Quand on explore la scène indépendante française, on trouve toujours des jeux fascinants, et des développeurs encore plus intéressants derrière eux. Ce mois-ci, nous plongeons dans l’univers Rhombus, un titre réalisé par le toulousain Axel Born, aussi auteur de Skew Pong, Breaking Survivors et Snakeloop. Sans plus attendre, découvrez la conversation fleuve menée par Florian Verdier avec l’aide de Yacine Ouali.
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Florian (PSI) : Bonjour Axel Born, et merci de nous accorder cette interview pour Rhombus, ton jeu de puzzle.
Axel Born : Bonjour et merci à vous pour l’invitation. Rhombus est donc en effet disponible depuis le 6 novembre sur Steam et Itch.io au prix de 4,99 euros.
Florian (PSI) : Avant de revenir sur Rhombus et sur tes précédents projets, peux-tu te présenter pour que nos lecteurs et lectrices apprennent à te connaître ?
Axel Born : Je m’appelle donc Axel, et je suis développeur indépendant. Concernant mon parcours, le jeu vidéo a toujours été ma passion depuis petit. Dès l’adolescence, je faisais du modding, notamment sur Warcraft 3. Et après, tout l’univers du jeu vidéo m’avait orienté vers l’informatique. Je me suis donc dirigé vers des études d’informatique, au début avec un IUT. Et c’est en arrivant dans ces études supérieures que je me suis dit que je pouvais faire du JV mon métier. En parallèle, j’ai appris à utiliser Unity et à développer des jeux sur mon temps libre. C’était environ en 2017.
Florian (PSI) : D’accord. On a donc une assez grande amplitude de temps entre cette période et le moment où tu as sorti ton premier jeu sur Steam (Skew Pong en 2022, ndlr).
Axel Born : Absolument. J’ai continué après mes études aussi. À cette époque, je commençais sérieusement à faire du développement, et j’ai appris l’existence de l’association Toulouse Game Dev. Je m’en suis rapproché, et j’ai rencontré des développeurs, certains professionnels, d’autres non. Il y avait même des gens qui travaillaient à Airbus, mais bon, à Toulouse la moitié de la population travaille à Airbus (rires). J’ai assisté à des conférences, et j’ai beaucoup appris.

Florian (PSI) : Tu as rejoint l’organigramme de Toulouse Game Dev en octobre 2020. Pourquoi l’avoir fait à ce moment-là ?
Axel Born : J’ai en effet rejoint le conseil d’administration en octobre 2020. La scène toulousaine de jeu vidéo se développe ces dernières années. L’association tourne bien aujourd’hui.
Et à côté, je faisais des game jams et j’enchaînais de petits projets. Autour de 2021, j’ai décidé d’arrêter les études pour me concentrer pleinement sur le jeu vidéo. J’ai fini par faire mon premier jeu « commercial » (Skew Pong, ndlr), qui à la base était juste un projet de jam. C’est à la fin d’une de ces sessions que je me suis décidé à m’intéresser à l’après, au processus qui mène du développement jusqu’à la sortie d’un titre.
Florian (PSI) : C’est justement ton arrivée chez Toulouse Game Dev qui te donne l’envie de te lancer en tant que développeur ? Cela a-t-il été quelque part le catalyseur ?
Axel Born : Ça a clairement contribué, oui. À Toulouse, il n’y a pas vraiment de gros studios historiques, mais plutôt une constellation de petits indépendants. La scène JV de la ville est donc très humaine au fond, et ça renforce l’émulation.
Florian (PSI) : Et donc tu en arrives à Skew Pong, ton premier projet qui sort le 10 février 2022. C’est quoi, Skew Pong ? Quel le importance le jeu a-t-il pour toi ?
Axel Born : Comme son nom l’indique, c’est un pong. C’est un jeu avec de la physique, en trois dimensions, avec un plateau qui peut tourner et s’incliner. On joue avec la gravité, ce qui peut rendre l’expérience assez chaotique. J’avais indiqué plus haut que c’était un jeu développé au début en game jam. C’était lors d’une Ludum Dare d’octobre 2021 pour être précis. C’était environ la 10ème game jam à laquelle je participais, et c’est le temps qu’il m’a fallu pour me dire que je voulais finir l’une de ces expériences. L’ambition du projet me paraissait suffisante pour passer à l’étape suivante. Le scope était bien défini, assez réduit, et ce qui allait devenir Skew Pong avait été bien reçu à la game jam.
Florian (PSI) : Puis tu récidives en novembre 2023 avec Breaking Survivors.
Axel Born : En effet. Breaking Survivors, c’est un mélange de casse-brique à l’ancienne et de survivors-like. L’idée était de mélanger les genres. J’ai sorti le projet en novembre 2023, avec un développement commencé en mars de la même année. Il y a eu un an entre la sortie de Skew Pong et le développement de Breaking Survivors. C’est le temps qu’il m’a fallu pour me recentrer et décider de me lancer professionnellement dans le développement de jeux vidéo.

