Après une longue série de spin-off, Atlus sort une nouvelle fois un épisode dérivé de Persona 5 sous le nom de Persona 5 Tactica. Comme son nom l’indique, il s’agit cette fois d’un jeu de type Tactical-RPG dans la veine des « Mario + Lapins Crétins ». Persona 5 ayant été le plus grand succès de la série Persona et Shin Megami au global, il n’est pas anormal de voir Atlus réutiliser cet univers et ces personnages bien connus en exploitant d’autres styles de jeux. Les plus fins analystes savent même que la saga apparait désormais dans les rapports de stratégie de Sega au même niveau que Sonic ou Yakuza.
Ce dernier venu dans la grande famille des Persona n’est autre qu’un Tactical RPG très facile d’accès. Après avoir redynamisé le JRPG, cette fois-ci Atlus entend rendre le T-RPG moins austère que la concurrence avec une présentation très proche de Persona 5. Et après un dungeon crawler, un jeu de rythme et un Muso, ce nouveau dérivé de Persona 5 tient-il la route pour les fans de Persona et les fans de T-RPG ?
Une histoire de rébellion
L’histoire dans les jeux Persona est toujours un point clé. Les scénaristes ont toujours mis un point d’honneur à raconter des récits très intimistes n’hésitant pas à dénoncer des pratiques « courantes » au Japon ou ailleurs. Dans cet épisode, il y a deux récits en parallèles, celui du passé des nouveaux protagonistes et celui de nos héros coincés dans un monde imaginaire. Ce premier récit, qui sert de fil rouge, remettra en question le milieu politique japonais ainsi que les jeux de pouvoirs qu’il peut y avoir dans ce monde. Par la suite, on y découvrira un monde scolaire où certains professeurs abusent psychologiquement des élèves. Ces sujets ne sont pas nouveaux pour la saga, mais la manière de les raconter est originale et apportera son lot de surprises liées à l’intrigue principale, le second récit du jeu. Cette histoire principale est celle qui prend le plus de place et permet de découvrir les héros originaux de Persona 5 dans une nouvelle aventure.
Le titre débute avec les fameux voleurs fantômes dans le café Leblanc, interrompus par un flash info évoquant la disparition d’un politicien. Quelques instants plus tard, nos héros sont transportés dans un nouveau monde hors du métavers habituel. L’intégralité du jeu se déroule dans des mondes imaginaires, hors du temps. Ces différents mondes, à l’image des palaces, sont esthétiquement très marqués avec en premier lieu un imaginaire militaire qui mélange des inspirations soviétique et napoléonienne. C’est d’ailleurs ce premier royaume qui a servi d’inspiration globale pour l’ensemble des éléments artistiques du jeu. Que ce soit son logo ou ceux dans les menus, ils restent en effet tous rattachés à ce monde militaire.
Très rapidement, les personnages se retrouvent confrontés au tyran local qui capture plusieurs membres de l’équipe, tandis que les autres se font sauver par une mystérieuse femme, leader d’un groupe de rebelles. Aidés par cette femme du nom d’Erina, les protagonistes vont secourir leurs amis capturés. Mais quelle ne sera pas leur surprise en tombant nez à nez avec l’homme politique, Toshiro, porté disparu dans le monde réel et mentionné dans un flash info chez Leblanc.
C’est avec l’introduction de ces deux nouveaux personnages que les enjeux de ce spin-off apparaissent enfin. Les voleurs fantômes vont faire équipe pour comprendre leur arrivée dans ce monde mystérieux et pourquoi Toshiro et Erina sont bloqués ici. Le jeu emmène nos anciens et nouveaux protagonistes dans différentes zones où règnent similairement des injustices et des tyrans en tout genre.
Derrière cette promesse assez alléchante d’explorer de nouveaux mondes avec des nouveaux protagonistes, malheureusement le jeu se perd un peu vite. L’histoire est globalement plutôt intéressante à suivre avec quelques jolis rebondissements et quelques scènes touchantes. Néanmoins, le récit est loin de ce qu’apporte P5 en termes d’écriture. Il reste dans la moyenne basse des scénarios de spin-off de Persona, ceux-ci étant malheureusement et rarement connus pour être passionnants.
Le plus frustrant est que le jeu est bavard, trop bavard. En somme, cela pourrait ne pas être un problème si l’écriture était de qualité. Mais P5T endort malheureusement en dialogues inutiles et discussions pas très inspirées. Par moment, il essaie de faire comme son grand frère Persona 5 et de créer un semblant de lien social entre les personnages. Ces événements se résumeront à des discussions creuses entre personnages, dans l’unique but de booster vos caractéristiques. La tentation de faire « avance rapide » sur ces petits bouts de scénario est très tentante. A savoir pour ceux moins à l’aise avec l’anglais, ce spin-off est traduit en français dans le texte avec le choix des voix anglaises ou japonaises.
