Monster Hunter Wilds s’ouvre par le survol d’une forêt luxuriante accolée à un désert. La traversée du désert, c’est ce que la série Monster Hunter n’a que trop longtemps connu en Occident depuis sa création. Mais voilà qu’en 2018, à la surprise générale, la licence parvient à conquérir le bout du monde et 25 millions de personnes grâce à Monster Hunter World, qui devient même le jeu le plus vendu de l’histoire de Capcom. C’est le début de l’abondance. Abondance, déclin, tels sont les fils conducteurs de Monster Hunter Wilds qui, après une parenthèse intéressante mais nettement moins satisfaisante du nom de Rise, se devait de confirmer les espoirs placés en la licence , prétendante sérieuse au trône, mais pas encore souveraine. Voici notre critique.
Once upon a time in the West
Même si la série Monster Hunter a connu un fort gain d’intérêt, nous en sommes encore au point où il faut expliquer ce qu’elle est. Une licence de 21 ans d’âge dont le principe sur le papier est très simple : chasser des monstres puissants pour obtenir leurs composants, afin de chasser des monstres encore plus impressionnants. Mais tout cela est en réalité un brin réducteur. Et comme en cuisine, dont la licence est friande, la recette d’un bon Monster Hunter contient des ingrédients essentiels. Le premier est la synergie qui s’opère entre les monstres et les environnements. Il n’est pas juste question d’affronter des ennemis avec des résistances et des faiblesses. Chaque créature a un comportement dicté par le lieu dans lequel elle vit et sa place dans la chaîne alimentaire, et il conviendra de bien étudier cet ensemble pour triompher d’elles. Pour s’en débarrasser, les chasseurs auront à leur disposition un arsenal de quatorze type d’armes aux capacités et maniements uniques, allant des rapides et fulgurantes lames doubles, à la corne de chasse permettant d’attribuer des bonus passifs à votre équipe pour quelques arpèges, et à l’arc pour ceux préférant cibler leurs adversaires avec plus de recul.

Le recul, c’est également cette grande stabilité au niveau des têtes pensantes de la série, qui n’ont quasiment pas changé en 20 ans. Deux hommes qui font la pluie et le beau temps de Monster Hunter à savoir le directeur artistique Kaname Fujioka, et le producteur Ryozo Tsujimoto auxquels on peut ajouter l’étoile montante Yuya Tokuda, réalisateur du révolutionnaire Monster Hunter World. La série est donc on ne peut mieux comprise, au gré des avancées technologiques et mécaniques, sans pour autant compromettre son identité ou son public.
La communauté, c’est justement ce qui fait selon moi l’ingrédient le plus important pour un Monster Hunter. À la base, la série lancée en 2004 avait pour objectif de profiter du multijoueur en ligne de la PS2. Mais c’est finalement grâce au multijoueur local de la PSP que la série va vraiment réussir son pari et réunir autant de joueurs, devenant un véritable phénomène social au Japon. C’est dans cette mouvance, à près de 14 000 km de là, que je découvre une série qui, en France, est encore d’une grande confidentialité. Aurais-je pu imaginer, quinze ans plus tard, m’impatienter à l’arrivée d’un nouvel épisode, mais sans être seul cette fois-ci ?
Après cet aparté en forme de rappel, revenons donc à notre désert et notre histoire. C’est ici qu’un jeune garçon fuyant son village est retrouvé par des membres d’une équipe de recherche dans les Terres Interdites. Cette commission est chargée de retrouver la cité de l’enfant, et c’est en tant que chasseur ou chasseuse de celle-ci que vous prenez part à cette nouvelle expédition, en compagnie d’une galerie de personnages plus ou moins importants. Après quelques sommaires présentations, le jeu commence par une course poursuite, toujours dans ce même désert, avec pour objectif l’apprentissage des bases des déplacements, de la chasse, avec mise en pratique. Une fois votre premier monstre à terre, et votre camp de base provisoire monté, le jeu ne vous abandonnera pas pour autant. Monster Hunter Wilds devient alors à quelques exceptions un tunnel narratif, pour le meilleur, et le pire.
