À la fin janvier, Audrey Sourdive a accepté d’accorder la deuxième interview de PlayStation Inside. Voix française d’Abby dans The Last of Us: Part II ou encore de Silver Sable dans Marvel’s Spider-Man, Audrey Sourdive est une comédienne de doublage à la carrière aussi fulgurante que remarquable.
De la même manière que l’interview avec Donald Reignoux, celle avec Audrey Sourdive est très vite devenue une vraie conversation, en particulier, comme vous le verrez, sur les ramifications et détails du scénario du dernier The Last of Us. Mérouan et Yacine, co-fondateurs de PlayStation Inside, ont eu l’honneur de participer à cette discussion en compagnie de Matthieu, chroniqueur sur le site. Attention spoilers.
PlayStation Inside (PSI) : Pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas encore, peux-tu te présenter et revenir sur les personnages que tu as interprété ?
Audrey Sourdive : Je suis comédienne depuis toute petite. Je fais du théâtre depuis l’âge de 5 ans et j’ai commencé le doublage il y 4 ans. Vous avez pu m’entendre dans pas mal de jeux vidéo, comme Assassin’s Creed Odyssey où je joue Kassandra, dans Borderlands 3 avec Amara, etc. Mon premier petit rôle dans un jeu vidéo était dans The Frozen Wilds (DLC d’Horizon Zero Dawn, ndlr), avec Ikrie. J’ai aussi joué Abby dans The Last of Us: Part II. Au cinéma, j’ai eu la chance de faire Blade Runner 2049 où j’interprète Luv, un personnage génial. J’ai suivi cette comédienne (Sylvia Hoeks) dans la série See sur Apple TV, où elle joue une reine folle ; je l’ai aussi doublée dans Millenium : Ce qui ne me tue pas. Vous m’avez peut-être entendue dans Ralph 2.0, dans Hobbs and Shaw, dans Dragon Ball: Super ou encore dans Nicky Larson. J’ai eu pas mal de petits rôles mais maintenant j’ai la chance d’incarner des personnages un peu plus importants. Voilà pour moi.
PSI : En parlant justement de ton parcours, on sait que tu viens de l’art dramatique, du Conservatoire. Quand on vient de ce milieu, qu’on a joué Shakespeare, Molière et Racine, comment se retrouve-t-on à bifurquer vers le monde du doublage de films et de séries, puis vers le jeu vidéo ?
Audrey Sourdive : Il y a autant de parcours qu’il y a de comédiens. Le doublage m’a toujours intéressée. J’étais passionnée de voix quand j’étais petite ; j’adorais faire les méchants et les méchantes des dessins animés Disney. J’aimais faire Ursula, Scar… C’était quelque chose qui me plaisait beaucoup. Plus j’ai avancé dans le théâtre et plus les gens me disaient que j’avais vraiment une voix intéressante, que je « bougeais » beaucoup en fonction des personnages que j’interprétais. Pas mal de personnes m’avaient conseillé le doublage, en me disant que ça pourrait être quelque chose de très bien pour moi. Le problème est que, pendant des années, je jouais très régulièrement au théâtre, donc je n’avais pas obligatoirement le temps. Et pour débuter dans le doublage, il en faut.
Est ensuite arrivée une période de ma vie durant laquelle ma tournée de la pièce Macbeth (Shakespeare), qui devait durer deux ans, a été annulée. Je me suis retrouvée, pour la première fois de ma vie, sans rien. J’ai eu un grand moment de désespoir d’où est apparue une petite lumière au bout. Je me suis souvenue du stage de doublage que j’avais voulu faire quelques années auparavant mais qui m’avait été refusé à cause de problèmes de financement. Je me suis motivée pour retenter ce stage. J’ai contacté le Magasin, un très bon centre de formation pour le doublage, et j’ai été acceptée. J’ai fait 15 jours de formation. Je voulais la faire pour être sûre d’être douée. Certains comédiens peuvent être très bons au théâtre et au cinéma, et beaucoup moins en doublage. Et inversement d’ailleurs. Je voulais donc d’abord tâter le terrain.
