Bienvenue sur PlayStation Inside pour cette nouvelle interview qui poursuit notre exploration de la scène indépendante française. Aujourd’hui, nous parlons à Théo Maudet, créateur de Drop Rate Studio et développeur de Wantless : Solace at World’s End, une véritable lettre d’amour au Tactical-RPG, qui nous l’espérons vous intéressera d’autant plus après avoir lu cette conversation !
NB : L’interview a été réalisée par Florian, et retranscrite par Yacine. Retrouvez toutes nos interviews, dont la plupart sont dédiées à la scène française, à ce lien.
Florian (PlayStation Inside) : Bonjour Théo Maudet ! Merci de nous accorder cette interview. Wantless est sorti uniquement sur Steam le 16 mai 2024. Peux-tu nous parler de toi, et de comment s’est faite la création de Wantless, bien avant celle de ton studio Drop Rate Studio finalement ?
Théo Maudet : Bonjour ! Alors, tout a commencé par une envie de gameplay. J’avais envie de faire du tactical. Il y avait deux choses que je voulais tester dedans, et qui sont effectivement dans Wantless. Je voulais tester une espère d’histoire de réciprocité ou de symétrie dans les actions, que les ennemis répondent proportionnellement aux actions du joueur. Deuxièmement, je voulais aussi tenter un système où l’on pouvait forger ses propres compétences.
À ce stade, il y a 6 ans à peu près, le contexte du jeu n’était pas encore du tout défini. Le gameplay est venu avant. Et ensuite, il y avait certaines thématiques que je voulais aborder dans un jeu et ça s’est imbriqué.
Florian (PSI) : Pourquoi cette attirance pour le tactical-RPG ? As-tu l’occasion de travailler là-dessus à l’IIM Digital School (école de jeu vidéo à Nanterre, ndlr), vu que tu as été formé là-bas ?
Théo Maudet : Pas vraiment. Je n’avais pas particulièrement travaillé sur le tactical-RPG là-bas. Dans le jeu vidéo, j’aime beaucoup le combat au tour par tour et celui des tactical-RPG en particulier. Je suis plus fort en stratégie qu’en réflexes, et donc j’aime les jeux qui ont ce type de rythme pour les combats. Et j’aime aussi beaucoup les jeux qui ont des systèmes de progression très présents, qui te donnent la liberté de construire les personnages, à l’image de Path of Exile. Et puis je me suis dit que je pourrais faire un jeu inspiré de Path of Exile, mais à la sauce tactical.
Florian (PSI) : Avant de parler de Wantless, tu as travaillé chez le studio français Novaquark. Tu as eu l’occasion d’être coordinateur de production et de travailler dans la QA. Quelles leçons tires-tu de cette expérience chez Novaquark ?
Théo Maudet : C’était vraiment mon pied à l’étrier dans le milieu professionnel du jeu vidéo. Durant mes études à l’IIM où j’étais formé pour devenir gestionnaire de production dans le jeu vidéo, on voit un peu de tout. Je ne savais pas si je voulais poursuivre mes études en trois ou cinq ans. Et mon stage de 3ème année s’est fait chez Novaquark en tant que QA tester, pendant 6 mois. Ça s’est vraiment bien passé, on était une quinzaine de personnes. Je me suis bien intégré à l’équipe, à l’époque ils travaillaient sur Dual Universe, un MMO sandbox très complexe. Ça m’a permis assez vite de sortir des carcans de la QA et d’interagir avec les équipes, et de faire un peu de coordination de production. J’ai décidé d’interrompre mes études à partir de la 3ème année pour poursuivre chez Novaquark. Puis petit à petit, j’ai fini par gravir des échelons.
Florian (PSI) : En quoi consiste exactement le rôle d’un QA tester ? Pourquoi est-ce si fondamental dans la production d’un jeu vidéo ?
Théo Maudet : Quelque soit le niveau de compétence et de rigueur des programmeurs, il y aura toujours des bugs techniques, des combinaisons un peu improbables. Et puis du côté du game design, il y a beaucoup à tester aussi, surtout dans des équipes petites. C’est très important d’avoir quelqu’un qui vérifie ce qui fonctionne, qui vérifie le qualitatif, etc… Il faut avoir un retour de quelqu’un dédié à ça.
