Un bon mois. C’est le temps qu’il m’aura fallu pour venir à bout de Kingdom Come : Deliverance 2, le RPG des Tchèques de Warhorse Studios. Et après plus de 75 heures de jeu à explorer les terres de Bohême en essayant de ne pas mourir de froid ou d’alcoolisme, le temps du verdict est enfin venu. Dans un royaume où les luttes royales et fratricides gangrènent la vie des petites gens, la petite histoire rencontre la grande pour dépeindre un Moyen-Âge loin des clichés obscurantistes, mais toujours violent nonobstant. Au cœur de ce chaos, le destin d’Henry de Skalice devient le nôtre, dans un titre qui assume à fond son côté « histoire dont vous êtes le héros ». Alors, cette suite après 7 ans d’attente vaut-elle le détour ? La réponse dans cette critique.

Un titre qui sent bon le jeu vidéo « à l’ancienne »
Avant de plonger dans le cœur même de Kingdom Come : Deliverance 2, il faut d’abord saluer sa forme. De son développement à sa sortie et même son envoi à la presse spécialisée, le jeu de Warhorse Studios (édité par Deep Silver) a donné un certain goût de « c’était mieux avant ». Tout part d’abord du budget, dont nous avons peiné à croire au début tant il est bas par rapport aux standards actuels. Avec environ 40 millions de dollars alloués au développement et une rentabilisation faite quasiment dès le premier jour de commercialisation (1 million de ventes en 24 heures), KCD2 réussit avec des finances dignes de l’époque PS360 à s’imposer comme un titre qui n’a rien à rougir face aux mastodontes actuels des grands studios et leurs budgets à plusieurs centaines de millions. Il est fascinant de se dire qu’un jeu aussi imposant dans son contenu ait pu être publié en 2025, dans une époque où l’inflation des coûts et des prix touche l’industrie comme le public, avec le même budget qu’Uncharted 2.
Outre son budget, l’éditeur Deep Silver et leurs différents responsables du marketing à travers le monde ont eu la bonne idée d’investir non seulement dans une promotion à grande échelle mais aussi à destination de la presse. De notre côté, nous avons ainsi reçu KCD2 en version physique (édition day one) avec un dossier de presse papier assez conséquent. C’est peut-être un détail, mais voir l’attention mise par l’éditeur et le studio dans le contact avec la presse spécialisée fait chaud au cœur et nous ramène à une époque d’avant le jeu vidéo dématéralisé, quand l’expérience se vivait en physique et que les entreprises dédiaient du temps à l’éditorialisation de leurs titres. Qui ne se souvient pas avec joie et une pointe de nostalgie des notices imposantes dans les jaquettes où l’univers des jeux était expliqué, et à travers lesquelles nous avions une porte d’entrée dans les aventures avant même d’insérer les disques ?
C’est exactement ce sentiment que nous avons à la réception de KCD2, de la possibilité de posséder le jeu en physique à son dossier de presse au papier qualitatif. Toutefois, entre dire cela et se laisser « acheter » par un éditeur grâce ses attentions il n’y a peut-être qu’un pas mais rassurez-vous : nous ne l’avons pas franchi. Il me paraissait néanmoins pertinent de mentionner ces éléments qui donnent le sentiment que KCD2 est véritablement un jeu vidéo « à l’ancienne », et ce n’était pas pour me déplaire.

Un réalisme et un perfectionnisme qui n’oublient pas l’accessibilité
C’était bien connu pour tous ceux qui ont goûté au premier épisode : Kingdom Come Deliverance 2 est un RPG dont les maîtres mots sont le réalisme et le perfectionnisme. Dans le jeu, tout est fait pour nous plonger de la manière la plus fidèle possible dans la Bohême du XVème siècle en proie aux troubles politiques. Cela se ressent évidemment dans la reconstitution historique, qui brille par son authenticité. Au niveau purement informatif, le titre de Warhorse regorge d’informations et de leçons sur l’Europe centrale du Moyen-Âge. C’est un véritable travail de fourmi réalisé par les développeurs avec leur équipe d’historiens, un peu à l’image de ce qu’a lancé Ubisoft avec les Discovery Tour à partir d’Assassin’s Creed Origins. Mais contrairement aux aventures de Bayek et consorts, nul tour sans ennemis ni histoire dans KCD2. Non, chez Warhorse, la fidélité de la reconstruction historique se ressent directement jusqu’au gameplay, qui est adapté, à tort ou à travers, à la vraie vie des habitants de Bohême à l’époque.
Et si pour certains cela est un handicap, j’ai trouvé, à l’image du premier jeu, que c’est au contraire la grande force de KCD2. En contrôlant Henry et au-delà même de ses aventures, il nous faut, dans une dimension RPG presque littérale, survivre. Cela passe par le fait de manger, se soigner… mais aussi dormir pour récupérer de la forme ou encore se laver, histoire de ne pas passer pour un vulgaire paysan quand vient le temps de briller en haute société. Il m’est même arrivé à quelques reprises de me faire cambrioler dans mon sommeil ou pire encore, d’avoir un niveau d’alcool trop important dans le sang et de quasiment tomber en coma éthylique, ce qui n’est bon ni pour la santé ni pour la sécurité du personnage principal. Pour ma défense, je tiens toutefois à dire que ce taux d’alcoolémie était justifié par la nécessité de soutirer des informations à un soldat dans une taverne, quoique quelques verres ont été pris pour mon pur plaisir et en très bonne compagnie, je dois l’avouer…

