Amérique du Nord, 1899. L’ère de l’Ouest sauvage touche à sa fin. Suite à un braquage qui a mal tourné dans la ville de Blackwater, Arthur Morgan et le reste des hors-la-loi de la bande de Dutch Van Der Linde doivent prendre la fuite vers l’Est. De là, imaginez qu’une passion secrète s’empare d’Arthur. Animé par l’envie de s’éloigner du mauvais côté de la loi, il entreprend alors un pèlerinage à travers New Hanover à la recherche des plus belles espèces d’oiseaux. Si ce postulat de départ peut vous paraître saugrenu, dites-vous bien que vous n’avez encore rien vu. Bienvenue dans Red Dead Redemption II, la plus grande aventure ornithologique à ce jour dans le monde du jeu vidéo.
NB : La photo de couverture est signée Alex Crowley : Alex C (u/PhotoAlexC) – Reddit. © Alex Crowley.
L’éveil des sens
Les oiseaux sont très présents dans le monde du jeu vidéo. Si le premier d’entre eux que l’on semble trouver dans Joust avait avant tout une fonction mécanique, la faune aviaire s’est imposée comme indissociable du médium vidéoludique. Marqueurs de l’environnement, ennemis, boss, alliés et même personnages principaux, ils sont présents dans quasiment tous les jeux vidéo. Parfois discrets, parfois messagers, parfois primordiaux. Si par le passé, l’avifaune se contentait principalement d’archétypes (le corbeau, le hibou ou encore la mouette), l’évolution du jeu vidéo a permis de la diversifier dans des univers de plus en plus complexes et organiques. Aujourd’hui, on ne se pose pas seulement la question de mettre un oiseau, mais de mettre quel oiseau.
Cette diversification a pris son envol avec l’avènement de mondes de plus en plus ouverts et de plus en plus tangibles. Ainsi, les oiseaux apportent un lien de crédibilité dans l’expérience qui nous est proposée. Elle repose sur des bases réelles, que la faune soit existante ou imaginaire, en justifiant sa présence. Les corbeaux des montagnes des derniers Zelda sont par exemple signe de mauvais présage, comme l’histoire culturelle du corbeau s’est matérialisée dans notre réalité. De plus, certaines espèces du jeu sont dites « homochromes », un terme qui signifie que l’animal est de la même couleur que son environnement afin de s’y camoufler.
Mais cette diversification doit également composer avec toutes les règles qu’impose un jeu comme a dû le faire la création du studio Ustwo Games, « Alba : un été en terre sauvage« . Il serait par exemple inconcevable d’avoir une espèce migratrice qui ne viendrait sur site que de temps en temps, cela pourrait frustrer le joueur. Certains oiseaux rares sont donc cantonnés à des lieux précis. Ce qui fait leur rareté, ce n’est donc pas le fait qu’on ne les voit pas souvent mais plutôt qu’on ne les voit qu’à un point précis de la carte tout le temps.
Les exemples sont encore nombreux et bien plus diversifiés que l’on pourrait croire. Quelle ne fut pas notre surprise de voir certains jeux parler d’Araponga (Professeur Layton et l’héritage des Aslantes), de Loriot de Chine (Ghost of Tsushima) ou de Paradisier (Donkey Kong Country 3 : Dixie Kong’s Double Trouble). Un livre pourrait en être écrit. Mais trêve de bavardages et de présentations, aujourd’hui, nous allons plonger dans l’expérience ornithologique que l’on pourrait qualifier d’ultime : Red Dead Redemption II.
Le sens du détail
Il est difficile de parler d’ornithologie sans s’adresser à des ornithologues. C’est une adrénaline. Parfois une longue attente viscéralement récompensée. Parfois une longue attente douchée par rien. Une surprise qu’on n’attend pas. Un instant qu’on ne saisit pas. Il est très difficile de capturer tout cela dans un jeu vidéo qui répond à des règles et à un certain sens du rythme. C’est pourtant ce que parvient à capturer Red Dead Redemption II, ce sentiment de l’inconnu et de l’inattendu.
