Un nouvel acteur se lance dans la course au triple A dans le genre action/aventure. Le studio Shift Up existe depuis 2013. Il est connu en Occident comme le développeur du gacha Goddess of Victory : Nikke. Il s’agit d’un jeu sur smartphone dans lequel des androïdes combattent des machines dans un futur post-apocalyptique. On y voit facilement un parallèle avec Nier Automata, le bijou de Yoko Taro. C’est d’autant plus vrai que les personnages mis en scène dans le jeu, les Nikke, sont exclusivement féminins, souvent avec un design plutôt suggestif. Mais avec Stellar Blade, c’est un tout autre défi que Shift Up tente de relever.
Annoncé en 2019 en même temps que Goddess of Victory : Nikke sous le nom de Project Eve, le titre était suffisamment prometteur pour être édité par Sony Interactive Entertainment et publié exclusivement sur PlayStation 5, lançant une collaboration unique entre la filiale de Sony et le studio sud-coréen. Les attentes sont très hautes pour le premier triple A de Shift Up. Voyons comment cette équipe ambitieuse s’en sort.
Un pitch très (trop ?) simple
Alors que des créatures du nom de Naytibas ravagent la Terre, l’humanité, exilée dans une colonie spatiale, prépare sa riposte. Le 7ème escadron aéroporté déploie ses troupes à la surface de la planète bleue. Mais les choses tournent très vite au vinaigre. Notre héroïne, Eve, devient la seule survivante et porte sur ses frêles épaules le poids de sa mission : éradiquer les Naytibas et permettre à l’humanité de revenir sur Terre. Un réfugié terrien du nom d’Adam lui vient en aide. Il vient de la ville de Xion, le dernier bastion de vie humaine sur la planète. Eve devra donc coopérer avec les habitants de Xion afin d’accomplir ses objectifs.
Le scénario de Stellar Blade repose sur une prémisse assez simple. Le contexte est celui d’une histoire de science-fiction où l’humanité, acculée par la menace, compte sur son meilleur élément pour sauver le monde avec l’aide de la résistance locale. C’est une base suffisamment solide pour construire une histoire remplie de rebondissements en tous genres. On attend de Stellar Blade que le jeu exploite cette base et place ses personnages dans des situations intenses où leurs motivations seront mises à rude épreuve.
Une histoire stagnante, désincarnée
Sans spoiler des éléments du scénario postérieurs à l’intro, on peut affirmer que ceux qui s’attendent à une histoire de haute volée seront déçus. Le scénario de Stellar Blade n’est pas mauvais, mais il manque sévèrement de dynamisme. Le pitch résumé ci-dessus est la seule ligne directrice qui guidera le joueur à travers de nombreuses heures de jeu. Les personnages sont peu bavards. L’élément perturbateur (l’échec de la mission du 7ème escadron aéroporté) est expédié dans les cinq premières minutes de jeu.
S’ensuit un long voyage dont le but parait un peu ésotérique. Le joueur attentif qui prend le temps de lire tous les documents éparpillés à travers les niveaux découvre une trame mystérieuse où règne le doute et le complot et où tout n’est peut-être pas ce dont il a l’air. Celui qui parcourt l’aventure, regarde les cinématiques et écoute les dialogues sans chercher à recouper les centaines de textes disséminés un peu partout est laissé sur sa faim. Les éléments de scénario de Stellar Blade existent comme une toile de fond narrée à travers un fouillis d’archives textuelles en tout genre et qui occupent rarement le premier plan.
Les personnages principaux ne vivent pas l’histoire, ils ne font pas face aux retournements de situation, ne ressentent pas les émotions qui devraient s’emparer d’eux. Il devient vite difficile de se sentir investi dans l’aventure d’Eve et Adam quand eux-mêmes semblent très peu préoccupés par ses tenants et aboutissants. La narration est lacunaire. On se désintéresse rapidement de l’histoire principale qui peine à progresser, au profit des histoires des personnages secondaires de Xion, souvent bien plus riches en émotions.
