Souvent décrié ou moqué au début du siècle, le jeu Fantavision aura su marquer les premiers possesseurs de PS2 par un concept simple et tapageur : allumer des feux d’artifice explosant en particules sur fond de musique techno. Fonctionnant surtout au Japon, Fantavision aura marqué son temps avant de totalement finir dans l’oubli malgré la sortie d’une suite pour PS5 et PS VR2. La série est une propriété intellectuelle de Sony Computer Entertainment et fait partie de cette longue liste de licences qui auraient pu disparaitre dans l’histoire, si ce n’est pour l’amour que lui porte d’irréductibles amateurs. Retour dans cette rétrospective sur ce jeu si particulier de l’ère PlayStation.
La première PlayStation, sortie en 1994 au Japon, avait eu un tel succès que l’attente autour de sa petite sœur était énorme. Shuhei Yoshida (ancien directeur des PS Studios) raconte qu’après avoir produit Ape Escape et The Legend of Dragoon pour la PS1 en 1999, Sony lui donne la responsabilité de sortir un jeu PS2 le plus rapidement possible. C’est alors que la production de Fantavision démarre avec une partie de l’équipe d’Ape Escape au sein de l’entité Japan Studio. La tâche se révèle ardue, les équipes n’ayant pas l’habitude des nouveaux outils de développement dédiés à la PS2 et ne sachant pas comment gérer le fameux Emotion Engine (processeur principal de la PS2, connu pour sa complexité).
En l’espace de quelques mois, l’équipe de développement réussira néanmoins à sortir Fantavision le 9 mars 2000, soit 5 jours après le lancement de la PlayStation 2 au Japon. Le démarrage nippon de la console est timide, en particulier à cause du manque de jeux l’accompagnant. Il y aura en effet eu seulement 6 jeux au lancement de la machine et trois autres dans les jours qui ont suivi. Dans cette liste, on retrouve d’ailleurs Eternal Ring, un jeu From Software avant que le studio ne connaisse le succès qu’il a désormais. C’est toutefois la discrétion des exclusivités qui se fait sentir. Sony mise alors sur Fantavision, et le titre est attendu au tournant par la presse et les joueurs, en tant qu’unique jeu Sony du lancement de la PS2. Fantavision a ensuite connu le même destin durant les lancements successifs de la PS2 sur les autres continents, restant la seule production Sony de la console. À l’époque, Shuhei Yoshida justifiait le manque de jeux First Party en expliquant que les équipes de PlayStation n’étaient alors pas adaptées au changement de génération, étant encore nouveaux sur le marché du jeu vidéo.
De par ce statut un peu spécial, les projecteurs ont tout de suite été mis sur Fantavision, notamment du côté de la presse spécialisée qui n’a pas hésité à critiquer le jeu pour son manque de contenu et son prix exorbitant pour ce qui s’apparentait, pour beaucoup alors, à une démo technique.
« Au moins j’ai sorti un jeu au lancement » – Shuhei Yoshida
Comme souvent avec les jeux de lancement d’une console, l’idée est d’en exploiter au maximum les nouvelles capacités. L’une des innovations technologiques de la PS2 résidait dans le nombre de particules que la console pouvait afficher à la fois. C’est avec cette contrainte technologique et ses souvenirs d’enfance des festivals d’été japonais que Katsuyuki Kanetaka donna naissance à Fantavion. De plus, le jeu a eu un temps de développement très court avec une équipe fortement réduite. Yoshida précisera à ce sujet que le jeu n’a eu le droit qu’à 6 mois de développement avec une équipe de 5 personnes.
Fantavision est un puzzle-game avec un concept assez simple : des enchainements de feux d’artifice de 3 couleurs différentes sont lancés et le but est de relier au moins trois buses (une buse est un projectile explosant en vol, ndlr) de feux d’artifice de mêmes couleurs pour lancer une détonation. Les feux d’artifice qui ne sont pas détruits dans un temps imparti seront manqués et la barre de vie sera impactée. D’autres feux bonus ou incolores serviront de joker en cas de troisième feu manquant pour faire une explosion ou pour relier deux couleurs ensembles. Ces feux spéciaux alimentent une jauge « Starmine » qui lance un niveau bonus une fois celle-ci remplie. Le but de ces séquences bonus sera de faire le plus grand enchainement possible de feux.
Le jeu est très arcade dans sa présentation. La difficulté est assez élevée dès le début et il faut du temps pour vraiment prendre en main les concepts et les différentes buses. Le high-score a aussi une grande place dans le jeu car chaque écran de game over vous demandera d’enregistrer un surnom pour garder en mémoire le détenteur du record. Le jeu dispose de 8 niveaux allant d’une ville jusqu’à une station spatiale avant d’arriver finalement dans un monde imaginaire et psychédélique. Une réussite totale des 8 stages dans la difficulté de base peut se faire en moins de 2h en prenant le tutoriel et les premiers tâtonnements en compte. C’est essentiellement par ce manque de contenu et sa répétitivité que le jeu a été décrié au lancement de la PS2.