Les joueurs qui souhaitent explorer plus en profondeur la personnalité des voleurs fantômes risquent aussi d’être déçus. Comme souvent avec ce genre de spin-off, les protagonistes sont uniquement des caricatures d’eux-mêmes. Le jeu ne peut pas se permettre d’ajouter des nouvelles couches de complexité aux personnages, donc s’en remet à leurs grandes lignes et à leurs grandes caractéristiques. L’histoire, elle, se situe un peu avant la fin de Persona 5 et ce n’est clairement pas à son avantage car l’intrigue est clairement anecdotique dans la globalité de cet univers. Néanmoins, même si l’écriture n’a pas été poussée sur les héros connus, le cœur de l’histoire réside sur les deux nouveaux personnages. Erina et Toshiro seront les vraies stars et ont le droit à un développement bien plus poussé, qui justifie à lui seul l’intégralité des événements du jeu.
Les deux récits en parallèle ne sont pas au même niveau. L’histoire principale souffre dans l’ensemble de dialogues sans grand intérêt, mais elle est néanmoins rattrapée par le fil rouge qui s’intéresse à Erina et Toshiro, ce dernier étant bien plus inspiré et proche de ce qu’on attend d’un Persona. Cette disparité met en avant un gros problème de rythme très présent tout au long du jeu.
Déséquilibre de rythme
Persona 5 Tactica comporte quatre royaumes avec chacun une ambiance différente. Pour ne pas gâcher la surprise, nous ne mentionnerons pas les trois royaumes suivant le premier. Néanmoins cette mention permet d’évoquer un aspect crucial, à savoir le rythme décousu qui entache la progression.
Le titre débute par quelques heures de tutoriel (dû aux longs textes entre chaque phase de gameplay), qui sont nécessaires et presque excusables en soit. Suite à ces missions, il faudra continuer par d’autres quêtes pour éliminer le tyran du premier royaume. Ce premier royaume représente au final presque une dizaine d’heures de jeu, en prenant en compte que l’aventure se termine en ligne droite autour des 20-25 heures. Il est ainsi assez évident qu’il y a une énorme disparité entre le premier royaume et les trois suivants, qui seront expédiés en environ 15 heures. Étant donné que la promotion de P5 Tactica et que l’esthétique globale sont basées sur le premier monde uniquement, il parait évident que le développement du jeu a tourné autour de ce royaume et que les autres royaumes ont été ajoutés peut-être trop tard par les équipes.
Le scénario est, de plus, globalement au point mort durant le premier royaume. Il y est presque uniquement discuté de la situation locale et le fil rouge n’avance pas. Une fois passé ce premier cap, l’histoire accélère enfin, et le temps de jeu dans chaque royaume diminue au fur et à mesure. C’est un choix un peu étrange de la part d’Atlus car la rétention des joueurs est majoritairement dans les premières heures . Cette accélération s’accentue au point même où l’un des royaumes est un enchainement de missions sans dialogue ou presque, ce qui est difficilement compréhensible en termes de rythme quand le premier monde n’hésite pas à bombarder de dialogues à chaque moment. Mais de l’autre côté, il peut aussi être difficile de s’en plaindre, étant donné que le gameplay est sûrement l’élément le plus agréable du jeu.
Un gameplay aussi carré qu’un … triangle
L’idée de faire un spin-off de Persona 5 en Tactical-RPG vient de deux envies. Tout d’abord, des sondages qu’Atlus collecte régulièrement auprès des joueurs (japonais) pour savoir ce qu’ils aiment à propos de leurs titres et ce qu’ils voudraient y voir. Selon le producteur Kazuhisa Wada, les résultats des sondages pointaient souvent sur une volonté de voir un jeu tactique issu de Persona. De plus, Wada étant lui-même un amateur de T-RPG, il n’en fallait pas plus pour lancer le développement du titre. L’ambition y est de créer un T-RPG, facile d’accès, en particulier pour ceux n’ayant jamais joué à un jeu de stratégie. Les amateurs de Fire Emblem ou Disgaea peuvent déjà oublier leurs acquis car P5 Tactica a beau être dans la même catégorie, il est bien loin de ce que peuvent être ces grands noms du genre.
