Alors que tout le monde attendait une fin de carrière paisible pour une console en chasse des records, Nintendo nous a diablement surpris en juin dernier lors de son Nintendo Direct, notamment par la présence d’un nouvel opus de la série Zelda. S’il ne semble rien n’avoir de très surprenant dans cet énoncé, deux informations capitales viennent transformer une annonce banale en potentiellement intéressante. La première venait de son personnage principal. La seconde de sa structure.
Maintenant sorti, il est temps de revenir sur le passé, le présent et le futur de The Legend of Zelda: Echoes of Wisdom. Bienvenue dans une analyse en 70 000 signes. Bienvenue dans Depth.
BORN AT THE RIGHT TIME
Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le 3 mars 2017 ? C’est un jour qui a marqué au fer rouge l’industrie, quand personne ne semblait s’y attendre, malgré des présentations extrêmement prometteuses. Qui plus est d’un acteur qui tentait de se relever du marasme dans lequel il n’avait pas trop l’habitude de traîner. Certes, Nintendo n’en était pas à son premier échec, mais la WiiU a peut-être été le plus retentissant d’entre eux après le carton de sa prédécesseure. Entre une communication désastreuse, et une absence cruelle de titres, la console avait réussi l’exploit de faire pire que la Gamecube, et de loin, de très loin. Et si on ajoute à ça la perte de leur président de l’époque, Satoru Iwata, et la situation d’un jeu vidéo nippon en pleine crise d’identité, la période fut sombre. Et ce n’est pas le lancement de la Nintendo NX, devenue la Nintendo Switch, qui aurait dû changer la donne.
Pourtant, la firme japonaise a rappelé à tout le monde ce jour-là que ce n’était pas par hasard si elle avait traversé les années avec une certaine insolence. Et quoi de mieux qu’un monde ouvert, un des carcans de l’époque, pour donner la leçon. En éliminant toutes les considérations superflues, en se concentrant sur l’essentiel, son monde, ses interactions, son équilibre et sa géographie, le dénommé The Legend of Zelda: Breath of the Wild a révolutionné la façon de concevoir un style de jeu dans l’air du temps.
Certains diraient, et à juste titre, que cette révolution s’est opérée en retirant ou en modifiant fondamentalement des éléments clé de la série. La narration est par exemple plus diluée, et la permissivité des mécaniques a obligé à repenser des donjons qui, s’ils ont gagné en tolérance dans leur déroulé, ont perdu en cohésion et en difficulté. Certains se plaignaient même de ne plus jouer à un vrai Zelda, quand d’autres voyaient tout retour en arrière impossible, allant jusqu’à dire que des épisodes plus traditionnels comme Skyward Sword ouTwilight Princess, équilibrés selon un cahier des charges bien défini nommé sobrement le « Protocole Zelda », seraient voués à l’extinction. Et que dire de cette formule « 2D », celle-là même avec laquelle la série a débuté et a obtenu ses lettres de noblesse. Volatilisée, serait-elle aussi ?
Et mis à part un remake du jeu Gameboy Link’s Awakening sorti en 2019, il faut dire que ce paradigme semblait se confirmer puisque le prochain Zelda majeur qui sortirait après reprendrait semble t-il la structure de Breath of the Wild. Et pour cause, il en serait sa suite directe. Quelques années plus tard, en 2023, sort donc Tears of the Kingdom, un épisode qui démultiplie toutes les possibilités permises par son prédécesseur, même s’il semble autant piégé par son propre chef, structurellement et narrativement. Les promesses offertes par le ciel et les souterrains resteront à l’état de promesse, quand ce n’est pas le monde qui manque de nouveautés. Comme une impossibilité de faire mieux, malgré tout les ajouts. Comme si les développeurs n’avaient pas réussi à extraire tout le potentiel de ce qu’ils avaient entre les mains. Et une légère confirmation que le prochain épisode prendrait, lui aussi, cette direction. Et désormais plusieurs craintes : celle de voir la formule stagner, et celle de la voir monopolaire.
« Bien que nous cherchions toujours à donner au joueur certaines libertés, il y avait certaines choses que notre protocole ne permettait pas vraiment d’offrir […] Mais je pense qu’il est juste de dire que nous sommes arrivés avec Breath of the Wild à une nouvelle approche plus ouverte et plus libre, […] qui a créé un nouveau type de format pour la série sur lequel il faut s’appuyer. »
Eiji Aonuma, producteur de la licence Zelda
Alors, les analystes ont cherché à comprendre comment un épisode en 3D pourraient être imaginé en 2D. Comment en adapter les codes, pour une formule qui, avec de très grandes chances, serait moins ambitieuse ? C’est pourtant oublier que par le passé, la série s’est essayée à quelques audaces, comme celle de Phantom Hourglass, par sa plateforme, la Nintendo DS, et sa relative liberté. Un épisode qui faisait suite, au sens propre comme figuré, à un autre audacieux, The Legend of Zelda: The Wind Waker qui exprimait déjà son désir d’air nouveau et de monde ouvert. Mais y avait-il réellement besoin de chercher longuement ? La solution n’existerait-elle pas déjà ?
A POEM ON THE UNDERGROUND WALL
Alors que Breath of the Wild n’est encore qu’une idée conceptuelle, Nintendo décide de réaliser la relecture d’un de ses jeux les plus appréciés : A Link To The Past. Ça se passera sur Nintendo 3DS et il sera loin d’être un épisode mineur puisqu’il sera supervisé par l’équipe principale de la série. Mais cette dernière a d’autres projets et ne veut pas juste un hommage. Elle veut y ajouter de nouvelles mécaniques, la plus importante étant de pouvoir se confondre avec les parois murales afin de s’y déplacer et d’accéder à de nouvelles zones. Un pouvoir très utile puisqu’il permettra de traverser des failles aidant à passer du monde de lumière à celui des ténèbres, les deux mondes étant « miroir » l’un de l’autre. La philosophie de progression étant assez simple : le monde de la lumière se visite principalement dans la première partie du jeu, avec un balayage géographique assez malin permettant de s’imprégner des différents lieux. Ce qui sera très utile dans la deuxième partie de l’aventure pour localiser toutes les anfractuosités permettant de mener à Lorule. Le monde de Lorule étant beaucoup plus fragmenté, la navigation y est ici beaucoup plus diffuse. Mais cela sera compensé par le nombre de donjons plus important à compléter.
Et qui dit donjon dit objets et c’est ici qu’intervient la seconde spécificité du jeu. Contrairement aux précédents épisodes de la série qui établissaient leur structure de manière linéaire, où le joueur trouvait les objets nécessaires à sa quête dans les donjons qu’il enchaînait, A Link Between Worlds décide de tous les mettre à disposition dès le début (ou presque), par un système de location d’objets introduit par le personnage de Lavio. Le principe est simple : vous les empruntez pour une somme modique, mais si vous venez à trépasser, il faudra à nouveau les louer. Vous pourrez à un moment donné les acheter définitivement, ce qui se monnaiera par craquer votre bourse, donnant enfin une raison au jardinage intempestif et à la recherche des coffres cachant souvent quelques rubis. Un principe excellemment bien exécuté qui casse la droiture des épisodes précédents, et qui ne souffre finalement que de peu de défauts, la structure narrative étant réduite à un prétexte motivé par retrouver plusieurs artefacts ainsi que les sept sages répartis dans les différents palais.
Avec un système aussi diabolique, on aurait pu s’attendre à ce que les gens s’enthousiasment bien plus qu’à l’accoutumée. Il n’en fut rien. Les critiques, bien que très positives, ne font qu’approcher cette nouvelle construction avec des encouragements. Est-ce parce que cet épisode était loin d’être inédit, reprenant globalement la structure de son prédécesseur ? Est-ce que le format portable choisi en est la raison ?
Si on retrouve des spécialistes de la série, ce sont ici les second couteaux qui sont mis en avant avec à la réalisation Hiromasa Chikita, réalisateur également sur l’ambitieux mais bancal Triforce Heroes, secondé par Shiro Mouri, ce même Mouri qui deviendra le réalisateur de Super Mario Bros Wonder, mais surtout un certain Kentaro Tominaga, qui officiera sur le game design de Breath of the Wild et sera le directeur pour son extension. Tout cela est sous la supervision du producteur de la série Eiji Aonuma, tandis que Hidemaro Fujibayashi, réalisateur du dernier opus de la série en date à l’époque, Skyward Sword, est ici absent.