Bien évidemment, tout cela est édulcoré, mais les nombreuses interactions et les différents comportements apportent un semblant de cohérence à l’ensemble de la faune. Il n’est par exemple pas rare de voir certaines espèces voler en formation dans le jeu. Cette formation en « V » est un des exemples les plus caractéristiques du vol chez les oiseaux, notamment les migrateurs. Cela leur permet de réduire leur dépense d’énergie. Les Rapaces peuvent être aperçus en train de chasser des serpents ou des mammifères. Tout cela participe à rendre l’ensemble observé vivant. Et si seulement une soixantaine d’espèces d’oiseaux peuple la carte de Red Dead Redemption II, leur omniprésence, leurs aires de répartition, et quelque part pour certains leurs mythologies, suffisent à rendre leur observation intéressante.
Red Dead Redemption II : un tour ornithologique
Alors, qu’avons-nous dans les contrées de Lemoyne et jusqu’à New Austin ? Premier point, les oiseaux de RDR2 ne sont pas tous originaires des États-Unis. En effet, le jeu se permet quelques explorations exotiques et caribéennes avec notamment la péninsule de Guarma. Sa faune aviaire suit donc avec ses Aras et le Fou à pieds rouges. Aras rouge, Aras bleu et Ara de Buffon sont principalement originaires d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Si les deux premières espèces citées se portent plutôt bien, l’Ara de Buffon est lui en revanche en danger critique d’extinction.
Le Fou n’est pas non plus visible sur les côtes nord-américaines bien que son aire de répartition soit gigantesque, parmi tous les océans du globe. La même réflexion peut quasiment s’appliquer à la Spatule rosée que l’on ne voit que du côté de Bayou Nwa dans le jeu et qui tend à s’échouer en Floride et sur les pourtours texans dans la réalité. Mais la plus grande partie de son aire de répartition se trouve bien entre Caraïbes et Argentine.
Pour le reste, la grande majorité des espèces est caractéristique du paysage américain au point de parfois en être des emblèmes. Évidemment, il est impossible de parler d’oiseaux des États-Unis sans évoquer le fameux Pygargue à tête blanche que l’on trouve dans les régions de West Elizabeth et Ambarino. Mais d’autres espèces présentes dans le jeu se trouvent être dans la réalité des emblèmes d’États américains. L’Oriole de Baltimore est celui du Maryland, le Merle d’Amérique celui du Michigan tandis que le Cardinal rouge est celui qui est le plus représenté puisque sept États en ont fait leur emblème, de la Caroline du Nord à l’Illinois.
Parmi les autres espèces communes aux États-Unis et présentes dans le jeu, on peut citer l’hivernal Jaseur américain, le très menacé Condor de Californie ou la Buse à queue rousse, que vous connaissez toutes et tous à minima d’oreilles, puisque c’est l’oiseau que l’on entend toujours à la place du cri du Pygargue dans les films ou les séries (et dans la série Assassin’s Creed, c’est le cri de cet oiseau que l’on entend sur les points de synchronisation). On peut également parler du Moineau friquet, une espèce plutôt rare en France mais bien originaire du Vieux Continent, importé dans les années 1870 aux États-Unis.
Nous pourrions également parler de certains absents qui, par un certain statut, auraient pu être présents dans le jeu. C’est le cas du Moqueur polyglotte, cinq fois emblème étatique, du Grand géocoucou, animal que l’on aurait pu trouver du côté des zones désertiques et qui inspirera le fameux « Bip Bip » dans la moitié du dessin animé éponyme. Et puisque Red Dead Redemption II fait la part belle à des animaux légendaires (mais malheureusement à aucun animal à plumes mythique), pourquoi ne pas avoir construit une légende autour du Pic à bec ivoire, un oiseau très commun au XIXème mais qui a disparu suite à la raréfaction de son habitat, le dernier vrai signalement datant de 1944 ?
