffle épique aux moments forts, compensant partiellement la monotonie visuelle et le manque de variété des ennemis. Le jeu utilise d’ailleurs des morceaux de Two Steps From Hell dans sa bande-son, notamment le titre « To Glory ».
Certains joueurs ont exprimé leur surprise en reconnaissant ces morceaux dans le jeu, ce qui peut créer une sensation de déjà vu. Il est courant que des morceaux de production musicale soient utilisés dans divers médias pour leur capacité à évoquer des émotions fortes. Cependant, l’utilisation de ces morceaux peut parfois être perçue comme un manque d’originalité si elle n’est pas accompagnée de compositions originales.
C’est bien dommage de retrouver, pour un projet ambitieux comme Lost Soul Aside, autant d’assets disponibles gratuitement pour Unreal Engine 4. Que le créateur les ait utilisés au début lors de son développement solitaire, est logique. Mais après tant d’années de développement avec une équipe certes petite, je me serais attendu à plus d’originalité.
Malgré tous ses défauts, j’ai pris un vrai plaisir coupable à jouer à Lost Soul Aside. Oui, son bestiaire manque cruellement de variété, oui, sa direction artistique est trop lisse pour marquer durablement, mais je me suis laissé emporter par la nervosité de son gameplay et la satisfaction de jongler entre les armes. C’est imparfait, parfois frustrant, mais diablement accrocheur. Et je garde en tête qu’il s’agit du premier jeu d’UltiZero Games, né d’un rêve individuel devenu une production d’envergure. Alors oui, il a encore beaucoup à apprendre, mais si ce premier pas tâtonnant m’a déjà happé malgré ses faiblesses, j’ai envie de croire que la suite pourrait être bien plus éclatante. Je me suis longtemps demandé si le plaisir ressenti suffisait à justifier une meilleure note… mais au vu de ses lacunes, je ne peux pas aller au-delà. Si je devais résumer : « Génial à vivre, exaltant à jouer… mais amer à digérer. »




