Dans le courant du mois de juin, presque un an jour pour jour après la sortie de The Last of Us Part II, Adeline Chetail a accepté d’accorder la troisième interview de la jeune histoire de PlayStation Inside. Voix française d’Ellie dans les jeux The Last of Us, ainsi que de Zelda, Adeline Chetail accompagne nos vies de joueurs et même au-delà depuis des années, et cette mythique réplique de Forrest Gump : « Cours, Forrest ! ».
À l’image des conversations avec Donald Reignoux et Audrey Sourdive, l’interview avec Adeline Chetail s’est vite révélée être une discussion agréable, intelligente et fluide. Ce sont les rédacteurs Thomas Oh et Yacine Ouali qui ont eu l’honneur d’y participer (les questions seront parfois signées de leur nom lorsqu’elles sont vraiment personnelles), ainsi que la rédactrice Chloé Ciccolo qui a retranscrit le tout à l’écrit. Bonne lecture, et comme vous en avez désormais l’habitude, attention spoilers.
Note de la rédaction : Cette interview a été réalisée et publiée pour la première fois en juillet 2021. Le sujet de la série The Last of Us y est donc abordé, mais sans en connaître le déroulement vu qu’elle n’était pas encore sortie.
PlayStation Inside (PSI) : On voulait commencer par te demander comment tu te sentais par rapport à ce premier anniversaire de The Last of Us Part II, et si cette année a eu plus d’impact pour toi que la première année après le premier jeu en termes de notoriété et de reconnaissance par rapport à ton rôle d’Ellie ?
Adeline Chetail : Les deux sont très différents. Il n’y avait pas spécialement d’ « enjeux » pour le premier. Moi, dans ma tête, j’ai trouvé le scénario et le rôle d’Ellie incroyables et j’avais très envie de pousser ce rôle au maximum parce que je m’y suis énormément attachée. Pour le deuxième jeu, il y avait beaucoup plus de pression, je recevais des messages tous les jours. Le jour de la sortie a été aussi une délivrance parce que j’ai enfin pu m’exprimer. Enfin, peut-être pas le jour de la sortie, parce que j’ai dû attendre que les gens aient commencé à jouer au jeu et à découvrir le scénario, j’avais vraiment hâte d’avoir les retours des joueurs.
Alors que sur le premier, j’étais plus sereine. J’ai regardé le jeu parce qu’évidemment je l’avais aimé et j’ai voulu le redécouvrir, mais il n’y avait pas cette attente de la réaction des gens. Après, en termes de notoriété, je ne sais pas trop si cela a changé quelque chose puisque de toute façon ça a été une année un peu bizarre. Je n’ai pas eu l’occasion de faire des conventions, pas eu la chance d’aller à la rencontre de « mon public ». Donc pour l’instant je n’ai pas trop de retours mais je pense que The Last of Us Part II a marqué ma carrière et la marquera à tout jamais.
PSI : C’est vrai qu’il nous a tous marqués. On a eu des débats très intenses dans la rédaction, parce qu’on a tous un avis différent sur le jeu. Maintenant que ça fait un an, on a un peu relancé le débat ces derniers temps sur Ellie, Abby, Joel, etc. Tu imagines de quoi nous avons pu débattre et c’est pour ça qu’on voulait te poser cette question, parce qu’en y pensant ça donne juste envie de le refaire.
Adeline Chetail : C’est ça qui est intéressant. Ce que je trouve intéressant sur ce jeu, c’est qu’on est forcément interpellé d’une manière ou d’une autre et on a des interprétations très différentes, des ressentis très différents. Ça pousse les gens à avoir des débats, à discuter. Et je pense que c’est exactement le but, finalement. Le but n’est pas que tout le monde soit d’accord sur le scénario, sur l’histoire ou les personnages, mais que ça nous interpelle et nous fasse réfléchir et réagir.
PSI : Outre The Last of Us, quels sont les titres dont tu aimerais qu’on te parle plus ? En ce qui nous concerne, nous te connaissons surtout pour ton interprétation d’Ellie. Mais nous savons que tu as aussi interprété Zelda, et ta carrière est longue comme le bras. Quels sont donc les rôles dont tu préfères qu’on te parle dans ta carrière, que ce soit dans le jeu vidéo ou dans le cinéma ?
Adeline Chetail : Je n’ai pas spécialement de rôles sur lesquels je préfère échanger mais je peux citer les rôles qui ont, à mon sens, marqué ma vie et ma carrière. Il y a, évidemment, le tout début avec la petite phrase dans Bambi. Il n’y a pas grand chose à en dire, c’est une petite phrase.
Il y a eu Forrest Gump qui, évidemment, est une pierre angulaire de ma carrière puisque c’est une phrase qui est devenue culte. Il y a un affect particulier à ce film aussi, beaucoup de souvenirs qui sont liés à lui. Une double lecture aussi, puisqu’à l’époque, je n’avais pas conscience de ce qui se passait réellement dans le film. Le personnage de Jenny enfant est une petite fille qui est abusée par son père. Et à cette époque-là, je ne comprenais pas ce que cela signifiait. Heureusement que je ne pouvais pas comprendre !
Donc il y a une double lecture. Plus âgée, quand j’ai revu le film, je me suis dit « ah ok, je comprends pourquoi ça a été si difficile pour moi de doubler cette scène en particulier », puisque la directrice artistique me disait « il faut que tu aies plus peur, plus peur, plus peur ». Et je m’étais énervée, intérieurement, de ne pas réussir tout de suite à faire cette scène, de ne pas comprendre. Moi, j’ai toujours aimé, dans mon métier, comprendre tout de suite l’émotion du personnage pour pouvoir la retranscrire. Donc quand je me retrouve face à un truc où je bute un peu, parce que je ne trouve pas ce sentiment, même à 7 ans… Et du coup quand j’ai revu le film, j’ai compris pourquoi je ne pouvais pas comprendre. Et comme évènement marquant il y a aussi… il y a plein de choses !
PSI : Rien ne presse.
