Chères lectrices et chers lecteurs, bienvenue dans notre nouvelle série centrée sur le Speedrun, cette discipline presque aussi ancienne que le jeu vidéo lui-même. En 6 chapitres, des origines à nos jours, découvrez tout ce qu’il faut savoir sur une pratique aujourd’hui si démocratisée qu’elle devient une option dans plusieurs AAA (The Last of Us Part II, Astro Bot pour ne citer qu’eux). Première partie aujourd’hui avec un papier sur les origines du speedrun. Accompagnez nous dans une époque où le jeu vidéo se jouait encore en bits…
Le speedrun, aujourd’hui devenu une culture à part entière dans le monde du jeu vidéo, a des racines qui remontent aux premières décennies de l’histoire vidéoludique. Pour comprendre l’engouement actuel et l’expertise technique des speedrunners modernes, il est essentiel de revenir sur les origines de ce phénomène. Ce chapitre se propose d’explorer les débuts du speedrun, en passant par les premières communautés en ligne, l’impact des jeux emblématiques des années 80 et 90, et l’influence de l’internet haut débit dans la création d’une véritable communauté mondiale.
Les débuts de la compétition dans les jeux vidéo
Depuis les débuts du jeu vidéo, l’esprit de compétition a toujours été au cœur de l’expérience des joueurs. Dans les années 70 et 80, les premières bornes d’arcade, avec des jeux emblématiques tels que Pac-Man, Space Invaders, et Galaga, ont posé les bases de cette dynamique compétitive. Les joueurs se mesuraient les uns aux autres pour obtenir le meilleur score, souvent affiché sur les écrans d’arcade dans les salles de jeu, où le but principal était simple : survivre le plus longtemps possible ou accumuler le plus de points. À cette époque, c’était surtout la durée de la partie qui comptait ; la rapidité n’était pas encore au centre de la compétition.
Avec l’arrivée de jeux plus complexes, incluant des niveaux successifs et des objectifs clairs à atteindre, la façon de jouer a évolué. Des titres comme Super Mario Bros. (1985) de Nintendo ont introduit l’idée de progression avec une véritable fin à atteindre. Les joueurs ont commencé à relever le défi de terminer ces jeux rapidement, ouvrant la voie à une nouvelle forme de compétition : celle de la vitesse. Bien qu’à l’époque il ne s’agissait pas encore de battre des records officiels, cette mentalité de défi et d’optimisation de temps posait déjà les jalons du futur « speedrun ».
Un moment marquant dans cette évolution est l’apparition en 1981 du jeu Radar Rat Race, publié par HAL Laboratory et sorti sur Commodore. Ce jeu inclut des niveaux appelés « speed run », où le joueur doit récupérer le plus rapidement possible l’ensemble des fromages dans un temps limité. Ces niveaux imposaient une gestion précise du temps et marquaient la première apparition connue du terme « speedrun » (alors orthographié « speed run »), employé pour désigner le défi d’atteindre un objectif le plus vite possible dans un jeu vidéo. Ce concept, embryonnaire à l’époque, annonçait déjà l’idée d’accomplir une performance rapide, un élément central qui deviendra un pilier dans la culture speedrun des décennies plus tard.

L’impact des jeux emblématiques des années 80 et 90
Les années 80 et 90 ont vu l’essor de franchises de jeux devenues légendaires, qui ont popularisé l’idée de terminer un jeu rapidement. Des titres comme The Legend of Zelda, Metroid et Sonic the Hedgehog se prêtaient particulièrement bien au speedrun, car ils possédaient des niveaux complexes, des boss, et parfois même des chronomètres intégrés qui encourageaient les joueurs à améliorer leur performance.
Super Mario Bros. : une base pour les speedrunners
Sorti en 1985, Super Mario Bros. est devenu un pilier pour les premiers speedrunners grâce à ses huit mondes diversifiés, ses multiples chemins, et ses fameuses Warp Zones qui permettaient aux joueurs d’atteindre la fin sans traverser chaque monde. Dès 1986, les premières compétitions de rapidité naissent autour de ce jeu. Des joueurs expérimentés parvenaient alors à terminer le jeu en environ 7 minutes, un exploit impressionnant pour l’époque. Depuis, de nombreuses techniques avancées ont été découvertes, comme le flagpole glitch, permettant de gagner plusieurs secondes cruciales à chaque fin de niveau.
Aujourd’hui, en 2024, le record mondial du speedrun Any% (catégorie où l’objectif est de terminer le jeu aussi rapidement que possible, sans aucune contrainte sur le pourcentage de complétion ou les éléments du jeu collectés, ndlr) de Super Mario Bros. a été poussé à la limite : des runners comme Niftski et Kosmic ont réalisé des temps impressionnants, flirtant avec les 4 minutes 54 secondes, tout près du temps théorique parfait calculé par les experts. Ce record a résisté aux tentatives de nombreux speedrunners, et chaque milliseconde gagnée est désormais le fruit d’une maîtrise absolue du jeu et de ses subtilités techniques.

