Bien le bonjour ! Comme notre exploration de la scène indépendante française ne s’arrête jamais, nous sommes allés ce mois-ci à la rencontre de Woum (dont voici la page Steam), développeur en solo de Sqroma et Kitty’s Last Adventure. Dans l’interview qui suit, nous parlerons de son processus de création, de la lutte pour trouver un public, de ses futurs projets… Le jeu vidéo français regorge d’histoires comme celle de Woum et nous sommes heureux de mettre la sienne en avant. Bonne lecture !

Florian (PSI) : Merci beaucoup Woum d’accepter de nous parler de Kitty’s Last Adventure. C’est sorti le 27 août sur Steam, au prix de 4,99 euros. Comment vas-tu depuis la sortie ?
Woum : Ça va super bien. Je suis content d’être arrivé au bout. Je n’ai pas encore pris de vacances, mais je vais très bientôt en prendre, pour me reposer et continuer la suite de façon plus sereine. Après une sortie, il faut un peu être vigilant, tout vérifier. Là c’est bon, je vais pouvoir souffler.
Florian (PSI) : On parle en plus d’un repos d’un long travail, parce que Kitty’s Last Adventure a eu 3 ans de développement. C’est beaucoup de péripéties ?
Woum : Plutôt deux ans. J’ai commencé en septembre 2023, à plein temps sur le projet. Il y a juste eu deux mois et demi où j’ai bossé sur autre chose, c’est tout.
Florian (PSI) : Qu’est-ce qui t’a donné envie de développer des jeux ?
Woum : Le développement de jeux vidéo m’intéressait quand j’avais 12 ou 13 ans. J’étais fan de JV et curieux des coulisses. Ma mère m’a dit ok si tu veux. C’était donc il y a plus de 20 ans. Internet n’était pas ce que c’est maintenant. On était partis à Leclerc au rayon livres, et ma mère a demandé au vendeur s’il avait un bouquin pour m’apprendre le développement de jeux. Comment dire, le vendeur ne savait pas quoi conseiller. Il a fini par me donner un gros bouquin sur le code en C. Le livre me paraissait une Bible (rires).
Florian (PSI) : Ça t’a découragé ?
Woum : Ça m’a fait peur surtout. J’ai feuilleté le livre et j’avais l’impression de devoir faire 200 pages pour réussir à afficher un point sur un écran. Et c’était vraiment juste du C, rien d’autre.
Florian (PSI) : C’était un peu la conseillère d’orientation avant l’heure (rires).
Woum : Aha oui. Mais finalement ça m’a toujours suivi. Dès que j’avais le moyen de faire des maps custom dans un jeu, je bidouillais. D’aussi loin que je me souvienne, je codais sur Age of Empires 2, et d’autres jeux. Ça a toujours été là cette passion du jeu vidéo, et de me dire que je ferais bien le mien.
Et puis en fait je n’ai même pas vraiment utilisé le bouquin. Je cherchais l’aspiration ailleurs, je voulais connaître le game design, construire des maps personnalisées. Je bossais sur des jeux qui m’épargnaient des contraintes de partir de zéro pour me concentrer sur l’essentiel.
Florian (PSI) : Comment es-tu entré dans le milieu par la suite, par une formation ou plutôt en autodidacte ?
Woum : Après mes déboires avec le livre de C, je me suis mis sur les tutos d’Open Classroom, pour m’autoformer sur du HTML. Je suis revenu au C par-là, mais c’était compliqué. Je testais un peu tout ce qu’il y avait, même sans faire réellement de projet. Je me disais que je partirais peut-être dans l’informatique, d’autant que j’étais matheux. Et à l’époque quand j’en parlais, on me disait que l’informatique était bouchée, que ce n’était pas un métier d’avenir…
Donc j’ai failli me dire tant pis, vu comment c’était compliqué. Et j’ai fini par partir en fac de maths pour devenir prof. C’est là que j’ai découvert l’algorithmie. J’ai adoré ça, la logique derrière, le côté informatique. Il y avait un résultat tangible là-dedans. Je me suis donc formé en informatique avec une licence d’informatique, un master, et j’ai travaillé ensuite dans le web.
Florian (PSI) : Et donc le jeu vidéo arrive quand dans l’équation, si je puis dire ?
