Ce 19 janvier, Naughty Dog publiera la version remasterisée de The Last of Us Part II, son jeu qui avait tant fait parler jusqu’à recevoir le titre de Jeu de l’Année aux Game Awards 2020. Sorti en toute fin de génération PS4, ce nouvel opus des aventures d’Ellie et Joel avait provoqué des débats culturels jusqu’alors peu vus dans le domaine du jeu vidéo, abordant des questions d’humanisme et de respect des différences, de violence(s) et de sa justification. 3 années et demi plus tard, c’est avec plaisir et un poil de circonspection que nous nous sommes replongés dans The Last of Us Part II à l’occasion des fêtes de fin d’année, avec une grande question en tête : ce remaster est-il VRAIMENT justifié ? Voici notre test pour en savoir plus.
NB : la première partie du test analyse les raisons de l’existence de The Last of Us Remastered. Pour la critique en tant que telle, vous pouvez descendre directement à la partie 2 « Un Director’s Cut plus qu’un Remastered ».
De l’utilité d’un remaster
Un choix éditorial et financier qui fait sens
Du point de vue de Naughty Dog et PlayStation, The Last of Us Part II Remastered a toutes les bonnes raisons d’exister. La première et principale raison est bien évidemment éditoriale et financière. Vu le succès de la série HBO, qui a récolté de multiples nominations dans plusieurs cérémonies prestigieuses (Golden Globes, Emmys), il faisait peu de sens que les jeux The Last of Us ne soient pas disponibles sur la même console, à savoir celle de dernière génération. Le remaster de Part II sert donc à cela : il transpose les aventures d’Ellie et Joel sur PS5, dans leur meilleure version possible, là où le grand public va plus facilement les identifier, au contraire d’une PS4 dont les jeux ne s’affichent plus en première place sur les étals des magasins et sur le PlayStation Store. Il corrige aussi une petite anomalie : comment en effet expliquer aux « casual gamers » que Part I est disponible sur PS5, mais que Part II, qui est sa suite, n’est achetable que sur la console précédente ?
Ainsi expliqué, ce choix éditorial et financier paraît clair. Comme pour The Witcher et la série Netflix, les jeux The Last of Us profitent du nouveau public amené par HBO pour relancer leurs ventes. Auréolés du succès public et critique de la 1ère saison et dans l’actualité grâce aux cérémonies de récompenses, Naughty Dog et PlayStation ne pouvaient pas mieux choisir leur date pour publier The Last of Us Part II Remastered. Notons aussi l’effort réalisé au niveau de la communication et du positionnement tarifaire, avec la possibilité pour les possesseurs du jeu sur PS4 de le mettre à jour sur PS5 pour la « modique » somme de 10 euros. Un geste bienvenu (et surtout normal !) à destination des joueurs qui vient juste après le bon accueil du DLC de God of War Ragnarök, dont la gratuité a surpris à une époque où PlayStation est de plus en plus identifié comme une marque « for the payers ».
Rassurer après l’annulation de Factions
Alors qu’il était attendu comme le fer de lance de la stratégie de jeux service impulsée par Jim Ryan, The Last of Us Factions, le jeu multijoueur dans l’univers de la licence, a été annulé à la fin 2023. Même si Naughty Dog a communiqué cela comme une sorte d’évidence vu son passif de studio à jeux narratifs (ce qui permettrait au studio de se concentrer sur ce qu’ils « aiment » faire), la raison est bien plus terre à terre. Le développement s’est tout simplement mal passé, et la décision de l’annuler a été prise car le jeu ne répondait pas aux attentes, comme l’a par exemple estimé Bungie, et que les équipes ne s’en sortaient pas dans un domaine qu’elles maîtrisent mal.
Nonobstant le tour de passe-passe communicationnel de Naughty Dog, l’annulation de Factions pose surtout un constat implacable. Le studio n’a toujours pas sorti de jeu original en trois ans et demi de vie de la PS5. À ce titre, le remaster de The Last of Us Part II, qui s’accompagne qui plus est de quelques nouveautés, doit agir comme l’arbre qui cache la forêt, surtout auprès du grand public, pour donner l’impression d’un studio, mythique s’il en est, qui ne tombe pas dans l’immobilisme. Et au-delà de ça, l’après 19 janvier sera aussi celui de l’espoir. Vu que Naughty Dog a remasterisé et « remaké » tout ce qu’il lui était possible de faire (Uncharted et The Last of Us, en mettant de côté ses plus anciennes licences comme Jak), le studio ne peut désormais plus se cacher : son prochain jeu devrait OBLIGATOIREMENT être original, que ce soit The Last of Us Part III ou une nouvelle licence. Et vu le crédit dont jouit Naughty Dog aux yeux du public, la machine à hype sera certainement très vite relancée pour faire oublier Factions et ouvrir le plus vite possible un nouveau cycle.