Metroid : les fins alternatives pour les plus rapides
Dans Metroid (1986), un élément novateur a introduit la notion de récompense basée sur le temps. En terminant le jeu rapidement, les joueurs pouvaient débloquer une cinématique spéciale où Samus apparaît sans son armure. Dès 1987, les premiers joueurs passionnés arrivaient à compléter Metroid en environ une heure, un record impressionnant pour l’époque, dans un jeu qui demandait exploration et stratégie.


Aujourd’hui, le record Any% de Metroid se situe aux alentours de 9 minutes grâce aux avancées dans les techniques de glitch et de sequence break, où les runners manipulent le jeu pour sauter certains segments et accéder directement aux zones finales. Ces exploits montrent comment la quête de rapidité a transformé ce classique en un terrain de jeu où chaque mouvement est optimisé.
Doom : le partage des exploits grâce aux enregistrements
Doom (1993) est l’un des premiers jeux à encourager une compétition mondiale autour des speedruns grâce à son système de replay intégré, appelé demos. Certaines de ces demos sont visibles sur Internet Archives. Les premières compétitions sur Doom, dès 1994, voyaient des temps de finalisation de niveau variant autour de 20 minutes pour des parties complètes, avec des techniques comme le straferunning qui permettaient d’accélérer la vitesse de déplacement.
Aujourd’hui, le record du mode Ultra Violence de Doom est réduit à quelques minutes pour des niveaux complets, et les meilleurs joueurs de 2024 exploitent les moindres failles pour maximiser leur vitesse. Le record en Any% pour une run complète a récemment atteint des temps incroyables de moins de 10 minutes, un exploit rendu possible par des glitchs comme le wall clip, permettant de traverser certaines parois et d’accéder directement aux segments finaux.
Le visionnaire de l’arcade : Walter Day et la création du jeu vidéo compétitif
Avant l’apparition des plateformes spécifiques au speedrun, une organisation pionnière, Twin Galaxies, a su créer un cadre pour reconnaître les records de jeux d’arcade. Fondée en 1981 par Walter Day, Twin Galaxies vérifiait les performances des joueurs et attribuait des records officiels, offrant une certaine légitimité aux exploits dans le domaine du jeu vidéo. Bien que plus axée sur la validation de scores que sur la vitesse, Twin Galaxies a apporté un cadre méthodologique rigoureux qui a inspiré d’autres communautés à formaliser leurs critères de validation, posant ainsi les bases pour l’homologation des records dans le speedrun. Son approche structurée a servi de modèle aux sites dédiés qui suivront.

Dans une interview pour le magazine Blip, Walter Day raconte comment il a eu l’idée de créer une base de données pour recenser les meilleurs scores de jeux vidéo. L’inspiration lui est venue après avoir été témoin de l’exploit d’un joueur dans sa propre salle d’arcade, où ce dernier a atteint un score de 24 000 000 de points sur le jeu Defender, un score qu’il considère alors comme potentiellement le meilleur jamais réalisé.
Devant cette performance impressionnante, Day décide de contacter les autres salles d’arcade à travers le pays pour voir si ce score pouvait être surpassé. Cependant, il découvre que de nombreuses salles ne sont pas en mesure de fournir un historique des meilleurs scores enregistrés. Face à cette lacune dans le monde des jeux vidéo, Day prend l’initiative de déclarer ce score comme le meilleur score officiel sur Defender.

Fort de cette démarche, Day se met alors en quête de cataloguer les scores des joueurs pour divers autres jeux. Ce travail de pionnier l’amène, en février 1982, à publier ce qui deviendra la première base de données de records de jeux vidéo sous le nom de Twin Galaxies National Scoreboard. Ce tableau des scores vise à centraliser les performances des joueurs à travers les États-Unis, permettant ainsi de comparer et de classer les meilleurs scores réalisés sur de nombreux jeux, tout en consacrant les meilleurs joueurs.
Blip, le magazine où cette histoire est partagée, est un petit mensuel publié par Marvel Comics et édité par Joe Claro. Il n’a connu que sept numéros, publiés entre février et août 1983, et ces exemplaires peuvent encore être consultés en ligne sur Internet Archive à cette adresse : archive.org.