Adeline Chetail : J’essaye de faire dans l’ordre chronologique. Il y a Ma Famille d’Abord, ça a été ma première série sitcom. Où là aussi, c’est lié à des difficultés parfois, parce que les enregistrements de cette sitcom n’étaient pas si faciles pour moi. J’avais 15 ans et je n’étais pas encore habituée à cette façon de jouer la comédie. Je me retrouvais donc parfois en dessous de mon personnage, donc je refaisais beaucoup mes scènes. Et puis au fur et à mesure, j’ai pris cette habitude et ça allait de mieux en mieux. Je pense que cette série a été extrêmement formatrice pour moi, professionnellement parlant.
Ensuite il y a Kiki La Petite Sorcière, donc là j’avais 17 ans. C’est mon entrée dans le monde des studios Ghibli, et même si ça n’a pas été mon film préféré à doubler, j’en ai quand même une affection particulière puisque c’est le tout premier que j’ai fait. Premier d’une série assez longue. J’ai toujours été honorée et plutôt étonnée d’être rappelée pour les castings à chaque fois.
Il y a eu Nausicaä qui a suivi quelques années plus tard, qui a été très marquant dans ma vie. Nausicaä, c’est pour moi le moment où j’ai commencé à accéder à des rôles plus adultes. J’avais peur de ça dans ma carrière, peur de ne faire que des rôles d’enfants, que des rôles de petites filles parce que j’ai toujours eu une voix jeune. Et la possibilité d’interpréter des petites jeunes, aujourd’hui je le fais encore, mais je suis contente de ne pas faire que ça. Mon but dans cette histoire, c’est de faire des rôles différents tout le temps.
Il y a la série Wakfu qui est aussi quelque chose de particulier, car c’est de la création française. Donc il y a des souvenirs avec une équipe, il y a plein de rigolades (rires), voilà, c’était sympa. Il y a des amis aussi. J’ai rencontré Geneviève Doang (interprète française de Ciri dans The Witcher 3: Wild Hunt) grâce à cette série et c’est devenue une amie.
Ensuite… Il y a High School Musical, qui est une saga passée dans l’histoire quand même.
Yacine Ouali (rédacteur) : Ah oui ! Mes sœurs regardent ça encore (rires) !
Adeline Chetail : Tu vois c’est marrant, car pour moi c’est marquant parce que c’est ma rencontre avec Vanessa Hudgens. Je l’avais déjà doublée auparavant mais c’est là que j’ai commencé à avoir un lien particulier avec elle ; et puis grâce à High School Musical, je l’ai toujours doublée dans tous ses autres films. Pour moi, High School Musical est en soi plus marquant par les rencontres, celle avec Yoann Sover (Troy Bolton dans la saga) par exemple, dans les délires qu’on a eus autour de ces trois opus. On a eu un lien d’équipe assez fort. Mais je ne suis pas marquée par le rôle. Le rôle de Gabriella n’est pas, pour moi, un rôle hyper marquant puisqu’elle est somme toute assez « lisse ».
Thomas (rédacteur) : Oui, tu ne rentres pas encore dans l’émotion.
Adeline Chetail : Voilà. C’est à dire que ce qui m’intéresse, ce sont des rôles où il y a des choses à jouer et à défendre. Donc là… Bon, ça reste quand même un évènement marquant de ma carrière parce qu’il y a un retour du public là-dessus, encore aujourd’hui avec les petites sœurs de Yacine qui regardent tout le temps. Hier j’ai rencontré des personnes adultes qui m’ont dit que ça a marqué leur génération, que ça a marqué leur enfance, donc il y a un lien très fort qui s’est créé avec les gens grâce à ça.
Et puis là, on rentre dans le vif du sujet avec les rôles principaux les plus importants de ces dernières années, qui sont des rôles de jeux vidéo, avec Zelda et Ellie. Et bon… Je ne dis même pas pourquoi j’ai aimé ce rôle ! C’est évident (rires).
PSI : On voulait d’ailleurs savoir si parfois tu n’en n’avais pas un peu marre qu’on se focalise sur Ellie et peut-être pas sur d’autres rôles.
Adeline Chetail : Non, pas du tout.
PSI : C’est marrant ce que tu dis parce que, il y a quelques mois, on avait interviewé Audrey Sourdive qui a doublé Abby dans The Last of Us Part II. Elle nous avait dit un peu la même chose, comme quoi elle avait eu du mal à passer des rôles de jeunes filles, à cause de sa voix, à des rôles beaucoup plus complexes et importants. Et c’est intéressant parce qu’il y a un parallèle, en plus de celui entre Ellie et Abby, entre ce que vous nous dites. Mais justement, en parlant des autres rôles que tu as faits : tu as interprété Arana dans Horizon Zero Dawn, tu as même interprété Matilda de Vermentino dans The Witcher 3: Wild Hunt.
Adeline Chetail : Alors je suis désolée mais je ne sais pas qui est Arana, je ne m’en rappelle pas (rires) !
PSI : Arana est un petit personnage dans Horizon Zero Dawn, au début du jeu, quand on n’est pas encore sorti de la première grande zone.
Adeline Chetail : C’est une petite fille ?
PSI : Oui, c’est une petite fille. On doit retrouver ses parents.
Adeline Chetail : Oui, ça y est, je m’en rappelle ! Mais tu vois, pour moi, ce n’est pas du tout marquant (rires).
PSI : C’est pour ça qu’on voulait te poser la question. On voulait savoir justement si tu te plaisais dans ces rôles un peu plus confidentiels, comme dans The Witcher 3: Wild Hunt – Blood and Wine où on peut ne pas forcément te reconnaître si on ne prête pas vraiment attention.
Adeline Chetail : C’est quoi déjà ça ?
PSI : C’est le DLC de The Witcher 3, tu joues la propriétaire du domaine que le personnage principal va acheter.
Adeline Chetail : Je ne m’en rappelle même pas vraiment (rires). En fait ça me rappelle quelque chose, très vaguement. Je ne me souviens pas de quand j’ai fait ça. Mais oui, je travaille tous les jours et je ne fais pas des rôles super importants tout le temps. Donc forcément, il y a plein de trucs qui passent et c’est toujours le piège quand je me retrouve en interview et que des gens me disent « oui, tu as fait ci, tu as fait ça » parce que pour eux, ce sont des licences importantes, ce sont des choses qui les ont marqués, alors que je n’y ai fait qu’un tout petit passage, sans nécessairement voir que c’est quelque chose qui peut être marquant. Après, quand on m’en reparle plusieurs fois, au bout d’un moment je m’en rappelle (rires).