Dans un aspect plus gadget, Fantavision permettait aussi d’enregistrer une session de jeu et de la rediffuser dans un mode dédié où il était possible de tourner autour des différentes explosions et de rajouter des effets visuels. Il s’agissait clairement d’un mode mis en place pour montrer les spécificités techniques de la console et en mettre plein la vue.
Fantavision a cependant plus a plus à offrir que ce qu’il n’y parait. Derrière ce puzzle game de scoring se cache un jeu avec une proposition originale de part son esthétique générale et de sa bande-son, ce que nous allons démontrer ci-dessous.
Une ambiance hors du commun
La courte cinématique d’introduction live-action du jeu accueille les joueurs avec un laitier qui vient offrir un cadeau à une petite fille. Ce « Fantastic » cadeau n’est autre que le jeu Fantavision. Les cinématiques suivantes sont placées tous les 2 niveaux et continuent cette histoire avec la petite fille qui vient parler de ce « Fantastic » jeu à un scientifique dans l’espace puis à un ami dans une ville spatiale. Ces appels justifient les différents décors du jeu précédemment cités. Les cinématiques se déroulent dans une ambiance américaine des années 1960 mélangée avec un futur imaginaire fantasmé par la conquête spatiale de l’époque. L’ensemble est montré à travers une mise en scène cryptique très japonaise malgré des acteurs occidentaux.
Le nom du jeu vient du mot « Fantastic / Fantastique » qui apparait dans ces cinématiques ainsi que sur la jaquette japonaise du jeu : « Fantastic World », « Fantastic Fireworks »… finalement, la contraction de « Fantastic Vision » a donné : Fantavision.
Une autre explication au nom « Fantavision », un peu moins répandue, voudrait que le nom soit tiré d’un ancien logiciel pour micro-ordinateur des années 80 qui s’appelait aussi Fantavision et qui permettait de faire des dessins à base de vecteurs et de les transformer en animation, certaines pouvant s’apparenter à des mouvements de feux d’artifice.
Soichi Terada, connu par l’équipe de développement pour avoir déjà fait la bande originale d’Ape Escape, avait été spécialement rappelé pour composer la bande-son de Fantavision. La musique électro du jeu étant considérée comme trop japonaise pour le marché occidental, il a été décidé à l’époque que chacune des régions majeures ait sa propre bande-son : l’Europe, les USA et le Japon. La BO américaine composée par Ashif Hakik (Sly Cooper, Crash Team Racing) est dans un style Electro Pop, alors que la version européenne, composée par Jim Croft, est dans un style Techno Eurodance. Malgré certains thèmes communs, le style de chacune de ces BO correspond aux musiques en vogue à l’époque dans ces différentes régions. C’était déjà une tendance présente dans les disques de démo de PlayStation afin d’avoir aussi un style et une bande-son adaptés à chaque marché ciblé.
En plus de ces différences de bande sonore, les versions occidentales du jeu ajoutaient un mode supplémentaire : le mode Versus. Comme son nom l’indique, ce dernier permettait de faire des combats contre un autre joueur avec des nouveaux feux d’artifice spéciaux qui envoyaient des malus à l’adversaire.
Ce mode de jeu sera finalement proposé aux joueurs japonais dans Futari no Fantavision, une version révisée qui paraitra en 2002, soit 2 ans après le jeu original.
Cette nouvelle version possède une nouvelle intro (la première version japonaise n’en avait pas) plus stylisée et sans acteur cette fois mais seulement des illustrations d’eux tout en gardant la même esthétique. L’interface avait aussi été repensée pour apporter plus de clarté dans les différents modes de jeu, et les niveaux étaient renouvelés avec des environnements différents tout en préservant l’ambiance des originaux : le niveau de la ville reste dans une ville (mais différente de la première), etc. Quant à la BO, certains titres avaient été modifiés ou remixés par Terada comme le titre originale.
Il existe donc 4 versions différentes de Fantavision sur PS2 : Fantavision (JP, US et EU) et la suite japonaise : Futari no Fantavision, avec chacune leur BO unique, seuls les japonaises sont sorties en physique et seulement au Japon.
Fantastic Vision dans la poche
Dans les années qui ont suivi (dès 2003), et comme la plupart des licences PlayStation de l’époque, le jeu Fantavision a été adapté au téléphone japonais. Le jeu est une version simplifiée du titre sur PS2, une sorte de « démake ». Malheureusement aucune vidéo du jeu ne semble exister sur le web, hormis quelques screenshots. Le principe semble exactement le même avec des buses de feux d’artifice à relier entre eux pour les faire exploser et la jauge de Starmine qui progresse. Néanmoins le jeu possède quelques particularités comme l’ajout de leaderboard en ligne via le réseau téléphonique japonais mais surtout la possibilité d’importer ses propres photos comme fond d’écran des niveaux.