Florian (PSI) : As-tu été soutenu à ce moment-là par les membres de Toulouse Game Dev ?
Axel Born : Oui. L’association permet d’être dans un écosystème, de se faire aider, de faire tester son jeu, d’avoir des retours, des conseils marketing. Je n’avais pas fait de marketing sur Skew Pong, et c’est quelque chose que je voulais faire à partir de Breaking Survivors.
Au début, je me suis demandé sur quoi je pouvais partir. J’avais mes compétences de programmeur grâce à mes études, et de l’autre côté j’en avais peu sur l’aspect graphique. Sur le game design enfin, j’étais autodidacte. Comme sur Skew Pong, je me suis inspiré de jeux rétro, à l’image de Snake et Asteroids, pour essayer de les réinventer. J’étais donc parti sur du casse-brique mélangé à du Survivors pour Breaking Survivors, et sur du Snake pour Snakeloop, mon troisième jeu.
Florian (PSI) : Avec Snakeloop et Rhombus, ça fait deux jeux sortis cette année mine de rien. Et donc tu nous dis que l’idée de Snakeloop a germé en même temps que celle de Breaking Survivors.
Axel Born : J’ai prototypé les deux jeux quasiment en même temps oui. J’ai choisi après quelques semaines d’aller sur Breaking Survivors en premier. C’était aussi le moment de la tendance des Survivors, donc je me suis dit qu’il y avait un meilleur potentiel de vente, et ce fut le cas effectivement. C’était aussi plus facile à aborder en termes de design. Le jeu a eu pas mal de succès, avec 3500 copies vendues, ce qui était totalement au-delà de mes espérances.
D’un coup, le fait de développer des jeux est devenu quelque chose de tangible, de sérieux. Les ventes suivaient, alors que je m’attendais à vendre quelques centaines de copies tout au plus. J’ai donc ajouté du contenu dans Breaking Survivors, pour renforcer la rejouabilité et entretenir le succès.
Ce suivi du jeu a fait que j’ai mis du temps à repartir sur Snakeloop, jusqu’à l’été 2024. L’idée pour ce jeu était de reprendre le concept de Snake, mais d’en inverser la condition de victoire, en faisant comme objectif de justement faire une boucle sur soi-même. Ça devient ainsi une sorte de puzzle-game, dans lequel on rajoute des contraintes sur l’espace, où on finit par construire des labyrinthes…
Il a fallu ensuite que je pense aux mécaniques de jeu. Dans Snakeloop, il y a 4 types de fruits. Il y a le fruit de base, qui fait grossir quand on le mange. Il y a celui qui a la même fonctionnalité mais qu’on peut manger plusieurs fois, celui qui a l’effet inverse de vous faire rétrécir, et enfin celui qui vous fait rétrécir mais qui est mangeable plusieurs fois. Ensuite, je me suis posé la question du but final. Si l’on veut que le serpent se morde la queue, pourquoi ne pas en mettre plusieurs, et les autoriser à fusionner ? J’ai donc permis au joueur de contrôler plusieurs serpents en même temps, ou au contraire de les désynchroniser pour faire des boucles indépendantes ou si des obstacles différencient leurs chemins. Tout cela dans l’objectif de donner plusieurs possibilités différentes de résoudre les puzzles.

Florian (PSI) : C’est difficile, non pas d’être révolutionnaire, mais de trouver de bonnes idées de renouvellement du gameplay sur des jeux aussi immuables que Snake ?
Axel Born : Un peu, quand même. Ce que je cherche à faire, ce n’est pas de faire mieux qu’un titre qui a déjà tout dit, mais de faire différemment. J’essaie de proposer des mécaniques uniques, comme pour Snakeloop l’idée du puzzle. Je voulais faire quelque chose qui rentrait dans mes compétences, et de trouver l’idée originale, sans non plus avoir énormément de demande sur l’aspect visuel car je ne peux le faire seul.
Florian (PSI) : C’est dans ce sens que je trouve Rhombus, ton 4ème jeu, intéressant, parce que tu passes en 3D, alors que tes trois premiers jeux avaient des gameplays en 2D et des caméras plus ou moins fixes.
Axel Born : Absolument, avec Rhombus je suis passé dans une vraie 3D. C’est un projet qui est assez délicat à décrire. C’est donc un jeu de réflexion, de puzzle à la 1ère personne, avec une composante d’exploration. Le joueur doit interagir avec des panneaux, à la The Witness, qui ont des losanges. En les faisant tourner, ça fait monter et descendre des plateformes, et ça pousse à l’exploration pour résoudre les diverses énigmes des 5 zones du jeu, qui prend 2 à 3 heures pour être complété.
À la base, l’idée vient d’un concept mathématique, qui est le pavage de losanges. En faisant des rotations avec ces losanges, ça donne l’impression d’empiler des cubes, grâce à la perspective 3D. Et d’ailleurs, le losange était anciennement appelé un rhombe, du grec ancien. D’où « Rhombus ».
S’agissant du passage à la 3D, ce n’était pas forcément plus difficile en soi. Au niveau du style, on reste sur quelque chose de minimaliste, avec des références liées à Antichamber et Manifold Garden, notamment pour ce dernier les palettes de couleurs.