Tout porte à croire qu’il s’agissait donc davantage pour les développeurs avec A Link between Worlds de griffonner de nouvelles idées sur le papier pour un concept plus ambitieux, que l’on peut aisément deviner comme étant le nouveau souffle de la série. Parce que si l’on cite à raison Skyward Sword comme étant un épisode majeur pour avoir apporté de nombreux éléments qui s’y retrouveront comme la paravoile ou la jauge d’endurance, A Link Between Worlds est cité comme étant le jeu ayant mécaniquement le plus influencé ce qui deviendra Breath of the Wild avec son système de location d’objets, comme le révélera Aonuma dans une interview. Il est peut-être d’ailleurs encore moins étonnant de voir que le prototype de Breath of the Wild fut lui aussi conceptualisé sous la forme d’un Zelda en 2D avant tout. D’une certaine manière, relire les bafouilles des créateurs de cet épisode 3DS met en évidence la volonté de s’éloigner définitivement d’une sorte de linéarité, un concept déjà tenté mais raté par l’opus Wii.
« Jusqu’à présent, les joueurs devaient acquérir les objets un par un. […] Puis nous nous sommes dit que si nous voulions vraiment qu’ils puissent se déplacer librement dans le jeu, nous ne devions pas distribuer les objets de manière sporadique. Nous avons donc ouvert les portes à toutes les possibilités et laissé les joueurs décider de ce qu’ils voulaient faire avec les objets dès le début de leur aventure. Une approche que nous avions dans A Link Between Worlds, sorti sur Nintendo 3DS. »
Eiji Aonuma, producteur de la série Zelda
BABY DRIVER
Il est assez intéressant de noter que Nintendo cherchera aussi à revenir à ses fondamentaux en 2023 pour la licence Mario, avec l’épisode s’étant concrétisé sous le nom de Super Mario Bros Wonder, où la modernisation de son héritage a été sa condition de retour. Et cela s’est confirmé dans le fond, mais surtout dans la forme de Wonder avec des décors et des situations variées et des personnages plus expressifs que jamais. Cela n’empêchera pas pour autant le jeu de Shiro Mouri de posséder d’énormes lacunes et quelques interrogations dans sa généralité. On en vient à parler de ses fleurs qui transforment les niveaux qui se répètent un peu trop, d’un level design parfois insuffisamment étudié et de quelques autres étrangetés.
Est-ce le revers de la médaille pour celui qui travailla également en temps que directeur sur Super Mario Maker 2 ? Possible tant l’on sent parfois l’inexpérience derrière le projet porté. Mais impossible de ne pas voir en ce retour un pas dans la bonne direction, qui plus est quand l’on sort de deux abominations sur 3DS et Wii U, considérées par certains comme indignes des standards du développeur japonais. Refaire un jeu à la New Super Mario Bros n’était donc pas une option. Il fallait être bien plus exigeant.
L’approche fut quelque peu identique pour ce nouveau Zelda Echoes of Wisdom, à savoir prendre des développeurs prometteurs, et les laisser traduire leur vision de ce qu’est Zelda, tout en se reposant sur son héritage. Mais alors qu’A Link Between Worlds avait été réalisé par un équipage interne, le nouveau Zelda est en réalité une œuvre partagée entre Nintendo et un développeur support du nom de GREZZO. GREZZO n’est pour autant pas un novice dans l’exploitation de cette licence puisque le studio de Koichi Ishii, ancien de chez Square et créateur de la série Mana, rien que ça, n’a quasiment fait pour Nintendo que de la remasterisation. Tout commença en 2011 avec le remake d’Ocarina of Time sur 3DS, avant de travailler sur celui de Four Swords Adventures, de Majora’s Mask, et de diverger vers Miitopia pour la Switch et le premier Luigi’s Mansion, à nouveau pour la Nintendo 3DS. On note aussi une participation sur Triforce Heroes, leur premier Zelda inédit, où Nintendo conserve tout de même une grande partie de la main. Ils seront enfin responsables de la conceptualisation de Jardin Street Pass, un des nombreux mini-jeux de la Place Mii Street Pass, logiciel interne de la 3DS.
Finalement, leur première grande création arrive en 2017 sous le nom d’Ever Oasis, soutenu à l’édition par Nintendo. Un jeu porté par…Koichi Ishii, bien évidemment, et plus si affinités, puisqu’il est considéré comme un successeur spirituel de la série Mana. Ever Oasis est un mélange entre jeu de gestion et jeu de rôle. Le joueur ou la joueuse doit y faire prospérer son oasis, en y recrutant divers habitants inspirés de la mythologie égyptienne. Lors d’une interview, Ishii n’a pas caché que certains éléments de son titre avaient été influencés par Nintendo, l’aspect donjon étant celui qui revient le plus dans les conversations, sans pour autant perdre de vue le cap qu’il s’était fixé. Malheureusement, le titre ne rencontrera pas le succès escompté, ne se vendant qu’à environ 300 000 exemplaires, et il faudra attendre 2023 pour que le studio se lance seul dans un nouveau projet, et pour la première fois à l’édition avec Jet Dragon, un jeu mobile de course avec des dragons, toujours chapeauté par Koichi Ishii.
LAST NIGHT, I HAD THE STRANGEST DREAM
Au même moment, les développeurs de GREZZO travaillent sur un autre remake pour la série Zelda : Link’s Awakening. Changement d’approche ici puisque l’on se retrouve avec un épisode au format plus « traditionnel » d’un des épisodes les plus estimés de la série. Et si un simple relooking pouvait suffire pour les épisodes en 3D, il vas falloir ici entièrement repenser la direction artistique. Charge à Mikiharu Oiwa, responsable avant cela des effets visuels d’Ever Oasis et de Luigi’s Mansion., de répondre à la problématique avec son équipe. Mais l’homme n’en est pas à sa première réalisation puisqu’il avait été à la supervision du remake de Majora’s Mask sur Nintendo 3DS. Il s’entourera de Kazuhiko Takahashi pour la gestion de la partie artistique, l’homme ayant aussi été de l’aventure Triforce Heroes.
Pourtant, ce n’est pas la partie artistique qui va initier le projet. Eiji Aonuma, le producteur du jeu et ses équipes, ont d’abord l’idée de donjons à assembler ou à réassembler. Link’s Awakening semblait pour lui le candidat parfait pour tester cette idée, qui deviendra un mode de jeu à part entière dans la version finale, assez anecdotique d’ailleurs. L’autre point était de moderniser ce classique de 26 ans d’âge, lui donner une nouvelle allure, tout en essayant le plus possible d’invoquer l’imaginaire du jeu en trois couleurs. Pour cela, les développeurs partirent sur plusieurs idées dont celle de la non fragmentation des écrans de la zone de jeu mais surtout une réflexion autour de mini-dioramas. Un compromis selon Aonuma entre la miniature et la profondeur de l’aventure, dans un style artistique rappelant celui du jouet qui joue principalement sur deux aspects : le repositionnement du champ du vue du joueur, et un effet de flou sur les parties périphériques de l’écran, invoquant un procédé photographique très connu : leTilt Shift.
Un effet loin d’être anecdotique que l’on nomme aussi « effet maquette » dont le principe est simple : fausser les perspectives en faisant paraître certains objets plus petits ou plus grands qu’ils ne sont, ce qui se traduit par une perception de miniaturisation des sujets dans le décor. Dans Link’s Awakening, cela s’illustre par des objets aussi hauts que des arbres ou encore le Hibou plus grand que Link. Et tout cela va prendre vie lors de la présentation du jeu à l’E3 2019 qui se faisait autour de dioramas et de figurines miniatures. Même l’un des artworks du jeu reprend cet aspect. Un principe que l’on retrouvera par ailleurs dans le remake d’Advance Wars sortant quelques temps plus tard.
Toute cette réflexion amène à poser un contexte bien plus enfantin autour du jeu, dont l’onirisme sera le thème central de ce Zelda. Malgré tout cela, la nouvelle direction artistique fut assez mal reçue à l’époque, lui reprochant notamment d’être trop opposée à celle initiée par les précédents remakes de GREZZO, trop enfantine (alors que c’était,justement le but recherché). L’avis définitif la concernant sera moins tranchée à la sortie du jeu, quand bien même ce dernier sera critiqué pour sa technique un peu boiteuse et son relatif manque de nouvelles idées. Et pourtant, le jeu cartonne lors de sa première semaine d’exploitation, devenant même au Royaume-Uni le Zelda le plus vendu devant un certain Ocarina of Time.
