À la fin décembre 2020, Donald Reignoux a accepté d’accorder la première interview de PlayStation Inside. Voix de Peter Parker dans Marvel’s Spider-Man (2018) ou encore de Connor dans Detroit: Become Human (2018), Donald Reignoux est l’un des comédiens doubleurs les plus connus et les plus en vue en France.
Ce qui suit ci-dessous était censé être une interview classique mais s’est vite transformé, à notre plus grand plaisir, en une authentique conversation entre passionnés de jeu vidéo et de la marque PlayStation. Jérémy, Mérouan et Yacine, trois des co-fondateurs de PlayStation Inside, ont eu l’honneur de participer à cette discussion.
PlayStation Inside (PSI) : Nous nous sommes dit que nous allions commencer par Spider-Man, car c’est le plus gros jeu que vous ayez fait. On se demande souvent si le fait d’être une voix connue par des dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d’enfants en France, sans toutefois qu’ils puissent y apposer un visage, est un élément qui vous dérange ou qui au contraire vous plaît.
Donald Reignoux : C’est difficile de parler de Spider-Man sans dire que l’on n’a pas kiffé le rôle à 100%. C’est un cadeau d’avoir un rôle comme ça. Ça me va tellement bien, je m’éclate dans Spider-Man, je m’amuse beaucoup du début à la fin de l’enregistrement et je pense que cela se ressent dans le jeu, donc c’est un vrai kiff de doubler ce personnage.
PSI : Le fait de se dire que l’on pénètre des milliers de maisons sans que les gens ne savent qui leur parle s’ils ne se renseignent pas est donc quelque chose de peu important, auquel vous ne pensez pas ?
Donald Reignoux : Que les gens ne me connaissent pas moi, Donald Reignoux ? Ce n’est pas grave. Il est évident que c’est plus sympa quand le nom est au début du jeu, comme on a pu l’avoir sur God of War, et ça c’était un truc de fou. Maintenant, franchement, ce n’est pas grave que les gens ne me connaissent pas, car du coup ça marque l’inconscient. On le sait quand on joue à un jeu des dizaines d’heures qu’une voix marque. Après, qu’ils ne sachent pas qui je suis au début n’est pas grave, parce que, quelque part, ça laisse une trace, et je suis heureux que ce soit Spider-Man qui puisse le faire.
PSI : On sait que le milieu du doublage a pas mal évolué ces dernières années. On peut prendre l’exemple de Delsin (InFamous: Second Son) en 2014. De Delsin à Spider-Man quatre ans plus tard, quels ont été les changements concrets et les évolutions du métier du doublage de manière générale, et notamment en ce qui concerne les conditions (au niveau des images que vous avez)? Le tout a-t-il vraiment progressé en quatre, cinq ans ?
Donald Reignoux : En fait, InFamous a marqué le début d’une nouvelle façon de travailler, en tout cas chez Sony. On a commencé à avoir des cinématiques dans les jeux sur InFamous, ce qui a beaucoup aidé à avoir un doublage qui rendait vraiment bien, et où on comprenait vraiment ce qu’on jouait. Quand on est dans des fichiers dans le jeu par exemple, il n’y pas d’images parce que l’on se doute bien qu’une phrase peut surgir à n’importe quel moment dans un open-world. Sur les cinématiques cependant, InFamous a été le premier à les donner, nous permettant d’avoir un doublage qui collait vraiment à l’image, et ça a été une révélation pour moi.
Maintenant, cette pratique est partout. On a même les bandes rythmo (bande horizontale défilant au bas de l’écran et comportant le texte que doivent prononcer les acteurs faisant les voix des personnages ainsi que les sons qu’ils doivent reproduire, ndlr), c’est-à-dire la technique de doublage traditionnelle qui se superpose aux cinématiques pour vraiment avoir une synchronisation parfaite et ne plus juste se fier à la forme d’onde que l’on a sur le reste du jeu. Il y a donc eu un énorme bond en avant en ce qui concerne les cinématiques, et c’est très bien pour la qualité globale de la VF.
PSI : Notre nouvelle question rejoint vos propos de tout à l’heure sur God of War qui fait la part belle aux comédiens français, chose que l’on aimerait voir plus souvent. Ainsi, les conditions et la reconnaissance de votre activité varient-elles en fonction des PlayStation Studios, ou est-ce sans incidence directe d’un projet à l’autre ?