Woum : Après tout ça, j’avais constamment des mini projets de JV à côté. À l’arrivée du Covid, j’avais quitté mon entreprise pour me mettre en auto-entreprise. Mais j’ai aussi perdu mon client principal avec la pandémie, et je n’ai plus eu envie de rechercher de la clientèle. C’est ma femme qui m’a dit qu’elle savait que ce dont j’avais envie, c’était le JV. Et du coup je me suis lancé.
Évidemment c’est compliqué de se lancer, de gagner de l’argent au début. Je ne me voyais pas imposer ça à ma femme, mais c’est elle qui m’a convaincu de me lancer malgré tout.
Florian (PSI) : On a donc un premier jeu qui sort en 2022, qui s’appelle Sqroma. Ce premier jeu, qui a aussi été ton premier projet commercial, a-t-il été une véritable aventure ?
Woum : Sortir un premier jeu, ça ne m’a pas paru si compliqué en réalité. Le prototype de Sqroma m’a pris une semaine. C’est toute la partie de peaufinage qui m’a mangé tout mon temps, je ne m’y attendais pas. Le projet devait durer 3 mois, il en a duré 9. J’avais des super retours, et ça m’a poussé à l’améliorer sans cesse. Ce qui a été compliqué, c’est à la fin du projet, quand il a fallu communiquer, vendre… Il y a eu cette étape qui est difficile pour un développeur indépendant, car je ne savais pas vraiment quel bout prendre pour intéresser les gens. Un jeu gratuit, c’est facile à faire playtester. Le jeu final, c’était plus compliqué.

Florian (PSI) : Kitty’s Last Adventure commence quelques mois après la sortie de Sqroma, c’est bien cela ?
Woum : Il y a eu un jeu Android avant, mais il a disparu depuis donc c’est pour ça que tu n’en as pas entendu parler. Juste après Sqroma, j’en ai fait une mise à jour graphique. Je suis parti sur un jeu Android ensuite, qui est sorti en mars 2023, et je me suis mis à Kitty’s Last Adventure en septembre de la même année.
Florian (PSI) : On part avec Kitty’s Last Adventure sur un Vampire Survivors Like. D’où t’est venue l’idée d’aller dans cette direction ?
Woum : J’ai eu du mal à savoir sur quoi partir. Je ne trouvais pas le bon prototype. Ça a duré des mois. C’est au moment où j’ai arrêté de me prendre la tête avec les ventes, que je me suis dit que j’allais travailler sur ce qui me tenait à cœur, que j’ai commencé Kitty’s Last Adventure. Je l’ai fait en hommage au chat que j’ai perdu.
Ensuite j’ai réfléchi à ce qui était relativement court à faire, tout en me plaisant. J’ai pensé au Vampire Survivors, et je me suis dit que ça n’avait jamais été fait avec un chat.
Florian (PSI) : Tu documentes la création du jeu sur YouTube à travers un devlog bien fourni. Ça nous permet de comprendre les tenants et aboutissants d’un développement. Une vidéo que j’ai beaucoup aimé est celle où tu reçois la réponse du CNC pour le financement de Kitty’s Last Adventure, dans laquelle on te dit que le jeu n’est pas assez innovant. C’est quelque chose qui est assez important dans l’industrie actuelle. N’a-t-on pas tendance pourtant à ne pas assez soutenir les jeux qui ne sont pas assez… innovants ?
Woum : C’est un cheval de bataille pour moi. Soit un jeu est hyper innovant et se vend par millions, soit il n’a pas intérêt à exister. Mais il n’y a qu’à regarder les Vampire Survivors, il y a plein de personnes qui en ont acheté 15, et ils ne sont pas tous innovants. Il y a plein de jeux qui se vendent bien sans révolutionner l’industrie. Je trouve qu’on oublie ces jeux plus modestes, mais qui offrent tout de même une expérience complète et agréable.
Florian (PSI) : Est-ce qu’on manque d’éditeurs qui s’intéressent à ces jeux « simples » ?
Woum : Je n’ai pas l’impression que ça manque. Il y a plein de moyens aujourd’hui pour dévouvrir les jeux. Je pourrais parler d’un youtubeur qui chaque semaine parle de 30 à 40 jeux sur les 300 à 400 sortis dans la semaine. C’est impossible que tous les jeux soient visibles, mais je trouve tout de même qu’il y a plein de moyen d’exister au moins un petit peu, et de tomber sur le public intéressé. À partir de là, ton jeu est-il assez bien pour créer un effet boule de neige, telle est la question. Il y a plein de niches qui existent et il y a de la visibilité là-dedans. Il faut un peu d’effort marketing, mais souvent ça se joue à l’intérêt au premier abord. On ne peut pas trop changer ça par la suite, ce sont vraiment les premières secondes d’intérêt qui comptent. On a donc cette possibilité d’exister auprès de notre public.
