La flèche des chasseurs-cueilleurs s’apprête encore à siffler dans nos contrées européennes, 1 815 jours (soit 4 ans, 11 mois et 17 jours) après la naissance d’un univers ayant rafraîchi nos PlayStation 4 en son temps, celui d’Horizon Zero Dawn. Une petite semaine nous sépare de la sortie sur PS5 et PS4 de sa suite, Horizon Forbidden West. Il est donc de bon aloɏi de revenir sur le jeu originel, afin de mettre en exergue certaines de ses qualités, spécificités et bien évidemment de se remémorer les temps forts du voyage… de sorte d’être fin prêt pour l’Ouest prohibé !
Guerrilla Games… Aux yeux de nombreux joueurs, c’est bel et bien l’un des trois mastodontes parmi les PlayStation Studios. Pourtant, il faut dire qu’avant Horizon, le studio suscitait quelques doutes comme nous vous l’expliquons dans son histoire à retrouver par ici sur notre site. Killzone: Shadow Fall, bien que fer de lance technique de la PlayStation 4 à ses tout débuts, est un titre qui peinait à convaincre une partie du public, notamment en raison d’une narration trop effacée et trop oubliable. Ceci dit, le genre du titre (FPS) pouvait non pas excuser mais occulter certaines limites narratives en s’armant d’un gameplay soigné, d’un multi efficace et d’un univers largement aidé et mis en valeur par la next gen du temps d’avant.
E3 2015, une édition anthologique (qui laisse songeur, en 2022…) où l’avenir de Guerrilla nous était projeté à la figure. Un bon gros trailer de présentation, comme Sony sait les aligner, qui sema beaucoup d’attentes mais aussi quelques appréhensions légitimes. Le studio néerlandais était avant tout connu pour la licence Killzone qui n’avait pas grand-chose à voir avec les jeux d’action en monde ouvert à la troisième personne. Deux ans après la parution du titre et la naissance d’une nouvelle licence, soit en 2019, Guerrilla Games pouvait se targuer d’avoir dépassé les dix millions d’Horizon Zero Dawn écoulés sur la planète.
Une traque des origines
Avant de poursuivre la lecture de ce papier, assurez-vous d’avoir terminé Horizon Zero Dawn, sinon vous risquez d’être exposé à divers spoilers concernant les événements du jeu.
De ses débuts aux côtés de Rost à son investigation autour du projet Aube Zéro, l’héroïne Aloy est plongée à travers son premier périple dans une « intrigue double« . Intrigue qui selon le docteur en littérature française Alex Bellemare « se construit par effet de miroir : la quête d’Aloy consiste certes à découvrir ses origines, mais cet enjeu filial semble inextricablement lié au destin, sombre et funeste, de la Terre, alors en proie à une invasion d’animaux-machines qui, le plus souvent, sont hostiles et monstrueusement destructeurs. Parasites, ils le sont à la fois pour les humains (qu’ils pourchassent) et pour la nature (qu’ils exploitent pour se nourrir).«
On retrouve dans les propos du chercheur le « ciment » d’Horizon Zero Dawn : un savant mélange d’ingrédients qui amène les joueurs à vite se prendre au jeu. En sus d’un gameplay aux petits oignons, dynamique à souhait (faisant même un peu écho au feeling de l’araignée, contrôlée dans une autre exclusivité de la maison PlayStation…), le joueur découvre un univers à deux histoires : celle de notre héroïne, intime et personnelle, en même temps que celle du monde dans lequel nous évoluons, hostile et collective.
C’est encore enfant (dès la deuxième ou troisième heure de jeu), en découvrant le focus dans une grotte bâtie par les Anciens, qu’Aloy étend ses possibilités et, par la même occasion, nous ouvre un champ des possibles narratif. L’appareil fixé tout près de son oreille droite lui/nous permet de sonder l’environnement, déceler les faiblesses des machines et découvrir l’histoire (notamment collective) de manière fragmentée. Une cohérence fond-forme est donc immédiatement instaurée, contrairement à bien d’autres jeux vidéo (souvent aussi AAA) où les mécaniques de gameplay et les aptitudes du personnage incarné sont décousues de l’univers dépeint. Dans le monde d’Horizon, rien n’est laissé au hasard et tout s’explique(ra) tôt ou tard.
