Assassin’s Creed Shadows ne sortira pas dans un contexte idéal. Ubisoft souffre actuellement de nombreux problèmes internes aux enjeux conséquents. Le procès des anciens cadres repoussé à juin, les grèves multiples des employés, ou encore la santé économique de l’entreprise, rien ne passe inaperçu. En octobre dernier, nous apprenions aussi le démantèlement des équipes de Prince of Persia : The Lost Crown, qui a pourtant remporté le prix du meilleur jeu aux Pégases 2025. De tout cela découle la rumeur d’un rachat de l’entreprise française par Tencent, gigantesque groupe chinois.
Dès lors, Assassin’s Creed Shadows porte sur ses épaules le poids d’un studio de développement entier. Ce n’est plus la sortie d’un jeu d’une licence qui vieillit mal, mais le résultat de différents choix stratégiques pour maintenir Ubisoft à flot. Nous l’avons vu et ressenti ces derniers mois, la communication pour le jeu se voulait rassurante. Shadows avait pour promesse d’être un jeu peaufiné, soigné et prenant en considération l’avis des joueurs. Mais cela est-il suffisant ? Ce nouvel opus permettra-t-il à Ubisoft de regagner la confiance des joueurs ? Et surtout, détruira-t-il les questionnements et clichés que traîne l’entreprise depuis des années ? Réponse dans cette critique.
Assassin’s Creed Shadows a été testé dans sa version PlayStation 5.

L’ombre du guerrier
Assassin’s Creed Odyssey et Valhalla, comme d’autres jeux de la licence avant eux, témoignaient d’un essoufflement narratif clair. Certaines périodes historiques étaient utilisées parce qu’elles renvoyaient une image badass. Qui n’a jamais rêvé d’être un viking ou un descendant de Leonidas ? Cependant, ce n’était pas suffisant pour rendre le scénario intéressant. La guerre séculaire entre les assassins et les templiers n’était plus que l’ombre d’elle-même. Nous avions même l’impression qu’Ubisoft avait peur d’employer les termes récurrents de la franchise. Oubliez ceci avec Assassin’s Creed Shadows.
En effet, si le cadre historique reste intéressant, avec son identité unique et reconnaissable, le Japon du XVIème siècle a été utilisé avec soin pour étendre la confrérie sur cette partie du globe. Le plus surprenant est que nous avons affaire à une histoire qui se déploie sur la longueur, avec des rebondissements dont seul Origins avait su faire preuve récemment. Les templiers, tout comme les assassins, sont au cœur de l’intrigue, mais ils se dévoilent quand cela est nécessaire. Comme si cette guerre avait toujours été secrète et que seul le joueur était dans la confidence. En ressort un récit plus intimiste, mettant parfois en avant les convictions du joueur. Ainsi, vous aurez parfois le choix d’épargner ou non une cible que vous chassez depuis un certain moment.
Aussi, comment ne pas évoquer l’ambiance très réussie des cinématiques et le charisme de certains personnages ? Naviguant entre Kagemusha de Kurosawa et Silence de Scorsese, Shadows n’hésite pas à iconiser, à mettre en scène. La cinématique d’introduction est sans aucun doute l’une des meilleures de la licence, où tout se joue dans le regard et dans la tension du moment. Ubisoft raconte enfin quelque chose et en profite pour construire la légende de ses personnages à travers la mise en scène. Les développeurs ont fait en sorte que vous compreniez les enjeux de cette époque, obligeant parfois à des cinématiques longues, mais assurant un investissement personnel fort. On notera malgré tout une grande inégalité dans le soin apporté aux visages. Certains personnages ont cet effet plastique et rigide qui peut impacter l’immersion à certains moments, comme Ubisoft nous y a malheureusement habitué ces dernières années.