Donald Reignoux : C’est Sony qui chapeaute le tout, donc les conditions de travail sont les mêmes, partout avec la même minutie pour offrir une VF de qualité quelle que soit l’exclusivité Sony. C’est chez Sony que nous avons les meilleures VF ; quand on parle d’Uncharted par exemple, c’est tout de même du très lourd. The Last of Us: Part II est pour moi la meilleure VF jamais faite sur un jeu.
Par contre, la manière avec laquelle les développeurs intègrent la VF à l’image est à leur discrétion. Par exemple, Santa Monica a décidé de mettre Frédéric Soutrelle (Kratos), Fanny Bloc (Atreus) et le reste des comédiens de la VF dès le début en introduction. C’est le contraire sur Spider-Man, où Insomniac n’a pas crédité la VF, ni dans aucune autre localisation. Ce point est donc propre à chacun. La qualité d’enregistrement est la même, mais la manière dont un studio implémente sa localisation le concerne exclusivement.
PSI : D’accord, donc PlayStation n’a pas le contrôle total.
Donald Reignoux : Oui, pour le fait de mettre la VF au début, c’est clairement Santa Monica. Mais par contre, Sony chapeaute le tout pour le contrôle qualité de l’ensemble.
PSI : Nous allons vous parler d’un jeu qui nous a beaucoup marqués, à savoir Detroit: Become human. À l’époque, l’arborescence des choix nous avait fascinés, avec le fait de devoir rejouer plusieurs scènes similaires avec des émotions différentes. De ce fait, jouer ce genre de scènes a-t-il été un travail plus difficile qu’un doublage « classique » (comme sur Spider-Man, qui est une histoire linéaire) ? Est-ce plus complexe à imaginer, est-ce quelque chose qui vous plaît ?
Donald Reignoux : Le travail sur Detroit a été le meilleur travail de doublage auquel j’ai pu prendre part. Quantic Dream a tourné l’intégralité des scènes en motion-capture, donc je n’ai pas eu de cinématiques à doubler, mais je devais au contraire doubler directement à partir des vidéos de tournage de Bryan Dechart (acteur jouant Connor). C’est ainsi que j’ai doublé Bryan, comme un doublage traditionnel.
C’était très intéressant et je ne voyais pas les journées passer car j’avais l’impression de faire un doublage « normal » d’un film, et pas d’un jeu vidéo. C’était très stimulant pour moi de travailler directement là-dessus et de jouer Connor en robot, en un peu déviant, en totalement déviant… Pour un comédien, jouer une même scène avec des mots et des intentions différentes est une belle opportunité. C’était génial.
PSI : Avez-vous joué au jeu, et avez-vous essayé d’aller au bout de toutes les arborescences de Connor pour voir comment votre voix était utilisée ?
Donald Reignoux : J’ai joué au jeu, mais j’ai fait une seule arborescence, qui est celle qui me plaisait le plus quand j’enregistrais. Pour en aller au bout j’ai quand même fait beaucoup de reset intempestifs (rires), pour relancer le jeu et repartir de la dernière sauvegarde.
PSI : Vous deviez bien vous douter qu’un nouveau Spider-Man (Miles Morales) allait être développé. Comment avez-vous réagi quand on vous a annoncé qu’un « nouveau » Spider-Man aurait le premier rôle (même si c’est un stand-alone), et donc que vous n’auriez pas forcément le rôle principal ? N’avez-vous pas peur qu’Eilias Changuel finisse par prendre le relais sur le personnage (rires) ?
Donald Reignoux : Je ne sais pas de quoi le futur sera fait. Quand j’ai vu passer un nouveau Spider-Man à sa présentation (lors du showcase de Playstation en juin 2020, ndlr) et que j’ai appris que Miles Morales en était le personnage principal, j’ai pensé que c’était Spider-Man 2. J’ai été rassuré quand j’ai vu que c’était un stand-alone tiré de l’univers du premier (rires).
C’est Insomniac qui a les réponses, mais au début j’ai un peu flippé (rires). Et puis, la manière dont Peter Parker a été installé en tant que mentor, dans le sens « je te donne les clés de la ville mais je reviendrai », ne laisse pas augurer d’un départ définitif. On verra bien, je suis confiant, et puis j’était content de participer à Miles Morales tout au long de l’expérience.