Il est en effet question d’un « vrai signalement » puisque de nombreux ornithologues clament aujourd’hui avoir revu l’oiseau sans que de véritables preuves soient présentes sur la table, ce qui mènera à une scission entre les ornithologues américains à partir de 2004. Ainsi, le Pic à bec ivoire aurait pu suivre le destin de la Conure de Caroline qui, de part son exploitation dans le jeu, mérite un paragraphe à elle seule.
Le cas fantastique de la Conure de Caroline
Ceux qui ont joué au jeu et l’ont terminé à 100 % le savent. Une mission consiste à éliminer une espèce en particulier : la Conure de Caroline. Il s’agit de la seule espèce de Psittacidé (regroupant Perroquets et Aras) d’Amérique du Nord ayant disparu aux alentours des années 1910 puis 1940. Et nous disons bien « puis » car en réalité, les deux sous-espèces de Conures, l’une occidentale et l’autre orientale, vont disparaître l’une après l’autre. L’oiseau était chassé pour ses plumes mais aussi parce qu’il s’en prenait aux récoltes lorsque de grandes bandes se réunissaient en hiver. Si vous voulez plus de détails, nous vous invitons à écouter la moitié d’émission dédiée à ce passage du jeu dans le podcast « Le Courrier de la Sterne ».
Quoiqu’il en soit, la Conure de Caroline est la seule espèce dont on peut volontairement provoquer l’extinction dans le jeu puisque cette espèce y est présente en effectif limité. Et c’est aussi un des spectres évoqués (involontairement à supposer) par Red Dead Redemption II. La période couverte par le jeu (et sa suite scénaristique) dépeint un univers qui est en train de changer. La révolution industrielle est maintenant ancrée et entraîne avec elle tout un tas de modifications de l’environnement. Des villes sont construites, des voies de chemins de fers sont tracées, des zones naturelles se retrouvent polluées et c’est avec l’ensemble de ces menaces que démarre le déclin de la faune.
Déjà en 1885, de nombreux ornithologues alertaient sur l’abattage systématique des oiseaux pour leur parure. Parmi elle, une femme, Florence Bailey, à qui on devra le tout premier guide ornithologique moderne de l’histoire : « Birds through an opera glass », sorti en 1889. Un livre où elle se permet également la comparaison entre la condition des oiseaux et celle des femmes. Florence Bailey est peut-être même présente dans le mode naturaliste de Red Dead Online, réimaginée sous le nom d’Harriet Davenport, mais rien n’est présent pour confirmer telle chose. Mais ces initiatives ne seront pas suffisantes et la disparition de la Conure de Caroline deviendra de plus en plus critique.
Si la création des parcs nationaux par le président Ulysses Grant en 1872 puis la loi Lacey constitueront un premier pas, le massacre ne sera réellement enrayé qu’a partir de 1918, lorsque les États-Unis et le Canada signent conjointement le « Migratory Bird Treaty Act » qui condamne toutes exécutions, imports et exports d’oiseaux (migrateurs) sur site. Ce traité est progressivement devenu international avec des signatures conjointes de pays comme le Japon en 1972 et même l’URSS (devenue la Russie) en 1976. Ce sont ainsi aujourd’hui plus de 1100 espèces qui sont protégées sur le sol américain depuis la réformation du traité en 2021, cette mise à jour abolissant les poursuites pénales pour abattage accidentel.
Arthur et le Geai bleu
Parmi les oiseaux du MBTA (Migratory Bird Treaty Act), on y trouve le Geai bleu. Il fait partie de la famille des Corvidés (la même que celles des Corbeaux et des Pies), une famille bien plus colorée qu’on ne le pense souvent. Il suffit de voir le Geai vert ou la Pirolle de Ceylan pour s’en convaincre. Le Geai bleu est l’équivalent américain de notre Geai des chênes, un animal discret que l’on peut voir dans les forêts, les parcs, les jardins, jusqu’aux mangeoires des particuliers. Il est souvent remarqué pour sa capacité à avertir les oiseaux (mais aussi les écureuils) de présences intruses. Il est aussi connu pour l’importance extraordinaire qu’il a dans la reforestation.
