Cela commence déjà à remonter, mais souvenez-vous : au Summer Game Fest 2022, Naughy Dog avait la chance de faire le « one more thing ». Le jeu présenté était The Last of Us Factions, un standalone multijoueur qui, comme nous l’avons appris plus tard, serait le fer de lance de la nouvelle stratégie des jeux service impulsée par Jim Ryan. Mais comme nous nous en doutions déjà à l’époque, faire un jeu service quand on vient du solo narratif n’est pas chose aisée. Depuis l’annonce, Naughty Dog a subit plusieurs contretemps, à tel point que le jeu serait désormais « quasiment à l’arrêt ». Analyse de la question.
The Last of Factions : torpillé par Bungie, le jeu serait à l’arrêt
Une chose est sûre, Naughty Dog n’a jamais été connaisseur en terme de jeux multijoueurs. Au demeurant sympathiques, les modes multi de The Last Of Us ou Uncharted n’avaient pas pour vocation de retenir les joueurs sur des centaines d’heures, et n’étaient en réalité que des modes bonus, comme c’était la mode à l’époque de la PS3. Mais dans le cas du standalone Factions, la situation est différente, car PlayStation souhaite en faire un « game as a service ».
Mais comme on ne s’improvise pas connaisseur d’un genre du jour au lendemain, le développement du multijoueur Factions est semé d’embûches pour Naughty Dog. Depuis son rachat début 2022, justement pour chapeauter cette nouvelle stratégie de jeux service, Bungie a été missionné d’examiner les jeux de ce type en production chez PlayStation (à l’image de Factions donc, mais aussi Fairgames de Haven). Malheureusement pour Naughty Dog, la conclusion de Bungie a été négative, le studio jugeant que Factions n’était pas cohérent dans la capacité de rétention de joueurs souhaitée par Sony. Cette analyse interne a amené Naughty Dog à réévaluer le développement de Factions, notamment en le retardant et en réduisant les équipes travaillant dessus.
Pour qu’on se n’y trompe pas et pour enrayer les discussions à la suite des révélations sur le rapport de Bungie, Naughty Dog avait d’ailleurs publié un communiqué en mai 2023 :
À la rentrée, nous avions espéré que Naughty Dog montre le bout de son museau lors du State of Play ou du The Last of Us Day. Mais il n’en a rien été. Selon les informations de Kotaku, le développement du jeu serait quasiment à l’arrêt, la situation ne s’étant pas améliorée depuis le rapport de Bungie, et le responsable de la monétisation du titre, Anders Howard, a quitté Naughty Dog en septembre après y avoir passé seulement 11 mois. De quoi se poser des questions sur la pérennité du projet, d’autant que, comme nous l’aborderons plus tard dans ce papier, le moment semble aussi être aux licenciements chez Naughty Dog.
Outre ces questions inhérentes à la structure de Naughty Dog, il faut aussi citer le rôle de Bungie. Comme nous l’écrivons dans le titre de cette partie, le studio a « torpillé » The Last of Us Factions. Espérons toutefois que ce rapport interne aura été suivi d’effet, avec Bungie qui devrait non seulement analyser la stratégie de jeu service chez PlayStation, mais aussi aider les studios concernés à apprendre comment développer de tels titres, à l’image de Nixxes Software qui aide les gros PlayStation Studios à réaliser des portages PC.
Le départ de Jim Ryan, le dernier clou dans le cercueil ?
Un des freins supplémentaires au développement de Factions, et des autres jeux service du constructeur, pourrait être, avec le temps, le départ à la retraite de Jim Ryan. Cette fin de mandat, si elle a constitué un événement en soi, pourrait mener Sony à reconsidérer la stratégie de jeux service de PlayStation si le nouveau PDG de la firme arrive avec une autre vision. Et quand on voit un studio tel que Naughty Dog avoir autant de difficultés, et donc fatalement perdre autant d’argent sur un projet qui ne lui convient pas, on peut même se demander si son développement, et celui d’autres jeux service chez Sony, ne seront pas annulés.
Car il ne faut pas oublier que les finances de PlayStation et de ses studios, qui manquent de savoir-faire dans le domaine, ne sont pas illimitées, et retarder encore et encore des jeux ne fera que faire perdre du temps et de l’argent à PlayStation. De même, on peut aussi se demander si PlayStation ne devrait pas aller dans un autre sens, en publiant des jeux narratifs tout en étant jeux service, à la manière d’un simili-MMO comme GTA V Online, ou de jeux en coopération en ligne de la manière du récent Payday 3. En somme, faire de Factions un jeu qui cumulerait les meilleures qualités de Naughty Dog, en particulier sa narration et son world building, avec les capacités uniques du jeu service. Avec un budget moindre, cela permettrait de garder le jeu en vie sur des années, en proposant du contenu toujours qualitatif et en y ajoutant des histoires, des zones jouables, des personnages…
Une vague de licenciements sans précédent dans le jeu vidéo : Naughty Dog concerné ?
Outre l’information que le développement de Factions serait à l’arrêt, Kotaku a aussi rapporté le départ de plus d’une vingtaine d’employés chez Naughty Dog. Ces derniers mois ont été sujets à une quantité assez importante de licenciements dans le jeu vidéo, et Naughty Dog ne sera probablement pas le dernier à le faire. En début d’année, Microsoft avait déjà licencié plus de 10 000 employés. Electronic Arts a ensuite remercié plus de 800 employés, et ces dernières semaines ne sont pas en reste avec le licenciement de 830 employés chez Epic Games, ou encore la situation chez Team17, qui a licencié 50 personnes.
Évidemment, la situation inquiète beaucoup. Une nouvelle crise du jeu vidéo va peut être éclater. Le développement de jeux vidéo est plus coûteux que jamais, le marketing de plus en plus important, et c’est forcément les employés qui en pâtissent le plus. Sans compter les conditions de travail de plus en plus lourdes dans le milieu, qui pourraient amener certains employés de l’industrie du jeu vidéo à emboîter le pas à leurs collègues du cinéma et à se mettre en grève.
Dans le moment que nous vivons tous, entre l’augmentation des taux d’intérêts et l’inflation galopante, l’industrie du jeu vidéo n’est pas épargnée. Les licenciements massifs de cette année 2023 sont une conséquence de cela, mais il ne faut pas ignorer non plus la relation de cause à effet. Si les développements de jeux sont aujourd’hui plus longs et coûteux, la faute est avant tout imputable aux studios et aux éditeurs, qui privilégient le gigantisme et basent leur santé financière sur un seul gros titre plutôt que sur plusieurs titres de moindre importance sur une période plus longue.
Mais revenons maintenant à Naughty Dog. Selon Kotaku, ce serait environ 25 personnes qui auraient été remerciées, pour la majorité des contractuels employés dans le QA testing. On ne sait pas réellement si ces situations sont des licenciements ou « juste » des non renouvellements de contrats. Vu les posts LinkedIn des personnes apparemment concernées par la situation chez Naughty Dog, on peut au moins être sûrs qu’une vague de départs a eu lieu, et que ces fins de contrat, selon les images ci-dessous, ont été avancées au mois d’octobre par rapport à leur fin initiale.
Mais ce qui est potentiellement inquiétant dans cette histoire, c’est que Naughty Dog aurait demandé aux employés remerciés de rester le plus secret possible à propos de leur départ, et aucun d’eux n’aurait reçu de prime de fin de contrat. Cette discrétion imposée par la direction, si on peut la considérer normale dans une industrie qui cultive le secret, peut aussi révéler une potentielle situation tendue dans le studio, avec des équipes qui sont petit à petit réduites dans le développement de The Last of Us Factions.