PSI : Justement, en revenant sur Miles Morales, c’est un personnage qu’Insomniac Games a eu l’occasion de mettre en avant, un peu comme il l’a été dans le film d’animation de Sony (Into the Spiderverse). Ce geste permet de mettre en avant une communauté, si elle n’est pas sous-représentée, au moins mal représentée dans le jeu vidéo. Penses-tu qu’une voie a été ouverte vers un jeu vidéo plus diversifié en termes de personnages ?
Donald Reignoux : Je pense que la voie est déjà tracée depuis longtemps. Lara Croft (Tomb Raider) a pu montrer que les héros n’étaient pas tous des gros muscles avec des M16. C’est bien évidemment intelligent, mais cette voie-là n’a-t-elle pas été ouverte il y a longtemps ? Je ne sais pas. Mais oui, c’est sûr que c’est bien de voir la gestion de Miles Morales. C’est pour moi une suite logique de l’évolution des jeux vidéo. Quand on voit Horizon: Zero Dawn avec Aloy ou encore Ellie dans The Last of Us, ce sont déjà des pas dans la bonne direction.
PSI : D’ailleurs, vous avez fait des voix additionnelles sur The Last of Us: Part II. Pouvez-vous nous dire lesquelles ?
Donald Reignoux : Bien sûr, on en rigole souvent. C’est le garçon écuyer au début du jeu, qui donne le cheval. J’ai fait cela car le directeur artistique Jean-Philippe Brière, qui travaillait aussi sur Spider-Man, a vu que c’était Yuri Lowenthal (acteur de Spider-Man en 2018) qui faisait aussi un clin d’œil dans le jeu. Il m’a appelé pour faire le même clin d’œil pour la France.
PSI : Vous doublez à chaque fois Yuri Lowenthal ?
Donald Reignoux : Il faudrait que les directeurs artistiques soient au courant et veuillent le faire. Je les connais, il faudrait que je sois à chaque fois crédité comme sa voix française, car si ce n’est pas le cas, personne ne le saura (rires).
PSI : Nous revenons à Spider-Man. On se doute qu’Insomniac prépare une suite. Vous avez bien sûr l’air d’adorer ce personnage et son univers. Avez-vous, quand vous pensez à ce jeu et au travail de doublage qui suivra nous l’espérons, des éléments que vous voudriez retrouver et des nouveaux aspects que vous aimeriez travailler ?
Donald Reignoux : Pas spécialement en termes de travail. J’aimerais bien le retour d’Inspecteur Spider, ce serait pas mal (rires).
J’aimerais bien aussi retrouver des moments loufoques, comme quand j’ai fait la voix de Vulture dans Miles Morales, c’était drôle. C’est ce que j’aime dans le doublage de Spider-Man : c’est une licence de fou, et on se permet de dire des trucs de fou, de faire des références qui sont vraiment françaises, pour le public français. On me fait confiance, on me laisse faire des choses, et c’est toujours fun.
J’espère que le 2, s’il existe, sera du même acabit. Spider-Man est allé au bout de la traduction, de l’adaptation des vannes. C’est comparable à la VF de South Park, dans le sens où c’est drôle en VO comme en VF, car les blagues ne sont pas traduites au sens littéral, mais sont adaptées, pour assumer le côté français. Je ne sais pas si d’autres jeux ont été aussi loin dans les références. Une chose qui ne m’a pas été beaucoup remontée se trouve dans un des DLC où l’on parle du monochrome de Whiteman, ça montre à quel point les Inconnus influencent le monde.
PSI : Spider-Man est sorti depuis plus de deux ans. Avec le recul, quelle autocritique feriez-vous sur votre travail, que seriez-vous amené à changer si suite il y a ?
Donald Reignoux : Je me suis tellement amusé à faire Spider-Man. J’avais une seule crainte, c’était que ça fasse trop. On passe tellement de temps à enregistrer, on ne sait pas toujours où placer le curseur. Si on en fait trop, c’est raté. Je me rappelle de la VF de Sunset Overdrive qui en faisait trop. Du coup, je faisais vraiment attention à ne pas trop faire de bêtises. J’étais plus rassuré sur Miles Morales, plus confiant, plus régulier. C’est une remise en question permanente. S’il y a une suite, je me maintiendrais au niveau de la première production, pour offrir la même qualité.
PSI : Pourriez-vous nous citer un jeu que vous avez préféré en VO, et un autre en VF ?
Donald Reignoux : The Last of Us est excellent en VF. Pour la VO, c’est The Walking Dead, de Telltale. C’était limite une erreur de proposer une VF sur ce jeu. Je suis incapable de jouer à ce jeu en VF. Je recommande à tous ceux qui liront cet article de faire ce jeu, c’est un bijou. Je l’ai fait avec ma fille, on y a joué pendant des mois. La fin est incroyable, un vrai kiff.
