Dreams of Another est le dernier jeu du studio japonais Q-Games, où un homme en pyjama doit naviguer dans des rêves à reconstruire à l’aide d’un fusil d’assaut. Aussi intriguant que bizarre, Dreams of Another est un voyage atypique et autobiographique dans l’esprit d’un artiste japonais.

Q-Games est un studio fondé au Japon en 2001 par un vétéran d’Argonaut, Dylan Cuthbert, ayant notamment travaillé sur Star Fox pour la SNES. Le studio débute principalement avec des démos techniques et expériences sur GBA, DS et PSP avant de se voir confier Star Fox Command (un sacré retour aux origines). Mais c’est dès 2007 et l’essor des petits jeux dématérialisés que le studio commence à prendre ses marques, notamment avec la série des PixelJunk (SideScroller, Monsters, Shooter, etc.). Chaque épisode est radicalement différent, allant du tower defense au shooter arcade, ou à des expériences plus difficiles à décrire.

C’est d’ailleurs via PixelJunk Eden que l’artiste Baiyon (pas le jambon) s’est fait connaître, en tant qu’art director et sound director. Baiyon est un artiste total, tantôt compositeur, scénariste, réalisateur, directeur artistique ou illustrateur ; son rôle varie et ses casquettes s’accumulent selon les projets. Il a d’ailleurs composé trois morceaux de LittleBigPlanet 2.
Le créateur présente aujourd’hui sa nouvelle œuvre sur PS5, PSVR2 et Steam : Dreams of Another. Ce nouveau jeu de Q-Games est très différent de ce que le studio a proposé jusqu’ici, mais reste profondément atypique, ce qui est leur marque de fabrique. Nous avons pu tester le jeu, à la fois sur PS5 et sur PSVR2.
Un homme en pyjama, un fusil à la main
Dreams of Another répète souvent la phrase « la création vient de la destruction ». En plus de définir certaines idées clé de l’histoire, c’est une excellente description de ce qui se passe à l’écran. Le joueur contrôle un homme en pyjama, littéralement nommé ainsi, tenant le fusil d’un militaire qui l’accompagne dans son périple. Celui-ci consiste à voyager dans différents fragments d’histoire et à détruire ce qui est présent à l’écran, sous forme de particules, pour reconstruire l’environnement et le laisser raconter son récit.
Derrière ces sortes de bulles, se cachent bâtiments, objets à collecter, personnages… Tous permettent de faire avancer l’histoire. C’est donc à travers la destruction que le joueur, qui incarne un artiste endormi, va créer des mondes.

Malgré un postulat assez simple, le gameplay est suffisamment agréable pour donner envie de continuellement détruire et reconstruire. Les ficelles du jeu se dévoilent rapidement et il est facile de comprendre ce qu’il est réellement nécessaire de révéler, mais l’envie de tout reconstruire reste difficile à réprimer. Le jeu utilise intelligemment les gâchettes adaptatives de la DualSense et emprunte certains procédés à PowerWash Simulator. Lorsqu’un élément est complètement reconstruit, une petite indication visuelle et sonore apparaît et encourage étrangement à poursuivre le rétablissement de ce monde très stylisé.

Dreams ou Dreams of Another, telle est la question
Pour les joueurs ayant eu le privilège et le bon goût de jouer à Dreams (sur PS4), il n’est pas impossible que la direction artistique de Dreams of Another vous semble familière. Le jeu n’utilise pas le rendu voxel de Dreams, mais il propose tout de même un moteur physique à particules qui lui ressemble. Et il va sans dire que le titre est également très proche.
Il est probable que tout cela soit un heureux hasard, expliqué par le type d’œuvre en question, les deux ayant un lien fort avec la création artistique, diégétiquement parlant.
Dreams of Another adopte une esthétique très simple où chaque objet et individu sont composés de particules assemblées. On évite d’ailleurs la dispersion de ces particules en tirant dessus. Cette direction artistique très prononcée peut rebuter, mais elle reste l’un des éléments significatifs du jeu et par moments permet même de créer des scènes extrêmement belles.
Malheureusement, au-delà du gameplay agréable et de la direction artistique assumée, d’autres aspects artistiques échouent, notamment l’écriture.