À l’automne, les Geais se mettent en quête de glands qu’ils cachent habilement. Ce sont plus de 3000 glands qui sont ainsi récoltés par individu chaque année ! Ces glands vont constituer une grande partie de la nourriture de l’espèce durant l’hiver. Cependant, malgré une excellente mémoire spatiale à cette période, grâce à une augmentation de la taille de l’hippocampe dans le cerveau (Basil et al., 1996), l’oiseau ne va pas tout récupérer. Des oublis qui seront bénéfiques car de là vont germer des graines, puis pousser des arbres. Ainsi, pour exemple, une soixantaine de Geais des chênes ont permis de planter en 4 semaines… 300 000 glands dans une forêt de Suisse ! (Géroudet, 1953).
Même si sa réputation tend à s’améliorer, le Geai des chênes a encore à prouver. En effet, on l’accuse souvent de s’en prendre aux jeunes oisillons qui sont des proies faciles, ce qui ne sert pas son crédit. À sa décharge, des études sur le Geai bleu tendent à montrer que ce comportement est très exagéré (Lyche, 1907; Smith, Kimberly G., Keith A. Tarvin and Glen E. Woolfenden, 2013). Son homologue d’Outre-Atlantique a une réputation tout aussi clivante même s’il est bien moins farouche que son compagnon européen, en atteste le fait que l’oiseau n’est l’emblème national d’aucun état.
Lors de la ségrégation dans les États du Sud, le Geai était même considéré comme messager du diable. Le vendredi, il se dit qu’il emmenait du bois à ce dernier et à sa famille pour alimenter les flammes des Enfers. Et c’est parce qu’il voyage entre Ciel et Terre (au sens biblique du terme) qu’on ne l’entend pas entre 12h et 15h, son trajet prêté étant très long. Occupé le vendredi, il est en RTT le samedi, pouvant alors déclamer son chant le plus jovial (Martin, 1996). En réalité, de nombreux mythes ont émergé à cette période sur cet oiseau, facilement visible et reconnaissable par les travailleurs dans les champs de coton, mais du fait del’absence d’écrits permettant de les retranscrire, nombre d’entre eux ont été perdus.
Toutefois, la réputation du Geai s’écrit toujours entre gris clair et gris foncé. Et c’est par hasard en juillet 2022, soit presque quatre ans après la sortie de Red Dead Redemption II, qu’un joueur va faire une découverte remarquable. Attention, spoilers !
Lors de la construction de la maison de John Marston, qui est partie intégrante d’un des chapitres finaux du jeu, un Geai bleu peut être aperçu sur les planches de bois en train d’observer John et sa compagnie clouer ou redresser des poutres. Un détail intriguant qui a poussé de nombreux joueurs à l’identifier comme étant une possible réincarnation d’Arthur Morgan, le personnage principal du jeu qui finit par disparaître lorsque le récit s’achève. Le Geai bleu est effectivement le préféré d’Arthur et, référence voulue ou non, il s’agit d’un des oiseaux à être présent en carte de paquet de cigarettes dans le jeu (voir plus haut).
Pour certains natifs de l’Est canadien et nord-américain, le Geai bleu est au contraire un présage de bonne fortune. Il représente le changement à venir, prodigue conseils et encouragements. La spiritualité de l’oiseau évoque l’affirmation, la détermination, la fidélité en ses principes pour se battre en ce qui est juste. Toujours en qualité de messager, certains anciens pensaient que l’écouter leur permettaient de savoir si certaines personnes d’un village complotaient contre eux. D’une certaine manière, les Corvidés sont connus dans de nombreuses mythologies pour être des messagers des dieux.