The Good, the Bad and the Ugly
Le meilleur, c’est qu’un épisode de la série, connue pour être rustre, n’aura jamais été aussi accueillant pour les nouveaux venus. Chaque rencontre, chaque monstre, chaque découverte d’un nouvel environnement est fixée sur le rail du scénario, au travers d’une difficulté globalement bien gérée, quoique peut-être un peu simpliste. Les dialogues sont plus synthétiques, et la partie scénaristique est à la grande surprise un assez bel ouvrage d’ensemble, offrant une vision plus ethnologique que par le passé, et justifiant de manière logique l’enchaînement de ces combats. Le jeu a également gagné en souplesse, par la simplification de nombreuses interactions, matérialisé par la possibilité de se nourrir et de prendre des quêtes sur sa route, ou le grappin qui permet de capturer les objets à distance. Le bien ou le mal de certaines de ces simplifications sera laissé à l’appréciation de chacun. Cette simplification se poursuit avec les menus qui, s’ils avaient déjà gagné en clarté dans Monster Hunter World, sont plus que jamais agréables à parcourir, corrigeant au passage certaines énormités de ce dernier. On notera aussi la présence de quelques options d’accessibilité basiques certes, mais qui vont dans le sens de s’ouvrir au plus large public possible.

Évidemment, Monster Hunter reste toutefois fidèle à lui-même quand il s’agit de prendre les armes et de savoir les manier, mais des efforts ont également été faits ici pour questionner les volontés des joueurs en début de partie, et afficher la liste des boutons et des combos possibles à l’écran. Mais il faudra sans doute passer par la zone d’entraînement pour se perfectionner. C’est également le cas pour la forge qui se voit même pourvue d’une option de recommandations si vous êtes un peu perdu. Sachez enfin qu’il vous sera possible de demander de l’aide à n’importe qui lors d’une quête, en lançant une fusée de détresse qui fera intervenir soit d’autres joueurs, soit des personnages contrôlés par l’ordinateur, qui seront diablement efficaces.
Néanmoins, il ne me semble pas possible de faire l’impasse sur toutes les choses que Wilds n’explique pas, ou tardivement, et qui risquent de dérouter le nouveau venu. Et s’il existe bien des tutoriels pour revenir sur ces aspects, je regrette que l’évocation du fonctionnement des pièges, des pièces d’armures ou du système de talent ne soit pas faite de manière plus frontale. La carte des zones, très détaillée et bien plus lisible que dans World, reste parfois difficilement compréhensible. Il est certes possible de paramétrer certains affichages, mais le système demeure lacunaire, surtout au sujet de la mini-carte sur l’ATH (l’affichage tête haute). Il va de soi que malgré certains paramétrages, l’interface demeurera parfois très surchargée, tandis que certaines icônes pour indiquer les problèmes de statuts sont ridiculement petites. Sachez enfin qu’il est possible de paramétrer un mode sans ATH comme Monster Hunter Rise avait su le proposer.
Mais le pire, c’est que le jeu n’a aucune confiance dans le monde qu’il fait traverser au joueur, abandonnant l’approche naturaliste de Monster Hunter World et ses traques de monstres à base d’artefacts à trouver au profit d’un point rouge à atteindre, et duquel il ne faudra surtout pas dévier ! Les environnements de Monster Hunter Wilds deviennent alors des cartes postales dans lesquels les monstres aboient, et votre caravane passe. Une approche qui pose question, et qui risque de fortement désenchanter le vétéran de la série que je suis, tant le jeu est obnubilé par sa rigidité et trahit même la proposition de World, ne sachant que faire de son système de traque, qui est tout de même présent en reliquat dans le jeu de manière très peu satisfaisante.