En devenant une référence dans le monde des jeux d’arcade, Twin Galaxies National Scoreboard a marqué le début de la reconnaissance officielle des prouesses des joueurs d’arcade et a contribué à faire émerger une communauté dédiée aux records et aux compétitions dans l’univers des jeux vidéo.
L’aube de l’eSport
En 1983, Walter Day fonde l’U.S. National Video Game Team, marquant ainsi la création de la toute première équipe professionnelle de joueurs de jeux vidéo au monde. Visionnaire dans un domaine encore émergent, Day cherche non seulement à valoriser les compétences des meilleurs joueurs, mais également à structurer un milieu compétitif pour le jeu vidéo. Cette initiative est rapidement suivie par l’organisation du North American Video Game Challenge, le tout premier tournoi des maîtres du jeu vidéo aux États-Unis. Ce tournoi, en rassemblant les meilleurs joueurs nord-américains dans une compétition officielle, pose les bases d’une scène compétitive formelle.
Grâce à son travail incessant et ses nombreuses initiatives visant à répertorier, reconnaître et célébrer les performances des joueurs, Walter Day peut aujourd’hui être considéré comme l’un des véritables pionniers de l’eSport. Ses efforts ont non seulement mis en lumière le talent des joueurs d’arcade, mais ont aussi contribué à établir une structure et des normes pour le développement de la compétition professionnelle, ouvrant ainsi la voie à l’eSport moderne.
L’influence des premières communautés en ligne et des forums
Avec l’essor des jeux vidéo, l’Internet commençait également à gagner en popularité, offrant aux joueurs un espace sans précédent pour échanger astuces et records. Cette interconnexion, facilitée par les premiers forums et communautés en ligne, a joué un rôle central dans l’émergence de la culture du speedrun. Ce phénomène a d’abord pris forme dans les cercles de passionnés avant de devenir une discipline codifiée. La montée du speedrun doit ainsi beaucoup à cette nouvelle connectivité, où les performances individuelles pouvaient être partagées, examinées et améliorées par une communauté internationale.
L’un de ces sites, Speed Demos Archive (SDA), créé en 1998, est devenu un véritable pilier de la communauté du speedrun. Initialement consacré aux démos de Quake, SDA a rapidement étendu son champ d’action à d’autres jeux, offrant un espace où les joueurs pouvaient soumettre leurs vidéos. Ces performances étaient ensuite minutieusement examinées et validées, avec les meilleurs temps affichés sur le site. En instaurant des règles et des catégories spécifiques pour chaque jeu, SDA a contribué à transformer le speedrun en une pratique quasi sportive, où le respect des standards de la communauté était essentiel pour obtenir une reconnaissance officielle.
Les échanges sur les forums ont également encouragé une dynamique de collaboration et de partage d’expertise au sein de la communauté du speedrun. Les joueurs publiaient des guides et des vidéos expliquant comment exécuter des glitches ou des stratégies spécifiques pour optimiser leur temps, créant un espace où les connaissances se diffusaient et s’enrichissaient en permanence. Bien que l’objectif reste fondamentalement compétitif, cette culture de partage a fait naître un paradoxe : dans cette quête de performance individuelle, le collectif joue un rôle crucial. En collaborant ainsi, les joueurs ont pu repousser les limites techniques et découvrir des astuces complexes et souvent contre-intuitives. Ces découvertes, qui auraient été difficiles à atteindre individuellement, montrent comment le speedrun s’est imposé comme une discipline exigeant autant de créativité et de recherche technique que de dextérité et de précision.
Avec l’essor des plateformes de partage vidéo, un site est devenu la référence incontournable pour la communauté des speedrunners : speedrun.com. Lancé en 2014, ce site centralise les records et classements de milliers de jeux, organisant les différentes catégories de speedruns et les règles spécifiques à chaque titre. Les joueurs peuvent soumettre leurs performances, qui sont ensuite vérifiées par des modérateurs, et consulter les classements mondiaux. La plateforme offre également des fonctionnalités communautaires, permettant aux runners de partager des guides, des astuces et des discussions autour des techniques de jeu. En devenant un carrefour dédié à la pratique, speedrun.com a contribué à renforcer la visibilité et la crédibilité du speedrun, facilitant le suivi des records, la découverte de nouveaux jeux à exploiter et la mise en relation des passionnés du monde entier.