Florian (PSI) : Tu disais aussi sur ta chaîne YouTube que si Kitty’s Last Adventure n’allait nulle part pour un joueur, il ne fallait pas qu’il perde son temps avec. Tu as dit aux joueurs de chercher leur intérêt. Il y a aussi chez toi cette volonté de montrer aux développeurs qu’il ne faut pas forcément s’attacher à leur projet ?
Woum : J’ai déjà eu ces discussions avec certaines personnes. Il faut se détacher de son projet et ne pas s’interdire de piocher dans d’autres idées. Dans mes streams et vidéos, plein de personnes proposent des idées, et il faut avoir l’humilité de les accepter. L’intérêt est que le projet soit qualitatif, pas d’avoir raison. Il y a de bonnes suggestions, et l’une des qualités à avoir pour s’en sortir est de les écouter. Sauf exceptions avec des génies qui ont l’idée exacte, un développeur fait des allers-retours dans tous les sens, revient en arrière…
Pour moi, la pire chose est de s’entêter dans une idée que le public rejette.
Florian (PSI) : Pour parler de Kitty’s Last Adventure, il y a plusieurs subtilités au-delà d’être un Vampire Survivors like. Peux-tu nous raconter les quelques innovations que le jeu propose ?
Woum : Dans l’idée, je voulais faire un Vampire Survivors mignon. Je voulais attirer ceux qui aiment le genre mais qui sont rebutés par les graphismes ou la prise en main. J’ai cherché la simplicité et une bonne vibe. J’ai retiré les statistiques dans mon jeu par exemple, ce qui rend fou certaines personnes, et je peux le comprendre. J’ai vu pas mal de personnes jouer à Kitty’s Last Adventure, et ça ne gêne pas ceux qui sont là pour la vibe. J’ai travaillé sur le plaisir d’être de plus en plus fort, sans chiffres.
Florian (PSI) : Peut-on donc dire que Kitty’s Last Adventure est un Vampire Survivors pour débutants ?
Woum : C’est un peu l’idée. Plein de jeux ont cherché à faire plus que Vampire Survivors, mais j’ai plutôt voulu simplifier les éléments pour rester dans le cœur de gameplay. Dans Kitty’s Last Adventure, les armes ont toutes plusieurs évolutions, et ça diffère de Vampire Survivors. La baballe a par exemple a huit évolutions. C’est là-dessus que j’ai essayé de travailler, en rendant la découverte des embranchements des évolutions fun, sans le côté statistique. On est juste content d’améliorer son arme car elle fait plus mal, sans pour autant chercher les chiffres.
Florian (PSI) : On sent dans le jeu la volonté de créer un environnement très sympathique pour les joueurs. Comment as-tu réalisé cela ?
Woum : Étonnamment, il y a eu durant mon développement des Vampire Survivors like avec des chats qui sont sortis. Pour une raison qui m’est inconnue, ces jeux-là sont violents. Il y a du sang à l’image, des moustiques éclatés… Je sais que les chats ont cette aura un peu violente, mais les gens adorent aussi et surtout les chats pour leur côté mignon, pipou, marrant. Dans Kitty’s Last Adventure, j’ai déjà entendu des gens tristes de devoir avancer le jeu car ils ne voulaient pas dépasser certains ennemis.
Florian (PSI) : Le jeu raconte aussi une part de toi. Quelques séquences au début des chapitres racontent une histoire. Kitty’s Last Adventure ne se déroule pas sur une gigantesque carte de 30 minutes comme Vampire Survivors, mais sur plusieurs niveaux de 10 minutes. Une fois le boss battu, on passe au niveau suivant.
Woum : En effet. Kitty’s Last Adventure a trois modes différents. On enchaîne sur des niveaux à trois mondes différents avec un boss à chaque fois à la fin. Entre les mondes, il y a une cinématique. Les cinématiques représentent les thèmes du deuil, et chaque monde en est une étape. C’était important pour moi, c’est pour ça que je faisais le jeu. C’est un élément qui a fonctionné sur certaines personnes, et sur d’autres pas du tout. Quand on commence le jeu, je demande littéralement au joueur s’il veut voir les cinématiques tristes ou pas. On peut jouer au jeu et juste apprécier le moment, sans voir la thématique triste.