Des dialogues adaptatifs et une cohérence ludonarrative
Quand le passé et les récits des anciens ne sont pas explicités par les trouvailles (transcriptions audio, textes, poèmes, objets) permises par le focus d’Aloy, les événements sont contés par les personnages croisés durant notre voyage. Ce qu’il y a de particulièrement fascinant dans les dialogues du jeu, ce ne sont pas nécessairement les choix opérés par le joueur (raison [icone du cerveau] ou agressivité [icone du poing fermé] ou compassion [icone du cœur]) mais bel et bien leurs conséquences narratives. Si la trame du jeu reste inchangée, les dialogues s’en voient, eux, modifiés.
La complexité des interactions sociales présentes au sein du jeu va même bien au-delà ! Comme le vidéaste et game designer de la chaîne « Farlands Design Den » le schématise, le premier Horizon proposa un système de dialogues particulièrement dense et feuillu dans le sens où les mots prononcés par les PNJ rencontrés au fil des péripéties varient selon le parcours effectué par le joueur. S’il vous est venu l’idée de ponctuer votre aventure principale par la complétion du consistant DLC The Frozen Wilds, paru un peu plus de huit mois après la sortie du jeu, sachez que vous n’avez pas eu le droit aux mêmes dialogues qu’un joueur ayant complété l’aventure principale sans faire de détour par les monts enneigés des Banuks.
Vous pouvez le constater en scrutant l’image présentée juste au-dessus, les dialogues présents dans les quêtes annexes sont conditionnés par les événements principaux et même de simples actions réalisées au sein du monde ouvert d’Horizon Zero Dawn peuvent avoir un impact sur les conversations qu’Aloy entretient avec ses comparses. Le travail minutieux d’alliance entre le fond et la forme du jeu ne s’arrête pas là. En revenant au cheminement d’Aloy, on réalise que loin de proposer un ersatz des jeux de rôle (RPG) en incluant un arbre de compétences, Horizon Zero Dawn fait simplement preuve d’une grande cohérence avec l’un des premiers moments du jeu : le rituel de l’Éclosion. En affutant sa discrétion, ses compétences de guerrière et de soigneuse, le joueur prépare son héroïne au rituel consistant à démontrer des habiletés exceptionnelles devant les Hautes-Matriarches de la tribu Nora.
Un rouage ludique (l’arbre de compétences) est donc justifié par le scénario, ce qui est particulièrement plaisant pour le joueur. Si ce dernier est friand de productions AAA en monde ouvert, il est peut-être plus habitué à des univers où les choix de jeu des concepteurs ne sont pas effectués en corrélation avec la construction du monde. Ce qui va suivre est dommageable mais soyons honnête : bien souvent, les systèmes de détection/ »vision magique » ne sont pas aussi justifiés que le focus d’Aloy. Tout comme les tours de reconnaissances omniprésentes dans les open world qui sont loin de valoir les Grand-cous du titre de Guerrilla Games. D’une part, ces derniers sont mouvants et très hauts donc ils nécessitent un réel effort de localisation du point idéal sur la carte pour les escalader au vol. D’autre part, s’ils font bien office de tours de reconnaissance dans le langage des game designers, ils représentent d’abord une espèce (les machines de communication) parmi tant d’autres présentes au sein du jeu :
- les machines de terraformation veillant sur la croissance minérale et végétales du monde (Galopeur, Grand-front, Coureuse, Brouteur, Brise-Roc, Piétineur)
- les machines de purification qui détoxifient l’atmosphère (Corne-filante, Carapateur, Oiseau-tempête)
- les machines de recyclage qui permettent de réemployer les pièces de leurs consœurs anéanties pour fabriquer de nouvelles machines (Étincelle, Charognarde)
- les machines de transport (Mastodonte, Cracheur boursouflé, Testudien)
- les machines de reconnaissance (Hautes-Pattes, Veilleur)
- les machines de combat (Ravageur, Dents de scie, Traqueur, Gueule-d’orage, Oiseau-tempête, Grilleuse, Griffe de feu, Griffe de gel)
- et enfin, les machines de la gamme Char (Corrupteur, Porte-Mort, Démon de métal) réintroduites près de mille ans après leur création par un groupe pour le moins malveillant : l’Éclipse
Justement, l’Éclipse fait son entrée (fracassante) au début d’Horizon Zero Dawn lors du rituel de l’Éclosion tant attendu de notre héroïne. Bien évidemment, la cérémonie tourne au vinaigre lorsque les membres du culte religieux s’en mêlent. Nombre de jeunes noras sont tués ou blessés lors de cet événement dramatique mais seule Aloy était visée car Hadès avait ordonné aux cultistes de l’Éclipse de l’assassiner. Finalement, c’est de cette situation que découlera toutes les autres pérégrinations (ou presque) de notre aventurière. Mais avant de revenir à une démarche analytique, prenons le temps de nous arrêter sur les origines du récit d’Horizon et tâchons de répondre à la question que beaucoup formulent actuellement dans leur esprit : « Mais qui est Hadès ? Ah, je ne m’en souviens plus… »
IA et immortalité
« Paul Valéry, déjà au XXe siècle, signalait, en cristallisant une certaine anxiété de la fin, que « nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » ; avec Horizon Zero Dawn, la formule se métamorphose — les civilisations, grâce à la technologie, deviennent immortelles, au gré de toutes les pires catastrophes. »
Bellemare, Alex. « Horizon Zero Dawn : usages du monde & de l’Histoire ». FdM (blog), 1 novembre 2018.