Mon stage a été une révélation. J’ai adoré être au micro, je m’y suis sentie tout de suite à l’aise. Aussi à l’aise que sur scène. Et tous les intervenants m’ont dit que j’étais prête à travailler, que j’étais pro. C’est comme ça que j’ai commencé. J’avais du temps, même si à l’époque je jouais Hermione dans Andromaque (Racine). Pendant un an, j’ai assisté trois fois par semaine aux séances de doublage sur les plateaux, pour regarder les gens travailler, rencontrer des directeurs artistiques… C’était une grande chance. Assez rapidement, j’ai fait une toute petite apparition dans un jeu vidéo. Ça s’est vite senti que j’étais gameuse, et ma progression s’est autant faite sur ce média que sur le cinéma et les séries. J’ai eu de la chance en commençant par Horizon, puis avec un tout petit rôle dans Assassin’s Creed Origins (une voix qui s’élève d’une pierre). Quelques mois après, j’ai été convoquée pour un essai sans savoir sur quoi c’était. Et il s’avère que c’était Kassandra d’Assassin’s Creed Odyssey. C’était une chance extraordinaire de pouvoir passer ne serait-ce que le casting. Je ne vous raconte pas mon bonheur quand j’ai eu le rôle. J’ai sauté partout !
PSI : La même année que cet Assassin’s Creed est sorti Marvel’s Spider-Man, dans lequel tu as eu le rôle de Silver Sable et qui a eu une importance particulière dans l’un des DLC. Dans ce cas, avec un personnage issu des comics, comment fais-tu pour t’imprégner d’un rôle ? T’es-tu informée sur le personnage, as-tu lu des comics, ou alors t’es-tu laissée diriger par le directeur artistique ?
Audrey Sourdive : Je dois vous dire quelque chose. Quand on vient sur un plateau de doublage, que ce soit pour une série, un film ou un jeu vidéo, on ne sait pas en général pour quel rôle on va enregistrer. On nous annonce la répartition des personnages sur le moment. On a souvent une image avec le dessin de notre personnage, et c’est tout. C’est le directeur artistique qui explique le type de personnage. Quand je suis arrivée sur Silver Sable, je ne savais même pas que ça allait être Spider-Man. On a juste les fichiers sons en anglais avec des ondes sonores uniquement. Sur le deuxième écran en dessous, le texte en français défile. On entend l’anglais dans notre casque et on fait la même chose en français juste après. On ne se repère donc qu’avec les ondes sonores. Et, très rarement, on a des cinématiques.
C’est pour ça que les joueurs critiquent la plupart du temps la VF, en ne comprenant pas les conditions d’enregistrement. Les comédiens aux États-Unis font de la motion capture, l’investissement n’est pas du tout le même, avec un contexte beaucoup plus développé. Pour nous, notre bouée de sauvetage est le directeur artistique. C’est lui qui nous explique les choses. On est donc bien plus dans le flou qu’en enregistrant une série ou un film, où les images sont disponibles. Je n’ai pu faire de recherches en amont sur aucun de mes personnages dans le jeu vidéo.
PSI : Au contraire du cinéma, le jeu vidéo s’aborde de plusieurs manières différentes (gameplay, cinématiques, cut-scenes…). Prenons l’exemple d’Assassin’s Creed Odyssey, dans lequel tu as eu énormément de lignes de texte. Dans ce cadre, le fait de connaître le jeu vidéo t’aide-t-il d’une manière ou d’une autre à t’imprégner du personnage et à aborder les séquences de manière différente ?
