Bien le bonjour, chères lectrices et chers lecteurs ! Pour ce premier article de l’année 2025 sur PlayStation Inside, nous vous proposons une interview avec Adrien Larouzée, responsable du pilotage des projets numérique, producteur et éditeur de jeu vidéo chez Arte. Cette conversation a été réalisée par Yacine Ouali et Florian Verdier. Nous avons souhaité parler avec Adrien pour en savoir plus sur la vision singulière de la chaîne Arte dans le jeu vidéo. Entre la France et l’Allemagne, et avec un prisme résolument indépendant, Arte finance, produit, édite et met en avant plusieurs superbes jeux indépendants à l’image de To Hell with the Ugly. Et après notre première entrevue avec Adrien Larouzée lors de la Paris Games Week 2023, nous l’avons notamment revu à la PGW 2024 pour aller plus loin. Bonne lecture !
Yacine Ouali (PlayStation Inside) : Bonjour Adrien, merci d’avoir accepté cette interview ! Peux-tu te présenter en quelques mots et nous dire ce qu’Arte espérait de la Paris Games Week de 2024, qui a été un évènement incontournable pour vous ?
Adrien Larouzée : Bonjour ! Je suis responsable du pilotage des projets numériques d’Arte France. Cela englobe la production et l’édition des jeux vidéo et des expériences en réalité virtuelle. J’ai une équipe de producteurs et de chefs de projets qui accompagnent des studios un peu partout en Europe sur la production et l’édition de leurs jeux. Ça fait 10 ans qu’Arte fait du jeu vidéo. On doit en être à 18 jeux co-produits, dont une douzaine édités par Arte. Aujourd’hui, un nouveau chapitre s’ouvre. À la PGW 2023, on était très focalisés sur l’anniversaire des 10 ans et la sortie de To Hell with the Ugly.
Pour la PGW 2024, on est arrivés avec trois nouveaux jeux, on a 30 Birds, un jeu en coproduction avec le studio bruxellois Ram Ram Games et la RTBF (radio télévision belge de la communauté française). C’est un jeu assez rigolo, et il est en partenariat avec le studio Business Goose (30 Birds est sorti le 28 novembre 2024, ndlr). Il s’agit d’une aventure en monde semi ouvert où l’on incarne « Zig », une enquêtrice qui aura pour tâche de rassembler trente oiseaux éparpillés à travers le monde, et la direction artistique est assez incroyable, inspirée de miniatures persanes et de mythes de la mythologie perse. C’est donc très intéressant culturellement aussi, avec un ton unique et un gameplay qui alterne exploration, puzzle et musique.
On a également présenté à la PGW 2024 le jeu « Looking for Fael », le nouveau titre du studio Swing Swing Submarine, à qui on doit le magnifique « Seasons after Fall ». S’agissant de Looking for Fael, c’est une sorte de « Myst-like » escape room de science-fiction où on reçoit un drôle de coup de fil. Notre colocataire s’est perdu dans notre appartement et en y retournant, on découvre des propriétés un peu fantastiques dans cet endroit qui a tendance à créer des versions alternatives de l’appartement. C’est donc un jeu ultra cérébral et très beau.
Et on a enfin présenté Gloomy Eyes, la version jeu d’aventure d’un projet qu’on a produit il y a quelques années du même titre et qui était sorti en VR, mais qui était un court-métrage linéaire. Gloomy Eyes est devenu un jeu vidéo grâce à Atlas V, un studio français en collaboration avec les belges de Fishing Cactus. C’est une réinvention du court-métrage qui, en termes de gameplay, est entre Little Nightmares et The Gardens Between, et orientée puzzle 3D avec deux personnages, une petite fille et un petit garçon zombie.
On a donc là trois jeux très différents en termes de direction artistique, de gameplay… mais qui reflètent aussi la stratégie d’Arte sur PC et consoles, avec des studios qui ne sont pas uniquement français. On travaille avec des studios belges, suédois, anglais, allemands… On suit notre vocation européenne chez Arte et on va chercher les auteurs originaux autour de nous.
Florian (PSI) : On pensait aussi voir à la dernière PGW le jeu « The Merlies ». Y a-t-il d’autres projets en cours aussi qui n’ont pas été à Paris mais dont tu peux nous parler ?
Adrien Larouzée : The Merlies n’était effectivement pas à la PGW car le studio travaillait dur au développement. À date de novembre 2024 c’est tout ce que l’on avait d’annoncé, mais nous avons 8 productions en cours actuellement en plus des quatre citées plus haut. Tout le monde met beaucoup de coeur à produire et à éditer les jeux chez Arte, et on a beaucoup de projets.
Yacine (PSI) : Comment se passe la décision entre la coproduction et l’édition ? Est-ce qu’Arte fait systématiquement les deux à chaque fois ?
Adrien Larouzée : Je scinde les deux parce que l’on vient de ce schéma de l’audiovisuel où l’on peut coproduire et ne pas diffuser. C’est pour ça qu’on scinde les deux contrats aussi, et c’est une particularité d’Arte dans le jeu vidéo. On peut donc soutenir financièrement et éditorialement un jeu, et en même temps avoir une activité commerciale de promotion et de distribution du projet. On a ajouté cela à notre logique chez Arte, même si au fond le métier d’éditeur est similaire à celui de diffuseur. On a commencé en étant coproducteurs uniquement, et quand on a été en mesure de le faire, on est passés à l’édition, ce qui vient désormais automatiquement avec la coproduction. C’est notre dogme aujourd’hui.