C’est un condensé pertinent du propos d’Horizon, depuis le sombre Fléau Faro… Nous sommes au beau milieu du XXIème siècle, la robotisation est à son paroxysme. Y compris sur le plan militaire, grâce, enfin plutôt à cause d’un certain Ted Faro. Président d’une firme hyper-technologique, il décida de créer des unités de combat redoutables. Organisés à la manière d’essaims, les robots de ces dernières pouvaient se dupliquer (presque) à volonté et résister à un quelconque piratage qui aurait pu les éviter de décimer la biosphère terrestre. Évidemment, Ted et ses sbires ont totalement perdu le contrôle d’un de ces essaims qui décima la fameuse biosphère, et provoqua fatalement une extinction généralisée. Anéantissement de toute vie sur terre et stérilisation du globe. Ou l’IA pour les nuls : comment provoquer la fin en dix étapes.
Si l’on peut parler d’immortalité des civilisations, c’est en partie grâce à une scientifique, Elisabet Sobeck, qui n’hésita pas à quitter les rangs de Ted Faro lorsque l’entreprise prit la décision de développer des technologies militaires. Lorsque la peste ou le fléau Faro dévasta la planète, l’intelligence et la bienveillance du Dr Sobeck furent mises à profit d’un immense et ambitieux projet de sauvetage : Aube Zéro. L’IA Gaïa fut créée par la scientifique, celle-ci devant gouverner le projet. Composée de neuf fonctions pour stopper l’essaim Faro et re-terraformer la planète, celle-ci réussit à fertiliser la Terre plusieurs centaines d’années seulement après les ravages du Fléau Faro. Enfin, tout ne s’est pas passé pour le mieux… Afin de mieux cerner les quelques couacs qui ont mené l’humanité à cette vie primitive que l’on côtoie dans Horizon Zero Dawn, il est nécessaire de détailler chacune des fonctions de Gaïa.
Minerve avait un rôle de piratage. Elle a donc pu « éteindre » les machines de la gamme Char (Corrupteur, Porte-Mort, Démon de métal) et protéger la Terre de leurs méfaits. Hephaïstos avait un rôle de création. Cette fonction, au cœur de l’extension The Frozen Wilds, concevait de nouvelles machines utiles à la terraformation dans des installations et lieux bien connus des joueurs d’Horizon : les creusets. Éther et Poséidon, épaulés des machines de purification (Corne-filante, Carapateur, Oiseau-tempête) détoxifiaient terre/océans et assainissaient l’atmosphère. Déméter, Artémis et Ilithyie s’occupaient respectivement de reconstituer flore, faune et humains.
Viennent ensuite les problèmes. D’abord avec Apollon… Porteuse de mémoire, cette fonction capitale devait permettre aux nouveaux humains reconstitués grâce à Ilithyie de revenir notamment au niveau de technologie qui les avait précédés. Via la connaissance et les savoirs, ils auraient mieux compris les machines et les éco-systèmes dans lesquels ils évoluent. Faro lui-même supprima les archives et rendu impossible ce précieux partage de savoirs… Finalement, comme dans la série See (de Steven Knight) disponible sur Apple TV+, mais pas pour les mêmes raisons, les humains vont rester habités de beaucoup d’incompréhensions. Religions ou croyances de tous types seront alors souvent invoquées lorsqu’il s’agira d’expliquer le fonctionnement ou la venue des machines. Comme si par peur, l’humain devait systématiquement comprendre ou a minima éclairer les inconnues qui l’entourent. En se référant au soleil, et même à un Roi-Soleil dans le cas de la tribu Carja par exemple.
