2023 s’annonce comme l’année des adaptations de jeux vidéo sous un autre format. Une dizaine de jours avant la diffusion par HBO de la série The Last of Us, le studio d’animation A1 Pictures dégaine cette semaine avec le premier épisode de la série animée NieR : Automata Ver1.1a, adaptée de l’oeuvre de Taro Yoko et disponible sur la plateforme Crunchyroll. La saga du fantasque développeurs japonais utilise de façon tellement radicale les codes du jeu vidéo pour raconter son histoire et exploiter ses thématiques, que cette adaptation excite autant qu’elle inquiète. C’est pour cela que nous revenons sur ce premier épisode avec l’avis de deux rédacteurs.
L’avis de Brian
NieR est devenue une licence majeure de l’industrie vidéoludique. Elle ne laisse personne indifférent. Soit nous tombons amoureux de l’univers et de toutes ses expérimentations ludiques, soit nous restons dans l’incompréhension face à la bizarrerie qui émane de l’ensemble. Taro Yoko intrigue et c’est bien la marque des grands artistes. La rédaction compte en ses rangs quelques adeptes du bonhomme, comme vous avez pu le constater avec notre dossier analytique consacré à la saga. Malheureusement, adapter un jeu vidéo sous un autre format est un exercice compliqué, en particulier avec une œuvre telle que NieR dont la moindre décision est pensée pour fonctionner dans le cadre d’un jeu vidéo, et non pas simplement dans le cadre d’une œuvre narrative. Autant le dire d’entrée de jeu, ce premier épisode n’est pas convaincant. L’un de ses principaux défauts est de reproduire l’introduction du jeu vidéo éponyme à l’identique, parfois plan par plan.
La fidélité d’une adaptation est appréciable, car il faut respecter le matériau de base. Cependant, il faut que la transposition dans un autre format soit pensée. Ce n’est malheureusement pas le cas ici, et cela se ressent particulièrement avec l’introduction qui ressemble à une copie bas de gamme de celle de l’opus sorti sur consoles. Là où Automata donnait une signification ludique aux différents changements de caméra, afin de faire passer le joueur par des typologies de jeu différentes dans le but de le prendre au dépourvu quant à la nature du jeu qu’il vient de lancer, sa version animée n’en fait rien et se contente d’enchaîner les séquences comme s’il fallait à tout prix remplir un cahier des charges. La réalisation n’est en plus pas des plus inspirées, soufflant le chaud et le froid. L’aspect visuel n’est pas aidé par des CGI souvent immondes, qui viennent entacher la beauté des dessins à la main en deux dimensions.
Une fois l’introduction terminée, nous pouvons sentir que la série essaie de prendre son envol. Elle est parfois presque en mesure de décoller et de nous emporter avec elle, mais reste clouée au sol à cause de son manque d’idée de mise en scène. L’idée de montrer l’usine comme un endroit désert est intéressante dans l’optique de retranscrire la mélancolie du monde de Taro Yoko, mais il est malheureusement dommage que le tout se fasse dans une succession de plans sans mouvement. Nous notons cependant que les dernières minutes de l’épisode rehaussent le niveau, et laissent espérer que la suite puisse être meilleure maintenant que le délicat exercice d’adaptation de l’introduction est terminé. Pour le moment, la série donne l’impression de n’avoir rien de pertinent à raconter, tout en se permettant de reproduire en moins bien ce qui a été fait par le passé.
La musique est un autre exemple qui démontre le manque global de réflexion autour de l’adaptation. Entendons-nous bien, elle n’a rien de mauvais puisqu’elle ressert à l’identique les compositions musicales de NieR : Automata, qui peut se targuer d’avoir l’une des meilleures bande-son de l’histoire du jeu vidéo. Malgré tout, il aurait été appréciable d’avoir droit à quelques réorchestrations, surtout que Keiichi Okabe, le compositeur des jeux, est très friand de cet exercice. Là où le bât blesse, c’est dans l’utilisation des musiques au cours de l’épisode. À part celles utilisées pour les premières et dernières minutes de l’épisode, aucune n’est utilisée à propos. Cela donne l’impression d’avoir des compositions musicales qui sont intégrées aux forceps, juste pour pouvoir se targuer d’avoir obtenu le droit pour les utiliser.