Tout juste le point rouge est-il là pour justifier la présence du Seikret, le gros dinosaure qui nous sert de monture, qui se lancera à la recherche des monstres d’une simple pression de bouton, naviguant avec aisance (ou presque) dans des environnements pensés essentiellement pour lui, ou pour nous tirer d’un mauvais pas en se précipitant pour nous secourir, une idée reprise Pilpoil de Monster Hunter Rise. Et si cette idée de dynamiser les déplacements est la bienvenue, le jeu finit par se piloter automatiquement, ce qui est un comble pour une série dont la découverte des objectifs a toujours fait partie intégrante de son idée centrale. Une idée encore plus prometteuse quand elle s’exprime dans des environnements toujours plus gigantesques et détaillés.
Je fustige alors l’absence du système d’expédition de Monster Hunter World qui permettait, lors du déroulé de la campagne, de se familiariser avec les nouveaux lieux à explorer, jusqu’à découvrir des passages reculés ou tomber sur des monstres très dangereux. Comprendre l’organisation de la Forêt Ancienne, admirer la beauté et l’originalité du Plateau de Corail, craindre la descente poisseuse, incertaine, et oppressante du Val Putride… En une expression : le sentiment de découverte. Est-ce que cette philosophie était réellement incompatible avec Monster Hunter Wilds ?
Cela dit, nous concentrer lors de la campagne sur la chasse permet de passer outre la tristesse graphique déprimante. Entre grottes pétrolifères, forêt inondée et désert ennuagé, le jeu présente une majorité de teintes très ternes, ne retirant son manteau de gris qu’en de rares occasions. Mais attention, ça ne veut pas dire que le jeu est moche ! Car en dehors d’un popping peu glorieux lors des cinématiques, quelques textures laides, et une gestion de la lumière étrange, Monster Hunter Wilds est magnifique, quelque soit le support. Le niveau de détail est obsessionnel de part la myriade de petites animations, et l’univers sonore est une nouvelle fois très travaillé. Et cela prend une autre dimension quand cela touche aux stars du jeu, les monstres.

Dancing with Wolves
S’il y a un secteur dans lequel la série a toujours su briller de mille feux, et ne déroge pas à la règle ici, c’est bien évidemment ses combats. Si la palette des armes est toujours aussi conséquente, chacune s’est pourvue de nouveaux mouvements afin de dynamiser toujours plus les confrontations contre des créatures toujours plus impressionnantes. C’est ici que le coeur du jeu résonne, qu’il teste votre patience, votre capacité à anticiper, adapter, contrer, et à affaiblir, notamment grâce au mode focus, la grande nouveauté de cet opus, qui permet de détruire les blessures des monstre pour un maximum d’opportunités et d’objets, rendant la fabrication des armes et des armures moins pénible.
Et si leur nombre n’est pas la grande qualité de cet épisode (du moins pour l’instant, en attendant l’arrivée des mises à jour), la variété des créatures à affronter est une nouvelle fois étourdissante, voire déroutante, et un soin extraordinaire leur a été apporté comme à l’habitude. On le voit dans la manière dont elles se déplacent et dont elles télégraphient leurs mouvements, leurs interactions entre elles, reprenant alors le système de guerre des territoires introduit dans Monster Hunter World. C’est ici que le choix de tramer le jeu prend tout son sens en offrant des rencontres uniques, voire épiques comme jamais. Le jeu maîtrise la révélation de chacune de ses cartes au travers d’une mise en scène toujours plus spectaculaire, et des combats toujours aussi frénétiques grâce à une synergie entre visuels, effets sonores, musiques, voire enjeux narratifs. Les lames dansent, les fusils sifflent, les monstres enflamment ou détonnent. Sur le point où Monster Hunter Wilds était sans doute le plus attendu, celui-ci ne déçoit nullement. L’essentiel est donc préservé. Mais cela est-il suffisant?

Unforgiven ?