Vous l’attendiez, mais ce dernier aime bien se faire désirer, semble-t-il… Hadès, roi de l’enfer dans la mythologie grecque, est bel et bien l’ennemi numéro un d’Aloy en même temps que la cause de la naissance de notre chasseuse bien aimée. Août 3020, environ mille ans après les frasques de Ted Faro, un drôle de signal retentit au cœur de Gaïa Prime, emplacement où siège l’IA d’Elisabet. Ce que nous redoutons des lubies de nos géants de la Silicon Valley s’est produit in-game, la sous-IA Hadès a décidé de s’envoler de ses propres ailes. Des ailes démoniaques prêtes à tout pour contrecarrer les sages desseins (terraformation, renaissance de l’humanité, toussa toussa…) de sa génitrice, Gaïa, et donc par extension, Elisabet Sobeck. Heureusement, un protocole sécuritaire intégré à la reine-mère des intelligences artificielles (Gaïa) permit à cette dernière de cloner Elisabet en… Aloy ! Oui, si vous ne vous en souveniez plus, avant de s’auto-détruire pour éviter qu’Hadès utilise ses technologies et mette fin à l’humanité, Gaïa a pu cloner sa créatrice et croiser très fort les doigts pour que la descendante réussisse à anéantir ce vilain démon d’Hadès…
Plus de six mois après, en avril 3021, Aloy naquit. Armée d’une empreinte génétique quasi identique à celle de la scientifique dont elle provient, Aloy fit des rencontres primordiales (on pense forcément à Sylens, et sa lance…), stoppa l’Éclipse, découvrit ses origines technologiques, combattit Hadès et enraya de justesse une deuxième fin du monde. Enfin, peut-on encore parler de fin ? Immortalité ou encore renaissance semblent plus adéquats.
Dépeindre l’horizon sans mots
« Il y a partout, dans Horizon Zero Dawn, des traces de cette association entre géographie et spiritualité : le monde dans lequel on vit n’est pas qu’un contenant vide et insignifiant, mais un « être » avec lequel il convient d’être en harmonie et en constant dialogue. »
Bellemare, Alex. « Horizon Zero Dawn : usages du monde & de l’Histoire ». FdM (blog), 1 novembre 2018.
Parcourir un être, c’est ce que l’on peut aisément ressentir en glissant, sautant et chevauchant une machine à travers les plaines d’Horizon Zero Dawn. Certes, le monde d’Aloy n’est pas celui de Link, empli de libertés et d’environnements à défier (au sens physique, comme dans un certain Death Stranding, réalisé avec le moteur d’Horizon soit-dit en passant). Mais il a quelque chose de très singulier, de très fort… Regrettable est donc la comparaison entre les deux jeux, sortis à quelques dizaines d’heures d’écart (ce qui explique l’opposition facile entre les deux, entre autres arguments recevables), car nous avons éprouvé dans ces deux mondes une grande sensation d’apaisement. Sans doute moins de grandeur que dans The Legend of Zelda: Breath of the Wild, mais un sentiment permanent de calme qui précède la tempête… ou la lourdeur des pas d’un bon vieux Gueule-d’orage.
En visionnant le documentaire de l’excellente chaîne Noclip dédié à Horizon Zero Dawn, on constate bien que ce jeu est une réussite, car plus que jamais, il a pris le temps de se construire (sept années de travail) dans un environnement on ne peut plus collaboratif. Après tous les Killzone produits, il est évident que Guerrilla Games bénéficiait d’une grande expertise dans de nombreux domaines, à commencer par le gameplay ou l’exploitation des capacités audiovisuelles des consoles made in Sony. Mais cet « héritage » ne suffisait pas à faire d’Horizon le jeu que l’on connaît bien désormais.
Pour les jeux de la franchise Killzone, Guerrilla Games engageait des contractuels qui s’occupaient des aspects narratifs. Avec Horizon, le genre n’était plus au FPS et les ambitions étaient rehaussées d’un cran. Immédiatement, le besoin s’est fait ressentir de créer un pôle interne à l’entreprise. Les dirigeants embaucheront donc un directeur narratif (John Gonzalez, lead writer sur Fallout: New Vegas) et un responsable du design des quêtes et du monde de jeu (David Ford, ayant notamment travaillé sur EverQuest). Pas n’importe qui donc ! Cela leur permit d’amorcer de véritables réflexions narratives et de veiller à proposer un titre avec une grande cohérence ludonarrative comme vous avez pu le voir plus haut, dans la seconde partie de ce dossier.