Naoe et Yasuke
Une histoire n’existe pas sans ses personnages principaux. Pour Assassin’s Creed Shadows, nous avons été grandement surpris par le traitement de Yasuke et Naoe. De la première heure de jeu jusqu’à la soixantième, nous sommes témoins de personnages qui évoluent ensemble, qui confrontent leurs propres démons à travers des problématiques crédibles. En effet, même à des moments où nous pensions avoir réglé la plupart de nos interrogations, le passé vient constamment rattraper le quotidien de nos deux protagonistes. La justification derrière un scénario à deux personnages est ainsi bien plus crédible que dans les épisodes Odyssey ou Valhalla, où elle provenait surtout de la volonté de l’Édito d’Ubisoft de forcer l’ajout d’un personnage masculin car, de leur avis, les personnages féminins ne « faisaient pas vendre ».
Manette en main, nous avions l’impression que Naoe grandissait, gagnait en charisme. Si on nous la présente au début comme une fille sage mais tentée par la vengeance, elle se construira au fur et à mesure selon son propre crédo. Son aura change au fil du jeu, ce qui n’est pas le cas de Yasuke. En effet, nous avons affaire de son côté à un personnage déjà construit et vertueux, à qui l’on trouve difficilement un défaut. Tout se règle assez facilement avec lui, et peut-être même trop facilement. Par conséquent, il faut attendre de nombreuses heures avant qu’il ne soit confronté à une difficulté concrète. Son histoire n’est donc pas inintéressante, mais elle met trop de temps à se mettre en place. En revanche, une fois impliqué dans sa quête personnelle, ce n’est plus le Yasuke du début, mais un homme tourmenté par le remords qui se dévoile.

Lame secrète ou kanabō ?
En proposant deux protagonistes, nous étions nombreux à nous dire que le schéma habituel d’Assassin’s Creed Odyssey et Valhalla se répéterait. Cependant, ici, la différence se place dans le fait que les deux personnages sont jouables et impliqués dans le scénario. Fini le choix du genre du héros, place à deux manières de jouer pour aborder le Japon féodal. Là aussi, nous avons été surpris par la pertinence des deux gameplays. Un côté lourd et un côté plus classique comme on le connaît dans la franchise. Ubisoft a réellement pu tirer parti des forces des deux personnages pour varier son approche, mais aussi son exploration du monde ouvert, comme nous l’aborderons plus tard dans cette critique.
Naoe est légère et rapide. Si vous aimez les combats aux acrobaties multiples et aux déplacements variés, c’est elle qu’il faudra choisir pour les combats. Cependant, c’est aussi un choix stratégique, car moins forte que Yasuke, elle fera indéniablement moins de dégâts. Vous aurez le choix entre le katana, le kusarigama et le tantō en duo avec la lame secrète. De nombreuses animations sont déblocables en fonction de l’arme que vous utilisez, mais elles proposent aussi des actions précises. Par exemple, équipée d’un tantō et de la lame, Naoe pourra faire un double assassinat. C’est un vrai point fort du jeu, car les armes poussent le joueur à tester pour trouver la façon de jouer qui lui convient le plus.
Yasuke est lent mais fort. Si vous aimez vous battre dans les règles de l’art du Bushido et faire énormément de dégâts, c’est vers lui qu’il faudra se tourner. Long katana, naginata, kanabō, arc et teppō, beaucoup plus d’armes pour plus de dégâts. L’autre point fort en jouant Yasuke dans un combat, c’est l’utilisation des vibrations de la manette et des animations. Chaque coup porté se ressent, comme si on le donnait nous-même. Le combat est plus rapide, mais tout aussi intéressant qu’avec Naoe.

Comme Vladimir Arseniev
Si je vous disais qu’Ubisoft avait ENFIN soigné son monde ouvert, le rendant plus vivant ? Dans sa faune, sa flore et son contexte historique, tout est en mouvement dans Assassin’s Creed Shadows. Tout prend de la place à l’écran et vient dire au joueur : j’existe indépendamment de ton existence à toi. Ce Japon est d’une crédibilité folle, aussi coloré que les arcs-en-ciel et les rêves d’Akira Kurosawa. Le système de météo est aussi grandiose, symbolisant le temps qui passe et impacte directement le monde ouvert et l’approche du joueur. L’hiver est rude, et les tempêtes nous empêchent de voir à plus de deux mètres. Les étés sont chauds et humides et ils laissent place à des paysages à couper le souffle.