Un Director’s Cut plus qu’un simple Remastered
À l’annonce de la suite de The Last of Us au PlayStation Experience de… 2016, Neil Druckmann avait justifié l’appellation « Part II » par sa volonté d’approcher The Last of Us comme une seule et même histoire, d’où l’ajout de « Part I » au remake du premier titre à sa sortie. On peut y voir là une inspiration du Parrain, la trilogie phare de Francis Ford Coppola, qui avait nommé les deuxièmes et troisièmes films « Part II » et « Part III » pour signifier qu’il ne narrait qu’une seule histoire, celle de la vie de Michael Corleone.
Durant sa carrière, Coppola n’a jamais réellement arrêté de retoucher ses films, soit pour remettre au goût du jour les versions qu’il considère être les seules dignes d’intérêt, à l’image de « Apocalypse Now : Final Cut », soit pour remasteriser ses films et les présenter comme il aurait voulu les voir à leur sortie si la technologie ne le limitait pas (Le Parrain 4K en est un exemple avec ses nuances de noir). Comme l’un de ses maîtres, Neil Druckmann veut emprunter le même chemin, en offrant au public les versions définitives de ses œuvres. C’était le cas avec The Last of Us Part I, et il en sera de même avec The Last of Us Part II Remastered.
Ici, Naughty Dog enrobe l’ensemble d’une myriade d’ajouts qui font de cette version, à notre avis, plus un Director’s Cut qu’un simple remaster. Comme avec Le Parrain en 4K, The Last of Us Part II Remastered amène la qualité graphique à des hauteurs insoupçonnées, si c’était encore possible vu la claque qu’était le jeu de base à sa sortie en 2020. Sans inventer la roue ou bouleverser l’équilibre de l’univers, le remaster donne à voir des détails un poil plus fins, des éléments de décors peaufinés, et surtout des horizons lointains plus clairs que sur PS4, et ce en fidélité ou performance, ce qui vient réduire l’écart entre les deux modes. De manière générale, le jeu est stable que de soit en 4K/30fps ou dans les 60fps du mode performance, qui lui est d’autant plus stable lorsque le VRR est activé.
L’évolution est la plus évidente au niveau de l’utilisation de la DualSense. Que ce soit sur PS5 ou sur le PlayStation Portal, les retours haptiques et les gâchettes adaptatives sont parfaitement utilisées, et ajoutent une immersion dont nous ne pensions pas avoir besoin, tant la version PS4 était déjà terriblement addictive. Mais sur PS5, le gameplay des combats est magnifié et gagne en nervosité, ce qui colle parfaitement à la volonté des développeurs de ne jamais laisser le joueur tranquille. Que ce soit avec l’impact des balles ou le mouvement des infectés, la DualSense ajoute un niveau de réalisme très appréciable. Si les améliorations graphiques sont évidemment dispensables, celle-ci l’est beaucoup moins, et nous aurons du mal désormais à relancer le jeu sur PS4 après y avoir joué sur PS5.
Au-delà de ces spécificités techniques, nous considérons The Last of Us Part II Remastered comme un Director’s Cut pour ses éléments originaux. Avant de parler du mode roguelike No Return, auquel nous consacrerons la prochaine partie, notons d’abord les ajouts « cosmétiques ». En lançant le remaster, vous pourrez ainsi pratiquer en mode free-play (sans vous faire attaquer par quiconque) la guitare. Ressemblant étrangement au mode du même style dans Tchia, le jeu de guitare dans TLOU 2 est appréciable. On sourira à la possibilité de pouvoir s’y essayer en contrôlant ni plus ni moins que Gustavo Santaolalla, le compositeur de la bande originale du titre.