Audrey Sourdive : C’est un énorme avantage de jouer aux jeux vidéo. On se repère beaucoup plus facilement et, par exemple, on peut distinguer les séquences cinématiques des scènes où un personnage se parle à lui-même. C’est quelque chose qui est beaucoup plus simple à cerner quand on connaît le jeu vidéo. J’avais fait quasiment tous les Assassin’s Creed donc je connaissais ça très bien. C’était différent sur Borderlands, que je ne connaissait pas du tout. Mais le personnage était tellement barré et humoristique que ça ne m’a pas posé tant de problèmes.
Après, on a tout de même eu très peu de cinématiques dans Assassin’s Creed, contrairement à The Last of Us. Il s’agit du premier jeu sur lequel j’ai travaillé où l’on a énormément évolué avec des cinématiques, et je trouve que cela se ressent beaucoup. Après, c’est aussi un jeu bien plus naturaliste dans l’approche, qui implique d’être « vrai » tout le temps. C’est peut-être le plus beau rôle que j’ai eu la chance d’interpréter. On a fait un vrai travail de précision. Nous avions le temps et des images, ce qui change tout. Le boulot a été assez exceptionnel et on avait un excellent directeur artistique, à savoir Jean-Philippe Brière.
Assassin’s Creed est différent car il s’étale sur des heures et des heures de jeu. Il y a des dialogues mais aussi des sessions d’enregistrement exclusivement dédiées aux réactions ou aux cris. J’enchaînais des « À l’attaque ! » en hurlant ou des « Archers, sortez vos flèches ! », parfois 50 à la suite, et je ne savais pas quelle était réellement la situation. J’ai aussi eu à faire ce travail dans The Last of Us: Part II, où j’ai eu à dire des insultes de 60 manières différentes pendant une heure (rires).
PSI : Tu ne devais pas être de bonne humeur à la fin de la journée (rires).
Audrey Sourdive : Exactement (rires).
PSI : Tu es donc toi-même une joueuse, ce qui est très rare dans le doublage finalement. En tant que joueuse, quels sont tes jeux préférés, et y a-t-il un jeu ou une licence dans lesquels tu aimerais interpréter des rôles à l’avenir ?
Audrey Sourdive : Un des jeux qui m’a suivi tout au long de ma vie est Resident Evil 4.
PSI : Excellent choix !
Audrey Sourdive : J’ai découvert ce jeu à sa sortie et j’ai adoré. J’y ai joué pendant des années avec ma sœur. On se faisait des séances de Mercenaires. J’ai passé des après-midi et des soirées entières en duo à tuer des monstres et à essayer d’avoir tous les combos. On a ensuite fait tous les modes Mercenaires des autres Resident Evil jusqu’à 5 heures du matin. Ça reste l’un des jeux sur lequel je me suis le plus amusée, aussi parce que je l’ai fait avec ma frangine. Je ne suis pas obligatoirement fan de tout ce qui a suivi dans la licence. J’adorerais faire une petite voix dans un Resident Evil, ce serait cool pour le souvenir.
Après, mon jeu préféré de ces dernières années est clairement The Last of Us, le premier. Quand j’ai eu le rôle d’Abby pour le deuxième, ça a été un truc de malade et j’ai dû garder le secret pendant des mois et des mois. C’était atroce (rires) ! J’entendais plein de gens autour de moi qui me disaient que le 2 arrivait, et j’avais du mal à me contenir. Le pire, c’est que quand j’ai enregistré The Last of Us: Part II. Ça n’a pas été fait dans l’ordre donc je ne savais pas exactement tout ce qu’il se passait. Je ne savais pas quels allaient être tous les rebondissements et la construction du jeu. Donc j’ai eu une vraie découverte quand j’ai joué au jeu, et j’ai été vraiment prise au niveau des émotions des personnages. C’est super d’avoir eu la surprise parce que je pensais savoir comment ça allait se passer, et en fait non.