Florian (PSI) : Durant cette période, tu as quitté Novaquark à la fin de ton stage pour te lancer dans un prototype de jeu indépendant qui s’appelait The Fracture. Wantless est-il parti de là ?
Théo Maudet : Pas trop en vérité. Ce qu’il y a de commun avec Wantless, c’est juste que je savais que je voulais faire mes propres jeux indépendants. Mais The Fracture était très différent, c’était en temps réel dans un système de « boss only », avec des combats de boss qui se succédaient. On était trois sur The Fracture, et puis on a vite compris qu’on était naïfs de croire qu’on aurait pu mener ce projet professionnel de A à Z. On sortait de l’école depuis moins d’un an, et ce n’était pas suffisant, mais c’était passionnant en tout cas ! On a beaucoup appris, mais ça nous a montré qu’on avait encore du chemin à faire.
Florian (PSI) : C’est pour cela que tu es retourné chez Novaquark après cette période de prototypage ?
Théo Maudet : Tout à fait. Quand on a compris que The Fracture venait trop tôt, j’ai recontacté Novaquark. Ils voulaient m’embaucher en tant que coordinateur de production en CDI, et j’ai fini par accepter après la première proposition faite à la fin de mon stage.
Florian (PSI) : En parallèle de Dual Universe, tu as donc commencé à penser à Wantless. Comment as-tu concilié ton travail sur les deux jeux, d’autant que tu étais solo sur Wantless ?
Théo Maudet : C’était un passe-temps finalement. C’était un projet passionnel, et en aparté c’est d’ailleurs ce qui a fait que Wantless n’a pas été si facile que ça à vendre, car à la base il n’était pas prévu pour l’être. C’était un projet personnel que j’avais sur le côté, pour apprendre de temps en temps. Donc mes journées étaient vraiment dédiées à Dual Universe, et je travaillais parfois sur Wantless.
Florian (PSI) : Quand as-tu pour la première fois pensé à devenir sérieux sur Wantless et à le commercialiser ?
Théo Maudet : C’était au début 2021 à peu près. J’étais encore chez Novaquark, mais je sentais que je commençais à faire le tour là-bas. J’ai petit à petit intensifié le travail sur Wantless. Mon associé Achille avait commencé à s’intéresser au jeu courant 2020. Il pensait à la partie artistique. Et puis c’est devenu quelque chose d’envisageable au niveau professionnel.
Florian (PSI) : Vous avez fini par vous lancer en octobre 2021. Aviez-vous un prototype finalisé, une équipe formée ?
Théo Maudet : Achille a travaillé chez Novaquark pendant presque deux ans, après être passé chez Ubisoft. Il m’a rejoint à Novaquark en tant que producteur associé, et le fait qu’on se retrouve à nouveau dans un contexte professionnel après l’école nous a amenés à reparler de The Fracture, puis de Wantless. Achille a quitté Novaquark avant moi car il voulait se former à l’art, à l’illustration, au concept art.
Florian (PSI) : Comment s’est passé le recrutement par la suite ?
Théo Maudet : On est 3 aujourd’hui sur Wantless, avec aussi un stagiaire QA pour deux mois. On a aussi eu une autre stagiaire de deux mois. On a donc un programmeur qui travaille avec nous, me permettant de me délester de ce domaine qui me demandait beaucoup de temps de formation. À partir du moment où on a trouvé un éditeur qui nous a apporté du financement, on a donc recruté un programmeur.
Florian (PSI) : Que vous a appris Dual Universe pour créer Wantless ?
Théo Maudet : Le jeu en est assez peu inspiré en vérité. Dual Univers est plus de la science fiction stylisée, alors que Wantless est plus d’anticipation, postapocalyptique. Au niveau créatif il n’y a pas beaucoup d’inspiration donc. C’est plutôt le cas sur le plan professionnel, en termes de gestion de production. On a beaucoup appris, notamment sur l’échelle de notre ambition.
