Dans un monde où la protection de l’environnement prend une place de plus en plus importante du fait de l’urgence climatique, le questionnement de nos pratiques et de leur impact sur notre planète est un devoir. Nous nous intéresserons dans ce dossier à l’impact environnemental de l’industrie du jeu vidéo, notamment par le prisme de la future manière de consommer le jeu vidéo : le streaming, mode de consommation activement développé par les grands acteurs du numérique que sont Amazon, Google, Microsoft ou encore Sony.
Un peu de contexte
Cette entrée en matière pourrait vous paraître particulièrement pessimiste. Pour autant, il est essentiel de bien comprendre notre situation. Au-delà des phénomènes climatiques extrêmes dont nous sommes d’ores-et-déjà témoins, l’accélération du réchauffement climatique et de la pollution dont l’humain est le principal responsable causera, à terme, un effondrement de la biodiversité pouvant conduire à une sixième extinction de masse. Cela étant dit, l’humanité a le pouvoir de limiter ce déclin du vivant dont nous sommes la cause.
Afin d’y parvenir, nos sociétés devront muter à tous les niveaux selon un dénominateur commun : la sobriété. Plus précisément la sobriété énergétique. Nos loisirs ne feront évidemment pas exception à la règle. En particulier le jeu vidéo, industrie polluante et émettrice de gaz à effet de serre. Nous nous intéresserons tout d’abord à l’impact du numérique au global afin d’apporter des chiffres concrets. En effet, ces informations sont difficilement trouvables concernant le jeu vidéo puisqu’elles sont englobées par le numérique. Par la suite, nous nous recentrerons sur l’industrie du jeu vidéo.
La part du numérique
Bilan en 2019
Le jeu vidéo n’est qu’une petite partie de l’univers numérique. Ainsi, une ouverture sur ce domaine nous permettra d’avoir une vision plus globale du sujet. Composé de 34 milliards d’appareils pour 4,1 milliards d’utilisateurs en 2019, le numérique mondial est actuellement responsable de 3,8% à 5,8% de la consommation des ressources servant d’indicateurs. Cela pourrait peut-être vous paraître faible mais, à titre de comparaison, cela représente 3 fois l’empreinte de la France.
De plus, il est intéressant de noter que les équipements utilisateurs sont les principaux responsables de l’impact environnemental du numérique en 2019 quels que soient les indicateurs observés : émissions de gaz à effet de serre, consommation électrique, consommation en eau et contribution à l’épuisement des ressources. L’impact de ces équipements est tout d’abord dû à leur fabrication puis à leur consommation électrique dans un second temps.
Autre donnée intéressante, la fabrication des équipements contribue moins à l’émission de gaz à effet de serre que leur utilisation. Par conséquent, dans une situation où la limitation du réchauffement climatique est une préoccupation majeure, la réduction de la consommation de nos appareils devrait être une priorité. Malheureusement, les évolutions technologiques entraînent bien souvent une amplification de ces émissions. C’est notamment le cas des téléviseurs.
Évolution de la part du numérique
Au-delà de ces évolutions, la taille de l’univers numérique aura quintuplé entre 2010 et 2025, ce qui aura pour conséquence le triplement de l’impact environnemental du secteur. Ainsi, le numérique passera de 2,5% de l‘empreinte de l’humanité à 6%. De plus, la croissance du nombre d’objets connectés incluant les consoles de jeu vidéo ou les téléviseurs est exponentielle : ce nombre est passé de 1 milliard à 48 milliards en 15 ans. La contribution du numérique aux impacts environnementaux passera donc de 1% en 2010 à 23% en 2025. Le déploiement massif de la 4G puis de la 5G entre 2010 et 2025 augmente également considérablement l’impact du réseau et est donc en partie responsable de cette augmentation. Tendance qui continuera de croître dans les années à venir.
Enfin, il est important de considérer le fait que l’impact environnemental du numérique est dépendant de la manière dont l’électricité permettant de faire fonctionner nos terminaux, data centers et réseaux, est produite. En effet, une électricité faiblement émettrice de gaz à effet de serre aura un impact important sur le bilan carbone du numérique. Comme vous pouvez donc le constater, nos choix futurs, en tant que société, quant à notre bouquet électrique exerceront une influence capitale à tous les niveaux.
État des lieux de l’empreinte du jeu vidéo
Part du jeu vidéo dans l’empreinte du numérique
Nous en parlions en introduction, il est assez difficile d’avoir des chiffres précis et des sources fiables concernant l’impact spécifique du jeu vidéo. Pour autant, il existe tout de même quelques indicateurs notables permettant de quantifier cet impact :
- Les consoles de jeux ont un impact assez faible sur la pollution émise par les équipements utilisateurs étant donné leur faible nombre et leur faible consommation électrique. De plus, la durée de vie d’une console est bien plus importante que la durée de vie de bons nombres d’autres appareils tels que les smartphones pour ne citer qu’eux. Finalement, les consoles de jeux n’émettent que 0,026 % des émissions du numérique mondial.