YOU’RE THE ONE
Partenaire de longue date, il est donc temps pour le studio GREZZO de développer de lui-même (sous la supervision de Nintendo) son propre Zelda, dans la continuité de Link’s Awakening. La direction en sera assurée par Satoshi Terada, couteau suisse artistique sur le remake de Link’s Awakening, puisqu’il travaillera sur le style graphique, la lumière, et la réalisation des arrière-plans 3D. Il sera épaulé par Tomomi Sano du côté de chez Nintendo, qui est en charge de superviser les relations entre GREZZO et la maison mère. Un rôle qu’elle a déjà assumé sur un précédent Zelda, le Twilight Princess HD de Tantalus Games, mais aussi sur les deux remakes des Mario et Luigi sur Nintendo 3DS.
Sans pour autant révéler qu’ils travailleront sur un nouveau Zelda, les équipes de Nintendo questionnent les développeurs de GREZZO sur leurs idées de jeu pour un prochain projet. Une session de brainstorming de plusieurs jours est mise en place, les doléances sont recueillies et analysées.
« C’était un grand événement pour GREZZO. Après tous les remakes sur lesquels nous avions travaillé, c’était la première fois qu’on nous confiait un nouveau jeu dès l’étape de la conception. Il y a même eu un moment où chaque employé de GREZZO y allait de son idée. »
Satoshi Terada, réalisateur de The Legend of Zelda : Echoes of Wisdom
Deux idées majeures sont retenues : l’alternance entre la vue du haut et la vue de profil en 2D, et la faculté de copier/coller des choses. La contrainte principale était de donner la même liberté de création et de déplacement au joueur que dans Breath of the Wild (etTears of the Kingdom, alors en développement). Une première ébauche est imaginée, où le joueur peut copier divers objets dans un donjon et ainsi créer son propre cheminement. Les équipes imaginent une sorte de Mario Maker où les joueurs peuvent créer leur donjon et les partager. Mais au bout d’un an, l’idée est abandonnée pour glisser vers une approche plus traditionnelle, tout en gardant cette mécanique de « copier/coller » pour se balader dans l’environnement et combattre des ennemis. Cette idée de possession se matérialise sous la forme « d’écho » possédant plusieurs fonctionnalités, que l’on soit en vue de haut ou de profil.
Néanmoins, il faut bien équilibrer le concept, et faire en sorte que l’un d’entre eux ne puisse pas prendre le pas sur tout les autres, notamment pour la partie combat. Il fallait à la fois rendre les échos des ennemis puissants pour qu’ils puissent être utilisés par le joueur, mais aussi faire en sorte que cet ennemi soit suffisamment faible pour être combattu et mémorisé par le joueur, sans pour autant être trop fragile en combat. Un équilibre casse-tête entre utilité et singularité, puisque les monstres doivent aussi répondre à des problématiques, avoir des forces et des faiblesses élémentaires ou situationnelles.
Tous les échos, qu’ils soient pour combattre ou pour évoluer dans l’environnement, doivent répondre à au moins un des trois critères fondamentaux : être accolés ensemble sans restriction, permettre de résoudre des problèmes sans pour autant qu’ils soient présents dans un environnement proche, et être amusants à utiliser en donnant le sentiment de tricher. Une philosophie sans doute partagée sur quelques points par Breath of the Wild etTears of the Kingdom, les sanctuaires et les règle de bases de ces jeux ayant sans doute influencé ce nouvel épisode.
SHE MOVES ON
À l’origine, Link devait être, comme toujours, le héros de ce nouveau récit nommé Echoes of Wisdom. Mais l’équilibre composé entre ce système d’écho et le maniement habituel de Link, avec son épée et son bouclier, ne fonctionnait pas. Les gens passaient le plus clair de leur temps à sortir le sabre plutôt que le sceptre. La réflexion se porta alors sur la mise en lumière d’ un autre personnage de la série Zelda. Et c’est tout naturellement que le rôle principal fut attribué à la princesse elle-même, les équipes de Nintendo pouvant enfin matérialiser une volonté illustrée par de nombreuses questions et rumeurs qui parsèment la saga.
« Au cours des nombreuses années passées à travailler sur la série The Legend of Zelda, on a souvent entendu des choses du genre : « Est-ce que la princesse Zelda sera un jour le personnage principal ? » ou « J’aimerais incarner la princesse Zelda. » J’ai toujours pensé : « Bien sûr, tant que cela a du sens pour le jeu et que cela lui rende justice en tant que personnage d’être la protagoniste. » Mais j’ai longtemps buté sur ce point : rien n’était à sa hauteur… Alors quand j’ai vu que l’équipe avait du mal à trouver un protagoniste se prêtant aux mécaniques de ce jeu, j’ai su que c’était le rôle parfait pour elle ! »
Eiji Aonuma, producteur de la série Zelda
Modifier le personnage principal pour Zelda impliqua bien évidemment d’autres réflexions, notamment sur sa motivation à être engagée dans sa propre aventure. C’est ainsi que la trame scénaristique fut tissée, sur une idée griffonnée par Aonuma, quand bien même celle-ci devaient répondre aux règles que la série avaient elle-même établi par le passé, sur la place de Link et sur la nécessité de rester proche de son ADN. Le fameux protocole Zelda.
Toutefois, en mai 2024, certains leakers bien informés avaient évoqué cette possibilité, sans considérer qu’elle se matérialiserait forcément. D’autres rumeurs avaient évoqué la présence de la princesse en héroïne de la suite de Breath of the Wild en 2020 et 2021. Et même si elle tiendra un rôle important scénaristiquement, la rumeur était infondée. Beaucoup doutaient de la pertinence de cette information, parlant davantage d’une princesse possiblement jouable lors d’un passage précis du jeu qui deviendra Tears of the Kingdom.
Contrairement à ce que l’on peut lire à certains endroits, ce n’est pas la première fois que Zelda est jouable. Elle l’était effectivement dans deux des trois épisodes de la trilogie de la « honte » sur CDI, Wand of Gamelon et Zelda’s Adventure. Certains me diront que ces jeux ne comptent pas, de par leur misérable qualité et le fait qu’ils soient finalement désaxés de la série principale. Et ils auront raison.
Mais en dehors de la série Smash Bros, la princesse s’est bel et bien retrouvée jouable à plusieurs reprises. Cela commence en 2009 dans le Spirit Tracks de la version DS où celle-ci ne sera contrôlable que via l’écran tactile à des moments particuliers, notamment dans le donjon central au jeu où elle pourra prendre possession des ennemis afin d’aider Link à progresser. Zelda fantôme fait par ailleurs partie du casting jouable d’Hyrule Warriors, comme Sheik ou Tetra (deux incarnations de Zelda), et elle fait son retour dans son design de Breath of the Wild avec Hyrule Warriors: l’Ère du fléau. Et l’on rappellera aussi sa présence dans le spin-off du jeu Crypt of the Necrodancer, Cadence of Hyrule.
Alors que l’on s’attendait à jouer la princesse Zelda, voilà qu’Echoes of Wisdom s’ouvre de manière bien étrange. En effet, Link est le personnage avec lequel notre aventure va débuter, et son objectif est de délivrer la princesse Zelda. Avec son épée, son arc et ses bombes, il se fraie un chemin par les ennemis, affronte Ganon, le défait, et sauve la couronne du royaume. Mais voilà que notre preux héros se fait happer lentement mais inexorablement par une sorte de faille. Mais avant d’être totalement englouti, il décoche par désespoir plusieurs flèches pour libérer la princesse de sa prison cristalline. Sauvée, Zelda n’a d’autres choix que de sortir. Alors qu’elle ramasse la cape de son sauveur, elle est menacée par cette faille devenue gouffre qui menace de l’engloutir. Zelda parvient à s’échapper in extremis du lieu où elle était retenue captive, désormais totalement consommé par le néant. Elle est alors retrouvée par la garde royale et ramenée au château. Sept jours se sont écoulés depuis sa disparition et son retour est vécu comme un immense soulagement auprès de la population du royaume, malgré toutes les cicatrices sinistres s’étant ouvertes au quatre coins du monde. Et lors de son audience auprès du roi qui est son père, une faille corrompt le roi et ses bras droits, qui accusent Zelda des maux du continent et la jettent en prison.