Mais entre les rayons du soleil traversant les cerisiers en fleurs et les animaux s’humidifiant le museau près des rivières, Shadows dévoile un monde ouvert bien trop grand. Grand au point de fatiguer le joueur lors des grosses phases d’exploration. En effet, si les points d’intérêts sont géniaux, les forêts sont, elles, trop denses, réduisant énormément la visibilité. Nous avons souvent eu l’impression que le jeu ne voulait pas qu’on explore ces lieux, comme si ces arbres étaient là pour délimiter l’attention du joueur. Cela limite l’envie d’explorer, car il n’y a souvent que très peu de points d’intérêts. On se laisse alors guider par les routes, sans jamais se perdre une seule fois, ce qui est bien dommage.
Le tout laisse justement cette impression de vide et de grandeur, mais sans que cela soit véritablement volontaire. La plupart des lieux marqués sur la carte sont utilisés au moins une fois dans les missions principales et secondaires. Cependant, nous n’avons jamais la sensation de découvrir un lieu par nous-mêmes, un défaut récurrent chez Ubisoft.
The Man With a Map
Cependant, malgré ces forêts peu collaboratives, l’exploration avec Naoe et Yasuke permet plusieurs possibilités, mais surtout de la complémentarité. Chacun dispose d’une tâche qui lui est propre. Si Naoe ne peut pas faire quelque chose, Yasuke aura forcément une solution. La plupart des activités sont assez répétitives, comme tout bon jeu Ubisoft, mais elles ne sont pas inutiles pour autant. Par exemple, certaines apporteront des points de compétences, d’autres des ressources pour personnaliser ou améliorer le repaire. Nous avons rarement eu la sensation de farmer ou de ramasser quelque chose d’inutile.
Cette complémentarité se déploie aussi dans la manière d’approcher un château ou un repaire ennemi. La discrétion avec Naoe est jouissive et totalement retravaillée. Vous devrez utiliser chaque arme avec parcimonie pour venir à bout des châteaux les plus gros, qui peuvent parfois cacher jusqu’à plus de 80 ennemis. S’allonger dans un buisson, tuer deux soldats au kunai, faire une pirouette et finir le capitaine à la lame secrète. Autant d’approches qui mettront votre rapidité et vos réflexes à l’épreuve. D’autant plus avec les ennemis les plus vigilants de toute la franchise. La force de Yasuke réside dans son côté bourrin. Il s’impose, avec des pas lourds, et là où Naoe escalade les portes, Yasuke, lui, passe à travers en les réduisant en morceaux, tout comme ses ennemis. Selon nous, le jeu est une grande réussite de ce côté-là, avec en particulier ce retour en grande pompe de l’infiltration.

Mi casa es tu casa
Le repaire, souvent montré dans les trailers, est l’une des meilleures choses que Shadows puisse offrir. Si la licence a toujours donné aux joueurs un petit repaire à améliorer, cette fois-ci, c’est un village entier que vous pourrez personnaliser. Du petit caillou sur le sol jusqu’aux matières du toit, en passant par les animaux et les lampes, vous aurez tout l’espace nécessaire pour façonner la confrérie à votre image. À titre de comparaison, c’est comme disposer de Monteriggioni et décider de comment les bâtiments doivent être placés.
Vous pourrez aussi exposer vos armes et armures préférées (qui, au passage, sont magnifiques la plupart du temps), que vous aurez préalablement améliorées chez votre forgeron. En bref, tout dans ce repaire est pensé pour que cela corresponde aux goûts et aux couleurs de chacun. Plus vous prendrez soin de votre repaire, plus il vous donnera des avantages. Cela passera par l’efficacité de vos alliés, des améliorations de votre équipement, et par conséquent de vos compétences.
