Au cours des dernières semaines, l’industrie du jeu vidéo a été secouée par une annonce majeure de la part de Unity Technologies, qui offre l’un des principaux moteurs de jeu utilisés par les développeurs du monde entier. Le 12 septembre dernier, Unity a dévoilé des modifications significatives à sa politique de tarification, prévues pour entrer en vigueur en 2024. Ces changements, notamment l’introduction de frais d’exécution basés sur le nombre d’installations et les revenus générés par les jeux, ont déclenché une réaction en chaîne parmi les développeurs, les studios et la communauté du jeu vidéo tout entière. Dans cet article, nous examinerons en détail ces changements, leur impact sur les créateurs, et les récents ajustements apportés par Unity pour atténuer les préoccupations initiales des développeurs. Il est temps de plonger dans cette affaire majeure qui pourrait remodeler (au moins en partie) l’industrie vidéoludique telle que nous la connaissons.
Unity : présentation et fonctionnement
Unity est un moteur de jeu multiplateforme renommé, largement utilisé dans le monde du développement de jeux, tant par les petits studios que par les grandes entreprises. Parmi les jeux les plus célèbres créés avec Unity, on peut citer des titres tels que Cult of the Lamb, Terraria, Among Us, Furi et bien d’autres. Mais notons également que certaines exclusivités PlayStation ont pu voir le jour grâce au fameux logiciel de création. Si l’on revient deux générations en arrière, on réalise que Rain (Acquire, avec le soutien de Japan Studio, 2013) ainsi que le puzzle game Escape Plan (Fun Bits et SIE, 2012) sont des productions conçues via Unity.
Plus qu’un simple outil, le moteur de la firme bâtie en 2004 au Danemark (anciennement appelée « Over the Edge Entertainment ») offre une gamme complète de fonctionnalités intégrées essentielles pour le développement de jeux, notamment le rendu 3D, la physique et la détection de collisions. En d’autres termes, les développeurs n’ont pas besoin de créer un nouveau moteur physique à partir de zéro à chaque nouveau projet, ce qui accélère considérablement le processus de développement. De plus, Unity propose un magasin d’actifs bien fourni, permettant aux studios d’accéder à une variété de ressources et d’outils pour enrichir leurs jeux. Une fois le jeu terminé, les studios peuvent le publier et le partager avec un public mondial, exploitant ainsi la portée et la polyvalence de la plateforme Unity.
Le psychodrame du 12 septembre 2023
Le 12 septembre dernier, Unity Technologies a annoncé une série de changements significatifs dans sa tarification, prévue pour une entrée en vigueur au début de l’année 2024. Attention, nous allons faire des mathématiques, soyez prêts.
Désormais, les jeux développés avec Unity seront soumis à des « Runtime Fees » (frais d’exécution), imposant aux développeurs des coûts par installation au-delà de certains seuils de téléchargements et de rentabilité. Par exemple, les petites entreprises ayant utilisé Unity Personal ou Unity Plus devront payer 0,20 $ par nouvelle installation si leur jeu a généré plus de 200 000 $ au cours des douze derniers mois et a été téléchargé plus de 200 000 fois depuis son lancement. Les paliers tarifaires augmentent pour les utilisateurs de Unity Pro et Unity Enterprise. Importante précision, cette nouvelle politique n’a pas d’effet rétroactif.
L’annonce de cette décision a suscité une réaction immédiate et généralisée de la part des studios du monde entier. Sur de nombreuses plateformes, les studios se sont unis dans le but de contester cette politique, cherchant à la faire révoquer. Certains studios, dont Innersloth, le développeur de Among Us, et Mega Crit, créateur de Slay the Spire, ont même annoncé leur intention de migrer vers d’autres moteurs de jeu, malgré les défis que cela pourrait représenter.
Suite à cette pression, Unity a publié une déclaration pour clarifier la définition d’une « installation » payante et a annoncé que les frais ne s’appliqueraient pas aux jeux caritatifs ni aux offres groupées. Cela a pris des proportions ingérables. Sur X (anciennement Twitter), de nombreux studios se sont lancés dans une sorte de « révolution » pour que Unity retire ce nouveau modèle économique. Dans les quelques jours qui ont suivi cette déclaration, Unity a dû fermer deux de ses établissements pour une raison aussi triste que démesurée : des menaces de mort envers l’entreprise et les employés. Durant toute la semaine, les studios attendaient des nouvelles de la firme, en vain.