Le jeu est fait pour avoir les cinématiques « tristes », mais il fonctionne sans car ce n’est pas forcément quelque chose que tout le monde a envie de vivre. Et donc je ne veux pas forcer les gens à ressentir ces sentiments.
Florian (PSI) : Revenons un peu sur Sqroma. Le jeu utilise la mort comme outil de progression. La mort étant centrale dans les Vampire Survivors like, as-tu voulu reprendre quelques éléments de Sqroma dans Kitty’s Last Adventure ?
Woum : Les deux jeux sont vraiment différents. Donc je n’ai pas repris d’éléments de Sqroma, mais je me suis servi de mon apprentissage dessus pour mieux développer Kitty’s Last Adventure. Sqroma m’a donc beaucoup servi mais pas en termes de gameplay pur. Ce sont deux jeux très différents.
Florian (PSI) : En début d’année, certains observateurs ont vu la recrudescence des Vampire Survivors like. Ton jeu sort le 27 août 2025. Est-ce tu as l’impression d’avoir raté la vague ?
Woum : Pour moi, les Vampire Survivors sont un genre comme les autres, un peu comme le metroidvania. Il y a des personnes qui adorent ce type de jeu, comme moi j’adore les platformers 2D. Peut-être que la hype s’est un peu éteinte, même s’il y des jeux qui continuent à sortir et à très bien fonctionner, comme Noobs are coming.
Je pense que le genre est là désormais et qu’on peut trouver son public. Ça s’est établi.
Florian (PSI) : Quelle est la suite pour toi désormais ? Es-tu satisfait du lancement de Kitty’s Last Adventure ?
Woum : Je suis globalement satisfait. Le jeu ne sort pas dans ses frais, car j’y ai passé deux ans notamment. J’y ai passé trop de temps car la thématique était trop importante pour moi. Sur mon prochain jeu, qui sera intitulé Dreadhaven, je veux justement rester sur une taille de projet plus maîtrisée. Je suis serein pour la suite donc. J’ai beaucoup appris, et Kitty’s Last Adventure s’est bien mieux vendu que Sqroma, donc je suis sur la bonne voie. Je ne peux toujours pas vivre de mes créations aujourd’hui, mais je reste satisfait car le chemin est le bon.

Florian (PSI) : As-tu l’occasion de discuter avec des équipes comme celles de Puncake Délicieux ou avec Doot, qui sont spécialisées dans la création de jeux rapides à faire ? Y a-t-il des leçons à tirer de ces créateurs ?
Woum : J’ai discuté avec Doot, pas avec Puncake Délicieux. Ce que tout le monde dit, c’est que c’est très difficile de faire des tous petits jeux comme cela. D’ailleurs, le premier jeu de Doot a pris quelques mois, mais pour Minami Lane, c’était tout de même un an de travail. On se retrouve vite à soit des personnes qui ont fait pas mal de jeux et qui ont accéléré leurs process, soit des studios qui sont à plusieurs et vont plus vite. Les personnes qui sortent de petits projets en solo assez vite, c’est rare.
Pour moi, deux ans c’est trop. Un an c’est rapide. Il y a des personnes qui sortent des jeux tous les mois, mais c’est trop compliqué pour moi.
Florian (PSI) : Pour clore cette interview, peux-tu justement nous recommander des jeux à mettre en lumière, avec la connaissance que tu as de toutes ces scènes indépendantes ?
Woum : Ah mince, je ne m’y attendais pas (rires). J’aime bien le collectif Sokpop. L’une des mes grosses références est Clickyland chez eux. C’est une inspiration pour Dreadhaven. J’ai beaucoup aimé le concept d’un Tower Defense où les clics sont limités par jour. Mais je trouve la fin un peu rushée.
Je peux aussi parler de Arrogue, d’un ami développeur qui est un mélange entre Angry Birds et du roguelike. Ça marche vraiment et ça fait partie des jeux qui ont vraiment trouvé leur public. Encore une fois ça n’a pas fait le tour du monde mais ça fonctionne très bien. J’ai aussi adoré Sol Cesto… il y a trop de bons jeux (rires) !
Florian (PSI) : Merci beaucoup Woum d’avoir accepté de répondre à nos questions ! Et merci à toutes celles et ceux qui nous lisent. Jouez à Kitty’s Last Adventure !