PSI : Cette année a été très compliquée et l’industrie a été bouleversée, mais tu as tout de même pu jouer Abby chez Naughty Dog et Sabine dans Watch Dogs: Legion du côté d’Ubisoft. Quel impact la crise a-t-elle eu sur les conditions d’enregistrement et sur ton travail ? As-tu par exemple eu à enregistrer depuis chez toi ?
Audrey Sourdive : Bien sûr. Je n’ai pas de home studio donc je ne peux pas enregistrer de chez moi. Évidemment, pas mal de choses ont changé. Au premier confinement, les studios se sont arrêtés. Donc j’ai été vraiment confinée, comme tout le monde, sans travailler. Par contre, le boulot a repris dès le déconfinement, moment durant lequel j’ai beaucoup travaillé. Le nombre d’enregistrements s’est ensuite beaucoup plus calmé vers septembre et octobre à cause du ralentissement des tournages dans les studios de développement.
Les studios sont restés ouverts durant le deuxième confinement, et le resteront aussi en cas d’un troisième. Les conditions d’enregistrement sont bien entendu différentes. Au cinéma, on enregistre par exemple souvent à plusieurs, surtout pour les scènes où des personnages interagissent. Maintenant, on est tout seuls. On fait toutes nos répliques tout seuls, et les comédiens censés interagir avec nous font leur travail de leur côté, l’avantage étant que le deuxième à enregistrer entendra les répliques faites par l’autre. Depuis le début de la crise, on travaille masqués et seulement trois personnes sont présentes dans le studio : le directeur artistique, l’ingénieur son et le comédien. Un gros changement est aussi que tout est plus compact ; on essaie d’enregistrer le maximum de répliques le plus vite possible. C’est bien dommage car il y a une vraie convivialité dans le milieu, et depuis 10 mois ça se perd, c’est un peu triste. L’ambiance manque.
Pas grand chose n’a changé toutefois pour le jeu vidéo, parce qu’on enregistre de toute manière souvent tout seul. Mais ce serait génial, dans ce média, que l’on puisse se donner la réplique entre comédiens.
PSI : C’est vrai, on ne comprend pas vraiment pourquoi ce n’est pas déjà le cas.
Audrey Sourdive : C’est très difficile techniquement parlant, car les conditions d’enregistrement diffèrent. Il y a un grand nombre de répliques qui sont séparées en fichiers et non en scènes. Donc tous mes fichiers s’enchaînent par exemple et je les fais d’affilée, sans connaître ceux des autres. Ce n’est pas la même manière de fonctionner, et les studios sont de toute manière contraints à des rapidités d’enregistrement énormes par rapport aux films et aux séries. Ça vient des studios de développement qui ne mettent pas obligatoirement le temps nécessaire pour ça.
PSI : N’as-tu pas l’impression que cela a un effet sur la qualité générale des doublages ?
Audrey Sourdive : Bien sûr. Par exemple, les meilleures conditions de travail offertes par The Last of Us: Part II (images, scènes disponibles…) ont amené une sorte de vérité d’interprétation pour les comédiens, que l’on a pas sur d’autres jeux. J’espère que The Last of Us: Part II, sur lequel on a eu de supers retours, pourra inspirer les studios à mettre plus de moyens sur les doublages, en mettant plus de bandes rythmos et en donnant plus de temps de travail. C’est notamment pour cela que je regrette la méconnaissance des conditions d’enregistrement chez les joueurs, car ça amène parfois beaucoup de critiques. Ils n’ont pas conscience du défi énorme que cela représente de faire tout ça juste à l’oreille.