Mais c’est pareil quand je vous ai cité les éléments marquants, j’ai oublié plein de trucs. Il y a plein de films que j’ai adoré faire avec des rôles très forts, très marquants. Je me rappelle de Thirteen, par exemple. Je me rappelle de Corrina Corrina… En fait il y en a beaucoup. Donc forcément j’ai à l’esprit ceux dont on me parle le plus et en même temps ceux qui m’ont marqué aussi, mais il y a plein de petits trucs partout. C’est vrai que c’est un peu compliqué après de se rappeler de tout ça.
PSI : C’était justement notre question: ça te plaît de faire des petits passages à droite et à gauche ?
Adeline Chetail : Oui, et au-delà du fait que ça me plaise, c’est vraiment purement et simplement mon métier. Mon métier n’est pas forcément d’arriver et de faire des gros castings et des grosses licences, sinon je ne travaillerais pas énormément.
PSI : Oui, on imagine qu’il y a beaucoup de commandes.
Adeline Chetail : Exactement, tu peux faire des voix dans pleins de trucs partout. Toutes les plateformes aujourd’hui, Netflix, Amazon, etc., ça n’arrête pas. Et je ne peux pas tout le temps faire les rôles les plus importants, il faut que tout le monde puisse en faire ! Parfois je fais des petits trucs et c’est super. J’avais fait le « pedestrian 7 » dans Watch_dogs. J’ai eu douze heures d’enregistrement quand même, avec ce petit personnage. Parce que, comme c’est un monde ouvert, il fallait faire tous les gens qui parlent dans la rue, qui ont des petites interventions, donc j’ai fait plusieurs sessions d’enregistrement pour faire mon « pedestrian » mais ce n’est pas du tout marquant.
Mais c’est mon métier de répondre à toute demande, et souvent les gens font une espèce de confusion, et c’est normal, entre le métier d’acteur face caméra et celui de « voix off ». En fait, on pense, à tort, qu’on reçoit des scénarios, qu’on sélectionne, qu’on valide les castings et qu’on devient de plus en plus connu, et que tout ça fonctionne de la même manière. Or ce n’est pas du tout ça. Nous, on nous appelle, et dès qu’on nous appelle et qu’on est disponible, on va travailler, et on ne sait pas sur quoi on va travailler.
PSI : Tu peux donc tomber sur des rôles qui ne vont pas te convenir ? Comment ça se passe dans ces cas-là ?
Adeline Chetail : Je le fais.
PSI : Même si ça ne te plaît pas ?
Adeline Chetail : Pour qui je passe si j’arrive et si je dis « oh j’aime pas trop le personnage, je la trouve pas très cool, elle fait des trucs pas bien, moi ça me va pas donc je me casse », en laissant tomber la production ? Ce n’est pas envisageable.
Après, si c’est quelque chose de tendancieux, là on me prévient évidemment. On m’appelle et on me demande si je suis OK pour le faire. J’ai une anecdote comme ça : un ami qui m’a appelée pour doubler un film où il y avait une représentation du prophète Mahomet. On m’a demandé si je voulais bien le faire et, si c’était le cas, si je voulais mettre un pseudo. Donc s’il y a un risque sur des personnages qui peuvent diviser, on t’appelle pour te prévenir.
Si on fait un film sur Hitler et qu’on appelle un comédien pour l’interpréter, évidemment qu’on va le prévenir avant et qu’on va lui demander s’il est OK. Mais sinon, de manière générale, c’est assez rare de trouver des rôles aussi compliqués. Donc non, on ne me prévient pas tout le temps. On me prévient, peut-être, si ce sont des sessions jeux vidéo et où ça crie beaucoup. Si c’est un jeu de guerre et qu’il faut énormément hurler, on va me poser la question : « est-ce que t’es capable ? », « est-ce que ta voix se casse ? », « est-ce que tu peux enchainer trois heures de hurlements ou est-ce que c’est compliqué ? ». Là, oui, on va me poser la question de savoir si je suis OK pour le faire.
PSI : De ce fait, considères-tu cela comme une passion ou en sens-tu tout de même parfois le côté un peu « bête et méchant », où il faut se lever le matin et faire des doublages parce que c’est un métier ?
Adeline Chetail : Je dirais un peu entre les deux, parce que je ne suis pas particulièrement fan de doublage. Je sais qu’aujourd’hui il y a des personnes qui commencent ce métier en étant, au départ, fans de doublage. C’est-à-dire qu’ils s’intéressent vraiment à ce milieu-là, ça les passionne, et quand ils viennent enregistrer pour les premières fois, ils vont être impressionnés, ils vont être heureux, ils vont se dire « oh la la, j’enregistre avec telle personne »…
Bon, ça c’était avant le Covid, parce que maintenant on enregistre tout seul ! Mais il va y avoir cet émerveillement que, personnellement, je n’ai jamais eu parce que j’ai commencé à une époque où le doublage n’était pas du tout connu, ni reconnu, ni accepté dans le milieu des comédiens. Quand je passais des castings pour des films, mon agent me demandait de ne pas dire que je faisais de la synchro, parce que ça pouvait porter préjudice. Donc c’est une époque complètement différente.
PSI : Le jeu vidéo a dû apporter beaucoup de choses aussi.
Adeline Chetail : C’est un tout. Les stars qui ont commencé à faire du doublage ont beaucoup apporté, les making off de tous ces films d’animations aussi…
Yacine Ouali (rédacteur) : Ah j’adore les making off de Pixar où ils font des bêtisiers alors que ce sont des dessins animés. C’est génial !
Adeline Chetail : C’est ça, c’est génial ! Et donc tout ça, ça a apporté de la lumière et maintenant tout le monde veut faire du doublage. Hier, j’ai rencontré Baptiste Lecaplain, qui est acteur, qui veut faire du doublage. Du coup tout ça est vraiment différent de l’époque où j’ai commencé, quand on ne savait pas ce qu’était ce métier. Quand j’expliquais à mes copains que je faisais du doublage de voix, ils étaient en mode « mais ils parlent français dans les films, je comprends pas » (rires).
