Le marché des vinyles est en constante croissance auprès du grand public et le genre très particulier des bandes-son de jeux vidéo ne déroge pas à la règle avec une multiplication d’acteurs sur le marché. Les audiophiles seront attirés par la musicalité si particulière du support, alors que les joueurs les plus collectionneurs seront attirés par ces grandes et belles illustrations arborées sur les pochettes cartonnées des vinyles.
Depuis quelques années, le vinyle musical est devenu un passage presque obligé pour les bandes-son de jeux vidéo (et de films d’ailleurs). Il n’est pas rare de voir même plus d’une itération chez les disquaires ou dans les rayons d’espaces culturels. Les enseignes non spécialisées (en musique) telles que Micromania commencent même à en proposer à leurs clients, tel n’importe quel autre goodies.
Cela nous amène donc à nous poser la question suivante : le vinyle est-il toujours un support digne pour écouter de la musique, ou est-il devenu un simple goodie onéreux ?
Quand le PVC s’en mêle
Pour pouvoir bien comprendre le vinyle, il faut d’abord s’intéresser à ses particularités sonores et physiques.
Le vinyle n’est pas un CD (compact disc) géant qui date d’une autre époque. Néanmoins, le disque vinyle n’est pas tout jeune car il s’agit bien d’une invention du milieu du XXème siècle. En réalité, il s’agit même d’une « amélioration » d’un ancien format encore plus vieux : le 78 tours, qui date de la fin du XIXème siècle.
Le CD et le vinyle partagent un fonctionnement similaire : tous deux sont des disques avec des aspérités qui seront lues par une tête de lecture et transformées en information. Dans le cas des vinyles, ces aspérités sont appelées sillons et sont lues par une aiguille (ou diamant) qui va retransmettre ces variations sous forme de signal électrique, qui sera par la suite amplifié et sortira en onde sonore. Ce système analogique est d’ailleurs la base qui est encore suivie pour les autres disques tels que les CDs, DVDs ou Blu-Rays. La différence avec ces supports plus récents tient dans le fait qu’il est désormais question d’une lumière à la place de la tête de lecture, et que les aspérités creusées dans le disque seront transformées en informations binaires numériques.
Le vinyle, comme on le qualifie de nos jours, est parfois appelé disque microsillon en comparaison aux sillons du 78 tours qui étaient plus larges. Cependant, l’appellation de vinyle vient de la matière qui le constitue : le polychlorure de vinyle (PVC).
Les vinyles sont généralement sous deux formes : 33 tours et 45 tours. Les 45 tours correspondent aux petits vinyles, contenant une ou deux chansons par face, utilisés surtout pour les singles. Le 33 tours, quant à lui, est beaucoup plus grand et permet de contenir un album entier. Comme leur nom l’indique, il s’agit d’une distinction selon la vitesse à laquelle ces vinyles seront lus sous peine d’avoir un son distordu.
Sur CD ou sur les plateformes de streaming musical, c’est différent car il faut obligatoirement transformer le son analogique d’origine en numérique puis ensuite à nouveau en analogique afin de diffuser le son sur une enceinte ou des écouteurs. L’intérêt musical du vinyle est que le son reste théoriquement analogique de bout en bout de la chaine. Ces différentes transformations (pour les CDs et plateformes d’écoute) vont créer des pertes de contenu sonore. Techniquement, le vinyle possède donc un son encore plus proche du « master » analogique original sur lequel le son a été enregistré et mixé.
Néanmoins les vinyles ne sont pas parfaits : son matériel d’origine, le PVC, est fragile et facilement sujet à différents types de modifications irréparables.
Tout d’abord, le PVC est extrêmement sensible aux modifications climatiques fortes ou aux températures élevées. Il y a des exemples connus à l’instar du Japon où les vinyles doivent être particulièrement protégés car l’humidité élevée du pays les abime à petit feu (il en va de même pour l’électronique et les jeux vidéo). De plus, les microsillons sont très sensibles à la poussière, nécessitant un entretien régulier (à chaque lecture). C’est cette contrainte qui donne aux anciens vinyles ce son si particulier qui ajoute des petits craquements ; il s’agit de contact avec la poussière. Finalement, le diamant de lecture peut abimer les microsillons du vinyle si la platine est mal réglée ou de mauvaise qualité, provoquant une destruction du vinyle au fil du temps.
Il faut aussi noter que l’écoute du vinyle représente une expérience musicale très différente. La contrainte de se lever pour changer la piste ou changer de vinyle fait qu’un album est souvent écouté du début à la fin. Cela contraste avec une écoute « playlist d’une sélection de chanson sur différents albums d’un artiste ou d’un style musical.
Toutes ces contraintes font que l’écoute de vinyles peut paraitre contraignante, requérant une attention supplémentaire en comparaison de l’utilisation d’un simple CD ou d’une heure de streaming. Malgré tout, le vinyle est très demandé par les audiophiles, notamment pour sa reproduction beaucoup plus naturelle du son.
