La découverte des jeux indépendants de la scène française se poursuit sur PlayStation Inside avec ici la découverte de Minami Lane, titre de gestion cozy réalisé par un duo de développeurs français, Dorian dit « Doot » et Doriane dite « Blibloop ». On y parle ici de leur parcours mais aussi de leur création, qui a remporté un très beau succès, dépassant les 30 000 exemplaires vendus depuis le lancement du jeu, le 28 février 2024. Interview.
Florian Verdier (PSI) : Bonjour Doot ! Merci de répondre pour Playstation Inside à mes nombreuses questions ! Pouvez-vous présenter l’équipe derrière Minami Lane ?
Doot : Moi c’est Doot, je suis développeur indépendant depuis moins d’un an. Avant ça, j’ai fait cinq ans de data science dont trois à Ubisoft où j’ai rencontré Blibloop (Doriane), puis j’ai repris les études pendant lesquelles j’ai rencontré Zakku. J’ai aussi travaillé chez Homo Ludens en tant que gameplay programmer. Blibloop est artiste indépendante depuis un peu plus de deux ans. Son activité principale est une boutique en ligne de pins, illustrations et stickers. Elle travaillait avant en tant qu’analyste chez Ubisoft. Zakku est compositeur et sound designer pour le jeu vidéo en indépendant.
Florian (PSI) : Minami Lane n’est pas ton premier jeu puisque tu as travaillé également sur Froggy’s Battle, mais surtout sur Blooming Business pour Homo Ludens, un titre qui est bien plus proche de la finalité de Minami Lane. Quelles leçons as-tu tiré de la réalisation de ces jeux ?
Doot : Froggy’s Battle m’a énormément appris sur comment mener un projet indépendant de A à Z, et c’était très très utile pour s’organiser correctement pour Minami Lane. Il y a aussi beaucoup de choses que j’ai pu mieux faire, que ce soit côté dev comme le système de sauvegarde ou la gestion des achievements, ou le côté communication sur la manière dont j’utilisais les réseaux sociaux.
Blooming Business: Casino, lui, est à la fois plus proche côté gameplay mais aussi très éloigné car c’est un jeu d’une ampleur complètement différente. J’ai surtout pu réutiliser des astuces et techniques de programmation que j’ai apprises chez Homo Ludens, et éviter certains pièges (le navmesh Unity (un outil qui permet de faire du pathfinding (recherche de chemin pour les personnages), complètement cassé et relou à manipuler)), mais finalement, le projet Minami Lane ressemble bien plus à Froggy’s Battle qu’à Blooming Business: Casino dans sa conception et réalisation !
Florian (PSI) : Vous avez tous les deux eu la chance de travailler dans la branche marketing d’Ubisoft. En quoi cela change t-il l’approche de développement d’un jeu ?
Doot : Je pense que la chose la plus importante que ces années nous ont appris, c’est d’être ouvert aux envies, goûts et motivations différentes des joueurs et joueuses. C’est très important de ne pas penser sur une seule échelle en se disant « ca, c’est mieux que ça » mais de bien savoir pour qui on fait son jeu et estimer ou évaluer quelles sont leurs attentes. Les gens ont des goûts différents, un gameplay qui peut paraître répétitif à une personne peut être rassurant pour son voisin.
Florian (PSI) : Le développement de Minami Lane fut très court, à peine six mois ; pourquoi avoir fait ce choix? Que cela implique t-il comme contraintes et comme atouts ?
Doot : Pour Minami Lane, on voulait faire 3 mois de développement, comme celui de Froggy’s Battle.
Faire des jeux courts, c’est vraiment le plus grand conseil que je donnerais à quelqu’un qui veut faire du jeu vidéo, quel que soit son niveau. C’est super dur de faire un jeu, il y aura forcément des moments éprouvants. Faire un jeu court, c’est raccourcir ces moments. Quand ça ne va pas, on peut facilement se dire « allez plus qu’un mois et on passe à autre chose ». Aussi, la plupart des jeux se plantent financièrement, surtout quand on débute. Plutôt que de cramer ses deux ans de chômage à faire un jeu raté, autant en faire 4 non ?