Par ailleurs, les compétences se concentrent sur les armes et sur vos méthodes de combat. Vous aurez donc le choix de vous spécialiser dans une arme précise, puis de débloquer des attaques spéciales avec elle. Cela fait de l’arbre de compétences une mécanique centrale du jeu. Si vous le délaissez, vous ne ferez pas autant de dégâts que vous l’espérez. Cependant, il est accessible et clair et vous poussera à expérimenter, puisque vous pouvez récupérer les points dépensés.
Dances and murders
Enfin, il faut parler de deux petits changements, mais qui, selon nous, font la différence. Le premier est cette dissonance qu’on peut retrouver dans les musiques du jeu. Dans l’intégralité des autres jeux de la licence, les musiques correspondaient parfaitement à l’ambiance de l’époque. Pour Shadows, une petite dose de folie est venue s’agripper au projet, puisqu’en plein combat, la musique peut sonner très moderne. Si elle peut déranger en premier lieu, on l’accepte assez rapidement pour laisser place à une impression de moment épique. C’est une prise de risque que nous encourageons, mais il ne faut pas non plus délaisser le reste de la bande originale, qui est souvent oubliable.
Le second changement, qui est là aussi un gros point fort du jeu, est d’avoir supprimé l’onglet mission pour ne proposer qu’un gros tableau de chasse et d’objectifs. C’est à la fois plaisant et pertinent. D’un coup d’œil, on peut se situer dans le jeu, dans les objectifs, mais aussi dans notre avancée de l’exploration. On rencontre un personnage, il vient directement s’afficher dans le tableau avec ses différents objectifs. C’est une idée très pertinente qui pourrait largement se démocratiser dans la plupart des grosses productions.

Rien n’est vrai, tout est permis
Assassin’s Creed Shadows est un jeu particulièrement soigné. Il se détache la plupart du temps des vilains défauts des dernières grosses productions d’Ubisoft. Il laisse une grande liberté d’approche au joueur et lui fait comprendre qu’il a le choix de jouer comme il l’entend. Le jeu pullule de détails toujours plus appréciables les uns que les autres et se démarque par le soin apporté à l’ambiance, au scénario et au gameplay. Ce qui pourrait faire la différence, c’est de voir moins grand et de se concentrer sur ce qui importe vraiment.
Assassin’s Creed n’a pas besoin de se mettre en place dans un monde ouvert trop grand. La taille de Mirage ou Brotherhood aurait été parfaite pour marquer le renouveau de la licence. On lui demande simplement de s’imbriquer dans le lore de la saga, de l’étendre et de le rendre toujours plus intéressant. Le tout couplé au tableau de chasse pour regrouper toutes les missions, et nous aurons un mélange parfait entre la formule qui fonctionnait et le gameplay des derniers jeux. Ubisoft est clairement sur la bonne voie avec Assassin’s Creed, mais la guerre ne fait que commencer pour regagner la confiance des joueurs et maintenir la qualité de ses jeux.
Nous avons donc décider d’attribuer une note de 7,5/10 à Shadows. Bien que du positif ressorte énormément de cet opus, il ne propose pas pour autant d’expériences singulière, d’effet « wow ». La proposition de Japon d’Ubisoft ne se démarque pas non plus d’un Ghost of Tsushima, qui mettait en scène un Japon unique par sa direction artistique. Assassin’s Creed Shadows est par conséquent un bon jeu, mais une expérience encore un peu trop classique.
Assassin's Creed Shadows
Pros
- Une histoire qui se démarque des derniers jeux de la licence
- Des combats et une discrétion de qualité et variés
- Une vraie différence de gameplay entre Naoe et Yasuke
- Les possibilités de personnalisation du repaire
- Un monde ouvert magnifique...
Cons
- ... mais bien trop grand
- Des arcs narratifs qui arrivent tard et qui se règlent souvent trop facilement
- Une bande originale qui peine à se mettre en valeur