De la philosophie de comptoir
Le dernier-né de Baiyon est un périple mené par deux hommes : le militaire, parfois omniscient et parfois victime de l’histoire, et l’artiste endormi : sans voix, sans dialogues (sauf une fois au chalet), qui sert d’avatar au joueur.
Le voyage propose l’exploration de quatre récits différents, chacun dans un monde unique. Les histoires sont découpées en plusieurs dizaines de sous-actes d’à peine quelques minutes, parfois quelques secondes, distribués de manière aléatoire.
Si l’idée intrigue et peut créer de l’engagement au début, elle devient très vite pénible. Il faudra parfois plusieurs heures avant de raccrocher les wagons d’une séquence qui n’avait aucun sens initialement, si toutefois on s’en souvient. Le procédé veut rappeler un rêve, avec des éléments sans logique apparente, mais dont la répétition finit par signifier quelque chose. Et des répétitions, il va y en avoir : les environnements traversés par l’homme en pyjama sont globalement toujours les mêmes d’un récit à l’autre.
Seuls quelques éléments et PNJ changent pour raconter autre chose. Et cette idée de rêve nuit complètement à l’immersion. Après 2 ou 3 séquences, le jeu se coupe brusquement et renvoie au menu principal où l’homme dort. La suite consiste simplement à relancer le rêve.

Le jeu a toutefois la bienveillance de raconter l’histoire du « réel » : les flashbacks du militaire et de l’artiste. Ce sont les seules séquences où un réel effort est fait pour exposer un pan complet d’histoire. Ces récits, souvent assez durs, oscillent entre clichés sur la souffrance de l’artiste contemporain ou du militaire en quête d’identité, et quelques fulgurances qui arrachent une petite émotion.
Malgré tout, cette narration éclatée, si intéressante symboliquement, reste très désagréable pour le joueur. Il faut vraiment adhérer au message que Baiyon veut faire passer pour supporter ce traitement de l’écriture. Pour les autres, la répétitivité risque d’alourdir l’expérience en attendant une scène réellement significative.

La destruction, encore et encore
Comme expliqué précédemment, la boucle de gameplay est intrinsèquement liée à ce que le jeu veut raconter. Chaque séquence se déroule peu ou prou de la même manière : le joueur lance le rêve de l’artiste en pyjama, atterrit dans l’un des environnements du jeu et doit tout arroser… enfin, détruire pour trouver le PNJ qui fera avancer l’histoire. La routine reste identique du début à la fin, à quelques exceptions près.
L’impression de répétition grandit, car les séquences manquent de variété et le gameplay évolue peu. On peut augmenter la vitesse du personnage ou la quantité de munitions en ramassant des objets, et deux armes supplémentaires permettent de « nettoyer » les zones plus rapidement, mais ce sont de maigres consolations face à l’ennui qui s’installe.
Sur les 5 à 7 heures nécessaires pour terminer le jeu, quelques séquences originales existent, surtout dans les flashbacks et lors des combats de boss, qui révèlent une nouvelle facette du jeu et un soupçon de fun.
Autant la variété fonctionne à peu près sur un écran classique, autant la version PSVR2 est beaucoup plus inégale.

Un portage PSVR2 très inégal
Q-Games n’est pas étranger à la VR, avec un épisode PixelJunk exclusivement pensé pour celle-ci. Dès l’annonce de Dreams of Another, le jeu a été présenté sur Steam, PS5 et PSVR2. Étonnamment, il n’est jouable en VR que sur PSVR2 : la version PC n’est pas compatible. L’explication est sans doute triste : le jeu n’est en réalité qu’à moitié compatible VR.
Dans les séquences basiques où il faut tirer sur l’environnement, tout va bien : le jeu passe de la troisième personne au mode FPS et s’adapte parfaitement à la VR, sans provoquer de nausées.


Mais tout s’effondre dès que les séquences de dialogue apparaissent : le jeu repasse brutalement en 2D sur fond noir, avant de revenir en VR. Il en va de même pour les autres phases de gameplay “originales”.
Outre l’étrangeté d’un jeu vendu comme VR mais qui ne l’est qu’à moitié, il est surtout très désagréable d’enchaîner constamment entre 2D et VR. L’un des buts de la VR est l’immersion, or il est impossible de se sentir immergé quand l’affichage change toutes les deux minutes, surtout pour entendre des dialogues souvent insipides.

Dreams of Another est une expérience vraiment à part. Un mélange de genres : walking sim, FPS, jeu narratif immersif mais cette recette a énormément de mal à prendre. Le jeu s’interrompt sans cesse, comme pour essayer de nous sortir de l’ennui qui se crée inévitablement.
On a l’impression d’une succession de prototypes de game jam greffés ensemble un peu brutalement.
Le résultat est une œuvre difficile à juger : l’ambition artistique et le message sont palpables, mais les problèmes techniques et narratifs sont impossibles à ignorer.
Malheureusement, Dreams of Another est un jeu à conseiller uniquement à une frange très fine des joueurs : ceux qui cherchent une expérience immersive (hors VR) belle à regarder. Au-delà de cela, l’expérience ne racontera pas grand-chose la majorité du temps et rate immanquablement sa cible.