Aujourd’hui, quand je dis que je fais du doublage de voix, tout le monde sait ce que ça signifie. Donc maintenant c’est complètement différent. Mais je ne suis plus impressionnée, parce que j’ai 25 ans de carrière et que c’est devenu un peu naturel pour moi. Par contre à un aucun moment, le matin, je me dis « je vais travailler comme tous les jours », parce que ce n’est pas le matin que je travaille (rires), parce que c’est toujours changeant : on ne va pas aux mêmes endroits, on ne travaille pas avec les mêmes personnes. Moi c’est ce qui me motive : que ce soit tout le temps différent. Et parce que je m’estime toujours extrêmement chanceuse de faire un métier que j’aime et dans lequel je m’épanouis.
La passion est d’interpréter les rôles. La passion est d’avoir des challenge, de faire quelque chose de différent à chaque fois, de devoir modifier un peu ma voix, aller chercher des choses dans ma personnalité qui n’existent pas, comme avec Ellie. Ellie et moi, on n’a rien à voir, je n’ai aucun point commun avec elle. Mais justement, aller chercher ses émotions à elle, aller à sa rencontre et endosser sa peau a été, pour moi, un des moments les plus merveilleux de toute ma vie et de toute ma carrière.
PSI : Par rapport à ce que tu disais sur la variété des personnages que tu interprètes, comment abordes-tu les sessions de doublage ? On imagine bien qu’entre un solo narratif et un jeu d’aventure ou un jeu de guerre, tout doit être complètement différent. La manière d’écrire les lignes de dialogue est différente et ta manière de doubler doit l’être aussi, que ce soit dans la façon de s’immerger, tout le travail que tu fais en amont…
Adeline Chetail : En fait il n’y a pas de travail en amont. Il y en a très peu, c’est très rare. Voilà, on arrive, on nous balance dans le truc et il faut y aller. C’est cette spontanéité et cette immédiateté qui est intéressante aussi, puisque pour un acteur c’est très intéressant de ne plus avoir ce temps de réflexion et de vraiment se lancer tout de suite dedans, sachant que le rôle a déjà été doublé généralement. Enfin, la voix originale est là et l’acteur a déjà évolué dans son environnement et a déjà fait son tournage, donc on n’a plus qu’à suivre et à copier, quelque part.
Mais il n’y a pas de réflexion, justement. En fait, ce qui se passe dans ma tête est quelque chose qui se fait hyper naturellement. Je vois un personnage, on me dit « voilà, il se passe ça dans la scène ». Admettons que c’est une scène où deux personnes se disputent et on me dit « toi, tu fais une nana qui est là, elle est très jalouse, elle va être énervée et elle va dire des trucs horribles à son mec ». Bah go.
PSI : C’est ça qui impressionne, le fait d’avoir une qualité d’interprétation alors que, trente secondes avant, on ne sait pas quand on doit crier ou dire des choses…
Adeline Chetail : Oui, mais par contre on ne le fait pas sans aucun support. La scène, on la regarde, on s’en imprègne, on voit ce qu’il se passe et… Moi, j’enregistre et j’absorbe les émotions. J’enregistre dans ma tête qu’à tel moment elle parle un peu plus fort ou qu’elle est un peu plus énervée parce qu’elle doit ressentir ça. Parce que ça provoque ça en elle. Donc je vais trouver les mêmes déclencheurs. Et ça se fait d’une manière pas forcément réfléchie puisque c’est en quelques secondes, mais je pense que je cherche des points d’accroche qui vont me faire réagir émotionnellement.
PSI : À mi-chemin entre la mécanique et l’émotion ?
Adeline Chetail : L’habitude mécanique va être sur les repères techniques, puisque quand je vais regarder une scène, je vais toujours repérer techniquement les éléments. Je suis en train d’absorber l’émotion et puis en même temps je vais repérer les moments où ça respire, les moments où il y a peut-être une interjection, les moments où ça parle plus ou moins fort. Je vois le texte défiler en même temps et je me dis « ah là, il faudra que je fasse attention parce que ça va être un peu court, un peu long, etc. ». Donc forcément, c’est une sur-analyse rapide et ensuite il faut recracher de la manière la plus parfaite tout ce qu’on a essayé d’enregistrer. C’est compliqué mais ça s’apprend.
PSI : As-tu déjà fini des scènes en pleurs ?
Adeline Chetail : À chaque scène de pleurs, oui. Si mon personnage pleure, je pleure. Je ne pourrais pas expliquer comment ça se passe. Il peut arriver que ce soit des faux pleurs, mais c’est assez rare. En tout cas ces dernières années, ou ces derniers mois en tout cas, à chaque fois que j’ai eu des scènes de pleurs, j’ai pleuré. Je ne fais pas exprès, je rentre dans le truc, je suis emphatique face à la souffrance de la personne que je vois pleurer et ça me fait pleurer parce que je me mets complètement à sa place.
PSI : Dans ces cas-là, quel est exactement le rôle du directeur artistique ?
Adeline Chetail : C’est quelqu’un qui me guide constamment. On est généralement trois en studio depuis la crise sanitaire, donc le comédien, un directeur artistique et un ingénieur du son. La direction artistique va être vraiment sur les points comme « là ça doit être plus intense, là non, ça l’est trop », ça va être de nous expliquer le personnage, trouver les mots pour que je trouve mon émotion parfois, et surveiller que tout est raccord entre l’original et la version française, que tout est similaire puisque notre métier est de faire honneur à la version originale.
Il faut faire en sorte que ce soit le plus fidèle possible. Si tu passes de la VO à la VF, il ne faut pas que tu sois complètement déstabilisé. C’est ça pour moi leur boulot. Et puis l’ingénieur du son est là pour vérifier que, techniquement, la prise de son soit bien, que lorsque notre personnage est en extérieur en train de courir, ce soit suffisamment projeté au niveau du son, suffisamment raccord avec la VO, que tout soit synchro quoi. Il y a beaucoup de boulot pour ces deux personnes-là !