Menacée d’être exécutée, il lui faut sortir au plus vite de là. C’est ici que se manifeste un personnage du nom de Tri, petite fée dorée qui nous explique la situation avant de nous donner un spectre particulier. Celui-ci permet de mémoriser divers objets de son environnement pour pouvoir en réaliser des invocations nommées « échos ». Le jeu enseigne cette mécanique par un tutoriel d’infiltration, référence à quelques passages iconiques de la saga comme la traversée du jardin d’Ocarina of Time. En utilisant tout ce qu’elle peut fabriquer, agencer, et superposer, la princesse parvient à échapper aux gardes et se voit confier la mission par Impa de se rendre dans un village d’Ussude afin d’y rencontrer quelqu’un d’important.
HEARTS AND BONES
Au départ linéaire, la boucle de gameplay d’Echoes of Wisdom va s’ouvrir au fur et à mesure de votre avancée. Il faudra se rendre dans les différentes régions, discuter avec les habitants, résoudre un problème concernant un ou plusieurs personnages, ce qui déclenchera une série d’événements impliquant généralement de pénétrer dans une ou plusieurs failles grâce au pouvoir de Tri. Une fois une infiltration créée, Zelda bascule dans le monde du Néant, composé de morceaux de terre et de divers débris en flottaison permanente. L’objectif ici étant principalement de retrouver les divers camarades de Tri qui ont été corrompus ou scellés. Le joueur ou la joueuse peut se déplacer alors comme bon lui semble dans le néant pour compléter son objectif. Là aussi, il faudra utiliser les divers échos pour avancer et mener à bien la mission qui permettra de cicatriser la zone et d’en sauver les habitants pris au piège. Une fois une première crise résolue, un événement bouleversera à nouveau le secteur, ce qui mènera à plonger dans la faille principale et à son donjon. Là encore, il faudra user de ses échos pour avancer, battre le boss et redonner son intégrité à la zone.
Les échos peuvent se trouver partout et seront classés en deux catégories : ceux qui serviront à faciliter votre traversée du royaume ou à résoudre des énigmes, et ceux qui serviront aux combats. Un écho mémorisé peut être par la suite utilisé à volonté, comme une sorte de boite à outils, et plusieurs échos peuvent être utilisés en simultané, à condition de posséder un nombre suffisant de triangles de Tri. Chaque invocation en consomme au minimum un seul, et quand vous n’en avez plus, le premier écho de la série finit par disparaître. Chaque contrée proposera évidemment ses propres thématiques, donc ses propres échos. Au joueur ou la joueuse d’opérer de manière judicieuse un turn-over entre tous les échos à sa disposition, et ainsi planifier de la meilleure manière possible son déplacement, la résolution d’un problème, ou une riposte.
Néanmoins, la façon de mener l’aventure conditionnera souvent leurs utilisations, et inévitablement, certains seront préférés à d’autres. Ce qui amène donc une idée très intéressante sur le papier, puisque le jeu embarque un gameplay systémique comme Breath of the Wild avant lui. Par exemple, le feu se propage aux hautes herbes et les champs électriques sont plus larges s’ils sont dans un environnement aqueux. Certains échos sont donc trop utiles, ou trop puissants, au détriment des autres, quand bien même le jeu tente d’appliquer un coup plus ou moins élevé à certains d’entre eux. Et la bonne idée rendant les échos qui permettent de se déplacer et de court-circuiter la géologie du jeu les moins chers possibles, comme le cube d’eau et notre fameux lit, que l’on peut empiler, finit elle aussi par fragiliser le concept du jeu.
Lors des combats, il faudra parfois se contenter d’invoquer et de sur-invoquer ses échos pour venir à bout des ennemis les plus coriaces, étant donné qu’il n’y a pas de délais entre la disparition d’un écho et la récupération des triangles de ce dernier, d’autant plus que les échos possèdent un sorte de « cool down » une fois une attaque réalisée, le rendant particulièrement vulnérable. Si certains y verront un défaut, je pense que la philosophie approchée n’a pu être que la meilleure, et que l’inverse aurait gravement handicapé le rythme du jeu. Là encore, en de rares exceptions, on se contentera de sortir les échos les plus puissants pour faire le ménage rapidement.
Si au départ l’utilisation des échos se révèle assez simple, leur accumulation rend la navigation dans le menu de leur sélection -comme on pouvait le craindre- loin d’être optimale. Et même si les développeurs ont eu la bonne idée d’implémenter des options de réorganisation (qui fonctionnent pas trop mal), on passe parfois plusieurs secondes dans ces menus pour en changer. Mais pouvait-il en être autrement quand l’on sait qu’il y en a 127 à collecter de part le monde ? Il aurait pu être intéressant de mettre à contribution la croix directionnelle de la console afin d’en stocker 4, à l’instar des masques de la version 3DS de Majora’s Mask, mais cela aurait sans doute déséquilibré une seconde caractéristique de gameplay que l’on détaillera plus tard. En dehors de ça, difficile de voir quel compromis aurait pu être trouvé pour rendre cette navigation plus agréable.
Mais cela ne pardonne pas tout. Et on pourra se poser de nombreuses questions sur certains choix qui auraient pu rendre cette navigation plus simple qu’elle ne l’est. Par exemple, n’aurait-il pas été plus simple de réaliser un sous-menu pour les ennemis se ressemblant mais avec des fonctions différentes ? Et on reviendra aussi sur cette histoire d’ennemis avec plusieurs niveaux, qui cristallise peut-être ce qui se fait de pire dans ce menu. Au lieu de remplacer les ennemis aux niveaux les plus bas, ces ennemis plus puissants s’additionnent dans le menu, ce qui fait que des niveaux 1 côtoient des niveaux 3 pour les mêmes espèces de monstres. Il y a clairement des soucis de clarté et ne serait-ce qu’avec cette idée de sous-menu, on peut laisser à penser que la navigation aurait été plus simple. On aurait pu penser aussi à scinder les deux menus, objets utilitaires et monstres, afin de simplifier la navigation. Dans l’ensemble, cette liste à rallonge d’objets, qui était déjà un souci de navigation dans Tears of the Kingdom, fait partie des points noirs du titre, quant bien même cette façon de faire est assumée par Satoshi Terada.
« L’un des éléments essentiels de ce jeu est la possibilité de trouver différentes façons d’utiliser chacun des échos […] Nous voulions que les joueurs tombent sur ceu x qu’ils n’avaient peut-être pas remarqués ou qu’ils utilisaient alors qu’ils triaient tous les autres à leur disposition. »
Satoshi Terada, Réalisateur de The Legend of Zelda : Echoes of Wisdom
Car sinon, la jouabilité est dans la norme pour un Zelda. Passé le léger temps d’adaptation qui consiste à comprendre que Zelda est plus passive qu’active, l’ensemble du jeu se contrôle sans problème. Les boutons d’actions sont sur la croix droite de la manette, parler, sauter, utiliser les échos, la synchronisation (on y reviendra plus bas), tandis que les gâchettes servent à réaliser des actions secondaires comme pirouetter dans la pelouse, ce qui révélera parfois quelques rubis, ou à retirer un ou tous les échos présents autour de soi. Si passer par Y pour ouvrir le menu vous parait pénible, une des gâchettes fait aussi le travail. Le stick gauche sert à se déplacer, tandis que celui du droit sert à désaxer la caméra afin de s’offrir un point de vue plus lointain de l’action. En le bougeant vers le bas par exemple, la caméra permettra de voir de manière plus lointaine dans cette direction.
Les menus sont particulièrement sobres et efficaces. Ils sont segmentés en deux parties avec le bouton + permettant d’accéder à vos échos, vos objets, vos options et la possibilité de sauvegarder tandis que l’autre concernera l’utilisation de votre carte et la liste de vos quêtes. Le premier segment posera toutefois des questions sur le fait d’équiper et de déséquiper vos objets que vous pourrez récupérer dans votre aventure (et qui ne sont pas visibles sur Zelda), vous procurant certains avantages. En effet, alors que le bon sens voudrait que sélectionner un objet déséquiperait automatiquement le précédent, il faut tout d’abord déséquiper le premier objet pour assigner le nouvel objet. Une manipulation anecdotique, mais qui demeure laborieuse, et questionne certaines idées d’ergonomie. On regrettera aussi, dans l’autre menu, qu’on ne puisse pas retirer la carte en bas de l’écran comme en mode pro de Breath of the WIld et Tears of the Kingdom. En revanche, Nintendo et GREZZO ont suivi la tendance consistant à proposer une difficulté à la carte, et il est ainsi possible de passer du mode classique au mode héroïque en un changement dans les paramètres.