Le remaster devient vraiment intéressant lorsqu’il nous permet d’aborder la diégèse du jeu. Dans une mise à jour à venir, nous aurons ainsi accès au documentaire « Grounded II : Making The Last of Us Part II » directement dans le jeu. Vu le développement long et difficile du jeu, qui est passé par les cases crunch et Covid, cela promet d’être fascinant. Il sera ainsi possible, et c’est assez rare pour être souligné ces dernières années, d’en apprendre plus sur la conception d’un jeu directement dans le jeu lui-même. Espérons simplement qu’à l’image de ce que la bande-annonce du documentaire laisse paraître, le sujet du crunch sera sincèrement abordé. Naughty Dog doit au moins cette reconnaissance à ses employés.
Une autre manière de plus en apprendre sur le développement du jeu est à travers les Lost Levels. Rarement montrés au public, les niveaux abandonnés au cours d’un développement tombent la plupart du temps dans l’oubli. Dans The Last of Us Part II Remastered, Naughty Dog prend la décision de nous en montrer trois. S’ils n’apportent rien en termes de gameplay et sont trop courts pour être considérés comme de véritables ajouts ludiques, ils permettent néanmoins de comprendre la façon dont Naughty Dog a fait ses choix éditoriaux. Les Lost Levels donnent des enseignements sur la rythmique d’un jeu, et la nécessité parfois de ne pas hésiter à sacrifier des scènes pour maintenir l’équilibre général.
Avec les Lost Levels, Naughty Dog donne ainsi à voir la façon dont ils abordent la cohérence de leur narration. À chaque fois, une vidéo d’introduction de Neil Druckmann explique la raison du choix derrière la présentation du niveau. Le co-président du studio donne la raison pour laquelle le niveau a été abandonné, et détaille pourquoi lui et ses équipes ont finalement choisi de le montrer, afin de permettre aux joueurs de mieux saisir les subtilités du développement d’un jeu. Une fois lancés, les Lost Levels sont ensuite agrémentés de plusieurs checkpoints au cours desquels des développeurs décortiquent le niveau, en disant les choix derrière leur travail et les conclusions les ayant menés à le mettre de côté. On apprend en suivant ces courtes expériences qu’un niveau peut être abandonné pour plusieurs raisons, comme la rythmique, ou alors des play-tests décevants. Naughty Dog parle aussi des limitations de gameplay intrinsèques qui peuvent pousser à mettre de côté une partie du travail, par exemple lorsque qu’une séquence demande une adaptation trop conséquente de la boucle de gameplay de base pour tenter une nouvelle approche. Au fond, le studio californien expose avec les Lost Levels ses choix éditoriaux autant qu’il s’inscrit dans l’air du temps. Là où les équipes de TLOU abandonnent une idée de gameplay trop différente de leur boucle de base par difficulté, certains jeux anciens n’hésitaient pas à tenter le coup. On pense ici à Final Fantasy VII (1997), qui est allé sur le terrain du RPG, du combat, de la conduite de véhicules, jusqu’à la danse et la montée interminable d’escaliers.
Malgré tout, nous avons donc ici une éditorialisation bienvenue de la part de Naughty Dog, qui non seulement promet un documentaire sur le développement de The Last of Us Part II, mais lève aussi le rideau sur des éléments inédits qui permettent de comprendre comment est abordée la cohérence narrative et ludique d’un jeu vidéo.
Le dernier élément nous faisant dire que TLOU 2 Remastered est plutôt un Director’s Cut est la présence du mode Speedrun. Assez anodin au départ, ce mode de jeu change en réalité la manière d’aborder l’aventure d’Ellie. Dans un titre aussi scénarisé et contrôlé par Naughty Dog, pouvoir le jouer en speedrun est une façon totalement nouvelle de l’expérimenter. Là où le joueur est normalement invité à prendre son temps et à profiter de la mise en scène, le mode Speedrun remet tout cela en question et détonne dans un style de jeu, le solo narratif, qui est normalement une ode au contrôle et à la linéarité.
Ainsi, avec le free-play de guitare, le documentaire making-of Grounded II, les Lost Levels et le mode Speedrun, The Last of Us Part II Remastered témoigne d’un vrai travail d’éditorialisation de Naughty Dog, qui ne s’est pas contenté de ne proposer qu’une amélioration graphique. On voit ici la volonté pour le studio de faire de ce Remastered la version définitive de The Last of Us Part II. L’expérience est complète, entre le jeu de base qui peut être joué « normalement » ou rapidement et l’exposition des coulisses du titre, entre les Lost Levels et le documentaire Grounded II.