Thomas (rédacteur) : L’art, selon moi, est là pour laisser une trace du passé, pour nous rendre meilleur. Dans ce sens, The Last of Us Part II est un chef d’œuvre parce qu’il a vocation à remettre en perspective pas mal de choses. C’est philosophique, ça remet en cause le bien et le mal, la vengeance, l’amour, etc. Quand tu as revu le titre, est-ce que ce jeu t’a fait évoluer humainement sur certains points ?
Yacine Ouali (rédacteur) : C’est vrai que les scénaristes ont une manière de montrer que l’amour, qui est la plus belle chose du monde, peut parfois faire faire les pires choses, sans qu’on le regrette. Par exemple ce que Joel fait, sacrifier l’humanité pour une seule âme. Et d’ailleurs il y a cette réplique déchirante qui est : « Si on me donnait une chance de revenir en arrière à ce moment précis, je le referais sans hésitation ». On voulait donc te demander ton ressenti sur tout ça, sur la manière dont le jeu t’a fait évoluer philosophiquement, humainement.
Adeline Chetail : Je suis désolée mais non, ce n’est pas arrivé. J’ai une nature très tolérante et de manière générale, mon point de vue est de dire qu’il y a toujours une autre version. Et quand quelqu’un fait quelque chose d’horrible, pour moi, il y a toujours une raison qui lui est propre et qui l’amène à ce point-là. Une raison qui n’est pas forcément valable ni excusable, mais une raison qui pousse parfois les gens dans leurs retranchements. Donc c’est cette philosophie-là que nous apprend le jeu, je pense… Parce que c’est le but de ce scénario pour moi, de nous dire « oui, tu vas détester quelqu’un », « oui, tu vas vouloir te venger », mais cette personne a peut-être agi pour une raison. Et c’est là où le jeu m’a appris quelque chose qui n’a jamais été fait : il retourne le joueur. Tu es complètement retourné.
Quand j’ai découvert ce scénario, quand j’ai enregistré, je n’avais pas que ça à l’esprit. Dans mon esprit, je ne me disais pas « qu’est-ce que ça m’apprend ? » mais plutôt « mon Dieu, les gens vont péter un boulon. Il y a des gens qui vont vraiment vivre une expérience très intense. », et je ne pensais qu’à ça.
D’un point de vue très personnel sur le personnage d’Ellie, justement j’ai eu un travail à faire, et je m’en suis rendue compte d’autant plus quand j’ai enregistré les podcasts, avec notamment une interview d’Ashley Johnson qui est l’actrice qui a joué Ellie : elle explique qu’elle est une personne qui est très en colère, qu’elle a une colère en elle, et qu’elle a utilisé cette colère pour jouer Ellie. Ce n’est pas mon cas, je n’ai pas de colère en moi. J’ai plus tendance à toujours tempérer les choses et du coup, ce que ça m’a apporté et là où il y a eu quelque chose d’intéressant pour moi en tant que comédienne et en tant qu’humaine, c’est que je suis allée chercher des émotions et des sentiments que je ne connais absolument pas. Le sentiment de vouloir tuer quelqu’un pour se venger, d’en vouloir tellement à quelqu’un, d’avoir une colère ingérable à ce point, comme Ashley Johnson l’a expliqué, moi j’ai dû le créer de toutes pièces et ça a été hyper intense. Ça a été aussi bénéfique puisque ça fait sortir des choses. Quand on refoule, c’est compliqué parfois. Et moi, d’un point de vue personnel, c’est ce que m’apporte mon métier. Mon métier est un exutoire total.
Si je suis si zen, c’est que parfois je fais des sessions de Call of Duty à hurler des trucs et ça fait beaucoup de bien (rires). Quand j’enregistre des jeux de guerre, ça expulse quelque chose aussi, ça expulse une violence et beaucoup de choses. Mais c’est vrai que sur The Last of Us moi, personnellement, je n’ai pas ressenti de révélation, j’ai simplement eu une admiration sans borne pour la création de ce scénario, pour Neil Druckmann et toute son équipe. Pour toutes ces personnes qui ont travaillé pour offrir quelque chose d’aussi abouti, d’aussi précis et surtout d’aussi surprenant. Pour moi c’est quelque chose qui n’existait nulle part ailleurs et je trouvais ça intéressant d’amener le joueur à faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire.
Yacine Ouali (rédacteur) : Pour le coup oui, j’avais envie de ne rien faire !
Adeline Chetail : Bah oui, et c’est ça qui est hyper intéressant. Moi je me disais alors « mais quelle chance j’ai d’être dans ce projet » ! J’ai vraiment beaucoup d’admiration pour ce type de scénario et, évidemment, dans ma vie, j’aurais adoré le faire : amener les gens à réfléchir, amener les gens à se poser des questions, c’est vraiment le truc ultime pour moi, le plus fort. Mais bon là, je ne suis pas la créatrice, je ne suis qu’un vaisseau. Ma pression était de vouloir emmener les gens dans cette histoire et interpréter mon personnage au plus fort, au plus haut niveau de précision pour ne pas faire décrocher les spectateurs, pour rester dans l’immersion totale. J’étais dans cette précision-là, donc je n’ai pas forcément eu le temps d’avoir ces révélations et surtout j’étais dans une concentration maximale tout le temps pour être la plus « parfaite » possible.
C’est la même chose que sur Zelda. Zelda, la première chose que j’ai demandé quand le jeu est sorti, quand les gens sont arrivés à une fameuse scène de pleurs, justement, je demandais « est-ce que vous avez pleuré ? ». Si vous avez pleuré, j’ai réussi.
PSI : Justement, sur The Last of Us Part II, tu parlais du message qui était très fort avec toutes ces dimensions philosophiques et psychologiques. Dans le 2 par rapport au premier, on a un scénario qui est bien plus éclaté et élargi, qui ne se concentre pas seulement sur les relations interpersonnelles. Alors que dans le 1 il n’y a quasiment que Joel et Ellie, dans le 2 il y a une dimension politique, on se rend compte que les vengeances d’Ellie et Abby sont un peu futiles dans un monde qui est en train de se battre pour la possession de Seattle, pour trouver un vaccin, etc. Est-ce que ça t’a convenu, cette manière d’aborder un scénario qui était totalement différente et à la dimension beaucoup plus large, ou est-ce que tu aurais préféré que le 2 reste un peu comme le 1 ?