Des mécaniques exigeantes mais robustes
Stellar Blade est un jeu corsé. On pourrait confondre la difficulté du titre pour une erreur de design tant les affrontements face aux ennemis paraissent déséquilibrés de prime abord. Les Naytibas frappent vite et fort. Pour peu qu’ils soient en groupe, il suffit souvent d’une seule mauvaise décision pour que le joueur morde la poussière. Les premières heures sont brutales. Eve parait lente et peu réactive en combat, ce qui peut frustrer étant donné l’agilité supposée de l’héroïne.
Néanmoins, on finit par comprendre à mesure qu’on débloque de nouvelles capacités que le jeu est équilibré autour de celles-ci. Attaquer les Naytibas permet de charger son énergie Bêta. Celle-ci donne accès à une palette d’attaques supplémentaires. Ces attaques dévastatrices ne peuvent pas être interrompues par les ennemis. L’esquive est inefficace, Eve se déplace à peine et ne bénéficie d’aucune invincibilité à moins d’avoir un timing parfait. La parade, en revanche, est dotée d’une fenêtre bien plus avantageuse. Elle peut être tentée plusieurs fois d’affilée par le joueur alors qu’il cherche le bon timing. Une parade loupée se transforme souvent en une attaque bloquée puisqu’il s’agit du même bouton que celui pour se mettre en garde. Après une parade parfaite, Eve dispose de coups spéciaux qui lui permettent de riposter. La boite à outils à disposition du joueur continue de s’enrichir à mesure qu’il progresse.
Le déclic, quand le joueur commence à comprendre
Après quelques heures, on réalise que c’est principalement la parade et les attaques Bêtas qui permettent au joueur de s’en sortir. Comme dans Sekiro : Shadows Die Twice, on est incité à rester ancré au sol et à parer la multitude de coups qu’on reçoit pour ensuite punir les ennemis. Même en ayant compris ça, la courbe de difficulté est brutale. La fenêtre pour les parades peut être élargie grâce à certaines améliorations, mais celles-ci ne surviennent qu’après une bonne dizaine d’heures de jeu. Les habilités d’Eve se multiplient de manière exponentielles, mais l’héroïne commence avec très peu d’armes dans son arsenal. Le joueur est contraint de s’adapter, d’apprendre à reconnaitre et à contrer les différentes attaques ennemies. Une fois que temps d’adaptation surmonté, Stellar Blade dévoile une nouvelle facette de lui-même.
Le jeu est en réalité loin d’être aussi pataud qu’il en a l’air. Le habilités puissantes et l’acclimatation du joueur aux différentes mécaniques ne permettent pas seulement de surmonter les épreuves, mais bien de dominer le champ de bataille. Lorsque toutes les options sont assimilées, que l’on parvient à parer les attaques qui peuvent être parées, à esquiver celles qui doivent être esquivées, et à utiliser son énergie Bêta au bon moment, on atteint le nirvana vidéoludique. Les combats de Stellar Blade deviennent très, très satisfaisants. C’est même la force du titre. Parvenir à surmonter le sentiment de lourdeur initial et devenir capable de décimer les Naytibas fournit un rare degré de jouissance. Les combats qui paraissent être une corvée au début deviennent dangereusement addictifs. Pas étonnant que des joueurs aient passé plus de 50 heures sur la démo !
Le plaisir visuel et auditif
La satisfaction qui est rencontrée dans les combats face au Naytibas est décuplée par un excellent design visuel et sonore. Les animations d’Eve sont réussies, les combats ont fière allure. Les parades parfaites provoquent un bruit retentissant de lames qui s’entrechoquent ainsi qu’un ralenti qui augmente le sentiment de puissance. La caméra tremble, des étincelles volent. Stellar Blade est extrêmement plaisant à regarder et encore plus agréable à jouer. La qualité des combats montre une réelle maitrise de Shift Up dans la création d’un jeu d’action. On peine à croire que c’est la première production de ce type de la part du studio tant les différents éléments qui la composent s’imbriquent parfaitement. Les mécaniques sont bien huilées, sublimées par des sons et des effets visuels qui rendent le jeu addictif. La première chose qu’on a envie de faire quand on pose la manette après une session de Stellar Blade, c’est d’en relancer une autre.