Enfin, j’avoue que j’aime beaucoup les jeux courts aussi en tant que joueur. Je préfère jouer à plein de petits jeux qu’à un seul gros AAA. J’ai l’impression de vivre et découvrir beaucoup plus de choses.
Florian (PSI) : Puncake Delicieux est un studio français spécialisé dans la réalisation de jeux sur de courtes périodes : avez-vous pris exemple sur eux/discuté avec eux ?
Doot : J’adore ce qu’ils font ! Mais non, je n’ai pas encore pu les rencontrer. On devrait se croiser pour la première fois au Spawn Festival à Angoulême début avril !
Florian (PSI): En lisant d’autres interviews, j’ai remarqué que votre duo apportait un certain équilibre dans la création du jeu : comment cet équilibre se matérialisait dans les décisions que vous deviez prendre ?
Doot : Les principales différences entre Blibloop et moi, c’est qu’elle a vraiment envie d’ajouter le maximum de petites choses au jeu pour le rendre meilleur, quand je tend à vouloir tout couper pour plus de concision. La manière dont on fonctionnait souvent, c’est qu’elle avait la direction créative, et j’essayais de cadrer en proposant les solutions les plus simples possibles pour implémenter ses idées dans les temps.
Florian (PSI) : Toujours dans d’autres interviews, vous mettiez en avant l’importance des Playtests. En quoi est-ce si important pour vous, compte tenu de la brièveté du temps de développement ?
Doot : Je pense sincèrement que c’est impossible de faire du game design sur papier, et savoir si ça va être fun ou non. Bien sûr, on peut apprendre beaucoup sur le sujet et se faire de plus en plus d’intuitions avec l’expérience, mais on ne sera jamais vraiment sûr de rien avant d’avoir un prototype dans les mains et de le faire tester à des joueurs et joueuses. Aussi, comme je le disais au dessus, les gens ont des goûts différents. On a le droit de faire un jeu pour soi même, mais c’est rarement la meilleure idée, donc à un moment il va bien falloir le faire tester à notre cible.
Enfin, les playtests aident énormément à prioriser. On aurait été entièrement incapables de faire ce jeu en si peu de temps sans playtests.
Florian (PSI) : Parlons de Minami Lane désormais. Pouvez-vous nous le présenter?
Doot : Minami Lane est un petit jeu mignon de création et gestion de rue. On choisit chaque jour un nouveau bâtiment, on gère les articles, recettes et prix de nos magasins, puis on profite de la vie dans notre rue pendant la journée tout en interagissant avec les villageois et les nombreux chats. C’est un petit jeu de quelques heures avec 5 missions et un mode Sandbox.
Florian (PSI) : Minami Lane est né sur les cendres d’un précédent jeu de Ludum Dare que vous avez réalisé tous les deux (avec Zakku aussi à la composition musicale) nommé Poda Wants a Statue . Comment ce jeu vous a t-il influencé ?
Doot : À vrai dire, on n’est pas vraiment partis de Poda pour concevoir Minami Lane. Par contre, on avait toujours les mêmes envies, surtout du côté de Blibloop. Elle voulait s’entraîner sur le dessin isométrique et adore les jeux de management. On était aussi tous les deux d’accord pour tenter de faire un jeu cozy.
Petit fun fact quand même : un des morceaux de Minami Lane est une reprise directe du thème de Poda, et les sons de menus sont exactement les mêmes !
Florian (PSI) : Quels sont les inspirations de Minami Lane (autre que Poda cité précédemment) ? Est-ce que réaliser un jeu de gestion complet et à la fois accessible était le but ?
Doot : La liste d’inspirations est longue comme le bras, mais les plus importantes sont probablement :
– Outlanders, pour son management simple, ses missions courtes et sa tendance à ne pas chercher le « toujours plus ».
– Boba Simulator, pour sa mécanique de recette et son découpage en journées.
– Gourdlets, pour son ambiance « petite ville vivante » extrêmement agréable.
– Les jeux Kairosoft, les champions du management minimaliste.
La tension entre l’intérêt des mécaniques et l’accessibilité est une question que j’adore me poser, et effectivement, c’était au cœur du design de Minami Lane. Pour chaque mécanique, on se demandait systématiquement comment on allait l’introduire, et si elle était très facilement compréhensible. C’est parfois un piège dans le game design de se dire qu’une mécanique est super smart et qu’on trouvera bien un moyen de l’expliquer. Si on ne la comprend pas, ça ne sert à rien qu’elle soit là.