S’ils sont parfois inefficaces voire incompétents, comme dans la mythologie japonaise avec le mythe de Cikap-Kamuy (Ashkenazy, 2003), ils sont parfois redoutables comme dans la mythologie nordique avec les deux Corbeaux d’Odin, Huginn et Muginn, l’un possédant la pensée ou l’esprit (les historiens débattent encore de la question) et l’autre le savoir. Ces oiseaux, indissociables de leur dieu baptisé « Le maître des Corbeaux », s’envolent chaque matin à travers les neuf royaumes avant de revenir à midi (ou le lendemain selon les traductions) rapporter leurs observations au chef. Cela explique en partie les quelques corvidés verts que Kratos doit chasser dans God of War 2018.
Contactée, l’équipe en charge de la réalisation de la faune de Red Dead Redemption II n’a pas donné suite. L’interprétation quant à la présence du Geai bleu est donc largement ouverte et prouve le souci du détail propre au jeu, si preuve il y avait encore besoin de formuler.
Les quelques égarements du jeu
Même si le travail, comme on vient de le voir ensemble, est assez exceptionnel, nous ne serions pas bons ornithologues si nous ne trouvions pas quelques critiques à faire sur le jeu, comme ce fut le cas du confrère Nicholas Lund en 2019. Dans son article, il avait par exemple relevé que l’Aigrette garzette (que l’on peut par ailleurs voir chez nous) était extrêmement rare à voir en Amérique du Nord puisqu’à ce jour, seulement un signalement de l’oiseau avait été identifié avant 1980, ce que l’on appelle dans le jargon une « observation accidentelle ». La réciproque est vraie puisque des espèces américaines peuvent également transiter en Europe, notamment lors des migrations hivernales comme par exemple la Grive dorée, que quelques chanceux des littoraux normands et bretons ont parfois eu l’occasion de voir.
Lund évoque également le sujet du Colin de Californie qui est en réalité dans le jeu un Colin de Virginie. Et là, c’est un carton jaune tant les deux ne se ressemblent pas. Y’a-t-il eu une erreur de traduction au moment de nommer les oiseaux ? Les deux Colins auraient-ils dû être présents dans le jeu, celui de Californie ayant été retiré au dernier moment ? Là encore, les principaux intéressés, contactés, n’ont pas souhaité s’exprimer.
Les Tangaras, des petits passereaux colorés, ne sont aussi pas nommés alors qu’ils regroupent deux espèces que l’on peut identifier : le Piranga écarlate et le Piranga à tête rouge. Détail amusant, les deux complètent ainsi la répartition des États-Unis puisque le premier est plus visible en Amérique de l’Est tandis que le second se trouve davantage en Amérique de l’Ouest.
On relèvera aussi quelques erreurs dans certains comportements comme celui qu’ont les petits oiseaux à ne pas replier les ailes quand ils amorcent leurs descentes (erreur très présente dans la modélisation vidéoludique) ou encore certaines chasses aux serpents qui paraissent bien difficiles compte tenu de la géologie des lieux. Mais dans l’ensemble, Red Dead Redemption II offre une métrique impeccable… qui pourrait peut-être ouvrir de nouvelles portes.
Les Grands Esprits
Red Dead Redemption II voulait briller par son souci du détail presque obsessionnel. Dans le domaine de l’ornithologie, il a, en tout cas, plutôt bien réussi son coup. Jamais un jeu n’avait été aussi proche de la réalité du terrain. Et quand, en juillet 2020, Red Dead Online voit débarquer le rôle « naturaliste », on se dit que la suite ne pouvait être on ne peut plus logique. Qui plus est, le lancement de cette quête démarre sur une argumentation entre Harriett Davenport, grande défenseure de la nature et Gus Macmillian, un trappeur à la retraite. Forcément un écho à la situation tendue de l’époque, entre traditionalisme et modernité dans l’action.