- La consommation électrique mondiale des PC réservés au gaming représente 0,003 % de la production électrique mondiale.
L’impact du jeu vidéo est donc minime. Pour autant, il ne faut pas le négliger car tout geste en faveur d‘une réduction de la pollution, et particulièrement des émissions de gaz à effet de serre, est bon à prendre.
Des consoles de moins en moins polluantes
Nous pourrions croire que la consommation électrique de nos consoles augmente avec les années et les nouvelles générations de machines. Pourtant, le rapport « Console Carbon Footprint » de Slots Online Canada nous montre que c’est plutôt l’inverse. En effet, nous constatons que les nouvelles consoles de jeux consomment en principe moins d’énergie que les précédentes et émettent donc moins de gaz à effet de serre.
Console | Consommation moyenne (Watts) | KWH | KG de CO2 / Heure |
Xbox 360 | 180 | 0,18 | 0,054 |
Xbox One | 122,5 | 0,1225 | 0,035 |
Xbox Series X | – | – | 0,07 (estimation) |
PS3 | 190 | 0,19 | 0,054 |
PS4 | 120 | 0,12 | 0,034 |
PS4 Pro | 117,5 | 0,1175 | 0,033 |
PS5 | – | – | 0,022 (estimation) |
Pour autant, il est recommandé de conserver ces équipements le plus longtemps possible afin de rentabiliser au maximum l’impact de la fabrication de la machine, étape très polluante de son cycle de vie.
État des lieux des facteurs ayant une influence sur l’impact environnemental
La pratique du jeu vidéo a un impact sur l’environnement à travers tous les aspects évoqués précédemment : émissions de gaz à effet de serre, pollution des sols, consommation d’énergie et matériaux.
Cet impact, nous le retrouvons durant tout le cycle de vie de nos appareils, de leur conception à leur utilisation par le joueur en passant par leur fabrication. De plus, au-delà du support hardware nous permettant de jouer, la création et la fabrication de nos jeux contribuent également à l’empreinte globale de l’industrie sur l’environnement. Contribution forcément très différente en fonction de l’ampleur du projet, nous y reviendrons. Enfin, les pratiques des joueurs exercent également une forte influence. Ainsi, il peut être difficile de se rendre compte de l’impact écologique de notre pratique du jeu vidéo.
Par exemple, l’émergence d’internet et des modes de consommation dématérialisés ont permis de réduire les quantités de plastique utilisées pour emballer nos jeux et d’éviter le transport de jeux fabriqués en Asie sur de très longues distances. Cela permet donc d’effectuer de grandes économies d’énergies et de ressources. En contrepartie, le dématérialisé implique l’utilisation d’une connexion internet afin de télécharger ou streamer nos jeux, ce qui aura également un impact sur l’environnement. Nous reviendrons sur le cas du streaming dans un second temps mais intéressons-nous à l’impact du dématérialisé dans le cas du téléchargement des jeux.
Le dématérialisé permet, comme nous l’avons vu précédemment, d’économiser des ressources en évitant la production de boites et disques et les transports sur de longues distances. En contrepartie, le téléchargement de nos jeux et leur stockage impliquent une consommation d’énergie. Alors, quelle pratique est à privilégier ? La réponse est… compliquée.
Quel est le mode de consommation le plus vert ?
Selon le rapport Console Carbon Footprint, les copies physiques émettent 23 fois plus de CO2 que le téléchargement des jeux dématérialisés. Cette donnée est cependant à manipuler avec précaution puisque sa méthode de calcul n’est pas détaillée ; nous ne savons donc pas si tous les paramètres tels que l’impact du support physique (consoles de jeux, etc.) sont pris en compte dans cette étude.
Afin d’apporter quelques éléments de réponse, intéressons-nous à l’industrie de la musique et aux conclusions d’une étude évaluant l’impact des méthodes d’écoute sur l’environnement. Cette étude, réalisée par plusieurs universités américaines, compare l’impact environnemental de l’achat d’un CD dans le commerce par rapport au téléchargement. Elle prend en compte le cycle de vie des deux scénarios d’achat et mesure les impacts directement liés au réchauffement climatique en occultant des points tels que la pollution chimique des sols. Passons maintenant aux résultats, ils sont clairs et sans appel : le téléchargement de 6 albums de musique nécessite 5 fois moins d’énergie que l’achat d’un CD et émet 60 fois moins de CO2.