Cependant, le 22 septembre dernier, Marc Whitten, directeur général de Unity Create, a présenté des modifications à la politique monétaire dans une lettre ouverte. Nous voilà repartis pour une petite leçon de mathématiques… Les nouvelles conditions incluent des exceptions pour les utilisateurs du plan Unity Personal, tant que leurs jeux ne génèrent pas plus d’un million de dollars un an après leur sortie. De plus, le seuil de revenus pour passer au plan suivant a été relevé de 100 000 à 200 000 dollars, ce qui atténue l’impact sur les studios indépendants. Pour les utilisateurs des plans Unity Pro et Unity Enterprise, la nouvelle « taxe » ne s’appliquera qu’à partir de 2024, en parallèle du lancement d’une nouvelle version du Support à Long Terme (LTS) de Unity. Les jeux développés avant cette nouvelle version ne seront pas touchés, à moins que les créateurs ne choisissent de migrer vers le nouveau LTS. À partir de 2024, les jeux conçus avec les plans Unity Pro et Enterprise, utilisant le nouveau LTS, seront soumis à une nouvelle forme de tarification. Au lieu de compter les installations, Unity offrira aux développeurs le choix entre deux modèles de taxation : prélever 2,5 % des revenus du jeu ou un montant basé sur le nombre d’utilisateurs qui lancent le jeu. Quoi qu’il en soit, la tarification sera mensuelle, les studios payant toujours le montant le moins élevé des deux options. Ces données seront accessibles aux développeurs et détenues par Unity.
En quoi ce nouveau modèle économique peut-il affecter les studios ?
Le changement de politique de tarification annoncé par Unity, qui introduit des « Runtime Fees » à partir de 2024, pourra avoir un impact significatif sur les studios de développement de jeux et aura plusieurs conséquences pour eux.
Tout d’abord, les studios de développement de jeux, en particulier les plus petits, sont souvent très sensibles aux coûts de production. L’introduction de frais basés sur le nombre d’installations peut ajouter une couche de complexité financière à leurs opérations. Les studios qui avaient initialement choisi Unity pour sa simplicité et sa facilité d’accès pourraient maintenant être confrontés à des décisions difficiles concernant leur utilisation continue de la plateforme. Cela pourrait inciter certains studios à explorer des alternatives au moteur phare pour réduire leurs coûts.
De plus, ce modèle économique peut avoir un impact sur la rentabilité des jeux. Les studios qui ont réussi à créer des jeux populaires avec un grand nombre d’installations pourraient voir leurs bénéfices réduits en raison des frais supplémentaires imposés par Unity. Cela peut affecter leur capacité à investir dans de nouveaux projets, à embaucher du personnel supplémentaire ou à améliorer leurs jeux existants.
En outre, les studios devront maintenant gérer et surveiller de près le nombre d’installations de leurs jeux pour s’assurer de rester dans des seuils de tarification favorables. Cela peut nécessiter des ajustements dans leur stratégie de communication et de distribution, notamment en limitant ou en optimisant la manière dont leurs jeux sont téléchargés.
Enfin, cette décision tarifaire pourrait influencer la perception des studios à l’égard de Unity en tant que partenaire technologique. Certains pourraient ressentir que Unity Technologies n’est plus aussi favorable aux développeurs indépendants ou aux petites entreprises et chercheront des alternatives qui offrent des modèles financiers plus transparents et prévisibles.
En résumé, cette évolution soudaine et brutale concernant la politique de tarification de Unity, que nous condamnons, a bel et bien le potentiel d’affecter les studios de développement de jeux vidéo, et ce de plusieurs manières. Notamment en ajoutant des coûts, en impactant la rentabilité, en exigeant une gestion plus stricte du nombre d’installations et en influençant la perception de la plateforme en tant que partenaire technologique. Les studios devront donc évaluer attentivement les implications de cette décision et ajuster continuellement leur stratégie pour maintenir une certaine rentabilité et une compétitivité sur le marché vidéoludique.
Par ailleurs, ces récents changements de politique tarifaire ont laissé dans la bouche de nombreux studios un goût amer ainsi qu’un sentiment d’incertitude et de méfiance envers la plateforme. Autrefois considéré comme un allié fiable et accessible pour les créateurs de jeux, Unity est désormais perçu par certains professionnels comme un partenaire potentiellement instable. L’introduction des « Runtime Fees » a créé un précédent qui suscite des inquiétudes quant à la prévisibilité des coûts de développement. Les studios se demandent si Unity Technologies pourrait introduire d’autres modifications de tarification à l’avenir, rendant difficile la planification à long terme. Cette méfiance grandissante pourrait pousser certains studios à explorer des alternatives à Unity, comme le moteur libre et gratuit Godot, jusqu’à parfois même reconsidérer leurs grands choix technologiques pour de futurs projets vidéoludiques.