Et puis on n’est pas à l’abri de certains bugs. Dans Assassin’s Creed Odyssey, Kassandra est parfois sur son cheval et les dialogues des PNJ sont rendus inaudibles car elle parle en même temps (rires). Je me souviens d’une cinématique où mon personnage se met à rire d’une manière très fausse, et c’était très étrange dans la situation. Ces bugs existent à cause du manque de temps pour les corriger. Ces bugs sont chiants, mais on ne peut pas y faire grand chose. J’ai joué par exemple à Assassin’s Creed Valhalla, et au tout début, les réactions d’Eivor étaient « boostées » au maximum, sans regard pour la simplicité des actions qu’il ou elle pouvait réaliser. Et ce n’est pas de la faute des comédiens. On peut ne pas comprendre de tels bugs en tant que joueur, et ces problèmes peuvent nous faire sortir d’un jeu. J’espère donc que The Last of Us: Part II engendrera une prise de conscience sur la nécessité de prendre plus de temps pour faire notre travail.
PSI : Pour la parenthèse, Donald Reignoux nous disait dans son interview que la VF du dernier The Last of Us était la meilleure jamais réalisée à ses yeux.
Audrey Sourdive : Ça me fait très plaisir, parce que je l’ai aussi trouvé excellent dans Spider-Man. Par contre, je ne sais pas si vous avez joué à A Plague Tale: Innocence, mais ce jeu a aussi un excellent doublage. Bien sûr, le fait qu’Asobo soit une boîte française aide beaucoup. Les voix françaises y sont géniales. C’est vraiment sur les conditions d’enregistrement que ça se joue.
PSI : Merci à toi de revenir sur ces éléments car beaucoup ne les connaissent pas. On remarque, en analysant ta carrière, que tu as tendance à interpréter des personnages aux personnalités et aux traits de caractères similaires. Est-ce une volonté personnelle, ou aimerais-tu incarner des personnages aux profils un peu différents à l’avenir ? On pense par exemple à des personnages un peu plus loufoques.
Audrey Sourdive : On m’embauche pas mal pour jouer des femmes de caractère. J’ai une voix médium-grave. Je peux partir dans les aigus, mais ma voix fait tout de même assez « couillu ». Je peux vite dégager cela avec ma voix. On me met donc sur des rôles un peu « badass » en général. Par contre, quand j’ai commencé le doublage et que je jouais des rôles d’ambiance, j’interprétais plein de petits personnages. Et les directeurs artistiques se sont rendus compte que je pouvais aller dans les aigus comme dans les graves. On m’a ainsi proposé des rôles hyper variés. C’est moins le cas dans le jeu vidéo, mais dans le doublage en général on me propose à la fois des rôles de « badass » mais aussi des rôles complètement à l’opposé ou encore des rôles de vieille « mama black ». J’en ai fait aussi (rires), c’était génial.
Je m’ennuierais si j’avais une voix moins malléable. J’adore jouer les méchantes. Quand je fais des femmes fortes, je m’éclate. J’en ai joué qui étaient compliquées, gentilles… Dans le jeu vidéo, la différence entre Kassandra et Abby est conséquente de mon avis. Kassandra rentre plus dans le genre de l’héroïne qui peut être déchirée par moments, mais Abby est très complexe et n’a rien à voir. De toute façon, les méchantes sont super, comme les droguées, les psychopathes (rires)… On m’a proposé des jeunes premières pendant des années au théâtre ; et quand ces propositions ont changé avec le jeu vidéo, j’étais contente de ne plus être dépendante de mon physique et de pouvoir jouer un faisceau plus important de rôles grâce à ma voix.
Aujourd’hui, ce système change de plus en plus et on a tendance à mettre les comédiens sur les rôles qui ressemblent à leur physique, même s’il s’agit du doublage. Ça vient des États-Unis, alors qu’on devrait se ficher des origines ethniques, des orientations sexuelles ou des ressemblances physiques. L’important devrait être ce que le comédien dégage avec sa voix. En tout cas, je suis heureuse que l’on me propose des personnages de toutes ethnies, d’orientations sexuelles multiples et de caractères différents. Je ne m’ennuie jamais, et arriver sur un plateau est toujours une surprise pour les rôles qui se font sans casting (comme pour Silver Sable). Tout cela amène de belles palettes de jeu, et est beaucoup plus vaste que si on se limitait à ce que je dégage par mon physique.