KODACHROME
Pour ce nouvel épisode comme dit précédemment, Nintendo et GREZZO ont décidé de reprendre le style graphique introduit dans Link’s Awakening, une partie toujours dirigée par Masaki Yasuda, à l’œuvre sur le précédent remake. Il est toutefois moins appuyé avec un effet « Tilt Shift » plus estompé. À noter qu’il est possible de complètement changer la perspective du jeu passant d’une vision de 3/4 à une vision de haut, comme un retour aux sources. Une idée très sympathique réduite à néant par le fait qu’il faut maintenir R3 pour profiter de cette vue. Les changements ne sont pas drastiques mais on peut constater plus de détails dans Echoes of Wisdom, notamment dans la partie environnementale. Les textures sont un peu plus détaillées, mais surtout le monde est beaucoup plus vivant par les insectes qui y volent, les poissons qui y nagent et tous les petits effets qui parsèment le monde. Tout cela dans un monde qui respire, une carte de l’aveu des développeurs huit fois plus grande que son prédécesseur !
Le Royaume d’Hyrule, toujours au centre de la carte, est le point de contact entre les différentes régions. Certaines d’entre elles ne sont que des zones de traverse comme le Lac Hylia, qui se retrouve enchâssé entre Hyrule et Domaine Zora. Ce dernier est un domaine que l’on retrouve au Nord-Est de la carte, symbolisé par les rivières venant mourir sur la côte placée plus au Sud. À l’opposé Sud-Ouest se situe le Désert des Gerudos, presque à son emplacement traditionnel. Ces deux zones sont les deux destinations proposées à Zelda une fois le problème du village d’Ussude résolu. Ces deux enquêtes régionales conclues et le château d’Hyrule sauvé, de nouvelles calamités surgiront dans trois nouvelles zones. À l’extrémité méridionale Est, il y a la Forêt de Firone, devenue jungle humide, marquée par ses palmeraies et sa végétation unique. Sans oublier la Forêt ancestrale qui fait la jonction entre l’ouverture du chemin menant au volcan et celui de la Montagne, et qui sera le point final de cet Echoes of Wisdom. Ni même les nombreux petits villages parsemant l’ensemble de ce monde. On doit ce travail à toute une équipe de 14 personnes menées par Tomoka Tsuboi et Nozomi Murata, au même poste sur Link’s Awakening.
La structure « segmentée » par ce Zelda permet de mieux contrôler l’aspect narratif qui, même s’il est réduit à sa plus simple expression, évolue à chacun des paliers matérialisés par la fermeture d’une faille ou d’un groupe de failles. Le jeu peut ainsi bien plus contraindre son déroulé sans pour autant mettre en péril la liberté qu’il tend à donner au joueur, que le jeu maîtrise par la qualité de sa géographie, alternant exploration en 3D et passages en vue de côté. Ainsi, tout ce qui est représenté par une échelle dans le monde ou les donjons mène à une zone en 2D. Ces passages agissent ainsi comme transition de lieu, comme lors de l’ascension de la montagne d’Hébra qui symbolise chaque passage en 3D par un plateau et chaque passage en 2D comme marqueur de la progression vers le sommet. Ces parties 2D sont techniquement irréprochables, là où le framerate du jeu était très lancinant dans Link’s Awakening.
Ceci étant dit, cela n’empêche pas cet épisode d’avoir encore des lacunes à ce niveau, et notamment une stabilité plus que contestable. On pourra aussi pester un peu contre une physique qui troque sa permissivité contre quelques bugs de collision, notamment dans ces passages en 2D, pouvant éjecter Zelda dans un précipice par exemple.
La direction musicale quant à elle, risque de rappeler des souvenirs puisque c’est cette fois-ci un habitué de la maison, Hajime Wakai qui prend ce rôle, également Sound Director (et possiblement Musical Director) sur Breath of the Wild et Tears of the Kingdom. Il n’est donc guère surprenant d’entendre des accords et des arpèges faisant penser à du Tears of the Kingdom, surtout dans les quelques notes des grottes du jeu, qui feront écho à celles des souterrains du dernier épisode 3D. On notera également la volonté d’utiliser davantage les synthétiseurs et autres instruments électroniques, peut-être une direction musicale qui sera suivie à nouveau prochainement.
Néanmoins, l’exercice de style est très différent puisqu’à l’inverse des épisodes canoniques précédents, les musiques sont ici omniprésentes, dans la pure tradition classique de la série, se permettant même de magnifiques clin d’oeil comme le thème de la berceuse de Zelda repris dans le thème principal, tout un symbole.
Cela ne remet en cause ni la qualité des musiques des précédents Zelda 3D, ni celle du Sound Design du titre réalisée par Yoshitaka Fujita, qui demeure indéboulonnable à son rôle de Sound Director, avec un CV contenant du Front Mission, du Final Fantasy et du Kingdom Hearts. Cela manque toutefois d’interjection dans certains dialogues, ce qui fait que certaines conversations tourneront parfois aux dialogues de sourds, notamment dans la scène finale où ni Zelda ni Link ne s’adressent la parole, ce qui donne un moment assez étrange. Parce que oui, la recherche de Link est collatérale à l’épopée de Zelda… pouvait-il en être autrement.
THAT’S MY STORY
Link a donc disparu, Zelda a dû s’enfuir et doit résoudre cette crise qui menace son monde. La trame scénaristique demeure à quelques exceptions du grand classique dans sa forme. Zelda va devoir rencontrer plusieurs personnages secondaires qui demanderont de l’aide, qui se résumera souvent à puiser dans une qualité morale comme le courage, la dévotion ou la trahison, et c’est autour de ce fil que sera brodée la péripétie. Il est d’ailleurs dommage que les différentes peuplades du royaume aient une destinée anecdotique à l’exception de celles des Zoras, qui apporte un point de vue intéressant entre civilisation fluviale et maritime. Les développeurs ne mettant quasiment jamais en valeur l’héritage drainé derrière ces civilisations, comme celle des Gerudos. Et c’est comme ça que l’on en arrive à une impression d’un patchwork de diverses influences qui ne parviennent à s’agglomérer ensemble.
Dans la deuxième partie du jeu, une fois le château d’Hyrule libéré du joug du Néant, un peu plus de contexte narratif nous sera apporté puisque les trois lieux suivants visés par la calamité auront tous un lien avec les fameuses déesses Din, Farore et Nayru et leurs emblèmes, force, courage et sagesse. Pour la première fois d’ailleurs, ce ne sont pas des intermédiaires des déesses qui viennent nous parler quand on obtient leur pouvoir, mais bien les déesses elles-mêmes. C’est ici que les fans de la fameuse timeline risquent d’être aux anges puisque tout porte à croire que les événements d’Echoes of Wisdom se déroulent avant même les événements de Skyward Sword, lors d’une guerre impliquant les Tris et Nihil, celui-ci voulant plonger la terre dans le Néant. Nihil finira par corrompre le monde à la toute fin du jeu en se faisant l’écho de la princesse Zelda pour tromper la vigilance de l’arbre Mojo, présent dans la forêt ancestrale, et ce sera à Zelda de le mettre hors d’état de nuire. L’ajout d’un jeu dans cette fameuse timeline est un exercice de style toujours compliqué comme le résumait Aonuma dans une interview à l’occasion de la sortie du jeu…bien que le son de cloche soit très différent dans d’autres interviews.
« Ces derniers temps, même pour nous, il est très délicat de toucher à la mythologie de la série The Legend of Zelda. […] Quand on réfléchit à un nouveau jeu, il faut penser à de nouveaux développements tout en gardant à l’esprit les précédents jeux de la série. […] Les joueurs s’intéressent à son histoire et à sa mythologie. Par le passé, il nous est arrivé d’écrire un scénario qui n’était pas aligné avec les autres jeux de la série pour mettre le gameplay au premier plan, mais nos fans nous on fait savoir qu’ils trouvaient cela incohérent. On s’est rendu compte que même si les développeurs n’avaient pas l’intention de faire des changements incompréhensibles, cela pouvait être perçu comme tel par les joueurs. »
Eiji Aonuma, producteur de la série Zelda.