Harriett étudie les animaux et leurs interactions depuis trois ans, et demande au joueur de prendre part à son travail en traquant et en ramenant des preuves d’existence d’animaux légendaires. Ce mode a ainsi permis à de nombreuses personnes de pleinement prendre part à la recherche et à la rencontre des animaux, créant parfois des moments mémorables.
Et c’est justement sur ce point que va capitaliser une étude de 2021 baptisée « La valeur éducative des écologies virtuelles dans Red Dead Redemption 2 », menée par Edward Crowley, Matthew Silk et Sarah Crowley dans le journal britannique « People and Nature ». Leur but est simple : savoir si les joueurs de Red Dead Redemption II sont capables de mieux identifier des animaux que ceux qui n’ont pas joué au jeu. 581 personnes sont soumises à ce test, un quiz visant à reconnaître 15 espèces assez communes dans le jeu (oiseaux mais pas que) par l’intermédiaire de clichés tirés de la réalité.
La très grande majorité des 581 participants (444) a une expérience avec Red Dead Redemption II. Les auteurs de l’étude vont alors diviser ces joueurs en quatre catégories : ceux qui ont joué au jeu, ceux qui ont joué au mode naturaliste sans finir le jeu, ceux qui ont fini le jeu et ceux qui ont fini le jeu et joué au mode naturaliste. En étudiant les résultats, ils remarquent que les personnes n’ayant pas joué ou ayant joué au jeu sans le terminer ont obtenu un score médian. En revanche, ceux qui avaient terminé le jeu et/ou qui avaient joué au mode naturaliste obtenaient un meilleur score à l’exercice.
Toutefois, cette habilité se dégradait au fur et à mesure du temps selon lequel les joueurs avaient pu rejouer ou non au titre. En plus de ces résultats, les auteurs ont demandé à chaque joueur (qu’importe leur niveau de complétion) s’ils avaient des commentaires à faire concernant les apprentissages permis par le jeu. Et il s’avère que les participants ont mieux retenu les comportements et les interactions entre les différentes espèces puisqu’ils étaient sans doute plus émotionnellement impliqués.
Par cette étude, la question de l’impact possiblement éducatif que certaines expériences de ce type peuvent avoir peut légitimement se poser. Si la porte est depuis longtemps entrouverte du côté de l’histoire comme pour la série Assassin’s Creed (Thierry Noël en avait discuté ici), la question se pose désormais pour le naturalisme sous toutes ses coutures, alors qu’il est à un carrefour. En effet, ses disciplines ont besoin de se rendre de plus en plus inclusives et accessibles sous peine d’être en voie de disparition. S’il est clair que le jeu vidéo ne sera pas la solution à tout, il peut en revanche constituer une formidable porte d’entrée pour son apprentissage. Et des initiatives comme Alba : un été en terre sauvage citée plus haut ou même d’autres en VR sont autant de pierres à apporter à l’édifice.
Il n’appartient qu’à nous, naturalistes, de négocier ce virage pointu qui nous attend. Ne serait-ce que pour diffuser notre savoir au plus grand monde afin de faire prendre conscience des enjeux qui nous attendent, voire qui nous dépassent déjà. Par cet article, nous espérons avoir convaincu quelques confrères et consœurs de l’intérêt que l’on pourrait porter à ce genre d’initiative. Parce qu’après tout, les oiseaux sont très présents dans le monde du jeu vidéo. Et si le premier d’entre eux que l’on semble trouver dans Joust avait avant tout une fonction mécanique, la faune aviaire s’est imposée comme indissociable du médium vidéoludique.
Quid du tant attendu Grand Theft Auto VI ?
Même si cela n’a duré que trois secondes lors de la sortie du trailer du jeu le plus attendu de la décennie, nombre d’ornithologues comme Nicholas Lund se sont fendus d’un écrit pour parler des quelques images d’Everglades et essayer d’identifier les espèces présentes. Si la plus visible, le Flamant des Caraïbes, nous a tous mis d’accord, les autres sont plus difficiles à identifier. Par exemple, là où Lund voit des Grues juvéniles pour l’oiseau le plus à gauche sur la photo ci-dessous, d’autres pencheraient davantage vers une Aigrette tricolore qui est capable d’avoir un plumage très varié dans la réalité. Mais aucun d’entre nous n’a de certitudes.