Florian (PSI) : Comment avez-vous décidé de la direction artistique de Minami Lane ?
Réponse de Blibloop : À vrai dire, la direction artistique de Minami Lane était déjà à peu près tracée avant même d’avoir l’idée précise du jeu ! Le jeu de game jam « Poda Wants a Statue » que nous avions réalisé précédemment était une première expérience avec le dessin isométrique comme dit précédemment, et ça m’a beaucoup plu. Je voulais poursuivre dans cette voie et m’entraîner davantage à l’isométrique, notamment en dessinant un mini monde avec des petits bâtiments. De là, le genre management / city-builder avait du sens, et au final c’est l’art style qui nous a orienté vers notre idée de « street-builder ».
Florian (PSI) : On parle souvent de la saturation des jeux « wholesome » dans tout ce qui est simulation ou gestion. Cela ne vous a pas t-il trop freinés dans votre élan ?
Doot : Pas vraiment ! Il y a peut être une saturation, mais clairement pas dans les petits jeux à 5 euros. Au contraire, on avait même du mal à trouver des concurrents directs pour nous comparer. Le truc principal qu’on a tiré de ça (l’absence de concurrence), c’est qu’il allait falloir être super clairs sur notre proposition pour pas que les gens comparent à des jeux qu’on n’est pas. On a beaucoup moins de contenu que des jeux similaires à 10e par exemple, et donc on l’a répété plein de fois sur la page Steam et même dans le trailer de sortie !
Florian (PSI) : Minami Lane s’est écoulé à plus de 30 000 exemplaires à l’écriture de ces lignes. Êtes-vous surpris de cet engouement ?
Doot : Oui, très ! C’est vraiment impossible de savoir si son jeu est bon avant de le sortir. Les playtests peuvent aider, mais à notre échelle, on n’a jamais assez de réponses pour savoir. Je pense que le plus important dans notre succès, c’est l’aide que nous a apporté Wholesome Games en tant que partenaire marketing.
Florian (PSI) : Wholesome Games est un acteur très important depuis quelques années dans le monde du jeu vidéo. En quoi ce partenariat marketing vous a été bénéfiqu e?
Doot : Leur apport est complètement incroyable en terme de visibilité. Ils sont en plein cœur de notre cible donc les partages sur leurs réseaux ont beaucoup aidé. Ils ont aussi fait un travail énorme sur le contact et le tri des créateurs-ices de contenu, ça nous a fait gagner beaucoup de temps et de visibilité. Côté technique / design, ils nous ont laissé super libre, avec toujours l’impression de faire ce qu’on voulait. Ils nous ont aussi aidé sur la refonte de la page Steam et le choix du prix.
Florian (PSI) : Dans une précédente interview, vous évoquiez le passage de Unity à Godot pour votre prochaine création. Qu’est-ce que cela implique de changer de moteur ? Pourquoi avoir pris cette décision ?
Doot : Rien n’est encore sûr. J’ai envie d’essayer Godot, car c’est un moteur bien plus éthique qu’Unity (open source versus grosse boite qui vire ses employés à tour de bras). Le passage d’un moteur à un autre, ça va demander beaucoup d’apprentissage. Je vais prendre un peu de temps pour ça avant mon prochain projet, et si je pense que je peux faire tout ce que je sais faire sur Unity sur Godot, ce sera sûrement le moteur de mon prochain jeu !
Florian (PSI) : Je finis toujours mon interview en posant la question à mes invités de savoir s’ils ont des recommandations de jeux pas très connus à suivre ou qui sont sortis il y a peu. Lesquels seraient les vôtres ?
Doot : Kind Words est un de mes jeux préférés, et Kind Words 2 sort bientôt, je vous conseille grandement la démo gratuite sur Steam ! C’est un exemple incroyable de bienveillance dans le jeu vidéo. Enfin, j’aimerais aussi recommander des jeux en préparation de deux amis indés français : Sol Cesto et Lueur and the Dim Settlers. Allez les wishlist, ça aide beaucoup !
Florian (PSI) : Merci beaucoup Doot pour le temps accordé ! Minami Lane est disponible sur Steam.