PSI : Tu as parlé de diversité et de représentativité. As-tu la sensation, à voir des personnages ces dernières années comme Abby, Ellie ou Aloy qui sont des porte-étendards de PlayStation, que le jeu vidéo va dans le bonne direction, ou trouves-tu que l’on en fait pas assez ? Nous avions posé une question similaire à Donald Reignoux, qui nous avait répondu que si la situation actuelle allait dans le bon sens, le chemin de la diversité et de la représentativité était déjà tracé depuis longtemps par des personnages comme Lara Croft.
Audrey Sourdive : Je pense que l’on est sur la bonne voie. Encore que quand on voit les réactions qu’a provoqué The Last of Us: Part II chez les joueurs, avec des critiques sur la représentations des communautés LGBT par exemple, je me dis qu’il reste du chemin à parcourir, même s’il y a de l’espoir. The Last of Us: Part II nous emmène par exemple à réfléchir sur la nature de la violence et de la différence. On y parle d’homosexualité, on a Abby qui n’est pas « hyper » féminine dans son look. On y parle aussi des personnes transgenres, avec les personnages de Yara et Lev. Le jeu aborde ces sujets sans s’y appesantir, et laisse le joueur réfléchir.
J’ai vu par contre le documentaire de Game Spectrum sur la masculinité dans le jeu vidéo, et je l’ai trouvé génial. Il décortique ce qu’est la masculinité dans le jeu vidéo et comment elle est devenue un point de repère. Il y parle de la manière dont certains joueurs se sont enfermés dans une seule représentation de la masculinité et avec quoi ils s’identifient (des personnages toujours hyper baraqués, hyper violents). Ce genre de représentation reste tout de même dominant. Sur les personnages féminins qui sont au premier plan, la tendance est tout de même de toujours en faire des héroïnes « badass ». On a besoin d’avoir ça, on le voit dans Assassin’s Creed. Mais c’est pour cela que The Last of Us: Part II est intéressant, parce que les héroïnes y sont nuancées. Ellie n’a pas besoin d’être très musclée ou violente. Elle est violente, mais c’est une violence que nombre de personnes pourraient avoir.
Donc oui, des jalons ont été posés, et de plus en plus d’héroïnes sont variées (Horizon Zero Dawn, A Plague Tale…). C’est ce genre de personnages qui est intéressant, au lieu de toujours prendre une femme et d’en faire un simple héros guerrier dont la seule différence par rapport à un homme… est d’être une femme. On va aujourd’hui vers quelque chose de plus sensible, de plus intéressant. La représentation féminine commence à être moins sexualisée. Ce serait dommage de limiter les personnages à cela, et ça vaut aussi pour les hommes. Uncharted 4: A Thief’s End a par exemple amené une évolution avec Nathan Drake, qui s’est éloigné de l’archétype du héros classique.
L’évolution est ainsi lente. La réflexion qu’a amené The Last of Us: Part II sur la violence, avec par exemple les supplications des personnages secondaires qui se font tuer, est importante. D’un coup, tuer dans un jeu vidéo devient beaucoup moins facile. C’est tout autre chose dans Assassin’s Creed, où la violence est plus gratuite. Il y a donc d’autres façons d’amener la violence, de traiter le thème de la vengeance. C’est pour cela que The Last of Us: Part II est un jeu majeur.
PSI : Pour continuer sur la diversité, tu dois être au courant qu’Ubisoft a subi quelques polémiques ces derniers temps. Par exemple, nous avons appris récemment que si Alexios avait été rajouté dans Assassin’s Creed Odyssey, c’est car certaines personnes haut placées chez Ubisoft pensaient que vendre un jeu sans héros masculin était inimaginable, que le titre ne se vendrait pas aussi bien. Comment l’as-tu vécu en l’apprenant, et penses-tu qu’il faut laisser le choix aux joueurs à chaque fois, concernant le sexe du héros à incarner ?
