Il est ma drogue, ma dope, ma coke, mon crack, mon amphétamine.
Depuis que sur lui, j’ai posé mes mains, mes doigts et mes rétines.
Non, je vous rassure, cet article ne sera pas jonché de rimes. Pourtant, Balatro est le genre de muses qui nous inspire les plus belles sérénades. Balatro, est ce que l’on appelle une histoire passionnelle. Celle que l’on brûle par les quatre bouts de la carte, celle qui nous obsède, qui nous révulse, celle qui nous fait dire plus jamais pour nous faire revenir quelques heures après.
On dit que les plus grandes histoires d’amour finissent mal, pour Balatro, elles ne finissent pas. Jamais.
Comme toute bonne histoire, elle commence par un hasard. Les réseaux sociaux qui bruissent, quelques médias web qui frémissent : il se dit qu’une expérience étonnante et enivrante conquiert le cœur de celles et ceux qui le lui ouvrent. La rumeur se répand comme une volée de papillons, bien nichée dans le ventre de ses conquêtes, un collègue tombe sous le charme et témoigne : “Balatro, la nouvelle addiction”.
Et là, je me retrouve adolescent, en 5ᵉ. À la sortie du collège. Pantalon Sean John, bandana rouge englué dans des cheveux rivetés au Vivel Dop Fixation Béton (le même qu’ils utilisent sur les chantiers navals pour souder les planches). Le tout, planté devant Richard Susîc, un golgoth bloqué en 4ᵉ depuis trois ans et qui me proposait une cigarette.
En dépit des points de popularité que j’aurais pu gagner en crapotant péniblement une vieille Malbach’ devant le collège, je renonçais. Ce jour-là, j’étais fort, fier de mon choix. Presque 20 ans plus tard et une force mentale quelque peu abîmée par la vie, je n’eus pas la même infaillibilité : je cédais.
Steam > B…A…L…A…T…R…O > Acheter. Ma chute commence, une chute qui a pourtant tout d’une envolée.
Ça y est, Balatro se dévoile à moi, enfin. J’avais été attentif aux bruissements, je savais où je mettais les pieds. Un roguelite qui revêt les combinaisons du poker. Chaque monde est composé de trois embûches. Des danses pendant lesquelles on va devoir faire les points exigés pour passer au tango suivant. Entre chaque corps-à-corps lascif, le magasin des merveilles s’ouvre.
Une parure de 120 jokers, tous différents et vous offrant des avantages pour aller le plus loin possible. Des cartes de tarot pour métamorphoser votre deck, des cartes Célestes pour renforcer vos combinaisons favorites. Vais-je sortir avec un jeu serti de carreaux ? Suis-je d’humeur à n’avoir uniquement que des sept de cœurs comme panoplie ? Et si je misais tout sur ma double paire ? Au fur et à mesure, les points demandés sont de plus en plus élevés.
L’objectif ? Arriver au monde huit, puis, direction l’infini dans lequel chaque décision sera lourde de conséquence et où les scores s’afficheront en puissance.
Et comme tout bon roguelite : une erreur, et c’est la case départ.
Tout comme une relation toxique, Balatro sait les boutons qu’il faut presser pour nous tenir en laisse. Toutes les aventures commencent comme un rien, et il suffit d’un joker, d’un heureux hasard pour que la partie et le cœur s’emballent.
Vous n’aviez rien demandé et vous voilà en quête d’un joker particulier. Mais le porte-monnaie commence à s’amaigrir. C’est que l’amour et les jokers, ça coûte cher. Alors, vous vous gardez un peu de monnaie pour le monde d’après. Mais peut-être ne le verrez-vous jamais ? Alors non, tant pis, en amour comme pour le reste, il faut de l’audace. Vous dépensez votre bas de laine dans un pack de tarot en espérant trouver le Graal. Après tout, vous voulez être à votre apogée pour le prochain rendez-vous qui vous fera chavirer et peut-être, passer par-dessus bord.
Balatro vous connaît et vous consume. Ce n’est pas pour rien que ses victimes le décrivent comme une addiction. Balatro sait tout de vos envies. Il vous donne suffisamment pour être accro, mais pas assez pour contenter le manque. En permanence, vous êtes sur le fil, vous croyez tenir la victoire et elle vous évite, vous pensiez éviter la victoire et elle vous tient. Parfois, vous vous dites que ce rendez-vous sera le plus beau et le plus puissant, alors vous vous y rendez apprêté, déterminé, et à la main, des roses, sur lesquelles Balatro vous enverra au bout de 10 minutes. Ce ne sera pas aujourd’hui.
Mais il arrive que Balatro vous récompense. Et au détour d’une balade sans but, les astres s’alignent. Votre jeu mue comme vous l’espériez. Votre manœuvre est éclairée, la chance commence à vous montrer ses dents et vous voilà parti pour deux belles heures d’un plaisir sans contour ni fin, enfin si, mais la plus tardive possible.
Et puis, il y a des aventures que l’on maudit. Pourquoi m’avoir souri au détour d’une rue ou d’un tweet si c’est pour me faire vivre autant de tourment ? Le rendez-vous commence comme un rêve, les premiers pas sur le chemin ont déjà une destination. Tout s’enchaîne rapidement, vous parcourez ses mondes avec aisance et confiance. Vous pensez alors être partie pour l’infini et là, votre espoir s’érode. Une embûche que vous n’aviez pas prévue. Vous voilà, vulnérable, à sa merci.
Il n’y a que la fortune qui puisse vous sauver. Le cœur lourd, vous attendez un pique, le trèfle tombe et vous voilà sur le carreau. Autant d’heures passées, autant de pression grisante et à quelques instants d’exulter, vous voilà seul, revenu au début du parcours, les traces de votre passage tout bonnement effacées. Avez-vous seulement déjà foulé ce chemin, ou était-ce un mirage ?
C’est à ce moment-là que vous comprenez une chose : personne ne joue à Balatro, c’est Balatro qui se joue de nous.
Balatro est une histoire évanescente et persistante. Quand vous en avez abusé, vous ne voulez plus le voir. Et puis, les heures s’égrainent, la musique entêtante vous revient aux oreilles ainsi que le claquement des cartes qui retournent à leur socle.
“Et si… j’en refaisais une petite ? “, “Après tout, je n’ai jamais conclu une aventure avec ce joker, ce serait l’occasion…”, “Et puis, maintenant que j’y pense, je n’ai jamais cliqué de la main gauche pour ouvrir un booster pack”…
Oui, tous les prétextes fallacieux sont bons pour replonger. Et la source de votre entêtement n’est pas près de se tarir. Plus d’un million d’adeptes a déjà succombé à ses charmes venimeux. Et comme pour souligner une certaine ironie, le voilà qui s’équipe d’un patch pour y décupler votre accoutumance.
Nous allons danser ce tango pendant des années. Balatro s’annonce comme une cicatrice. Elle sera toujours là et ne bougera pas. On y pensera en repassant la main, elle fera mal de temps en temps, se fera ressentir davantage durant les soirées pluvieuses ou s’estompera quand viendront les beaux jours. Mais Balatro ne nous quittera sans doute jamais.
Jouez à Balatro. Ou n’y jouez pas, comme pour ça et pour le reste : il n’y a pas d’essai. Soit, on l’évite, soit on succombe.