Les références aux précédents jeux sont par ailleurs très nombreuses, des vitraux du château rappelant possiblement les Célestriers de Skyward Sword, aux éléments de décor qui parsèment certaines maisons, des statues, ou des ruines, laissant toujours planer le doute sur la véracité de cette fameuse timeline. Mon détail préféré restant le lit défait dans la maison de Link, référence évidente à une très grande majorité des débuts d’aventures du héros de la légende.
Il est indéniable que le jeu a subi un très grand soin dans tout ce qui est souci du détail, dans la gestion des ambiances des différentes régions, de leurs architectures différentes jusqu’à la présence des lits dans les différentes habitations. Les développeurs se permettent même scénaristiquement de justifier le mutisme de Link, un point que seul Breath of the Wild avait soulevé de son côté pour mettre en lumière la relation difficile entre Zelda et lui. Et comment ne pas parler des différents croisements d’influences entre de nombreux épisodes de la saga, notamment Majora’s Mask et Ocarina of Time, dont des ennemis et des boss, transition toute trouvée pour parler des donjons, l’autre point névralgique de ce jeu.
SLIP SLIDIN’ AWAY
Les fans des anciens Zelda peuvent être aux anges : les donjons traditionnels sont de retour. Il n’y a plus de moyen d’effectuer les salles dans n’importe quel ordre comme dans les précédents Zelda 3D, la configuration à base de clés et de serrures étant revenue aux affaires. Toutefois, une fois rentrés dans la faille menant au temple, il faudra arpenter un court chemin conducteur pour pénétrer dans le palais. Une façon de procéder quelque peu identique à celle de Tears of the Kingdom. Une fois à l’intérieur, le parcours est beaucoup plus traditionnel, à base de salles rectangulaires fermées entre quatre murs. Le temple de la forêt et celui des Gerudos iront un peu plus loin en proposant une exploration en extérieur, courte mais assez anecdotique.
« La raison pour laquelle nous avons intégré des temples cette fois (ndlr : dans Tears of the Kingdom) est parce que dans Breath of the Wild, notre leitmotiv étaient les donjons mobiles, les bêtes qui se déplaçaient […] Ici, nous voulions réaliser une continuité dans le chemin de Link. »
Hidemaro Fujibayashi, Réalisateur de The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom
Anecdotique, c’est peut-être l’adjectif qui qualifie le mieux ces donjons, nettement moins tordus que d’autres épisodes de la série, qui multipliaient salles, portes et chemins de traverses. On reste ici sur une conception assez banale, signe d’une équipe n’ayant pas forcément toutes les connaissances requises pour développer des palais plus tortueux. Cette architecture linéaire est accompagnée par une pauvreté des situations et des mécanismes que le joueur rencontrera, quant bien même votre attirail peut vous permettre de résoudre une énigme de plusieurs manières. Ainsi, la salle propose généralement la solution pour s’en sortir, mais vous pouvez très bien outrepasser cette dernière par trouver votre propre façon de procéder. C’est ici que l’on se demande l’utilité de la présence de la carte qui nous offre peut-être l’une des navigations les plus immondes que j’ai vu sur un plan de jeu. En conclusion terrible, seul deux donjons s’en sortent un tant soit peu.
Les boss sont dans la continuité de ce que l’on peut penser des donjons. Ils sont intéressants, tentent d’utiliser les échos au mieux, mais sont assez bizarrement exploités, si bien que l’on se demande si cela était une bonne idée de les intégrer. On peut toutefois aussi considérer que ce n’était tout simplement pas la volonté de GREZZO d’avoir des donjons plus élaborés, préférant se concentrer sur les différentes énigmes et les différents procédés pour en résoudre les puzzles, dont l’utilisation de systèmes comme dans Breath of the Wild ou Tears of the Kingdom, où le feu pourra se propager dans les hautes herbes et où les arcs électriques seront plus importants dans l’eau par exemple.
Si certains seront donc contents de retrouver des donjons plus traditionnels, il est évident qu’il faudra revoir intensément la copie pour une éventuelle suite.
Et cela est d’autant plus dramatique que le jeu complète son gameplay par deux autres ajouts qui auraient pu faire la différence, combinés aux échos. Le premier est celui de se « synchroniser » pour déplacer un objet ou imiter son mouvement, qui rappellera très facilement le pouvoir « emprise » de Tears of the Kingdom. Mais contrairement à emprise, celui ne se limite pas à des objets puisque les ennemis peuvent aussi être liés à Zelda. Ce pouvoir permet donc de les bloquer voire de se déplacer avec. Cela ouvre d’énormes possibilités pour se déplacer dans le monde, mais cette utilité dans les donjons s’effondre vite puisque ce pouvoir si prometteur n’y connaît pas assez d’application, se résumant à déplacer un gros rocher qui bloque la route.
Et puis, il y a ce dernier pouvoir, celui pour Zelda de se transformer en écho de Link pour y récupérer son talent d’épéiste, puis, plus tard, celui d’archer et d’artificier. Un pouvoir limité mais qui permet de se faciliter grandement la tâche lors des combats et notamment des boss, puisque vu que les échos répondent à l’intelligence artificielle, ils sont moins efficaces, et plus fragiles. Cela permet ainsi d’éviter de trop grandes frustrations dans ces batailles, même s’il faudra parfois se ménager, et réfléchir à bien exploiter ce pouvoir, qui pourra être amélioré également moyennant des fragments de puissance, et une visite à la forge. À noter que cette particularité est aussi utilisable dans le monde d’Hyrule.
Toutefois, l’intégration même d’un tel concept pose la question fondamentale de l’échec de l’idée initiale, qui prône un jeu où la débrouillardise et la réflexion sont deux mots clés. Proposer cette idée revient pour les développeurs à quelque peu désavouer leur concept, incapables finalement de proposer une solution pertinente au problème de conception de la base du jeu. L’idée pour palier à ça étant, peut-être comme suggéré par certains observateurs, de davantage tordre la formule pour en faire quelque chose à part entière. Et il ne faut pas aller chercher plus loin que le jeu lui-même pour avoir un semblant de solution avec la présence du Dojo ! Autant de petits défis qui limitent votre temps, ou les échos en votre possession, et qui constituent parfois un challenge assez relevé. Mais justement, cela n’aurait-il pas signé un nouvel échec de la formule ?
ACE IN A HOLE
Je viens de parler du dojo. Celui fait en réalité partie de la très imposante composante annexe du titre dont on ne peut pas reprocher la générosité évidente. Outre ce dojo, sorte de petits défis à accomplir sous diverses contraintes, Zelda pourra aussi découvrir divers objets qui l’aideront dans sa quête, revêtir différentes tenues dont le design sera…parfois questionnable, trouver aussi des fragments de puissance pour améliorer son écho de Link, fabriquer des automates, tamponner des cartes, obtenir divers ingrédients pour fabriquer des smoothies, et bien sûr, retrouver des quarts de cœurs.
Autant d’objectifs à compléter, qui gonfleront sensiblement la durée de vie, dans une répartition géographique à saluer, cachés dans des passages caverneux ou simplement en conclusion de requêtes adressées par des personnages. Il est indéniable que l’on prend du plaisir à découvrir ce que le jeu peut offrir, et notamment quand celui-ci décide de reprendre au gros trait la formule des sanctuaires de Tears of the Kingdom, une progression sur deux ou trois salles, dont le concept devient de plus en plus complexe jusqu’à l’obtention d’une récompense. Cela est d’autant plus évident quand l’on constate que certains level designer du titre ont travaillé sur ce jeu. Le tamponnage quant à lui (qui s’il n’est pas un rappel au premier jeu d’Aonuma Marvelous: Mōhitotsu no Takarajima, je ne sais pas ce que c’est) permettra de découvrir l’environnement de manière plus approfondie (sauf si vous êtes comme moi et que vous tombez sur la quête à la fin du jeu).
Certaines quêtes vous demanderont même de visiter des lieux inédits comme un navire perdu en pleine mer, ou de résoudre une énigme pour accéder au trésor d’une ruine sacrée, quand ce n’est pas tout simplement un boss qui vous attend au bout d’une série de salles, ou la monture royale que vous aurez la possibilité de chevaucher pour vous déplacer dans le vent, une fois sauvée. L’annexe est sur le papier donc souvent engageant.