Yacine (PSI) : Comment est-ce que cela s’articule avec votre mission de service public ? Les jeux que vous faites sont nécessairement payants car il faut rémunérer les studios, mais vous restez un service public à la base.
Adrien Larouzée : C’est évidemment important de rémunérer les artistes pour ce qu’ils font. Il n’est pas question de venir coproduire des jeux pour les diffuser gratuitement. Par ailleurs, beaucoup de ces projets sont également financés par le CNC qui oblige à l’exploitation commerciale. La façon dont Arte navigue là-dessus est d’offrir des versions gratuites pour nos contribuables français et allemands. Sur notre site internet, on peut trouver l’historique de toutes nos coproductions et pour ce qui est sous droits, c’est à dire les jeux produits il y a moins de 5 ans, on trouve une version gratuite. Ce sont souvent des parties non négligeables du jeu, comme le début par exemple, ou alors de mini préquels ou séquels. Ça permet de découvrir les jeux sans avoir besoin de les payer, même si on veut évidemment que nos jeux soient achetés.
Florian (PSI) : C’est quelque chose que vous demandez systématiquement, ces versions gratuites séparées des jeux comme les préquels ou séquels ?
Adrien Larouzée : De moins en moins. On avait ces versions gratuites Arte spécifiques, qui permettaient par exemple de jouer directement sur navigateur sur des niveaux inédits. Mais aujourd’hui dans l’industrie, on assiste au retour de la démo. C’était un art perdu, mais Steam a largement contribué à le remettre au goût du jour. Et donc on s’y est remis aussi, notamment pour ne pas ajouter de travail aux studios.
Florian (PSI) : On est aujourd’hui dans une conjecture difficile pour les éditeurs. Quand on s’appelle Arte, a-t-on plus de facilités à donner leurs chances à plusieurs projets, ou est-ce qu’au contraire quand même on se réserve parce qu’on n’est pas encore en situation de stabilité dans l’industrie ?
Adrien Larouzée : En fait on regarde le marché et son évolution comme le lait sur le feu. On essaie d’être conscients des chances des projets qu’on accompagne. Mais c’est vrai que notre logiciel est différent car nous n’avons pas d’actionnaires qui nous demandent de faire x10. On nous demande d’être à l’équilibre sur nos investissements autour de la commercialisation du jeu, mais pas forcément sur la production, car cette dernière s’inscrit dans notre mission de soutien à la création originale d’auteurs et d’autrices européens. On a donc deux grilles de lecture : produire des projets originaux quo bousculent les lignes et la définition de ce qu’est le jeu vidéo, et réussir nos investissements. Et aussi, la nature et l’ampleur des investissements n’est pas la même. Notre ticket moyen de coproduction est aux alentours de 250 à 300 000 euros par jeu, sur des jeux qui valent en général environ un million d’euros. C’est plus facile de rentabiliser ce genre d’investissement. Et Arte a un rôle à jouer dans cette crise du jeu vidéo, notamment car on risque moins de mettre la clé sous la porte car on est un service public.
Yacine (PSI) : Quel impact ont en général les Paris Games Week sur l’activité et la réputation d’Arte ?
Adrien Larouzée : Il y a une partie de rencontre du public, donc de promotion des jeux et de réussite commerciale de par les milliers de personnes qui passent par notre stand. Il y a cette idée de faire découvrir aux gens qu’Arte fait aussi du jeu vidéo, qui plus est pour un public qui regarde peu la télévision. C’est de la médiation de la même façon que lorsque l’on présente nos jeux dans des médiathèques par exemple. Seule l’échelle change.
Et puis il y a une action aussi politique dans le fond. Le salon est visité par nos dirigeants et nos représentants, et donc on leur montre notre succès et nos rencontres avec la jeunesse.
Florian (PSI) : Arte ne fait pas que de la production de jeu vidéo, mais aussi de la création interne de contenu comme l’émission Jour de Play. Y a-t-il d’autres projets de ce genre en gestation du côté d’Arte ? On parle aussi d’ouverture à l’Europe, la question se pose-t-elle donc aussi de ce côté-là ?
Adrien Larouzée : L’ouverture à l’Europe se joue au niveau du Groupe en général. On est déjà aujourd’hui dans six langues, et 80% des citoyens européens trouvent un programme Arte dans leur langue aujourd’hui. Hors jeu vidéo, on prévoit évidemment de rester sur Twitch. Peut-être aura-t-on d’autres programmes demain. On cherche à rappeler que le jeu vidéo est une pratique culturelle massive. On peut parler du jeu vidéo de manière intelligente. Dans les productions numériques d’Arte, ça doit se refléter. On prépare plein de choses en ce moment et on a hâte de vous les montrer.
Florian et Yacine (PSI) : Merci beaucoup Adrien pour ton temps !
Adrien Larouzée : Merci beaucoup, au revoir !