À lire cette critique de Monster Hunter Wilds, vous seriez tentés de vous dire que je suis aigri à cause des précédents opus ou que le jeu ne vaut clairement pas ce que les gens en attendaient, et vous auriez tort de penser cela. Car une fois la trame scénaristique défilée, le jeu se met à respirer, pour enfin laisser les joueurs libres de leurs actions C’est ici que l’intérêt de son monde ouvert paraît enfin, que celui-ci prend vie grâce au soin exceptionnel apporté à chaque écosystème, de ses lézards qui rampent, de ses oiseaux qui dansent (si, si, les développeurs ont programmé des parades nuptiales pour une espèce), de ses papillons qui volent. De ces gigantesques hordes d’herbivores de dizaines d’individus qui cavalent dans les plaines désertiques, un principe longtemps vanté par les développeurs dans leurs interviews (mais finalement assez peu exploité). De l’enivrement que l’on prend à traverser cette forêt luxuriante, jusqu’à escalader les arbres et esquiver les monstres pour apprécier la vue. Et que dire de celle offerte par les falaises de glace, suspendues au temps dans le plus grand des silences, et ceux qui ont joué au jeu savent de quoi je parle, jusqu’à ce que la tempête approche, et que le fer ne soit à nouveau croisé.
Car le jeu, tellement sûr de ses intentions, se permet même de recycler une idée vieille de vingt ans apparue dans Monster Hunter Dos, un système de saisons où alternent déclin, perturbation, et abondance, chacune apportant ses changements principalement esthétiques, secondairement mécaniques.
C’est ici que l’on comprend comment la vie de chaque ethnie est articulée, la justesse et l’audace des choix de chaque zone, jusqu’à leur dégradation, laissant place à une approche presque science-fictionnelle. Sans oublier tout l’aspect communautaire qui prend enfin tout son sens (notamment par l’arrive du Crossplay !), même si le travail de Capcom sur cette interface est à perfectionner. Effectivement, à partir de là, Monster Hunter Wilds devient peut-être brillant comme jamais la licence ne l’avait été auparavant.

Monster Hunter Wilds m’a fait peur. Mais il a une nouvelle fois réussi à se réinventer avec une plutôt grande maîtrise, en étant audacieux, en faisant des choix forts, que l’on pourrait parfois qualifier de refus d’obstacles, mais le public lui en donne raison : le chiffre de 8 millions de ventes en trois petits jours est là pour en attester.
Toutefois, l’aventure ne fait que commencer, et démarre avec elle un jeu de patience. Une patience sur le long cours, de nouvelles updates gratuites et une extension (sans doute payante) sont encore prévues, ce qui permettra d’approfondir les enjeux narratifs, tout en proposant nouvelles mécaniques de jeux, zones, et combats dantesques. Ainsi, il est trop tôt pour dire si Wilds marquera autant de son empreinte cette génération que World n’avait réussi à le faire en son temps, même. Et même si pour l’heure, le jeu semble plutôt décevoir parmi les fans invétérés, il est indéniable que le déclin n’en sera pas son synonyme, en cimentant définitivement la licence comme une pierre angulaire sur laquelle il faudra compter. La couronne peut lui être remise : Monster Hunter s’installe désormais à la table des plus grands.
Monster Hunter Wilds
Pros
- Une simplification bienvenue et parfaite pour les débutants
- Des combats toujours plus épiques, pour un bestiaire toujours impressionnant
- Un rythme de campagne très bien géré pour un scénario pas si secondaire que ça
- Une présentation très soignée
- Des centaines d'heures vous attendent en solo ou en multi via le Crossplay (sans compter les updates gratuites)
Cons
- Le faux sens de certains systèmes, trahissant la série
- La linéarité du titre dans sa première partie, n'offrant que peu de détours
- Une belle accessibilité qui n'empêche pas une certaine avarice en explications
- Des bonnes idées qui manquent d'approfondissement
- Quelques bugs d'affichages présents (sur PS5), et une interface multijoueur à parfaire