Le mode No Return : la première vraie nouveauté de Naughty Dog depuis 2020 !
Que ce fut long ! Depuis la sortie de The Last of Us Part II en juin 2020 sur PS4, Naughty Dog n’a plus rien proposé de nouveau. Le développement du multijoueur Factions était censé corriger cela, mais son annulation a tout remis en cause. Nous étions donc particulièrement intéressés à l’idée d’essayer le mode No Return dans TLOU 2 Remastered. Première vraie nouvelle proposition du studio en trois ans et demi, No Return s’inscrit dans la mode récente du roguelike. Popularisé ces dernières années chez PlayStation par Returnal (Housemarque), le roguelike infuse le jeu vidéo comme d’autres genres avant lui. Depuis le titre de Housemarque, nous avons eu droit chez PlayStation à God of War Ragnarök : Valhalla, le DLC gratuit venant conclure l’arc nordique de Kratos et introduisant du roguelike dans un genre, le beat’em all, qui s’y prête particulièrement bien. Et si le gameplay de The Last of Us est évidemment aux antipodes de God of War, il se prête aussi très bien au roguelike. Face à des hordes de zombies, se battre avec Ellie (ou plusieurs autres personnages, ce qui ajoute une dimension tactique selon le physique de celui que vous choisirez) fait sens dans le monde en ruines de The Last of Us, où les infectés sont incapables de réfléchir au-delà de l’instinct primaire de tuer.
Doté d’une grande variété et profondeur d’approche dans les boucles de gameplay avec quatre défis différents, ou dans les environnements, No Return apporte une touche véritablement jouissive à The Last of Us Part II. Là où les séquences de combat intenses de l’histoire, que ce soit contre des humains ou des infectés, étaient toujours reliées à l’histoire et avaient cette dose supplémentaire de stress, les séquences de No Return sont délestées de tout cela et ne sont que du pur gameplay d’affrontements aléatoires, qui plus est avec un mode de mort permanente qui oblige à tout recommencer à chaque mort, et donc acquiert une dimension die and retry et git gud assez novatrice dans l’univers des titres PlayStation. De même, les mods peuvent changer à chaque partie et modifier l’aspect des maps pour désorienter le joueur, tout comme les patterns des ennemis. Jouissive, nerveuse et rapide, tout en étant agile et très maniable, la jouabilité de ce mode roguelike laisse apercevoir la capacité de Naughty Dog à se renouveler au-delà de ses habitudes, et laisse entrevoir, toutes proportions gardées, ce qu’aurait pu être le multijoueur Factions sir le développement était allé jusqu’au bout.
Sans trop en dire évidemment sur les possibilités multiples de No Return, sachez simplement que ce mode à lui seul vaut l’achat de la version Remastered de The Last of Us Part II, d’autant plus si vous possédez la version PS4 vu que l’upgrade ne coûte « que » 10 euros. Ainsi, entre l’éditorialisation poussée de cette version et l’ajout d’un mode de gameplay totalement nouveau, The Last of Us Part II Remastered est un travail respectueux des joueurs et convaincant dans le fond comme dans la forme. On se prend, en posant la manette, à retrouver l’espoir pour Naughty Dog, et à attendre impatiemment le prochain titre du studio. Avec cette fois l’assurance que cela sera, enfin, une nouvelle expérience – qu’elle soit la Part III de The Last of Us ou une nouvelle licence – car Naughty Dog n’a plus rien à remasteriser. Désormais, il faut avancer. Retrouver l’esprit des Dogs d’antan, le goût de la prise de risque, et proposer une expérience novatrice et originale. On y croit. On y croit ? Allez, on y croit.
CONCLUSION
The Last of Us Part II Remastered
LES PLUS +
- Une vraie éditorialisation qui fait du titre un Director's Cut plus qu'une simple remasterisation
- Un remaster conséquent, et pas fainéant
- Le documentaire Grounded II et les Lost Levels, intéressants pour comprendre les coulisses d'un développement
- Le mode Speedrun, qui change totalement la manière de jouer à The Last of Us
- Le roguelike No Return, un mode de jeu complet et profond, première proposition originale de Naughty Dog depuis juin 2020
- L'implémentation de la DualSense, très convaincante
- Des options d'accessibilité supplémentaires
LES MOINS -
- L'aspect un peu trop court des Lost Levels