Persona 5 Tactica se rapproche plus d’un XCOM dans sa philosophie de gameplay. Comme tout bon T-RPG, ses missions se déroulent dans des cartes quadrillées où joueurs et ennemis seront placés au début du premier tour, chaque tour étant l’occasion pour chacun de se déplacer sur les cases et d’y faire des actions. Les zones de jeu incluent énormément de rebords, dénivelés ou bâtiments qui font l’une des originalités du gameplay. Dans P5T, le placement des personnages est essentiel, en étant par exemple protégé derrière une rambarde contre les coups de feu. Sur chaque carte, vous allez devoir choisir trois personnages jouables, chacun doté de leur arme à feu et de leur persona. Il est possible de se déplacer d’un certain nombre de cases, chaque magie peut aller plus ou moins loin et chaque arme à feu a une portée différente. Le persona des personnages permet des attaques magiques, mais il est aussi nécessaire de leur attribuer un second persona, pour avoir des magies supplémentaires. Dans ce jeu, tous les voleurs fantômes ont deux persona. Ils sont gagnés en finissant des missions et il sera vite nécessaire d’user de la fusion pour en gagner davantage. Toutes les armes à feu sont bien évidement personnalisables via une boutique d’armes ou en les craftant via la Velvet Room. Chaque personnage dispose en plus de son propre arbre de compétences permettant d’améliorer sa portée ou l’effet de ces attaques. En complément, une attaque unique est disponible après un certain nombre de tours, appelée attaque tension, et peut permettre de renverser la situation à son avantage. Certaines de ces attaques seront axées sur le soin ou le boost de stats alors que d’autres feront des dégâts de zones.
Quand assommer rime avec gagner
Il est nécessaire de se constituer une équipe équilibrée pour venir à bout des hordes d’ennemis sur les cartes. La clé du succès d’une mission repose sur leur mise à terre et sur la Triple Menace. L’héritage de Persona 5 n‘est jamais très loin, avec par exemple des mécaniques de gameplay donnant une action supplémentaire en cas de succès. Dans Tactica, un ennemi non protégé est un ennemi vulnérable, et en cas d’attaque ce dernier se retrouvera à terre et dès lors votre personnage pourra continuer son chemin, donnant même la possibilité d’enchainer plusieurs combos de la sorte. Une fois un ennemi mis à terre, il est possible d’utiliser la technique de la Triple Menace. Cette dernière est assez proche de la « All-out Attack » de Persona 5 et consiste en une attaque avec tous vos héros. La subtilité de la triple menace est qu’il faut former un triangle avec ses trois personnages pour avoir la possibilité de le faire, et tous les adversaires dans le triangle se retrouveront ciblés, qu’ils soient sonnés ou non. Cette attaque dévastatrice et hautement stratégique permet de se sortir de certaines missions avec une facilité quasi déconcertante mais nécessitant beaucoup de préparation.
De nombreuses missions annexes challengent même le joueur de finir la carte en un seul et unique tour, et nécessitent d’user et d’abuser des mécaniques citées ci-dessus pour ce faire. Elles permettent par la même occasion d’apprendre à bien maitriser ces attaques.
Le gameplay est ainsi clairement le point fort de ce jeu, et créer des stratégies pour éliminer au mieux l’ennemi est particulièrement agréable. De nouvelles mécaniques sont régulièrement ajoutées au fur et à mesure des royaumes, que ce soient des nouveaux adversaires ou même de nouveaux types d’attaques, et font que la lassitude ne se fait jamais ressentir.
Le jeu est donc voulu dès le début comme une introduction au genre et est effectivement très facile d’accès. Toute la rigueur attendue d’un T-RPG a été éliminée et remplacée par un fort dynamisme, une qualité bien connue dans la saga. Néanmoins, si cette approche a du sens pour un titre comme Mario + Les Lapins Crétins, elle en a moins pour une licence comme Persona. Il est difficile d’imaginer un jeune public découvrant son premier T-RPG dans un jeu avec une histoire qui touche à des thèmes aussi difficiles que l’abus moral, la mort, la culpabilité etc. Le visuel assez mignon laisse aussi penser que le public visé est plus jeune que la cible habituelle des Persona.
Super Déformé à outrance
La première chose qui frappe en lançant le jeu est le nouveau design des personnages. Sur ce titre, Atlus a décidé d’aller sur un visuel dit SD (Super Deformed). Les personnages ont tous des corps assez fins mais arrondis et des grosses têtes. Le design s’approche de ce qui a été fait dans le passé avec les Persona Q.
Ce nouveau style fonctionne très bien avec les designs des personnages et techniquement le cell-shading employé est assez propre. Tous les personnages ont subi un redesign, leurs attributs principaux ont été accentués, tandis que leurs persona (Arsène, Zorro, Captain Kid, etc.) ont aussi eu le droit à ce traitement avec un résultat tout aussi réussi.
Un nouveau bestiaire a aussi été conceptualisé. Ceux-ci ont pour accoutrement, dans le premier monde, une tenue militaire avec une inspiration d’armée napoléonienne puis leurs designs évoluent au fur pour s’adapter aux nouveaux royaumes, tandis que de nouveaux ennemis viennent s’ajouter à la liste.