En dehors des combats, les environnements du jeu sont variés et disposent d’une palette de couleurs chatoyante qui rend les décors agréables à parcourir. Sans être le porte-étendard des capacités de la PlayStation 5, loin de là, Stellar Blade parvient à se distinguer de par la richesse de son monde. Que ce soit une ville dévastée qui déborde d’une végétation luxuriante ou bien de grandes plaines désertiques, le jeu fourmille de détails spécifiques à son univers science fiction qui permettent de s’y projeter avec aise. Les majestueuses statues du quartier d’affaires inondé de Eidos 7 ou bien les camps de réfugiés souterrains sont des décors mémorables qui donnent du relief au monde du jeu.
Du côté de la bande-son, Stellar Blade est entre de bonnes mains. Goddess of Victory : Nikke est réputé pour la qualité de sa musique, et Keiichi Okabe, le compositeur de la série Nier, est également de la partie. Du rock nerveux à la Metal Gear Rising: Revengeance pour les boss, des compositions au piano sobres et élégantes lors des moments de répit, voir du bossa nova ou autres style divers, des musiques chantées en coréen ou en anglais… Stellar Blade fait voyager. Ses influences musicales sont multiples, et la qualité de sa bande-son est telle que même ceux qui ne sont pas intéressés par le jeu pourraient être conquis.
Une polémique légitime ?
Stellar Blade est un excellent jeu d’action qui a souvent fait parler de lui pour de mauvaises raisons. Le physique de l’héroïne, en particulier, a provoqué bien des débats. Plutôt que de jouer sur la sexualisation outrancière de la protagoniste jusqu’à en faire un facteur de comédie comme le faisait Bayonetta, Shift up reste au premier degré. La tentative de flatter la rétine des joueurs est sincère, mais pas sexualisée à l’excès. Eve n’est pas le sujet de quelconques blagues ou remarques vulgaires sur sa beauté ou ses proportions, ni de plans de caméras poussifs. L’héroïne du jeu est juste une belle femme, tout comme elle aurait pu ne pas l’être.
Adam et Lily, les personnages secondaires qui accompagnent l’héroïne, ont également de très beaux visages. Le monde de Stellar Blade de manière générale est conçu pour être agréable à l’oeil. La démarche du jeu est clairement celle d’une recherche de l’esthétique, non pas à des fins d’éveiller les pulsions des joueurs, mais bien parce que de Shift Up choisit de montrer son idée du beau. Il y a également des implications scénaristiques et thématiques qui justifient ces choix, mais il est impossible d’en parler sans spoiler.
Ce que l’on peut retenir cependant, c’est que Stellar Blade est un très joli jeu et qu’il n’y a aucun mal à apprécier les belles choses. En fait, c’est même une bouffée d’air frais dans un paysage vidéoludique où les esprits créatifs ne rechignent pas à montrer toute la violence, la cruauté et la laideur que l’être humain peut imaginer. Après avoir fait l’expérience des fatalities de Mortal Kombat ou de la hargne qui hante The Last of Us Part II, on aime pouvoir se détendre avec un titre à l’aspect visuel aussi idéaliste.
Dans les pas de Nier Automata
Stellar Blade est souvent comparé à Nier Automata pour de multiples raisons. Des jeux d’action futuristes mettant en scène une protagoniste sexy déployée à la surface de la Terre pour affronter une menace et reconquérir la planète au nom de l’humanité. Le pitch et l’esthétique du monde sont similaires ainsi que la communication autour du jeu. Cela pourrait pousser à penser que Stellar Blade est un ersatz de Nier Automata. On pourrait imaginer qu’il s’agit d’une vulgaire resucée, une version moins élégante du titre de Yoko Taro cherchant à surfer sur la vague d’un succès planétaire.
On serait alors confus d’entendre Yoko Taro déclarer qu’il est jaloux de Stellar Blade, qui serait selon lui bien meilleur que Nier : Automata. On pourrait penser qu’il s’agit du genre de compliments creux que les gens de l’industrie se lancent les uns aux autres. Pourtant, il y a matière à penser que le créateur d’Automata est sincère concernant le travail de son homologue à Shift Up, Hyung-Tae Kim, le directeur de Stellar Blade. Car oui, Stellar Blade peut être considéré comme un bien meilleur jeu d’action.