Envie de disco sur les sons de Pac-Man ?
On pourrait facilement croire que l’arrivée des musiques de jeux vidéo en vinyle est une mode nouvelle, mais en réalité le phénomène n’est pas nouveau. L’arrivée des vinyles tirés de jeux vidéo peut être située en même temps que le début de la popularisation des arcades, dès la fin des années 70. Toutefois, nuançons, car il était rare de voir des albums complets comme aujourd’hui.
En premier lieu, on retrouve les vinyles de compilation regroupant plusieurs jeux cultes d’un éditeur comme le Sega Game Music Vol. 1, sorti en 1986 au Japon avec les thèmes de OutRun, Space Harrier ou Alex Kidd. D’autres éditeurs comme Konami, Falcom ou Namco ont également fait des compilations de la sorte.
Il faut bien avouer que les sonorités des débuts de l’arcade n’étaient pas très audibles ou accessibles pour un grand public. Cela n’allait pas pour autant dissuader les maisons de disques de surfer sur la grande mode des jeux d’arcade.
En second type de vinyles, on retrouve des remix disco puis techno des musiques de classiques de l’arcade comme le best-seller Pac-Man Fever sorti en 1981 en occident, ou Mario Syndrome en 1986 au Japon.
Les musiques de jeux vidéo vont même jusqu’à inspirer des artistes comme les Japonais de Yellow Magic Orchestra qui utilisent des samples de sons vidéoludiques dans leurs expérimentations musicales et qui seront précurseurs de la musique électronique dès leur premier album en 1978.
Avec le temps, les musiques de jeux vidéo se moderniseront notamment grâce à l’arrivée des VST (instruments virtuels) et l’arrivée du support disque sur les consoles. Dès lors, les bandes-son de jeux sortent en album complet ou semi-complet de manière plus systématique au même titre qu’elles sortent en CD. De cette époque, on peut retrouver des vinyles de jeux PS1 tels que Wipeout, Parappa The Rapper ou Tekken pour ne citer qu’eux.
Mais c’est aussi à l’aube de l’an 2000 que les vinyles commencent à passer de mode avec un déclin dans l’ensemble de l’industrie musicale au profit des CD qui étaient plus abordables. Dès lors, le vinyle est considéré comme un format de niche exclusivement réservé aux audiophiles, et le grand public cherche à s’en débarrasser. Les sorties de vinyles se font donc de plus en plus rares.
A l’image du reste de l’industrie, quelques éditeurs farouchement attachés au support vont donc continuer à sortir des vinyles malgré tout, jusqu’à ce que ces petits éditeurs deviennent de plus en plus gros, et se multiplient suite au deuxième boom du vinyle lors de la première moitié des années 2010.
La transformation en produit incontournable
Dès le milieu des années 2010, le secteur du vinyle a connu une énorme progression avec un peu moins d’un million de ventes en France en 2015 contre plus de 5 millions en 2022 (Nombre annuel de vinyles vendus en France de 2012 à 2022, statista).
Durant cette période, de nombreux petits éditeurs ont commencé à se créer pour profiter de la nouvelle manne financière. C’est le cas par exemple de iam8bit, une compagnie qui vendait essentiellement des goodies mais qui, dès 2015, s’est mise à éditer des vinyles. La société compte désormais plus de 100 sorties différentes, allant de petits jeux indépendants (Thumper), gros jeux AAA (The Last of Us) ou jeux rétro (Banjo & Kazooie). Ce dernier acteur n’est pas le seul et des sociétés comme Fangamer, Black Screen Records ou Mondo Records se sont spécialisés dans l’édition ou la commercialisation des vinyles issues de bandes-originales de jeux.
La distribution de ces titres en France a pendant longtemps été difficile voire nulle. Il fallait bien souvent passer par le site officiel de l’éditeur et payer les frais de ports internationaux qui allaient avec. Désormais, plusieurs des éditeurs mentionnés se sont alliés à des distributeurs européens ou même français. L’éditeur allemand Black Screen Records est ainsi un distributeur de nombreux labels indépendants et éditeurs américains. En France, le distributeur JustForGames n’est pas en reste, fort de nombreuses alliances avec différents éditeurs internationaux. Ainsi, il est assez commun de tomber sur la bande-son de son titre préféré chez Fnac ou même chez Micromania, entourée de Funko Pop et d’autres goodies pop culture.
Il peut alors être alors difficile de ne pas voir le vinyle comme un simple accessoire promotionnel de plus. Les éditeurs de vinyles n’hésitent pas à fournir un énorme effort sur les couvertures, motivant ainsi l’achat par la beauté de ces dernières. Il n’est donc pas rare de voir des magnifiques illustrations revêtir la grande pochette d’un vinyle. Cette illustration (inédite ou non) pourra venir d’un des artistes du studio d’origine du jeu ou d’artistes externes plus ou moins réputés. L’artiste Ashley Wood (connu pour avoir illustré plusieurs Metal Gear Solid sur PSP) a par exemple été appelé pour illustrer la couverture d’Uncharted 4 : A Thief’s End.