Florian (PSI) : De mon côté je suis allé jusqu’à la 4ème zone du jeu.
Axel Born : C’est intéressant. En termes de progression, le jeu te permet de progresser dans les 4 premières zones, mais plusieurs endroits ne sont pas accessibles. Le jeu a une composante non linéaire, avec des mécaniques de gameplay atteignables qu’à la fin de la zone 4 par exemple.
Florian (PSI) : Était-ce difficile à programmer comme jeu ? Je pense au level design en 3D des plateformes, la gestion de leurs mouvements…
Axel Born : C’était l’enfer (rires). À chaque fois que je devais toucher à un morceau de code, je savais que j’allais y passer des heures à débugger. Et c’est plus la partie des panneaux qui m’a pris du temps. Celle des plateformes était relativement simple.
Pour vous présenter l’idée, tout est parti d’une vidéo de vulgarisation mathématique 3 Blue One Brown. Cette chaîne prend des concepts mathématiques et les fait très bien visualiser. La vidéo en question concernait des puzzle « outside the box ».
C’est la première des 5 énigmes qui m’a intéressé, avec un pavage de losanges qu’on faisait tourner pour former des hexagones. Et la solution à ce problème était de voir le pavage de losanges en 3D, pour rendre cela plus évident.
Florian (PSI) : Dans la description Steam de Rhombus, tu parles de Metroidbrainia. Peux-tu nous en dire plus, sur ce genre où on se sert de ce qu’on apprend pour avancer, à l’image d’Outer Wilds ? Comment cela se traduit dans le jeu ?
Axel Born : Je vois cela comme une manière de faire de l’exploration non linéaire, de progression qui oblige à revenir en arrière pour mieux avancer, pour modifier les connexions de figures, créer de nouveaux chemins. L’idée est d’amener le joueur à accumuler de la connaissance de l’environnement, d’où le brainia. Et sachant que la map fait 60m x 60m, il fallait inclure cette composante pour ne pas trop faciliter l’expérience de ligne droite par exemple.
Florian (PSI) : Quelle sera la suite après Rhombus ? As-tu déjà une idée de projet ?
Axel Born : Quand j’ai l’idée d’un projet, ça me prend quelques mois pour en envisager les mécaniques. Sur Snakeloop, l’idée m’est venue à la GMTK game jam, qui avait imposé le thème de boucle justement. L’idée de Rhombus m’est venue lors de la même game jam, à l’été 2025, et le jeu est sorti 3 mois plus tard.
Il me reste quelques petites choses à régler sur mes jeux déjà sortis, en termes de mises à jour et de suivi, et je me mettrai sur le projet suivant par la suite.
Florian (PSI) : Terminons, cher Axel, par les traditionnelles recommandations. As-tu un ou deux titres intéressants à recommander à nos lecteurs ? On parlera aussi du calendrier des jeux français, que je gère, et pour lequel tu es un grand contributeur avec l’ensemble des jeux toulousains à travers Toulouse Game Dev.
Axel Born : En effet, je fais ça tous les trimestres à peu près. S’agissant des recommandations, je peux vous parler de B-Line. C’est un metroidbrainia qui tend vers le walking sim, fait un solo dev qui est un ami et qui est sorti le 3 octobre. Ce développeur est départ compétent sur les moteurs et les rendus. Il n’était pas vraiment dans le jeu à proprement parler au début, mais vu qu’il a créé son propre moteur de jeu, il a décidé de créer une œuvre dessus.
J’aimerais aussi vous parler de Dernier Départ, par Infokub Arcade, sorti en octobre aussi sur Itch.io. C’est un tower defense mêlé à du FPS. La bande-son est particulière car il faut aimer un peu le metal. Le jeu est entièrement doublé, et l’histoire fait de nous un alien sur une autre planète qui se fait coloniser et qu’on doit défendre.


Florian (PSI) : Merci beaucoup Axel pour ces recommandations et pour cette conversation !
Axel Born : Merci à vous !