Afin de dépeindre l’univers au-delà des dialogues et de la narration disons plus bavarde et textuelle, il fallait ne pas se presser et même laisser une place au temps de l’idéation. C’est ce qui fait toute la richesse d’Horizon Zero Dawn : le temps. Assurément soutenues et « protégées » par PlayStation, les équipes ont pu dédier les premières années de développement du titre à la conception de l’univers de jeu et de ses fameuses machines. Au commencement, dans cette période d’idéation autour du jeu, période de tous les possibles (ou presque), les développeurs du studio néerlandais ont tenté d’intégrer des machines avec un design très militaire. Finalement, à l’image des mondes crées dans la franchise Killzone. Les machines pouvaient avoir un look se rapprochant de société très froides et inhumaines, comme celle de Terminator. Mais justement, lors des phases de tests, les joueurs se sentaient plus dans la peau d’un guerrier au beau milieu du champ de bataille que d’une chasseuse en passe de traverser différents biomes sauvages. Les émotions que l’on peut ressentir face au panel de machines présentées un peu plus haut étaient encore loin d’être au rendez-vous. Il fallait autre chose, cela ne convenait pas…
Un membre de l’équipe lança donc l’idée de faire des machines-dinosaures. Beaucoup ont douté sur le moment de la pertinence de cette idée mais ont laissé faire. Certes, d’un point de vue intellectuel, ce n’est pas très cohérent. Angie Smets, productrice exécutive, le dit : « it didn’t make any sense (ça n’avait aucun sens) ». Pourtant, si l’on dépasse la dualité réalisme/fantaisie, cela devient tout à fait optimal. On se sent enfin dans la peau d’une traqueuse. Qui opère comme face à un animal de taille, en apprivoisant les mouvements, faiblesses et comportements de la machine. Des machines qui, pour certaines espèces en particulier, donnent l’impression de n’être que des dinosaures enrobés de pièces métalliques.
La grande question peut alors se poser : dois-je les (laisser se) tuer ou les sauver, voire les apprivoiser ? Que ce soit en se faufilant dans les hautes herbes, en jouant les pirates/hackers pour semer le chaos ou pour les chevaucher, il y a souvent une ou plusieurs alternative(s) au simple combat. Et il est intéressant d’interroger les émotions que l’une ou l’autre peut provoquer chez le joueur. En s’agrippant au dos d’un Grand-front pour cavaler, éviter tout grabuge et explorer les terres d’Horizon, notre rapport aux machines fluctue forcément. Jusqu’à peut-être éprouver un certain attachement pour ces dernières, a fortiori lorsqu’elles reprennent une forme bovine. Subitement, l’idée d’animalité fait donc sens. Plus encore… elle devient essentielle au propos, étendant la portée émotionnelle de l’univers et conscientisant le joueur face à ses actes et son éthos ludiques.
« L’écologie sonore de Meridian est principalement constituée de sons anthropogéniques. Cela est cohérent avec le fait que cette ville est la capitale de la tribu la plus puissante de l’univers d’Horizon Zero Dawn. Néanmoins, malgré le grand nombre de sources anthropogéniques dans son enceinte, la ville reste suffisamment calme pour être perméable aux sons naturels (vent, chant d’oiseaux…) issus des terres sauvages qui l’entourent. »
Meyer, C. (2020). Incorporation et écologie sonore vidéoludiques : la marche sonore comme outil d’analyse. Kinephanos, (spécial), 73–100.
Sans pouvoir fournir un travail réellement exhaustif (qui peut y prétendre finalement ?), nous essayons à travers ce dossier de revenir sur les aspects les plus saillants d’Horizon Zero Dawn. Parmi eux, il y a d’emblée la strate sonore, d’une grande richesse. En nous documentant sur le titre, nous sommes arrivés sur cet article scientifique de Charles Meyer (de l’Université Panthéon-Sorbonne – Paris 1 & OMNSH). Et quelle approche d’étude intéressante que celle mise en place par le chercheur : la « marche sonore » ! Le protocole est assez simple : Charles Meyer a désactivé les musiques extra-diégétiques (autrement dit les sons ne provenant pas de la scène ou du lieu traversé, comme les musiques d’ambiance de la soundtrack) pour analyser avec plus de précision les sons intra-diégétiques présents au cœur de la ville centrale du jeu, dite ville du soleil : Meridian.