Adeline Chetail : Je pense que je n’avais pas trop mon mot à dire (rires).
J’ai découvert le scénario du 2 au fur et à mesure que j’enregistrais mes sessions et j’ai trouvé ça génial. Dans le 1 ce n’est pas si… Enfin, je ne suis pas d’accord avec vous. Je trouve qu’on n’est pas que sur Joel et Ellie. Alors oui, le nœud du scénario est sur leur relation, puisque c’est ce qui va entraîner le choix de Joel, qui est un choix terrible. Et d’ailleurs c’est toute sa construction de personnage aussi : c’est un mercenaire, c’est quelqu’un qui s’est battu toute sa vie et qui a l’habitude de tuer, comme ce docteur qu’il tue au lieu de juste l’assommer.
Thomas (rédacteur) : Il n’y aurait pas eu de 2 sinon.
Adeline Chetail : Il y aurait eu autre chose, parce qu’il a tué des gens dans sa vie. Il a fait des choses vraiment horribles. D’ailleurs c’est ce qu’elle dit, je ne sais pas si vous vous rappelez la bande annonce du premier. Dans la bande annonce du premier il y a une voix off d’Ellie qui dit « Joel a fait des choses terribles », c’est la première phrase.
Mais d’accord, on se focalise sur eux, mais en réalité on a un échantillon de plein de choses : on rencontre les chasseurs, on entend parler des Lucioles déjà, on sait qu’il y a un enjeu qui est beaucoup plus grand, on sait pourquoi Ellie est transportée et que cet enjeu est gigantesque, on se balade suffisamment pour voir ce qu’il se passe dans ce monde-là, qu’il y a du cannibalisme, qu’il y a des choses horribles qui se passent. On a un petit aperçu et dans le 2, évidemment, on dézoome encore et c’est super, il le fallait, parce que tout a été mis en place dans le premier. Pour moi c’est totalement logique.
Je n’aurais pas aimé, j’aurais été déçue, si on n’avait été focalisé que sur eux deux. Là, la manière dont ils ont tourné tout ça plus la dimension géopolitique, c’est vraiment intéressant et c’est ce qu’il fallait faire, à mon sens.
Yacine Ouali (rédacteur) : Je suis d’accord avec toi. C’est justement cette manière d’avoir des enjeux beaucoup plus larges qui m’a permis de rester investi dans le jeu et je suis complètement d’accord quand tu dis que rester concentré sur eux deux aurait été un peu plus classique, et vu et revu encore.
Adeline Chetail : Ça aurait voulu dire « ok on a sorti un truc, ça a bien marché, c’est la même recette ». Et c’est là que j’admire Neil Druckmann, pour ne pas avoir cédé à cette facilité-là. Et Naughty Dog surtout. En fait voilà, c’est trop facile aujourd’hui de faire ça donc tant mieux qu’ils ne l’aient pas fait.
Et en même temps, ça répond aussi à une certaine demande. Au fond, quand le 2 a été annoncé, il y avait beaucoup de gens qui n’avaient qu’une envie : de retourner avec Ellie et Joel et refaire un truc similaire, sur la route, voilà. Donc je pense que les scénaristes, les productions aussi, se plient un petit peu aux demandes et aux envies des gens, et j’ai l’impression que les gens n’ont pas forcément envie que les choses changent. Donc là ça a été une claque pour tout le monde parce que justement ça allait totalement à l’encontre de ce que les gens voulaient.
PSI : Ils ont trahi leur audience.
Adeline Chetail : Oui, mais ils l’ont fait d’une manière tellement belle, tellement bien faite, qu’on s’est laissé embarquer et surprendre. Alors oui, il y a des gens qui n’étaient vraiment pas contents et qui n’ont pas voulu… Voilà, j’ai entendu parler d’une pétition…
Yacine Ouali (rédacteur) : Pour l’anecdote, quand on s’est entretenus avec Audrey Sourdive, elle nous a dit que par exemple, à la fin, si on lui avait donné le choix, elle aurait fait la même chose. C’est-à-dire que Ellie aurait laissé vivre Abby et qu’Abby serait partie. Ce qu’elle nous a dit, c’est qu’à un moment donné elle s’est rendue compte que le personnage qui avait le plus de cohérence émotionnelle était Abby, parce que tout ce qu’elle faisait était quand même justifié, et que la vengeance d’Ellie devenait futile à partir du moment où elle apprend pourquoi Joel l’a épargné.
En parallèle du coup avec l’interview d’Audrey, parce qu’on n’arrête pas de vous mettre en parallèle forcément, aurais-tu fait le même choix à la fin ? Est-ce que tu ressens aussi une futilité dans toute la trajectoire de vengeance d’Ellie, ou est-ce qu’au contraire tu trouves qu’il y a certaines raisons plutôt valables pour elle de faire tout ça ?
Adeline Chetail : Non, ce n’est pas du tout justifié. En fait j’ai abordé Ellie, au départ et jusqu’à la fin, comme le personnage qui sombre du côté obscur. Pour moi, Ellie devient l’antagoniste. Ellie devient la méchante. C’est comme ça que je l’ai vu, et il y a un moment clé où il y a le « meurtre »… Enfin, il y a plusieurs moments où on se dit « ok ça c’est trop loin » et à chaque fois ça va encore plus loin. Et bien sûr qu’elle aurait dû arrêter bien avant. Et je ne peux pas être en accord, personnellement, avec ses choix à elle. Mais quand je les ai interprétés et quand j’ai joué les scènes, j’étais évidemment à 100% dans son point de vue et je ne me suis pas posé de question sur « est-ce que c’est bien ? » ou « est-ce que c’est mal ?». J’étais Ellie.
PSI : D’autant plus qu’Ellie n’a connu que ce monde apocalyptique. Elle n’a pas connu le monde que nous connaissons.
Adeline Chetail : Non, elle n’a pas connu ce monde-là. Et puis on connait son parcours, on sait ce qui lui est arrivé, on sait aussi combien Joel est devenu une personne importante pour elle, même si elle a très mal vécu le fait de ne pas avoir été sacrifiée. Quelque part c’est totalement contradictoire.