Florian (PSI) : J’avais beaucoup aimé dans Dual Universe cette idée du gameplay émergent. On a aussi cette volonté dans Wantless de personnaliser le personnage, les attaques…
Théo Maudet : C’est vrai. C’est plus poussé dans Dual Universe, mais il y a bien cette logique de liberté, d’avoir les joueurs au cœur de l’expérience. Je ne sais si j’en ai été vraiment inspiré donc, mais ce point commun existe en effet.
Florian (PSI) : Parlons désormais de Wantless. Peux-tu nous présenter le jeu ?
Théo Maudet : C’est un Tactical-RPG dans un futur dystopique, postapocalyptique même. Une nouvelle technologie a émergé, c’est la transposition mentale. Elle permet à un praticien d’entrer dans l’esprit de ses patients pour en extraire des éléments indésirables. C’est une sorte de psychiatrie du futur. Un patient peut venir pour se débarrasser d’un traumatisme, d’un mauvais souvenir, d’un cauchemar, de compulsions, d’addictions, de désirs inassouvis ou frustrants… Wantless se déroule donc dans l’esprit des patients, qui est généré procéduralement, et dans lequel on affronte dans des combats tactiques des matérialisations des peines des patients.
Florian (PSI) : On sent dans Wantless une inspiration de Darkest Dungeon, notamment sur l’idée de folie. On pense aussi à Psychonauts pour le scénario du domaine de la psychiatrie.
Théo Maudet : On ne s’est pas inspirés de Psychonauts car on n’y a pas joué. Par contre on s’est complètement inspirés de Darkest Dungeon, sur les mécaniques, le style graphique… On a aussi pris des éléments d’inspiration de Divinity Original Sin pour le combat. Et comme je l’ai dit, on s’est inspirés de Path of Exile pour le système de progression. On a aussi pensé à XCOM, etc…
Florian (PSI) : L’une des particularités de Wantless est donc la personnalisation de l’expérience. Il y a des arbres de compétence, des passifs, des actifs, des attaques… Comment fait-on pour équilibrer cela, et pour faire en sorte de donner une vraie liberté au joueur ? Une vidéo intéressante disait que vous souhaitiez en vérité que les joueurs fassent exploser les tactiques pour se rendre la tâche plus simple. Cette vidéo est-elle dans le vrai ?
Théo Maudet : En partie, oui ! À notre échelle, on voulait donner cette liberté tout en gardant une dose de challenge. Donc oui on a assez vite abandonné l’idée de faire quelque chose de très bien équilibré. C’était important qu’il y ait une progression claire. Un des mots d’ordre pour Wantless est que le joueur peut choisir de prendre la voie difficile ou la voie facile. Par exemple quand on est dans une zone, on a toujours un batch de patients qui nous est proposés. Et ces patients sont plus ou moins difficiles ; charge au joueur de choisir lequel prendre. Une fois le patient choisi, on peut toujours aussi choisir d’explorer l’esprit en profondeur, ou de prendre le chemin le plus court vers l’objectif. Donc on a résolu cette question d’équilibre en donnant le choix au joueur en fonction de sa progression.
Florian (PSI) : Les joueurs ont aussi noté une dimension d’infiltration dans Wantless, notamment dans la récupération des souvenirs des patients. Comment cette dimension a-t-elle été intégrée dans des zones censées être générées procéduralement ?
Théo Maudet : Ce ne sont pas vraiment des phases d’infiltration. C’est venu assez tard en réalité. C’était une manière justement de répondre à la problématique de la gestion procédurale, car cette dernière pouvait vraiment créer des niveaux très difficiles. Donc pour donner un peu plus de contrôle sur le placement des personnages, on permet sous certaines conditions au joueur de rester en sécurité en début de combat pour ajuster son placement, d’où une certaine idée de contrôle et d’infiltration.
Florian (PSI) : En voyant des lives sur le jeu, j’ai remarqué que les joueurs passaient beaucoup les tours. Cela entre-t-il en considération dans Wantless ? Quand on passe son tour dans un T-RPG, c’est soit qu’on a plus rien à faire, soit qu’on ne peut plus faire grand chose. Mais là j’avais l’impression que c’était des choix délibérés. Comment avez-vous mis en place cet équilibre ?