Cependant, l’étude occulte le fait qu’après avoir été téléchargé, les albums de musique dématérialisés doivent être stockés sur un support numérique (disque dur, mémoire flash) dont la durée de vie est souvent bien inférieure au CD : la durée de vie moyenne d’un CD est de 20 ans tandis que la durée de vie moyenne d’un disque dur est de 4 à 5 ans. Cela impliquera donc l’utilisation de plus de matériels dans le cas du dématérialisé dont l’impact n’est pas pris en compte dans ces recherches et difficilement estimable.
Cette étude, comportant donc des biais, nous donne tout de même des éléments de réponses quant à la question que nous nous posions vis-à-vis de l’industrie du jeu vidéo. Ainsi, il serait intéressant de pouvoir réaliser le même travail pour le cycle de vie d’un jeu vidéo en prenant en compte le fait qu’un jeu est bien plus lourd qu’un album de musique, ce qui nécessitera plus de place sur les serveurs et plus de temps de téléchargement pour être accessible.
L’impact du streaming sur cette empreinte carbone
Un bouleversement des usages…
De la même manière que les industries du cinéma et de la musique, le jeu vidéo est en train de connaître un réel bouleversement dans les usages. Le développement très rapide des services de cloud gaming permettra dans les années à venir de rendre la pratique du jeu vidéo bien plus accessible, en se passant de l’exorbitant ticket d’entrée que représente l’achat de hardware.
Poussé par l’ensemble des acteurs du jeu vidéo, de Microsoft à Sony en passant par Google avec Stadia, le cloud gaming fonctionne de mieux en mieux et permet aujourd’hui de jouer dans des conditions tout à fait satisfaisantes, pour peu que l’on possède une bonne connexion internet. Pour autant, cette accessibilité par le streaming aura un coût.
Prenons l’exemple de Stadia : le service de Google nécessite une connexion de plus 35MB/s pour profiter d’images en 4K avec 60 images par seconde. Cela représente 16 Go de données consommées par heure. À titre de comparaison, une utilisation d’internet classique consomme quant à elle entre 10 et 20 Mo de données par heure. Le coût énergétique pour pouvoir jouer des conditions optimales sera donc considérable.
… aux conséquences encore difficile à cerner
De la même manière que la disparition des petits réseaux d’entreprises au profit de services de cloud a permis d’économiser beaucoup d’énergie de par l’optimisation des serveurs par rapport aux machines individuelles, nous pouvons espérer les mêmes économies globales d’énergie à terme dans le secteur du jeu vidéo.
Cependant, comme nous le disions précédemment, ces services rendront plus accessible la pratique du jeu vidéo et là est tout l’enjeu environnemental. En rendant la pratique du jeu vidéo plus accessible, nous ne remplacerons pas totalement les usages : les joueurs continueront à jouer avec leur matériel haut de gamme, et il s’ajoutera à cela de nouveaux joueurs qui utiliseront leurs smartphones ou téléviseurs. Ainsi, nous devrions constater un effet rebond de l’impact du jeu vidéo lorsque le jeu en streaming se démocratisera auprès du grand public.
Autre point à noter : la promesse du streaming, c’est aussi de pouvoir jouer partout. Étant donné les débits nécessaires pour profiter de ces services, jouer partout nécessitera l’accès à de hauts débits proposés notamment par la 5G. Le jeu vidéo en streaming sera donc un facteur supplémentaire poussant le consommateur à s’équiper de nouveaux smartphones, compatibles 5G, accélérant de fait l’obsolescence programmée d’appareils en parfait état de fonctionnement. Or, nous vous en parlions dans la partie sur l’impact du numérique, la fabrication des nouveaux équipements est le premier responsable de l’impact environnemental du numérique.
En conclusion, il est difficile d’évaluer, à travers des données objectives comparant l’impact du streaming par rapport aux autres modes de consommation, l’empreinte environnementale de ce nouveau mode de consommation. Cela s’explique par le manque d’études sur le sujet précis du jeu vidéo, la quantité de variables à prendre en compte mais également par le fait qu’il est difficile d’estimer le nombre de nouveaux joueurs permis par le développement du streaming.
De plus, il est important de noter que les acteurs du jeu vidéo poussent la vente de jeux dématérialisés et le streaming en finançant certaines études. Ainsi, des conflits d’intérêt peuvent émerger et fausser les résultats de ces études. Il faut donc rester prudent quant aux résultats de ces recherches si nous n’avons pas accès aux détails de celles-ci. Pour autant, il semble tout de même que la meilleure manière de consommer le jeu vidéo soit de télécharger nos jeux tout en conservant nos machines le plus longtemps possible.