PSI : Elle se laisse envahir par la haine.
Adeline Chetail : Oui. Elle se laisse envahir par la haine. Elle est aveuglée parce qu’on lui retire la personne la plus importante pour elle.
PSI : As-tu ressenti cette haine lors du travail de doublage ?
Adeline Chetail : Il y a toujours une soupape. Non, tu ne peux pas ressentir à 100% parce que sinon tu deviendrais fou. Tu vas sonder sa personnalité, tu vas chercher certaines émotions, tu vas sortir certaines choses, mais je reste moi-même. Mais voilà, c’est une certaine surface, une surface un peu épaisse quand même mais ça reste une surface puisque ça reste un rôle qu’on joue. Je ne peux pas le ressentir à 100%, c’est impossible.
PSI : On a eu ces derniers mois une quasi-confirmation qu’une suite était en préparation. Au départ, on n’était pas tous convaincus que le premier avait besoin d’une suite parce que la fin, pour nous, était parfaite. Mais quand on part du postulat que la suite va arriver, il y a quand même un océan de possibles. T’es-tu posée des questions sur comment l’histoire pourrait continuer ? Est-ce que le simple fait qu’il y ait une suite est pertinent pour toi ?
Adeline Chetail : Il est vrai que quand ils ont annoncé une suite à The last of Us, je me suis dit « oh, c’était bien comme ça, fallait laisser ». Mais quand j’ai abordé le 2 et quand j’ai vu comment c’était, je me suis dit « ok, là, respect intégral pour Neil Druckmann ». Donc je suis prête à me laisser embarquer dans tout ce qu’il va faire en fait. Je le suis à 1000%, je pense qu’il va savoir surprendre et savoir tourner les choses d’une certaine manière pour que ce ne soit pas juste une suite pour faire une suite.
Mais moi, en tant que spectatrice, j’ai envie de suivre Abby. J’ai envie de savoir ce qu’elle va devenir, comment elle va s’en sortir. On te dit qu’elle va peut-être pouvoir faire un truc et Ellie, pour moi, est une personne qui est complètement brisée. Elle a tout perdu, je pense qu’elle peut très mal tourner. Faut voir. Pour moi la suite logique ce serait ça. Mais je pense que Neil Druckmann fera complètement autre chose. Il faut lui faire confiance.
Moi, je voyais ça comme ça : je voyais Ellie devenir complètement horrible et devenir l’antagoniste, et Abby devenir l’héroïne. Vraiment pour moi, c’est comme ça que ça se termine. Mais je pense que ça va être différent de toute façon.
PSI : On va essayer d’élargir un peu le sujet pour terminer. Vu que tu en fais ton métier, tu y seras sans doute favorable, mais penses-tu que le doublage est nécessaire en toutes circonstances ? Quand tu vois le choix de Rockstar de ne publier les titres qu’en anglais, est-ce pour toi une bonne décision ou est-ce que tu y vois un manque manifeste d’accessibilité ?
Adeline Chetail : Je pense que la VF est une bonne chose, effectivement pour des questions d’accessibilité. Il y a le fameux débat VO/VF qui, pour moi, n’en est pas un. Je réponds toujours la même chose: « écoutez, ce qui est bien, c’est que vous avez le choix ». Et même si vous n’écoutez pas la VF et que vous préférez les trucs en VO, ce n’est pas grave, faites-le, regardez en VO. Moi, ça ne m’empêche pas d’enregistrer une VF, parce qu’il faut une VF pour les personnes qui ne peuvent pas lire les sous-titres, qui ne lisent pas suffisamment vite, qui ne lisent pas suffisamment bien, voire ne voient pas du tout. Toutes ces personnes pour qui la VF est nécessaire en fait. Donc moi je suis contente de la faire. S’il n’y a pas beaucoup de gens qui la regardent tant pis, je serai contente de la faire.
Ce n’est pas comme si le doublage était en danger actuellement, c’est loin d’être le cas. C’est même complètement l’inverse puisqu’il y a une explosion de choses à doubler avec les catalogues des plateformes qui se remplissent. On a énormément de travail, on est dans un âge d’or absolu du doublage. Il y a juste eu un ralentissement parce que les productions étaient ralenties en 2020, mais sinon ça explose de tous les côtés. Donc s’il y a certaines licences qui préfèrent ne pas faire de localisation, qu’elles ne fassent pas de localisation. Elles restent quand même minoritaires comparées à toutes les autres.
PSI : Après, il y a une vraie différence entre le cinéma et le jeu vidéo, parce qu’en VF au cinéma tu vas perdre beaucoup du mixage son, qui va être un peu assourdi pour profiter un peu mieux des voix doublées. Alors que dans le jeux vidéo, on profite beaucoup plus du travail des doubleurs VF parce que justement il n’y a pas de coupure son et d’assourdissement, tout est optimal.
Adeline Chetail : Et puis c’est différent. Au jeu vidéo, tu es souvent au casque. En effet le son est traité d’une manière différente. Il y a des codes aussi, c’est-à-dire que les personnages de jeux vidéo vont parfois parler fort dans une situation où ils ne doivent pas le faire, comme quand ils se parlent à 12 mètres de distance mais en donnant l’impression d’être côte à côte. Dans la vie, ce n’est pas possible.
Au cinéma, ça dépend… je ne me suis pas forcément rendue compte de ça. Je sais que sur les gros films, ils essayent de faire un raccord parfait entre les prises de son originales et les prises de son françaises. Après on a toujours des aléas de budget ou de technique, donc je pense que ça peut donner à certains moments des petites erreurs. J’ai déjà entendu, en effet, des petits problèmes de mixage.
Mais non, pour moi, toute VF est utile et doit être accessible. Mais par contre je respecte totalement le choix des personnes qui préfèrent la VO et je trouve ça très bien de regarder les choses en VO.