Il en a conclu que si les sons dus aux activités humaines (anthropogéniques) étaient prédominants dans Meridian, ce qui est totalement logique au sein d’une ville de cette ampleur, les sons naturels provenant des terres sauvages avoisinantes n’étaient pas en reste pour autant. Selon le chercheur français, ces choix de design sonore pourraient témoigner « d’une recherche d’harmonie correspondant à une volonté de ne pas reproduire les erreurs des anciens dont la soif de contrôle sur la nature a abouti à un cataclysme. » Toute une symbolique, montrant bien qu’Horizon dépeindrait là encore son monde sans le moindre mot, ni la moindre image. L’analyse de Charles Meyer est loin d’être insensée lorsqu’on prête attention à la démarche créative de Guerrilla Games sur le plan sonore, concernant les machines cette fois…
« Et je pense que les joueurs, peut-être pas consciemment, mais je pense qu’à un moment donné, ils apprendront les sons spécifiques des machines, ce qui se passe et s’ils doivent courir ou esquiver ou faire autre chose. »
Mathijs de Jonge, game director pour la chaîne Noclip (propos traduits par nos soins)
Uniquement grâce aux effets sonores, les vieux briscards du studio néerlandais voulaient donc que les joueurs puissent déchiffrer toute situation, rencontre avec une ou plusieurs bestiole(s). Que ça donne quelque chose comme ça, dans l’esprit du joueur type : « la machine me cherche ? Ou a-t-elle trouvé quelque chose qui l’intrigue ? Ah, je crois que l’heure du combat a sonné ! ». On peut l’affirmer sans trop prendre de risques aujourd’hui : toutes ces phases, le joueur peut les comprendre via une écoute attentive, quasiment les yeux bandés. Quasiment…
Peut-on espérer plus bel horizon ?
« Je n’ai plus beaucoup de temps, Elisabet. La terre se meurt, les gens souffrent. Bientôt, ils mourront de faim. Les machines sensées nous aider sont hors de contrôle ! Je dois trouver un moyen d’arranger ça et la réponse se trouve quelque part dans l’Ouest prohibé. » (Aloy, dans le trailer ci-dessous).
Bien que ce dossier ne porte pas sur Horizon Forbidden West, à venir le 18 février 2022, rien ni quiconque ne nous empêche d’émettre quelques hypothèses. Nous allons donc en rester au trailer présenté juste au-dessus, qui présage l’aventure du prochain jeu, pour essayer de bâtir un début de réflexion en lien avec le reste de ce dossier.
Déjà, commençons par nos peurs légitimes… Comme vous avez pu le lire dans ce papier, Horizon est toujours ancré autour d’un propos sur la mortalité de l’humanité, allant jusqu’à la métamorphoser en immortalité grâce aux technologies omniprésentes et essentielles à la définition de cet univers post-apocalyptique (rappelons-le). La messe est vite dite dans la bande annonce, et de la bouche d’Aloy : « La terre se meurt, les gens souffrent […] Les machines sensées nous aider sont hors de contrôle ! « . On peut donc se demander si ce nouvel appel au secours, cette future renaissance d’une humanité immortelle n’est pas redondant. C’est tout à fait logique de douter d’ailleurs… d’avoir peur de la redite, de l’opus qui ne serait qu’un « deux » reprenant la recette (avec les jolis acquis) du premier.
Aussi, nous avons tous, sans doute, cette peur de ne plus être émerveillé. De l’eau a coulé sous les ponts entre 2017 et 2022, même si en matière d’immersion, de narration et de gameplay, peu de productions ont su combiner les trois composantes avec un tel panache. Restons donc (très) confiants envers Guerilla Games qui ne devrait pas nous décevoir. Il y aura de nouvelles machines, plus grosses, plus fortes… L’extension The Frozen Wilds avait déjà fait évoluer le jeu originel par petites touches, notamment via ses combats redoutables et ses montagnes aussi difficiles qu’éblouissantes. Rien que pour découvrir l’Ouest prohibé et le travail des équipes néerlandaises, nous jouerons tête baissée à Horizon Forbidden West. Alors, rendez-vous sur PlayStation 4 et 5 dès vendredi prochain ! Les fonds marins, entre autres nouveautés, devraient nous réserver de belles surprises…
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