Un modeste retour ces dernières années, avant une renaissance en 2023
À la suite de cette aventure sur les mobiles japonais, la marque finira par disparaitre totalement, le dépôt du nom « Fantavision » étant même arrêté en 2009.Il faudra attendre plus de 6 ans, à la fin 2015, avant de voir le nom de Fantavision revenir dans l’actualité, même si ce fut de courte durée.
C’est avec l’arrivée en 2015 de titres PS2 sur PS4 que Fantavision fait son retour. Dans ces titres, on retrouve quelques jeux Star Wars, quelques classiques Rockstar Games et surtout des jeux First Party tels que les Jak et donc Fantavision. Cette version n’est d’ailleurs qu’une émulation du jeu original PS2 avec un lissage et l’ajout de trophées.
Fin 2022, le lancement du PlayStation VR2 arrive à grands pas et Sony le prépare avec des annonces successives de jeux pour le line-up de sortie. Lors d’une de ces annonces, ils dévoilent le jeu Fantavision 202X, plus de 20 ans après le dernier Fantavision pour console. Ce nouvel épisode, annoncé au début comme un jeu PS VR2, sera finalement aussi jouable en 2D sans obligation de posséder le casque de réalité virtuelle.
Le jeu sortira au lancement du PlayStation VR2 mais contrairement à l’épisode original, il n’a pas été développé par une équipe interne de Sony mais par une équipe de développement japonaise nommée Cosmo Machia. Le jeu a tout de même été dirigé par Katsuyuki Kanetaka (à la tête du titre original) et on retrouve à la musique Soichi Terada, qui était aussi présent sur l’original, dans le même rôle.
Fantavision 202X reprend l’ensemble des bases du premier titre de la série et pourrait même être décrit comme une relecture ou un remake plutôt qu’un suite. Aucun nouvel élément de gameplay n’a été ajouté à l’exception de la possibilité de pointer les feux à exploser avec les manettes PS VR2 Sense si le mode VR est activé. Au-delà de ça, on retrouve les 8 stages originaux avec une ambiance similaire ainsi qu’une bande son remasterisée des titres originaux japonais. Certains modes de jeux ont même été retirés tels que le mode multijoueur pour laisser uniquement l’expérience originale Fantavision. Il faut voir cet épisode comme un moyen moderne de découvrir la série avec les technologies actuelles, et donc même la VR.
Si la réalité virtuelle sur ce titre est la seule véritable nouveauté, l’expérience de jeu n’est toutefois pas totalement transcendée par l’usage du casque, le gameplay devant rester le même par sa compatibilité avec la 2D sans casque. Néanmoins un sentiment de synesthésie peut apparaitre grâce à la synergie qui se crée au fur et à mesure ; entre les couleurs vives, les bruits d’explosions localisés en 3D et les œillères qu’apportent un casque VR. Le mode replay est à nouveau présent et prend encore plus de sens avec le casque de Sony car il est possible de voir l’ensemble du décor sans se préoccuper de faire exploser les feux d’artifice au bon moment.
Si on en croit les dépôts de marque, la licence Fantavision appartient toujours à Sony et il s’agit là d’une exploitation de marque par Cosmo Machia. Le jeu étant aussi édité par le studio, ils l’ont aussi sorti pour Steam et PC VR. Fantavision 202X est sorti à l’origine uniquement en dématérialisé mais quelques mois plus tard, Cosmo Machia l’a proposé à la vente au Japon dans deux éditions physiques dont une avec la bande originale du jeu. Quant à l’occident, ce sont les Français de Red Art Games qui se sont chargés de le sortir physiquement avec une édition qui rend hommage à l’héritage PS2 du jeu.
Fantavision a ainsi toujours été une licence un peu clivante, subissant pléthore de moqueries, et n’ayant jamais eu la notoriété d’autres puzzle-game dans le même style. L’héritage de la licence est donc très pauvre malgré un clone sur Xbox Live Arcade : Boom Boom Rocket. Notons tout de même que l’utilisation des particules comme un élément clé du gameplay dans Fantavision a été reprise par la suite dans de nombreux jeux tels que les Geometry Wars, Super Stardust ou Resogun, et ce malgré des gameplay très différents.
Finalement, seuls les créateurs originaux de Fantavision auront fait survivre l’héritage du jeu via un remake. Depuis la fermeture de Sony Japan Studio, de nombreux anciens des équipes de PlayStation tentent de leur côté de faire revenir leurs productions d’antan via des suites spirituelles ou des jeux de même factures tels que les anciens de Project Siren (Bokeh Game Studio), Team ICO (Gen Design) ou Patapon (Ratatan). Souhaitons leur la même réussite que leurs camarades de Fantavision. Le titre, s’il n’aura certainement jamais un grand succès, aura au moins pu ressortir sur consoles de nouvelle génération. Et en temps que fans devant l’éternel du premier jeu, on ne peut que saluer l’initiative !