PSI : Tu fais le lien parfait entre le cinéma et le jeu vidéo. Que penses-tu de la qualité des adaptations de jeux vidéo en films ? Ces 20 dernières années, il y en a eu énormément et, pour la plupart, elles sont peu qualitatives. Mais il y a des films qui commencent à prendre le pli, à proposer du vrai cinéma, au lieu de juste transposer le jeu vidéo. Par exemple, dans les critiques de Mortal Kombat que j’ai lues, c’était ça. Il y a aussi le film Uncharted et la série The Last of Us qui arrivent…
Adeline Chetail : C’est un peu compliqué car je ne suis pas gameuse. Mais j’avais été agréablement surprise de l’adaptation de World of Warcraft (rires). Je sais qu’il y a une série qui a été annoncée pour League of Legends et qui a l’air vraiment très bien. Moi je pense qu’il faut prendre aussi ça différemment, c’est un support qui est différent. Quand on a une expérience de joueur sur une licence, je ne pense pas qu’il faille s’attendre à vivre exactement la même chose puisqu’on va ailleurs, on va sur un autre support. C’est exactement la même chose que quand on lit un livre et qu’on regarde un film. Évidemment que ça ne va pas être pareil. Évidemment que c’est adapté, et ça reste des avis personnels. Mais arrêtons d’essayer de revivre exactement la même chose quand on change de support. Il faut accepter qu’il y ait une adaptation qui soit faite.
PSI : Espérons que ce soit le cas sur la série The Last of Us.
Adeline Chetail : Oui, je pense.
PSI : Ça vient de commencer, mais penses-tu que tu seras investie dans le projet comme interprète d’Ellie ?
Adeline Chetail : Alors déjà c’est une question à laquelle je ne pourrai jamais répondre parce que la confidentialité de mon métier fait que…
Mais la réponse est que je n’ai pas été contactée, puisque le doublage est fait lorsque tout est terminé. La VF ne commence pas quand les gens sont en train de tourner un film. Ce n’est pas possible. Si on me contacte, ça n’arrivera que quelques mois avant la date de sortie. Mais je ne pense pas que je serai contactée, puisque c’est une autre comédienne (Bella Ramsay) et pour moi c’est une autre Ellie.
À mon sens ce sera différent, ce sera une autre interprétation. Tout le monde me dit le contraire, tout le monde me dit « il faut absolument que ce soit toi, etc. ». Ça dépendra de qui a ce projet entre les mains aussi, puisque ce n’est pas Naughty Dog qui décide directement, il y a toute une chaîne de personnes qui peuvent prendre des décisions sans avoir forcément tous les éléments en main. Par exemple, un directeur artistique peut prendre en main un projet sans avoir conscience que derrière il y a une licence énorme et qui a une pression des joueurs. Il peut tout à fait passer à côté de cette information. Donc je ne m’attends pas à être contactée. Si c’est le cas, bien sûr que je passerai les essais ou que j’enregistrerai le rôle avec grand plaisir puisque je rêve de retrouver Ellie, d’un point de vue égoïste. Mais d’un point de vue de spectatrice, je ne trouve pas que ça ait du sens. Pour moi il faut lâcher le truc.
Pourquoi vouloir la même voix alors qu’on a une actrice qui est différente et qui va l’interpréter différemment ? C’est presque injuste pour elle, ce ne serait pas lui rendre honneur. Ce n’est pas Ashley Johnson. C’est comme si vous aviez demandé à ce que ce soit Troy Baker pour faire Joel. Dans ce cas, rejouez au jeu (rires) !
Il faut laisser le champ libre à une réinterprétation. C’est comme les grandes pièces de théâtre : les Molière, les Shakespeare, c’est comme si on demandait à ce que ce soit toujours le même acteur qui fasse le Roi Lear. Bah non, justement, ce qui est intéressant, c’est que chaque acteur va apporter au rôle quelque chose de différent. Une autre émotion. Donc laissons ces personnes nous emporter et faire leur travail.
PSI : On espère que ce sera le cas. Pour finir, y a-t-il un sujet sur The Last of Us Part II ou sur ton parcours qui n’a pas été abordé dans des interviews précédentes et que tu aimerais qu’on aborde ? Quelque chose dont tu veux parler ?
Adeline Chetail : Je n’ai pas l’impression d’être passée à côté de quelque chose. Après je peux revenir sur un point qu’on aborde souvent en interview. Pas dans les interviews très pro comme les vôtres, mais souvent on me demande ce qu’il faut faire pour être comédien de doublage, quelle est la marche à suivre, surtout avec le Covid.
Comment dire… Si ce métier vous intéresse, sachez que c’est un métier artistique. On a le même titre que les métiers de danseurs, chanteurs, youtubeurs. Il y a beaucoup de gens qui ont envie de le faire et pour y arriver, il faut vraiment travailler dur. Ça fait partie de cette catégorie de métiers qui est difficilement accessible mais qui l’est néanmoins, avec beaucoup d’envie, beaucoup de passion et beaucoup de travail. Mes conseils pour travailler sont d’apprendre à jouer la comédie. Généralement on recommande de faire des cours de théâtre, mais je pense qu’on peut y arriver tout seul dans son coin. On peut s’enregistrer, on peut lire un livre et faire plein de personnages différents, plein de voix différentes et reproduire des scènes. On peut faire plein de choses tant qu’on en a envie. On peut s’entraîner.
Ensuite, pour ce qui est de faire du doublage, on pouvait, il y a quelques années, venir en studio pour observer les sessions d’enregistrement. C’était plutôt facile. Mais on a maintenant des normes de confidentialité qui deviennent tellement drastiques que de toute manière beaucoup de studios n’étaient déjà plus accessibles avant les normes sanitaires. Et puis maintenant, depuis les normes sanitaires, c’est complètement fermé.
Donc pour pallier à ça, il y a de plus en plus de stages, d’écoles, de formations qui proposent des rencontres avec les directeurs artistiques, donc ça peut être intéressant de se renseigner à ce sujet si cela vous intéresse.
PSI : On transmettra ça à nos lecteurs. Beaucoup nous disent que la VF et le doublage les intéressent.
Adeline Chetail : Très bien. En tout cas, n’hésitez pas à couper mes phrases parce que je fais des longues phrases (rires) !
PSI : Nous arrivons ainsi à la fin de notre entretien. Merci beaucoup pour le temps que tu nous as accordé !
Adeline Chetail : Merci pour votre temps et pour vos questions. Merci à vous !
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