À la différence des autres RPG donc, KCD2 pousse les curseurs du réalisme à l’extrême. C’est, dans la plupart des cas, un élément positif comme je viens de l’écrire, d’autant que le système de progression est aussi concerné. Loin de simplement présenter des points de compétences, la dimension RPG de KCD2 réside en réalité dans la pratique. Plus on fait quelque chose avec Henry, plus on maîtrise le domaine, et cela vaut pour les qualités comme l’éloquence jusqu’à celles plus classiques du combat ou de la furtivité. Dans ce sens, le gameplay offre une étonnante liberté car il n’appartient qu’à nous de façonner Henry comme nous le souhaitons et de lui donner les compétences que nous voulons. Un jeu dont vous êtes le héros, je vou le dis…
Cet alliage subtil du réalisme et de la surprenante liberté dans le gameplay démontre la volonté de Warhorse de rendre Kingdom Come : Deliverance 2 plus accessible que ne l’était son prédécesseur pour toucher un plus large public, et les bonnes ventes du jeu témoignent de la réussite de ce projet. Sans trop concéder à son exigence de fidélité, le studio prend néanmoins et suffisamment le joueur par la main pour lui apprendre les mécaniques du jeu, qu’il ait joué à la première expérience ou non. Ainsi, les combats sont moins rigides et plus techniques et stratégiques qu’auparavant, les déplacements en cheval sont plus aisés et le gameplay en général est plus fluide et un poil plus permissif, donnant in fine à vivre une aventure bien plus prenante que celle de 2018. On notera simplement une légère déception quant à la manière dont cela est amené, Warhorse ayant cédé pour cela à l’un des clichés les plus éculés du jeu vidéo au tout début de l’aventure : la fameuse mission ratée qui résulte en l’évaporation de nos affaires et de nos compétences (on finit l’introduction blessé et littéralement en slip) et qui remet comme par magie nos statistiques à presque zéro.
Sur le sujet de la souplesse, il me faut aussi aborder le sujet controversé du système de sauvegarde, qui oblige à dormir dans un lit ou à boire des potions pour être activé. Particulièrement contraignant par endroit, ce système mène parfois à des situations incongrues où l’on cherche un lit dans des quêtes qui n’ont rien à voir. Pour une mission en forêt, si tant est que vous ayez fini vos potions, bon courage pour trouver un lit… et cette difficulté allant, cela peut avoir un impact sur vos statistiques, la réussite de votre quête ou plus encore.

Un scénario conté par le gameplay
Dans Kingdom Come : Deliverance 2, Warhorse fait un choix dans l’air du temps : conter l’histoire par le gameplay. En dehors des cinématiques et des passages obligés de la mise en scène, qui oscillent entre spectacle digne des westerns de John Ford et champs contrechamps parfois scolaires, l’approche ludo-narrative se concentre vraiment sur un gameplay émergent qui permet, dans les rails du scénario (le plus long de l’histoire avec 2,2 millions de mots écrits), de mener notre propre aventure et de faire des choix, scénaristiques ou cosmétiques, qui feront d’Henry un personnage au destin bien différent en arrivant à la fin de l’aventure. Le gameplay alimente l’histoire et inversement, et cela permet d’encore plus apprécier les jeux de pouvoir au cœur de la trame pour un récit épique à souhait, sans oublier certaines quêtes annexes très bien écrites et un doublage tchèque (sous-titré) qui immerge bien plus que le français ou même l’anglais.
Dans un titre comme KCD2 qui pousse autant à l’exploration, il est à noter aussi l’exceptionnelle qualité du Cry Engine de Warhorse. Très bien optimisé sur toutes les plateformes, KCD2 brille tout particulièrement dans les grands espaces verts. Par monts et forêts, champs et lacs, la Bohême du XVème siècle est magnifique à parcourir et à admirer. Grâce au soin apporté au réalisme de l’aire de jeu, on est réellement transporté à l’époque médiévale et surtout on peut en profiter. Avec KCD2, la règle des 40 secondes de The Witcher 3 qui a irrigué toute l’industrie du RPG et du monde ouvert n’est pas la norme. Loin de proposer toutes les 40 secondes un évènement au joueur pour le maintenir engagé, KCD2 fait le choix du calme et de la « vraie » vie, et ce n’est pas pour déplaire tant le reste de l’aventure est évidemment endiablé.
Voici donc ce que je pouvais dire sur mon aventure au long dans Kingdom Come Deliverance 2 après plus de 75 heures de jeu. Totalement immergé je l’ai été, et j’en ressors avec la conviction toujours plus ancrée que l’industrie se porterait bien mieux, comme celle du cinéma d’ailleurs, si elle acceptait de revenir à des budgets plus resserrés. Il est toujours mieux de développer 10 jeux à 40 millions de dollars qu’un seul jeu à 400 millions non ?
En attendant, je ne peux que vous recommander de vous plonger dans l’aventure de KCD2, d’autant qu’il n’est pas réellement nécessaire d’avoir joué au 1 pour profiter de l’aventure. Entre son réalisme exceptionnel, son gameplay à la fois souple, émergent mais aussi implacable, ses grands espaces magnifiques et son histoire prenante, le titre de Warhorse mérite plus que le détour et s’impose comme l’un des meilleurs jeux de ce début d’année.
Kingdom Come : Deliverance 2
Pros
- Un jeu complet avec un budget aussi "bas" : respect
- Un grand réalisme qui renforce l'immersion avec des graphismes époustouflants et une DA remarquable
- L'authenticité qui n'oublie pas l'accessibilité
- Un gameplay très libre, plus fluide et qui pousse à l'exploration
- Un scénario épique qui tient en haleine jusqu'à la fin
Cons
- Le système de sauvegarde trop strict
- Une réalisation parfois trop scolaire
- Quelques problèmes de caméra et de ciblage dans les combats