Audrey Sourdive : Quand j’ai su que j’étais prise pour le jeu, concernant le doublage, on savait déjà qu’il y aurait un rôle masculin et un rôle féminin, et que le joueur aurait le choix. Donc personnellement, je n’étais pas déçue à ce niveau-là. On ne m’a pas présenté Assassin’s Creed Odyssey comme un titre dans lequel je serais l’héroïne principale. Depuis le début, je savais que je serais en binôme avec un homme. J’ai appris bien plus tard que le héros masculin n’était pas prévu de base, donc je n’ai pas ressenti de déception sur le moment.
Pour ce qui est du choix des joueurs concernant le personnage à incarner, je trouve intéressant qu’ils aient laissé une alternative possible, du moins dans ce jeu. Je vais régulièrement sur plusieurs forums de jeu vidéo et, à l’époque, je voyais beaucoup d’internautes qui parlaient de la sortie d’Assassin’s Creed Odyssey. Malheureusement, il y avait beaucoup de commentaires très sexistes, misogynes et homophobes, mettant en avant le fait qu’ils ne voulaient pas jouer une femme. Ce qui m’a fait rire, c’est que même en jouant Alexios, le héros peut avoir des relations sexuelles avec n’importe quel autre personnage, qu’il soit jeune, vieux, du même sexe etc. J’ai trouvé ça amusant, car on incarne un personnage quasiment mythologique, que ce soit Alexios ou Kassandra, mais avec une sensibilité et une sexualité qui peut être complétement débordante en fonction de nos choix. Pour moi, c’est une façon d’apporter une certaine ouverture d’esprit avec humour. Personnellement, j’ai fait en sorte que Kassandra ait des relations sexuelles avec tous les personnages possibles et imaginables, et pour Alexios, je me suis dit que toutes les personnes homophobes ont du être bien dégoutées quand elles ont compris que leur personnage pouvait être gay (rires).
Après, pour continuer de répondre à votre question, je pense que donner le choix aux joueurs tout le temps est un peu dommage. Ça fonctionne dans le cas d’Assassin’s Creed Odyssey, mais il ne faudrait pas que les développeurs se sentent obligés de laisser le choix juste à cause des joueurs sexistes et misogynes qui n’achèteraient pas tel ou tel jeu, si seul un personnage féminin est jouable. Dans un jeu comme Odyssey, on aurait très bien pu jouer les deux personnages. Pourquoi pas jouer et Kassandra et Alexios afin d’avoir différents points de vue dans le scénario, comme c’était le cas dans The Last of Us: Part II par exemple, avec Abby et Ellie. Tant que cela sert le propos du jeu et le scénario, ça reste intéressant.
PSI : On a parfois l’impression que certains studios mettent en avant la diversité afin de se protéger de certaines critiques qui pourraient leurs être faites. Avec cette stratégie, on ne peut pas leur reprocher quoi que ce soit. Il est plus simple de faire ça, plutôt que de prendre le risque de se mettre une partie des joueurs à dos. C’est le sentiment que ça donne par moment en tout cas.
Audrey Sourdive : Je suis d’accord avec vous. Je trouverais ça dommage qu’à l’avenir des studios voulant mettre en avant des héroïnes se voient obligés de lâcher du lest, juste pour faire plaisir à une certaine catégorie de joueurs. Sur un jeu comme The Last of Us: Part II, quand je vois l’implication qui a été mise par tout le monde, il n’y a eu aucun compromis de fait. On est passé à travers toutes les critiques et le résultat final est une œuvre marquante et coup de poing. J’espère que l’on continuera dans cette direction.
Découvre la suite et fin de l’interview ici. Elle est presque exclusivement consacrée à une analyse encore plus approfondie de The Last of Us: Part II.
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