PSI : Vous prêchez des convaincus. Recentrons le sujet sur la responsabilité des directeurs artistiques. Souhaiteriez-vous un jour avoir cette responsabilité de manière plus régulière (Donald Reignoux l’a déjà fait), ou le doublage vous suffit-il ?
Donald Reignoux : Je préfère rester comédien. Pourquoi pas accepter des directions, on m’a récemment proposé quelque chose que j’ai accepté, mais ce serait intermittent. Je ne me vois pas faire cela à plein temps. Le problème du métier, c’est que les gens ont très vite tendance à cataloguer les gens dans la catégorie de directeur artistique, et du coup à ne plus les appeler pour des jobs de comédien. Ils se disent qu’un DA n’est jamais libre, qu’il dirige, et je ne veux pas perdre mon côté comédien. Autant éviter cela et ne le faire qu’au cas par cas.
PSI : En dehors de votre travail de doublage, quelle est l’exclusivité PlayStation qui vous a le plus marqué sur PS4 ?
Donald Reignoux : Je dirais les Uncharted. La trilogie remasterisée est géniale, le 4 est incroyable, et j’ai beaucoup aimé le stand-alone (Lost Legacy). Aujourd’hui encore, qui peut dire que le 4 n’est pas beau ? Il met à l’amende la quasi totalité des jeux. Quand on pense aux difficultés de Cyberpunk 2077, voir ce qu’Uncharted 4 a été capable de faire en 2016 est fou.
PSI : Quel est votre avis sur la PS5 après ces quelques mois d’utilisation, et avez-vous des attentes particulières pour l’avenir ?
Donald Reignoux : C’était la manette DualSense qui m’intéressait le plus. J’ai toujours trouvé la DualShock 4 de la PS4 trop petite, et la taille de la DualSense est celle que j’attendais. Les vibrations et les gâchettes apportent beaucoup. C’est une super manette, même Phil Spencer l’a dit ! Je pense que la prochaine manette Elite de Xbox lui ressemblera curieusement (rires)… J’attendais aussi le son, en Atmos. Après, comme on est sur du cross-gen en ce moment, j’attends de voir pour le reste.
PSI : Avec ces nouvelles fonctionnalités, pensez-vous que la jouabilité de Spider-Man évoluera ?
Donald Reignoux : Oui, mais je pense que d’autres jeux le feront mieux. Gran Turismo 7 sera, je pense, la plus grosse vitrine de la DualSense en termes de feeling de jeu. Sur des jeux d’action-aventure ou en monde ouvert, c’est plus difficile, plus gadget. Je ne vois pas ce qui pourra être réellement réinventé sur Spider-Man. Sur Call of Duty, c’est une vraie évolution aussi, par exemple.
PSI : Vous êtes fan de Gran Turismo. Avez-vous des attentes particulières pour ce jeu, comme par exemple qu’il s’inspire de la franchise Forza sur Xbox, qui cartonne ?
Donald Reignoux : C’est vrai que je bosse avec Polyphony Digital depuis mai 2018. J’ai commenté toutes les courses des championnats du monde. Je m’éclate à le faire, le show pour l’e-sport est incroyable. Même durant les finales de 2020 en ligne, du matériel a été envoyé aux joueurs pour assurer la qualité des transmissions, un plateau réel a été fait pour la diffusion… Il y avait aussi des replays en caméra extérieur, qui étaient comme une cinématique. C’est l’e-sport à son apogée.
Mais Gran Turismo 7 doit garder cela tout en retrouvant sa formule d’antan, pour retrouver son public qui aime le solo. Ils vont marier le meilleur des mondes pour Gran Turismo 7, et d’après ce qu’ils ont montré, ils sont sur la bonne route. J’étais étonné que Gran Turismo ne fasse pas de démo pour la PS5 avec la DualSense, ça aurait été pertinent. C’est pareil pour Xbox, qui a fait une erreur en sortant sa console sans un nouveau Forza.
PlayStation Inside : Nous arrivons à la fin de notre conversation. Merci beaucoup de nous l’avoir accordée, c’était un super moment.
Donald Reignoux : Avec plaisir. Merci à vous, à bientôt !
Passionnant à lire comme à entendre l’inspecteur spider ! merci pour l’article.
Merci à toi l’ami !