Parce que l’on serait en effet en droit de s’attendre à obtenir un présent plus ou moins important en fonction du degré de difficulté de notre travail accompli, ou de notre obstination. Absolument pas. Car le jeu vous gratifie souvent, trop souvent, de fruits et autres beurres à mixer pour fabriquer des smoothies, remplaçant des plats des Zelda 3D, octroyant gain de vie et divers bonus. Attention toutefois puisqu’il n’est pas possible de les fabriquer n’importe où, que leur fabrication prend un temps incompressible (la cinématique ne peut pas être passée) et que la place pour les stocker est limitée. Une idée intéressante mais qui pollue très vite l’aspect annexe des autres objets relégués au second rang comme par exemple les quarts des cœurs.
Si certains vous seront remis pour des hauts faits, d’autres ne font même pas semblant d’être cachés, pouvant être trouvés sur un flanc de falaise alors qu’il faudra parfois se creuser la tête plusieurs minutes durant pour ouvrir un coffre contenant cinq morceaux de raisin dont vous n’avez plus besoin. Une façon d’autant plus étrange de procéder, comme si les fragments de coeur avait été relégués au second rang, faisant office de remplissage. La monture royale est un élément intéressant mais dans un jeu où celle-ci constitue une manière assez limitée de se déplacer, puisque la géographie de la carte n’est que très peu étudiée pour, son utilité arrive très vite à terme. Et aussi parce que les points de téléportations sont très nombreux, et très bien agencés.
Si les automates sont sympathiques à fabriquer, l’intérêt de les utiliser est très vite relégué au second plan aussi, puisque certains échos sont plus puissants qu’eux. Effectivement, les automates sont plus résistants mais comme ils pètent eux aussi (et sont pénibles à réparer), il n’y a aucune justification pour les employer plus longuement. Bien sûr, ne pas les rendre vulnérables aurait eu le travers inverse. Et on pourra aussi ouvrir un débat sur certaines tenues de Zelda, qui ont une utilité particulièrement relative, alors que l’idée aurait pu être plus audacieuse.
EVERYTHING PUT TOGETHER FALLS APART
Mais là où le jeu flingue tout ce qu’il pouvait avoir de génie, c’est lors de son grand final, gigantesque mélange de tout ce dont vous avez eu à rencontrer comme difficulté sur votre route. Plusieurs chemins s’offrent à vous pour atteindre l’écho Zelda et libérer Link, retenu captif plus tôt dans l’aventure, pour le combat final. Un test qui demandera d’utiliser tous les meilleurs échos et pouvoirs en votre disposition pour supprimer l’avatar du néant. Une fois vaincu, Link libéré et ses pouvoirs rendus (vous ne pourrez plus vous servir de l’écho de Link, son épée, son arc et des bombes à partir de ce moment-là), il est temps de pénétrer dans Nihil pour un dernier donjon, assez linéaire qui offre une particularité unique : du gameplay asymétrique.
En effet, Link et Zelda se retrouvent séparés et ils devront « collaborer » pour s’en sortir. Les guillemets sont importants puisque l’on se retrouve en réalité davantage sur une phase d’escorte, où Zelda devra user de quelques échos pour aider Link à progresser. Il y a même une gigantesque phase en 2D où ce principe est mis de côté. Une fois réunis, il est temps d’affronter le boss final qui déchaîne toute sa puissance en matérialisant la plus grande faille possible, engloutissant une partie du royaume. Le combat se présente en un 2V1 puisque Link accompagne Zelda…ou plutôt l’inverse.
Car ce combat…est un affrontement où Zelda est inutile. Que l’on se comprenne bien, il est toujours possible d’utiliser des échos pour abréger la confrontation, mais on peut tout simplement poser la manette et laisser Link jouer, qui est d’ailleurs beaucoup plus efficace que nous. Je peinais à y croire. Pendant que j’écrivais quelques tweets satiriques sur cette confrontation, Link combattait Nihil quand Zelda était blottie dans un coin de la pièce en train de regarder le chevalier faire.
Cocasse me direz-vous. Inadmissible vous répondrai-je puisque non seulement le jeu nous rend moins fort que Link, mais aussi parce que le jeu peut totalement se passer de nous (à condition de soigner Zelda de temps en temps). Le pire étant quand Zelda se fait emprisonner et doit être sauvée par Link… Mais que s’est-il passé ? N’y avait-il pas moyen de réaliser un autre combat de fin, pour davantage mettre en valeur le gameplay ? Ou alors pourquoi ne pas contrôler Link ET Zelda, puisque le début du jeu nous permet de prendre le contrôle du héros ? Quoiqu’il en soit, la solution choisie en finalité me paraît tout sauf bonne. Elle discrédite non seulement le personnage principal qui devient passif, mais surtout l’idée fondamentale sur laquelle ce Zelda a été pensé. Et alors que la scène de fin et les crédits défilent, difficile de ne pas penser à un partiel échec mécanique du jeu.
YOU DON’T KNOW WHERE YOUR INTEREST LIES
Reprenons depuis le début. The Legend of Zelda : Echoes of Wisdom est codéveloppé par GREZZO et Nintendo. GREZZO est un studio habitué à manipuler la série Zelda pour en réaliser des remakes, mais voilà que la maison mère débarque pour leur demander de réfléchir à la réalisation d’un opus totalement inédit. L’expertise de GREZZO les pousse à reprendre une partie du travail produit dans Link’s Awakening, leur jeu le plus récent dans la saga, et avec lequel ils avaient sans doute le plus d’affinité. Toutefois, le jeu devra se plier à de nouvelles exigences de gameplay, notamment depuis qu’un certain Breath of the Wild est passé par là.
Echoes of Wisdom est un projet dont l’on peut peut-être retracer les prémices début 2021, quand GREZZO proposait des postes à pouvoir dans plusieurs rôles pour un nouveau projet. Une annonce passée inaperçue, mais dont certains ont senti le souffle d’un prochain Zelda entièrement réalisé par l’équipe.
Leur idée de départ pour ce Zelda ressemble à une continuité de ce qui avait été imaginé avec l’éditeur de donjon de Link’s Awakening, un principe intéressant sur le papier mais qui s’est révélé insuffisant. L’idée a par la suite été retournée pour être davantage un Zelda traditionnel avec l’idée de copier/coller le monde qui nous entoure, pour se battre, traverser le monde ou progresser dans des donjons. Et globalement, si traverser le monde avec les « échos » a été apprécié, la progression dans les palais a été décriée par de nombreux observateurs. Pourtant, Aonuma ne tarissait pas d’éloges sur les équipes de GREZZO concernant leur capacité à créer des palais uniques. Pourquoi y a-t-il donc un tel écart entre les paroles du producteur de la série et ce que nous avons entre les mains?
« La conception des donjons est la spécialité de GREZZO. Cela fait un bon moment maintenant que GREZZO étudie la série The Legend of Zelda au gré des remakes. À ce titre, ils nous ont soumis un certain nombre d’idées permettant d’aborder les choses sous un nouvel angle. Certains de leurs développeurs jouent aux jeux de la série depuis qu’ils sont petits, donc je dois dire que j’étais très impatient de découvrir leurs idées et de voir quelle conception ils avaient de ce que devait être un donjon The Legend of Zelda. »
Eiji Aonuma, Producteur de la série Zelda
Difficile pourtant de trouver qui peut être le coupable ou les coupables dans cet affaire tant il n’existe pas de rôle de « Dungeon Designer« , comme c’était le cas dans Link’s Awakening. Un rôle tenu par deux personnes à l’époque, Shuntaro Tahara et Eijiro Fujii. Dans les crédits d’Echoes of Wisdom, Tahara se retrouve à la planification d’événements tandis que Fujii ne semble plus du tout de l’aventure GREZZO. Impossible en revanche de voir dans cette mutation et ce départ un réel pas en arrière puisque le duo n’avait jamais collaboré avant.
Un premier élément de la réponse se retrouve dans l’équipe de Level Designers désignés comme tel dans Echoes of Wisdom. À la gestion de l’équipe, on retrouve un habitué des productions de GREZZO avec Hiroyuki Kuwata, couteau suisse du studio, tandis que sa seconde, Rena Takada, moins expérimentée, avait déjà été à la planification de Link’s Awakening, rôle qu’elle a pu retrouver ici.
Là où ça coince, c’est dans les autres noms présents dans cette liste. En effet, mis à part deux développeurs ayant précédemment travaillé, ou travaillant en parallèle sur Tears of the Kingdom, excusez du peu, la grande majorité n’a aucun crédit à son actif. Un point assez étrange puisque l’on aurait pu espérer un turn-over des équipes, comme GREZZO le fait souvent, et ainsi se retrouver avec un minimum de connaissances et de compétences en dehors de chez les leads du projet. Attention, ces crédits ne veulent pas dire que ces gens étaient forcément impliqués dans la création des donjons, ni même qu’ils ont été partie intégrante du projet. Il se peut qu’ils soient juste cités pour avoir apporté des idées ou travaillé sur des concepts, finalement écartés de la version finale.