Des gestes simples aux conséquences positives
Playing for the Planet
L’Alliance Playing for the Planet est un groupe d’entreprises du secteur du jeu vidéo ayant de pris un certain nombre d’engagements dans l’objectif de réduire l’impact environnemental du jeu vidéo. Ainsi, ses membres (32 sociétés), parmi lesquels figurent Ubisoft, Microsoft ou encore Sony, s’engagent à :
- Réduire leur empreinte carbone en effectuant une transition vers les énergies vertes
- Compenser leurs émissions de gaz à effet de serre
- Créer de nouvelles offres de conception et de recyclage pour contrôler les plastiques et les déchets électroniques
Concrètement, 60% des membres de ce groupe se sont engagés à être neutre en carbone d’ici 2030 par la plantation d’arbres permettant la captation des émissions dont ils sont responsables. Autre exemple, Sony a considérablement amélioré l’efficacité énergétique de ses consoles et services, ce qui aurait permis d’économiser des millions de tonnes d’émissions de carbone depuis la sortie de la PS4 en 2013. Ces initiatives sont donc globalement positives même s’il faut rester prudent face à ce genre d’alliances, tant ces sociétés peuvent s’en servir à des fins purement marketing (greenwashing). Toutefois, il est très positif de constater cette initiative même si ce n’est pas suffisant.
Quelques pistes côté joueur ?
La première cause de l’impact environnemental étant la fabrication de nos terminaux, nous devrions prolonger au maximum la durée de vie de nos consoles. Il est donc préférable d’éviter l’achat des consoles de milieu de génération comme la PS4 Pro ou la Xbox One X. De la même manière, il vaut mieux, lorsque cela est possible, se tourner vers le marché de l’occasion.
Autre facteur important que nous n’avons pas encore évoqué : les téléviseurs. En effet, l’augmentation de leur taille moyenne combinée aux évolutions technologiques a fait exploser leur consommation énergétique au point de dépasser la consommation des consoles de jeux actuelles, ce qui a, de fait, augmenté l’impact carbone de la pratique du jeu vidéo. L’idéal est donc d’éviter les grands téléviseurs, plus gourmands en énergie.
Jouer à des jeux indépendants, au-delà d’être souvent bien plus intéressant ludiquement, permet également de réduire son impact environnemental pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces jeux sont souvent moins gourmands à faire tourner que les AAA, ce qui limite la consommation énergétique de nos appareils. De plus, ces jeux étant réalisés par de plus petites équipes, la production de ces jeux nécessite une moins grosse consommation d’énergie.
Finalement, notre rôle en tant que consommateur mais surtout citoyen est de prendre conscience de l’impact réel de nos pratiques. Car oui, nous pouvons veiller à ce que les grandes sociétés continuent de prendre des engagements en faveur de l’environnement, puis nous assurer qu’elles les respectent. Mais à la fin, les petites actions menées à notre échelle comptent tout autant.
Quelques jeux pour sensibiliser à cette question
Seeds of Resilience
Sorti en 2019, Seeds of Resilience est un jeu de survie en vue isométrique. En plus de mécaniques de collecte et de craft, ce jeu ajoute une gestion éco-responsable des ressources. Ainsi, vos actes en tant que joueur auront des effets sur l’environnement et certaines actions pourraient avoir des conséquences fortes sur votre progression. Une bonne manière de se rendre compte de l’impact qu’on peut avoir sur notre monde.
Plasticity
Dans un monde bouleversé par la sur-utilisation du plastique et des ressources pétrolières, une jeune fille nommée Noa quitte sa maison dans le but de récréer un écosystème harmonieux. Le titre se présente comme un jeu de plateforme composé de petits puzzles et nous proposera, à travers différentes interactions, d’améliorer notre environnement. Morale de l’histoire : il n’est jamais trop tard pour agir.
Eco
Rappelant vaguement Minecraft, Eco est un jeu Sandbox vous demandant de construire votre civilisation seul ou à plusieurs. Vous devrez donc construire, récolter des ressources, chasser des animaux ou encore rechercher de nouvelles technologies. Mais attention, vos actions auront des conséquences et affecteront l’environnement.
Horizon Zero Dawn
Comme quoi, même les plus grosses exclusivités peuvent s’emparer de ce sujet. Dans Horizon Zero Dawn, toute l’intrigue et la morale tournent autour de l’action dévastatrice de l’humanité sur l’environnement, qui a littéralement provoqué l’extinction du vivant sur Terre avant de le faire renaître, tout cela pour que les nouvelles générations d’humains refassent les mêmes erreurs avant d’être sauvées in extremis par Aloy. Si Horizon Zero Dawn est évidemment bien plus que cela, il invite à la réflexion et envoie un message clair aux joueurs : prenez soin de la nature, car c’est d’elle seule que vient la vie.
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