Taro Yoko, impliqué dans le projet d’adaptation, souhaitait proposer une histoire différente, centrée sur des personnages annexes de l’oeuvre principale afin d’exploiter plus en profondeur les membres de la résistance. La proposition a été rejetée par la production qui a estimé que ce serait un non-sens marketing de se priver de mettre en avant un personnage aussi iconique que 2B. Les différents trailers semblent cependant indiquer que des axes inédits seront peut-être traités. Une chose est sûre, la patte de Taro Yoko est difficilement perceptible, et son nom semble avoir été tamponné sur le projet juste pour s’acheter une légitimité. La présence de l’artiste japonais ne se ressent que dans la dernière minute, avec une explosion du quatrième mur qui pourrait s’avérer intéressante sur le long terme.
L’avis de Locus
Pour le meilleur ou pour le pire, Yoko Taro est un créateur qui aime tourner la page. Là où de nombreux auteurs continuent de produire des itérations de la même idée, frustrés de ne pas avoir su l’exprimer à la hauteur de leurs attentes, le créateur des franchises Drakengard et Nier semble déterminé à toujours regarder vers l’avant plutôt que dans le rétroviseur. Sitôt un jeu est sorti, sitôt il lui crée une suite qui délaisse tous ses personnages et ses intrigues précédentes au profit d’une histoire qui ne reprend que quelques éléments de la trame et les recontextualise dans une autre époque, voire dans un autre univers.
C’est avant tout pour cette raison que NieR:Automata Ver1.1a n’est pas une œuvre de Yoko Taro. Il est associé au projet, mais il n’en est pas le chef. Les premières minutes suffisent à vous en convaincre. C’est une redite totale de Nier : Automata. Les plans de caméras sont les mêmes. Les musiques sont les mêmes. Les dialogues sont les mêmes. Tout est identique… ou presque.
L’animation des personnages est élégante lorsqu’elle est dessinée et fournit d’excellentes scènes d’action, mais la surutilisation d’images de synthèse datées porte un préjudice énorme à la qualité visuelle globale de l’anime. C’est laid au point de faire figure d’un rendu amateur bricolé sur Blender par une seule personne sans compétence particulière en animation. C’est douloureux à regarder, en particulier avec cette palette de couleur purée de pois qui ne dégage aucun intérêt visuel.
Les musiques du jeu ne correspondent pas particulièrement à l’ambiance des scènes auxquelles elles sont associées, et elles ne servent pas non plus la cadence de l’anime. Elles ne font figure que de trame sonore pour accompagner un épisode à l’allure mollassonne, sans s’articuler autour des dialogues ou de la narration. La bande originale exceptionnelle composée par Keiichi Okabe est réduite à une musique d’ascenseur qui vous fait patienter à travers un diaporama de décors sans chercher à construire un rythme, juste à singer ce que le jeu faisait avant.
Là où le jeu ponctuait ses dialogues par de l’exploration et du combat dans lesquels le joueur pouvait s’immerger, l’anime laisse du vide, incapable de trouver que faire de son temps d’écran à part montrer les mêmes paysages que vous avez déjà visité si vous avez joué à Nier: Automata, ou que vous visiteriez dans une œuvre de bien meilleure qualité si vous jouiez au jeu à la place.
Plus que tout, ce premier épisode laisse planer un doute conséquent sur la capacité de ses auteurs à inventer plutôt qu’à imiter. Lorsque nous faisons des comparaisons avec le jeu pouvant paraitre intempestives au cours de cette critique, ce n’est pas parce que nous sommes incapables d’apprécier la série pour ce qu’elle est. C’est parce que la série elle-même semble jusque-là craindre tout processus de réinvention de l’oeuvre Nier: Automata pour la faire correspondre à son nouveau format, là où l’original tirait pleinement parti de son statut de jeu-vidéo. L’impression que l’on garde de cette série à partir du premier épisode, c’est qu’elle est exactement à l’image des machines qu’elle dépeint : incapable de créer quoi que ce soit. Juste d’imiter l’Ancien Monde sans vraiment comprendre pourquoi ni comment il fonctionnait.
Voilà tout ce que nous avions à dire sur ce premier épisode. La production ayant signé pour 24 épisodes, nous ne les critiquerons pas tous individuellement, mais vous pouvez compter sur nous pour avoir notre avis toutes les cinq épisodes sur PlayStation Inside. Chaque épisode dure 25 minute, et la diffusion est hebdomadaire.
Que c’est bien résumé…