Théo Maudet : Il y a en effet cette fonctionnalité inhabituelle dans Wantless, où le joueur commence toujours en premier avec 8 points d’action. Tous les ennemis reçoivent un point d’action quand on en dépense un. J’avais envie de tester ça, et aussi le fait de ne contrôler qu’un seul personnage contre plusieurs, ce qui est rare dans le T-RPG. Finalement, la réciprocité des points d’action est devenue très importante pour équilibrer le fait d’être seul face au plusieurs, en donnant au joueur le contrôle du tempo. Là où dans d’autres jeux on peut se compenser entre personnages, dans Wantless il faut beaucoup plus contrôler ce que font les ennemis, ce qui donne ces petits tours, même si on n’encourage pas trop ça. On préfère encourager l’offensive, mais au début c’est parfois important de savoir faire des petits tours, effectivement.
Florian (PSI) : Comment a été déterminé l’équilibrage de ce seul contre tous ? Le public a pu trouver le jeu difficile.
Théo Maudet : Notre jeu était voulu comme difficile. Ceci étant dit, on a peut-être eu la main un peu lourde sur le début du jeu, c’est un retour qu’on a pu avoir.
Florian (PSI) : Cela a-t-il pu pénaliser Wantless à sa sortie, sur les questions d’accessibilité ?
Théo Maudet : Je ne pense pas. Ce qu’on observe via nos chiffres, c’est que les gens qui achètent le jeu y jouent vraiment. On a eu assez peu de reviews négatives, notamment portant sur la difficulté. Par contre il n’y a pas une véritable tendance d’achat sur le Steam du jeu : les gens ne semblent pas avoir envie de sauter le pas, ils wishlistent mais n’achètent pas. Donc je ne pense pas que ce soit la difficulté, c’est plus en amont encore.
Florian (PSI) : Revenons sur les histoires du jeu. Comment se manifestent-elles dans l’esprit des patients, et comment construit-on un scénario dans des phases générées de manière procédurale ?
Théo Maudet : Les patients générés procéduralement n’ont pas vraiment d’histoire. Ils ont un objectif et une petite phrase de lore et de contextualisation. Par contre on a un certain nombre de patients uniques, qui ont des histoires et que l’on croise plusieurs fois. Pour eux, on a écrit des histoires, et on a créé à la main leurs labyrinthes mentaux, leurs donjons. Il y a donc trois niveaux de narration : l’histoire principale, les patients uniques, et les patients procéduraux.
Florian (PSI) : Dans Wantless, on voit plusieurs décors qui agissent comme symboliques. Était-ce voulu de relier chaque décor à un état mental particulier ?
Théo Maudet : Il y a une notion de biome dans Wantless, il y en a 6 qui représentent 6 types d’esprits de patients. Chaque biome a ses thématiques, comme les twisted dreams, qui est associé à des patients ayant des problèmes avec l’addiction, la confiance en soi… D’autres biomes sont associés au deuil, aux pensées toxiques, à la colère, etc. Et pour les patients procéduraux, leurs biomes dépend de leur objectif.
Florian (PSI) : À propos des différents cas des patients, comment avez-vous différencié les mécaniques ayant trait aux différents problèmes mentaux rencontrés dans le jeu ?
Théo Maudet : On a vraiment essayé de reprendre des mécaniques classiques du RPG sur ce plan. L’idée était de personnaliser les éléments des différents biomes en fonction des détresses étudiées, donc que ce soit au niveau des noms, des combats, des dégâts. Tout est associé au lexique choisi. Par exemple, est-ce le regret empoisonne, ou fait-il autre chose ? Et cela a une influence sur les attaques et les dégâts choisis, les équipements, le loot, les types d’ennemis…
Florian (PSI) : Finissons notre interview par une question sur tes recommandations du moment dans le jeu vidéo. À quoi as-tu joué récemment et que voudrais-tu partager à notre lectorat ?
Théo Maudet : J’ai testé récemment le jeu « Silt », un petit jeu d’exploration sous-marine, avec une touche lovecraftienne et de puzzles. L’ambiance est vraiment sympa et je vous le conseille !
Florian (PSI) : Merci beaucoup Théo pour cette interview, et tous nos vœux de succès pour Wantless !
Théo Maudet : Merci à toi Florian et à PlayStation Inside, c’était un plaisir !