Les premières vidéos de speedruns et leurs impacts
Avec l’avènement des plateformes de partage vidéo, notamment YouTube ou Dailymotion en 2005, le monde du speedrun a pris une nouvelle dimension en atteignant un public beaucoup plus large. Jusqu’alors, les speedrunners partageaient leurs vidéos principalement via des forums, nécessitant des téléchargements souvent fastidieux pour les spectateurs. Avec ces plateformes, la visualisation des vidéos est devenue instantanée, facilitant ainsi la diffusion de cette discipline et permettant à un nombre croissant de personnes de découvrir non seulement les temps records, mais aussi les techniques et astuces employées en temps réel. Cette transition vers une accessibilité élargie a véritablement contribué à populariser le concept de speedrun.
Cette visibilité croissante a également encouragé une standardisation des vidéos de run. Des plateformes comme SDA (Speed Demos Archive) ont imposé des standards de qualité, où chaque vidéo est souvent minutieusement commentée, décomposée et chronométrée pour que les spectateurs comprennent les stratégies sous-jacentes. Cette nouvelle rigueur dans les contenus a permis aux novices d’apprendre en détail les techniques des meilleurs joueurs et a favorisé l’adhésion d’une nouvelle génération de passionnés. Nombre de curieux, après avoir visionné ces vidéos explicatives, ont tenté de battre les temps record eux-mêmes, contribuant ainsi à l’essor de la communauté et à la multiplication des compétitions en ligne.
Vers la fin des années 2000, la diffusion en direct est venue ajouter une autre dimension au phénomène. Certains speedrunners ont commencé à organiser des événements où ils réalisaient leurs performances en temps réel devant un public, jetant les bases des marathons de speedrun caritatifs. Ces événements en direct sont rapidement devenus des rendez-vous phares pour la communauté, comme en témoigne la création des célèbres marathons Games Done Quick (GDQ), qui non seulement rassemblent des centaines de milliers de spectateurs, mais collectent également des fonds pour des causes caritatives. La monétisation de ces événements et l’organisation de marathons ont donc marqué une évolution importante dans le speedrun, le transformant en une discipline à la fois compétitive, collaborative et orientée vers des initiatives caritatives, renforçant ainsi sa place dans la culture populaire du jeu vidéo. Mais nous y reviendrons plus en détail dans le quatrième article de notre dossier.

L’évolution vers une pratique reconnue du speedrun
Le speedrun a connu une expansion sans précédent, propulsée par l’émergence de plateformes comme Twitch depuis 2011-2012. Ce qui était autrefois une niche pour une poignée de passionnés est devenu une discipline largement reconnue au sein de l’univers vidéoludique. La possibilité de diffuser des runs en direct et d’interagir instantanément avec un public mondial a offert une visibilité et un soutien inédits aux speedrunners, accélérant l’essor de la communauté et la professionnalisation de cette pratique. Désormais, les speedruns attirent des milliers de spectateurs en ligne, captivés par les performances et les découvertes que ce type de jeu exige.

Face à cet engouement, certains développeurs de jeux ont saisi l’occasion d’intégrer le speedrun directement dans leurs œuvres, reconnaissant l’impact de cette pratique sur la longévité et la popularité de leurs jeux. Dans certains cas, les studios ajoutent des défis chronométrés et des classements pour récompenser les joueurs les plus rapides, offrant des récompenses ou des trophées spéciaux pour les performances exceptionnelles. Certains jeux modernes encouragent même l’exploration de glitchs ou facilitent le partage des records en ligne, démontrant ainsi une nouvelle forme de dialogue entre les créateurs et les joueurs. En intégrant ces éléments, les développeurs valident la légitimité du speedrun et contribuent à sa structuration en tant que pratique respectée dans la communauté.
Aujourd’hui, le speedrun a dépassé le cadre du simple défi pour devenir une véritable culture, avec ses propres codes, héros et valeurs. Pour de nombreux joueurs, le speedrun est devenu une identité, un moyen de se distinguer et de faire partie d’une communauté soudée. Les techniques, stratégies, et anecdotes sont partagées de façon active sur les forums, réseaux sociaux et dans des événements majeurs comme Games Done Quick (GDQ), qui rassemble désormais des centaines de milliers de spectateurs. Plus qu’une compétition, ces événements incarnent l’esprit de partage et de performance collective propre au speedrun. Cette identité unique a fait du speedrun non seulement une discipline à part entière, mais aussi une influence culturelle majeure dans le monde du jeu vidéo, inspirant des joueurs et des créateurs du monde entier.

Dans le prochain article, nous explorerons en profondeur les différentes catégories et types de speedrun, mettant en lumière la diversité des défis auxquels les joueurs sont confrontés. Nous analyserons comment ces catégories, qu’elles soient basées sur des techniques spécifiques, des objectifs de performance ou des restrictions particulières, permettent aux speedrunners d’explorer une multitude de possibilités et d’ajouter des couches supplémentaires à la compétition. Un véritable voyage à travers les multiples facettes de cette discipline passionnante.