Néanmoins, difficile de ne pas y voir un lien puisque la section suivante est dédiée à la planification des boss. Là encore dans Link’s Awakening, seules deux personnes avaient été affectées à cette tâche, Yasunori Marabuyashi et Tomohiro Iwamoto. Le premier est ici de retour dans les crédits d‘Echoes of Wisdom tandis qu’on retrouve le second dans une autre production avec des boss… un certain Elden Ring. Marabuyashi se retrouve donc à être le seul développeur à avoir une expérience parmi les cinq personnes qui composent l’équipe de Boss Planning, ce qui peut expliquer leur relative faiblesse.
Mais raisonnons autrement. Car l’on pourrait se dire que l’excellente cohésion du monde est due en réalité à l’ensemble de l’équipe de Landscape Modelling, dirigée par Tomoka Tsuboi et Nozomi Murata, au Map Modeling de précédents jeux, ou presque un équivalent. Et pourtant, quand on regarde la liste des développeurs de cette section, on tombe sur le même cas de figure que précédemment. Ainsi, il semblerait qu’une équipe ne soit pas plus inexpérimentée qu’une autre dans les exemples que nous avons pris. Et les effectifs engagés nous donnent d’autres informations intéressantes.
Si on compare avec Link’s Awakening qui avait 199 développeurs, Echoes of Wisdom fait figure de bien plus grosse production avec une augmentation de presque 150% des effectifs, pour un total de 338 personnes, avec un absent notable, celle de Shigeru Miyamoto. Un nombre qui était de 204 personnes pour la première vraie création de GREZZO, Ever Oasis. Bien sûr, pas toutes ces personnes ne viennent de GREZZO, mais cette hausse est tout de même révélatrice, et est bien évidemment gonflée par le nombre de premiers rôles. GREZZO a certes vu grand pour ce projet, plus grand qu’il n’a jamais vu, mais cela trahit une certaine fragilité qui impacte selon moi directement le jeu. Aonuma disait que les développeurs d’Echoes of Wisdom étaient passionnés par la série Zelda, et cela se voit dans tout les petits détails qui scintillent. Mais cela ne suffit pas à comprendre comment en faire un bon jeu.
Et tout cela explique selon moi la raison pour laquelle on retrouve des développeurs de Breath of the Wild et de Tears of the Kingdom dans le projet. D’autant qu’on peut imaginer la concomitance des développements, et donc l’influence de l’un sur l’autre (et l’inversement). Je pense à quelques ressemblances d’écriture, mais surtout quelques mécaniques ressemblantes comme « Emprise » et « Synchronisation’ que nous avons vues plus tôt. Lors de la présentation du jeu en juin dernier, Eiji Aonuma expliquait qu’Echoes of Wisdom devait « briser les conventions » des Zelda en vue du dessus. Une affirmation à laquelle je ne souscris pas complètement puisqu’il me semble au contraire que le jeu est piégé dans son fameux « Protocole », autrement dit « c’est quoi un Zelda? » Une affirmation à laquelle il est difficile de répondre, et dont même les développeurs ont du mal à donner une définition.
Ainsi, la base du protocole Zelda a toujours été un jeu linéaire où l’exploration côtoie la visite de donjons polymorphes. Ces visites permettent de progresser scénaristiquement, et mécaniquement dans l’aventure, ouvrant de plus en plus à l’exploration. Une façon de faire qui a été transmutée dans un nombre très différents de situations, sur mer, sur rail, en loup, en volant sur le dos d’un oiseau, en étant miniaturisé ou en étant plongé dans un rêve, tout en racontant la destinée de trois protagonistes, presque des divinités, se battant pour des morceaux de triangle magique sur 250 générations.
Mais en 2017, le protocole a volé en éclats avec Breath of the Wild. Dès lors, la définition du Zelda a complètement été transfigurée et l’intégralité des systèmes de jeux ont été repensés. Rappelez-vous comme dit précédemment que certains y voyaient la fin des Zelda à l’ancienne, et notamment en vue du dessus. Tears of the Kingdom a été la continuité de cette nouvelle manière de procéder, et l’on pouvait anticiper que si Zelda 2D il y aurait, il en aurait repris la même essence. La série comme le dit Aonuma ne peut pas effectivement revenir en arrière, et ceux qui espèrent un retour en arrière à la Ocarina of Time peuvent sans doute faire leur deuil. Et pourtant, on sent qu’Echoes of Wisdom manque de radicalité. Il essaie de reprendre les idées de tout ce que la série a pu mettre en œuvre dans ses systèmes. Il en détourne parfois certains codes, notamment dans le sa mise en scène, mais jamais ils ne s’en détache.
N’est-il pas là le drame de ce nouveau Zelda en réalité ? Ne fallait-il pas être plus drastique dans l’approche quitte à réellement retourner la table en intégrant un jeu sans ennemis, sans boss, des donjons à l’architecture différente, voire pas de donjons du tout, moins d’échos, plus d’allers-retours, d’autres idées pour la synchronisation ? Mais le jeu aurait-il eu cette même philosophie ? Celle d’offrir aux joueurs tous les outils pour façonner leur propre aventure, de la plus pragmatique à la plus loufoque, et une aventure plus accessible à tous et toutes ? Et surtout, toutes les idées citées précédemment auraient-elles été motrices de la série Zelda ?
Néanmoins, je continue à penser que certains défauts demeurent, malgré ces réflexions. Le boss final est une énormité, et les donjons boitent beaucoup dans leur construction. Faire un donjon linéaire ne m’est pas dérangeant, mais il faut savoir le rendre engageant, et cela est rarement le cas ici, même si le jeu tente l’approche dissymétrique d’offrir au joueur la possibilité d’utiliser ce qu’il trouve dans la salle ou non. Mais j’aurais surtout aimé voir plus de donjons comme celui de la Montagne d’Hébra, qui utilise un gimmick de sphère de feu et de glace à manipuler, ou cette histoire de donjon asymétrique avec Link dont le titre ne fait rien. Et même si le problème des échos a été bien identifié par l’équipe, il restera toujours ce problème de la surutilisation de certains d’entre eux, quand ce n’est pas l’inventaire qui vous dissuade involontairement d’utiliser ceux nouvellement trouvés pour tester des choses quand les solutions à base de lits et de Lynel fonctionnent très bien.
Mais je pense, confrères et consoeurs, que nous passons tous et toutes ou presque à côté de quelque chose de fondamental. Que notre façon de jouer n’est pas la même que celles des autres personnes jouant au jeu et que toutes les approches visant à progresser dans le jeu sont bonnes, et surtout voulues par les développeurs. Cela recoupe totalement la philosophie de Tears of the Kingdom qui proposait tout, pour tout le monde, mais dont finalement les plus pragmatiques d’entre nous ne se sont jamais servis. Faut-il pour autant considérer cela comme un échec de philosophie alors que par définition, le jeu « bac à sable » vous offre tout pour vous amuser sans rarement vous contraindre ? Je ne pense pas.
Je vois en Echoes of Wisdom un exercice visant à consolider une vision, mais aussi à la différencier. Nintendo va sans doute à partir de maintenant jouer sur les deux tableaux, en proposant entre deux opus inédits une relecture d’un classique comme la duologie Oracle ou The Minish Cap. Ce qui laissera aux équipes le temps de plancher sur de nouvelles manières de faire, afin de contenter deux publics, celui qui s’attend à un épisode épique, énorme et grandiose, et celui qui préfèrera les épisodes plus compacts, les deux n’étant évidemment pas incompatibles. Et il ne faut pas oublier GREZZO dans l’équation qui va pouvoir se servir de l’expérience engrangée avec cet épisode pour former ses nombreuses recrues, réfléchir à de nouvelles idées, identifier ce qui a marché, ce qui a été plus difficile à huiler, et repartir pour une nouvelle aventure, qui se fera à mon avis sans les échos. Reste à savoir comment ce nouvel exercice va être négocié dans le fond, mais aussi dans la forme. Et si les égarements de cet épisode pouvaient être pardonnés, la prochaine collaboration sera réellement attendue au tournant, et ne connaîtra sans doute pas la même indulgence.