L’un des problèmes majeurs pour l’attractivité de ces vinyles reste leur prix… Les éditeurs y voient souvent un objet de collection premium, plutôt qu’un objet musical. Les prix sont d’ailleurs de plus en plus élevés au fil des ans et de l’inflation. On est désormais bien loin de l’époque où les magasins de jeux vidéo pouvaient offrir le vinyle de Persona 4 Arena sur simple réservation du jeu ou quand le vinyle était inclus dans un collector à moins de 90€ comme pour Bioshock 2. C’est souvent dans l’édition la plus onéreuse que les joueurs auront le « privilège » d’avoir la bande-son au format vinyle en supplément. Récemment le jeu God of War Ragnarok (2022) demandait aux joueurs d’acquérir l’édition collector Jotnar afin d’obtenir un vinyle du jeu en supplément, le tout avoisinant les 270€.
La poussée des prix n’est pas le seul aspect rebutant pour le grand public. En effet, les éditeurs n’hésitent pas à sortir plusieurs fois leur microsillons sous différents coloris de vinyles ou en ressorties « picture disc », poussant ainsi à la collectionnite (ou à un ras le bol) chez les fans les plus invétérés et créant de la confusion pour un public non averti.
Heureusement, il existe de nombreuses communautés dédiées aux sorties vinyles des bandes-son de jeux vidéo. Celles-ci n’hésitent pas à lister les nouvelles sorties et les différents marchands commercialisant ces vinyles dans l’objectif de trouver le vendeur le plus proche pour éviter des frais de port exorbitants. Ces communautés se retrouvent par exemple à la fois sur Reddit ou Discord sous le nom de VGMvinyl.
Avant tout là pour le son ?
Concernant le cœur d’un vinyle, la partie sonore, il est difficile de faire des généralités car la qualité du son est bien souvent très variable. La bonne pratique veut que les éditeurs de vinyles créent un nouveau mix sonore. Utilisant (ou non) l’expertise des compositeurs originaux du jeu, ce nouveau mix a pour but d’adapter les compositions aux sonorités très spécifiques du vinyle et offrir un produit de qualité. Bien entendu, quelques éditeurs ne prendront pas cette peine sachant que la plupart des vinyles sont achetés en tant qu’objet de collection et non en tant qu’objet musical dédié à une écoute attentive.
Il y a néanmoins un énorme travail fait par certains de ces éditeurs pour entrer en contact avec les artistes originaux, notamment sur les bandes-originales de jeux rétro. Le but est de récupérer des enregistrements proches de la vision originale ou même de retrouver les compositions authentiques avant la compression d’époque. Cela peut même mener vers de belles histoires : quelques années après avoir sorti la bande-son de The Revenge of Shinobi version MegaDrive, l’éditeur Data Discs a été recontacté par le compositeur original (Yuzo Koshiro) qui a déniché entre temps les fichiers originaux de la version NEC PC-88 du jeu. Data Discs l’a donc aidé à exporter ses compositions pour ensuite les éditer en vinyle et en numérique pour la première fois. Ce cas-là n’est pas isolé et il y a de nombreuses autres bandes originales qui n’auraient jamais vu le jour sans l’intervention de ces éditeurs de niche.
Il est complexe à l’heure actuelle, d’imaginer quel sera le futur des vinyles. L’histoire voudrait qu’ils passent à nouveau de mode ou tombent en désuétude. Le marché voudrait que l’augmentation des prix et la quantité de sorties (du même album parfois) créent une lassitude chez les consommateurs. Néanmoins, la popularité sur les réseaux sociaux (Instagram ou TikTok) donne un second souffle à cette renaissance des vinyles.
Cependant, il ne faut pas négliger que l’aspect purement sonore n’est plus un enjeu de taille pour les vinyles, l’obsolescence technologique du produit n’est pas à craindre pour le support. De plus, le vinyle ne devrait pas craindre non plus d’être passé de mode sur les réseaux car il est aussi devenu un objet décoratif de choix. Il ne reste donc que la question de l‘offre florissante (et de plus en plus onéreuse) qui risque d’impacter la demande sur un moyen et long terme.
En plus de son rôle premier qui reste l’écoute de musique, le vinyle s’est trouvé de nouveaux usages chez les consommateurs. Il est devenu objet décoratif grâce à ses grandes pochettes réalisées par des illustrateurs de qualité. Désormais, il accompagne la sortie d’un jeu comme un objet promotionnel ou un goodie premium pour les collectionneurs. Néanmoins, certains éditeurs arrivent à sortir leur épingle du jeu en proposant des bandes originales pour des jeux qui, sans eux, n’auraient probablement jamais eu le droit à une sortie physique.