Concept Art d’ennemi #2
Erina reprend un peu cette inspiration dans sa tenue militaire mélangée avec une armure médiévale. Toshiro, en revanche, porte un simple costume de politicien durant l’intégralité des royaumes et c’en est presque dommage qu’il n’ait pas eu le droit à un look plus adapté à la situation.
L’explication de ce choix graphique global est sans nul doute lié à des contraintes techniques et financières. Le jeu n’est clairement pas aussi ambitieux qu’un Persona classique ni même qu’un Persona 5 Strickers. Il a vraisemblablement été décidé à un moment de développement d’aller sur ce design plus simple (il existe des concept art des personnages non stylisés). Ce parti pris permet aux décors d’être assez dépouillés, même si efficaces dans ce qu’ils veulent montrer. De plus, Persona 5 Tactica est un jeu multiplateforme, sorti sur PS4, PS5 mais aussi sur Switch. Il est donc bien possible que le jeu ait été avant tout prévu pour tourner correctement sur Switch avant de penser à la PS5, d’où les graphismes assez simples.
Un visuel en contradiction avec son propos
Néanmoins ce style mignon est par moment dissonant vu l’histoire qui s’avère assez dure. Autant lors des scènes héroïques ou comiques, ce style s’y prête très bien, mais lors des moments qui se veulent plus chargés émotionnellement, le design kawai pêche quelque peu. Pour continuer sur le sujet de la dissonance, les persona qui ne sont pas ceux des protagonistes, ceux habituels de la saga, n’ont pas été redesignés, n’aidant pas non plus à l’immersion globale.
Pour finir sur l’aspect graphique, l’interface du jeu est toujours aussi belle que ce à quoi la série nous a habitué, copiant celle de Persona 5 en ajoutant un aspect très anguleux, proche de la propagande communiste du 20ème siècle.
Les ennemis et villageois, eux aussi très stylisés, ont le droit à un lifting dans chaque royaume, ce qui ne manque pas d’ajouter un petit charme « kawai » au jeu qui se rapproche même d’un spectacle de marionnettes. Le côté « chibi » a du positif et permet de se démarquer du reste des jeux Persona, mais malheureusement cela signe aussi un petit aveu de faiblesse dans l’ambition technique du jeu malgré un esthétisme toujours très haut de gamme avec la saga.
La musique dans la peau
La chanteuse Lyn, bien connue pour avoir chanté l’ensemble des thèmes musicaux des Persona 5, a été rappelée pour ce titre. Celle-ci a bien évidemment chanté pour le thème d’introduction du jeu mais aussi pour quelques thèmes de combat. Sa contribution est toujours aussi agréable et les compositions qui l’accompagnent le sont tout autant. Le reste des musiques est assez classique, dans la norme des spin-off de Persona avec pas mal de reprises de thèmes de Persona 5 et quelques nouvelles compositions sans trop de prétention mais qui ne dénotent pas.
Persona 5 Tactica est ainsi dès le départ une idée de spin-off inattendue, là où les joueurs pensaient avoir un nouveau jeu de combat. Atlus a surpris tout le monde avec ce jeu de stratégie haut en couleur et à l’esthétique très prononcée.
Le jeu réussit son pari d’introduire et de faciliter l’accès au genre du T-RPG, tout comme Persona 5 avait réussi à populariser le J-RPG auprès du grand public. Néanmoins le jeu n’a pas le même talent d’écriture pour accompagner l’expérience et en vient même à raconter une histoire trop longue pour son propre bien. Le titre a au moins la décence de proposer une aventure ramassée en 20-30 heures et de ne pas tomber dans les errances des autres T-RPG du moment. Son design est original mais fait un peu office de cache misère des limitations techniques, et peut-être même d’un manque d’ambition. La proposition d’ouvrir Persona 5 a un nouveau spin-off peut commencer à fatiguer un peu les fans mais ce dernier a des qualités qui permettent de se démarquer et de trouver son public.
CONCLUSION
Persona 5 Tactica
Persona 5 Tactica est un spin-off intéressant de Persona 5. Il n'apporte pas grand chose à l'histoire globale mais les deux nouveaux personnages permettent une histoire annexe intéressante. Le gameplay est l'énorme point fort du jeu avec à la fois une grande facilité de prise en main ainsi qu'un niveau stratégique élevé pour remplir tous les objectifs de missions. Le titre est donc à recommander aux joueurs ayant déjà fait Persona 5 et qui veulent s'initier au Tactical-RPG, ou à ceux qui souhaitent simplement se détendre sur un jeu du genre.
LES PLUS +
- Une aventure ramassée
- Gameplay original et facile d'accès
- Des missions courtes
- Parfait pour être joué sur PlayStation Portal
- Des nouveaux thèmes musicaux entrainants
LES MOINS -
- Écriture assez faible
- Manque d'ambition
- Déséquilibre énorme dans le rythme du jeu