La certitude, nous l’avons donc pour le Flamant des Caraïbes. Pourtant, même s’il est représenté dans tout le parc des Everglades, il en est en réalité… bien absent. Comme nous l’avons précédemment esquissé, le Flamant fait lui aussi partie de cette longue liste d’espèces chassées à la fin du XIXème siècle pour ses plumes. Combiné à la dégradation de son environnement, il a ainsi quasiment disparu des États-Unis. L’animal est loin d’être éteint pour autant, puisqu’il existerait selon la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN ou IUCN en anglais), 200 000 individus vivant entre Caraïbes, Amérique centrale et Amérique du Sud. Mais certains individus vadrouillent encore dans l’état de la Floride.
En 2015, un individu sauvage a créé la panique sur la base aéronavale de Key West. Si sa capture et sa conservation au zoo de Miami n’a posé aucun problème, celui de son relâchement en fut un. En cause : l’État considérait que comme l’oiseau n’avait plus été vu nicheur en Floride depuis la fin du 19ème siècle, celui-ci ne pouvait plus y être considéré comme endémique (c’est-à-dire, originaire de l’État). Les ornithologues ont alors persisté et signé en montrant aux autorités que des Flamants transitaient toujours dans la région, grâce au suivi GPS de deux individus mexicains se posant en Floride. Et ce serait en réalité un millier d’individus qui viendraient accoster temporairement sur les côtes floridiennes. L’État est alors revenu sur sa décision et le dénommé Conchy a pu être relâché dans la nature et suivi via GPS par les ornithologues qui ont été surpris : Conchy est en réalité resté deux ans en Floride.
Depuis une décennie, la restauration progressive du parc national des Everglades a favorisé le retours des échassiers dans la région et, à moyen terme, favorisera celui des Flamants. La carte postale offerte par le trailer de Grand Theft Auto VI pourrait donc bien se révéler être une réalité.
Depuis de nombreuses années, le jeu vidéo tente d’offrir des expériences de plus en plus réalistes. Pas toujours au niveau de leur réalisation mais au niveau de leur représentation. De nombreux projets fleurissent de par le globe, appuyés par des gens passionnés et soucieux de bien faire. Il n’est plus juste question de simuler ou de « s’approcher de », mais d’être dans le réel. Dans le même temps, les disciplines scientifiques ont commencé à négocier ce grand virage qu’est la communication, afin de se rendre plus accessibles.
La collision des deux univers offre donc des perspectives intéressantes allant au-delà de l’attrait du jeu. Si elle n’en constitue pas la substantifique moelle, la faune de Red Dead Redemption II apporte une réflexion audacieuse et intéressante qu’il convient, pour son application et les quelques messages qu’elle porte, d’analyser au-delà de son propos initial. Dans les grandes lignes, l’écologie (au sens scientifique du terme) est de plus en plus représentée dans le monde du jeu vidéo et constitue, en plus d’un enjeu ludique, un enjeu fondamental pour le futur.
L’objectif est d’éviter l’écologie dite « punitive » mais davantage de laisser le joueur comprendre de lui-même toutes les interactions et l’importance de ces dernières. Par exemple, les développeurs français de Kamaeru : A Frog Refuge, Mélanie Christin et Adrien Condomines, expliquaient que si la base du jeu était la création de zones humides et la collection de grenouilles, l’objectif était de faire comprendre au joueur l’importance de bien les entretenir afin d’avoir plus de nourriture et plus de variétés de grenouilles.
S’il ne sauvera pas la planète, le jeu vidéo peut toutefois aider, par de formidables alternatives, à comprendre les enjeux du monde qui nous entoure. Car c’est en ayant une meilleure compréhension que le joueur peut en saisir les différentes actions.