Le développement de Nier Automata par Platinum Games est un évènement fortuit. Platinum Games était alors le ténor du genre beat’em up, le projet leur a donc été confié par Square Enix. Il en résulte un jeu à l’identité un peu confuse, dont les mécaniques de combat manquent de profondeur. Objectivement, Automata brille grâce à son histoire, ses personnages, sa musique, sa mise en scène. Pas grâce à sa jouabilité mémorable. Et c’est ça qui le distingue du jeu qui nous intéresse aujourd’hui.
Les qualités propres du titre coréen
Stellar Blade, lui, est conçu comme un beat’em up de ses racines jusqu’à ses branches. C’est un jeu solide du point de vue de ses mécaniques, pensé avant tout pour délivrer une expérience exigeante et satisfaisante. Il est donc bien plus susceptible de plaire aux férus du genre qu’Automata. Si on ajoute à cette analyse le fait que Stellar Blade est un jeu de nouvelle gen, avec de meilleurs graphismes, de meilleures animations, une identité visuelle plus forte, il est facile de comprendre la position de Yoko Taro et de percevoir le jeu d’action coréen comme un meilleur produit.
Cependant, il faut nuancer le propos du créateur d’Automata qui tend à être trop modeste sur son œuvre. Notre dossier sur la série Nier s’attarde longuement sur cette série culte dont les propositions de scénario frisent le génie. Il y a une bonne raison si on en parle comme d’un jeu dont la réputation ne fait que croitre avec le temps qui passe. Le titre de Shift Up ne dispose pas des même qualités. Il en a d’autres qui lui sont propres, et les deux ne sauraient être confondus.
Alors, Stellar Blade dispose-t-il du même potentiel à devenir une icone de la pop culture que Nier : Automata ? Difficile à dire. Il s’agit de deux jeux à l’esthétique similaire, mais qui sont en réalité aux antipodes l’un de l’autre. On peut cependant affirmer qu’au minimum, Stellar Blade ne manque ni d’originalité, ni de sérieux. Ses points forts sont complètement différents du titre de Yoko Taro et lui permettront de trouver sans peine son public. Selon Hyung-Tae Kim, les jeux solo ayant une fin ont une importance cruciale pour la santé de l’industrie. Le but assumé est de proposer un titre qui diffère des multiples jeux service et autres shooters multijoueur afin d’apporter de la diversité au paysage vidéoludique. Stellar Blade accomplit parfaitement cet objectif. Il s’agit d’un titre agréable à l’œil, riche en contenu, bien structuré qui respire la compétence de ses équipes de développeurs. Il saura sans problème justifier son prix d’achat, avec une durée de vie d’environ 40 heures lors d’une première partie et une vingtaine d’heures supplémentaires pour ceux qui souhaitent voir tout le contenu proposé. Le tout est bien rythmé, avec des phases diverses, un open world, et même de la pêche.
CONCLUSION
Stellar Blade
Stellar Blade est un beat'em up extrêmement solide. Son univers est beau, sa musique est entrainante, et surtout, ses combats sont incroyablement dynamiques et satisfaisants. Les systèmes de combat demandent un peu de pratique avant d'être pleinement appréhendés, d'où une difficulté accrue au début, mais le sentiment de maîtrise que l'on ressent une fois ces systèmes apprivoisés est grisant. Le scénario est un peu en deçà, plutôt faible et prévisible. Stellar Blade est avant tout un pur jeu d'action, et en ça, il remplit sa fonction à merveille.
LES PLUS +
- Des combats à la fois exigeants et satisfaisants
- Des niveaux bien conçus et beaux à voir
- Des quêtes secondaires scénarisées avec des personnages intéressants
- Toutes les musiques du jeu sont excellentes et variées à souhait
LES MOINS -
- Un scénario qui peine à progresser et des personnages un peu creux
- Un open world accessoire à l'intérêt un peu limité