À la fin janvier, Audrey Sourdive a accepté d’accorder la deuxième interview de PlayStation Inside. Voix française d’Abby dans The Last of Us: Part II ou encore de Silver Sable dans Marvel’s Spider-Man, Audrey Sourdive est une comédienne de doublage à la carrière aussi fulgurante que remarquable.
Après la première partie de l’interview que vous pouvez retrouver ici, PlayStation Inside vous en propose le second morceau, où la discussion s’oriente plus sérieusement vers une analyse approfondie du scénario de The Last of Us: Part II. Ici, certaines questions ne seront pas précédées de la mention « PSI » (pour la rédaction), mais des noms des rédacteurs concernés ; ces interventions sont des moments où les rédacteurs ont donné leur opinion sur le jeu de Naughty Dog. Attention, spoilers.
PlayStation Inside (PSI) : Tu viens de faire le lien avec The Last of Us: Part II où l’on incarne justement deux héroïnes différentes. Ce choix a d’ailleurs donné lieu à quelque chose de très rare dans le milieu du jeu vidéo. Lors de la promotion du titre, le studio a complètement passé sous silence le personnage d’Abby, préférant mettre l’accent sur Ellie. On avait vu Abby une seule fois dans un trailer et nous ne savions rien de plus la concernant. Tu nous as dit plus tôt que tu savais quel rôle tu allais jouer dans le jeu, donc tu savais évidemment qui était Abby et à quel point le personnage était important au sein de l’intrigue. Malgré cela, tu ne pouvais pas du tout en parler à cause des N.D.A (accord de non-divulgation). Peux-tu nous dire comment tu as vécu cette période de ton côté ?
Audrey Sourdive : C’était en effet assez particulier. D’une certaine façon, je me languissais, ça m’amusait énormément car je connaissais l‘importance d’Abby au sein du jeu. J’étais en mode « hihihihi, vous allez moins rigoler les gars dans quelques temps. ». Je connaissais déjà l’une des premières scènes du personnage, celle avec Joel. C’était évidemment un moment très important. C’était compliqué pour moi de ne pas en parler à certains de mes proches. Évidemment je n’ai rien dit, même si c’était vraiment difficile.
L’autre moment qui a été intéressant pour moi est celui où le jeu est sorti. Je me rappelle que tout le monde s’est empressé d’y jouer. À ce moment-là, je pouvais enfin dire que j’incarnais Abby. Je suis allée sur certains forums pour l’annoncer et il y avait plein de personnes qui avaient déjà commencé le jeu, mais qui ne l’avaient pas fini. J’ai reçu plein de messages disant que mon personnage était affreux et les joueurs ne voulaient qu’une chose : la mort d’Abby (rires). J’ai répondu à toutes ces personnes de finir le jeu, et qu’on en reparlerait ensuite.
En parallèle, j’ai moi-même fait The Last of Us: Part II. Je savais déjà à peu près ce que je pensais du personnage suite au doublage, mais faire le jeu a confirmé mes pensées. Entre-temps, j’ai aussi reçu les messages des joueurs ayant fini le titre. La plupart me disaient qu’ils avaient finalement adoré mon personnage, qu’ils le trouvaient à la fois passionnant, mais en même temps un parfait miroir d’Ellie. Il y en a même plusieurs qui ont trouvé sur la fin qu’Abby devenait finalement l’héroïne. Le fait qu’Ellie veuille retourner encore et encore se venger, comme si sa soif de vengeance n’était jamais rassasiée, a amené certains joueurs à pencher du côté d’Abby. Ils voyaient en Ellie un personnage plus complexe, plus tiraillé, beaucoup moins « pur » que ce qu’ils ont connu au début du jeu. Je trouve que notre point de vue sur le personnage change à la fin, c’est pour ça que la construction du titre est géniale.
Je trouve ça super de commencer avec un personnage adoré du premier jeu. On a adoré Ellie, Joel, et là, après quelques heures, on tue notre héros préféré. C’est d’une violence absolue. En plus, on nous force à jouer avec Abby, ce nouveau personnage dont on se moque complètement. On ne veut clairement pas jouer avec elle, on ne la connait pas et on la déteste car elle a tué le héros. C’est atroce, mais à la fois c’est clairement réussi car ça met dans une rage terrible en tant que joueur. Je trouve ça très intelligent.
Ensuite, vient le moment où on repasse à Ellie, avec toute sa souffrance et son besoin de vengeance aveugle. Elle parcourt tout cet univers pour retrouver les meurtriers de Joel. En tant que joueur, on est capté par ce sentiment de vengeance car on le ressent aussi. Et quand, enfin, Ellie et Abby se retrouvent, on refait une transition en jouant de nouveau Abby. Ça fait quinze heures que l’on joue avec Ellie, et on nous remet avec le personnage que l’on déteste le plus au monde (rires), ce que l’on a clairement pas envie de faire. Sauf qu’on nous oblige de cette façon à retourner dans son passé, à découvrir ses relations avec les membres de sa communauté. Et doucement, on commence à s’identifier à elle. On passe d’une haine absolue à un sentiment plus mitigé. Au final, on se rend compte qu’Ellie veut se venger de la mort de son père adoptif mais qu’Abby a exactement le même but. C’est la même motivation.
Ce qui est super aussi, c’est que lors de la seconde partie avec Abby, on retrouve tous les personnages tués précédemment avec Ellie. Même le chien, le pauvre chien, on le voit aussi. Et en plus, on peut jouer avec, c’est terrible. On recroise aussi la femme d’Owen qui est enceinte, ça aussi c’est affreux… En fait, tous ceux qui étaient les antagonistes dans la première partie du jeu deviennent nos amis. La différence est que ce ne sont plus de simples méchants, ça devient beaucoup plus complexe. Puis arrive le dernier moment où on repasse à nouveau avec Ellie. Une Ellie désespérée, qui elle veut encore retourner se venger de manière très cruelle alors qu’elle a plus ou moins déjà obtenu sa vengeance. On se dit « c’est bon quoi, arrête là ».
Arrive la confrontation finale entre les deux personnages, sur la plage, dans la flotte. C’était d’une violence inouïe. Personnellement, je pleurais comme une folle en voyant cette scène-là. Je m’en rappelle très bien, c’était mon conjoint qui avait la manette en main à ce moment-là. Il me disait, « je n’ai pas envie de la frapper, j’ai envie que ça s’arrête ». Ça a du être encore plus difficile pour lui, car en plus c’était le personnage que je doublais qui souffrait à l’écran (rires). Mais j’ai trouvé ça terriblement fort d’amener le joueur à se demander à quel moment la vengeance est une bonne chose, au point de ne pas vouloir appuyer sur des boutons. Quand tu veux te venger, tu deviens toi-même un monstre. Et là, tu repenses soudainement à tous ces scénarios de jeu vidéo qui ne tiennent quasiment que sur ça, sans approfondir réellement le sujet. Dans The Last of Us: Part II, on te fait toucher du doigt la réalité de notre monde, sans enjoliver les choses. C’est quelque chose de très fort.
On arrive ensuite sur la toute fin du jeu, avec la conclusion où Ellie se retrouve toute seule dans sa maison vide, à jouer de la guitare avec ses doigts en moins. À ce moment-là, je me dis que le studio a été au bout du bout. Ils n’hésitent pas à nous faire une fin à rallonge avec des flashbacks de Joel. Ils montrent jusqu’au bout l’absurdité de la chose. Aller au bout de sa vengeance a amené Ellie à détruire tout ce qui l’entourait, il ne lui reste plus rien. Pousser le joueur à réfléchir sur ce qu’apporte la vengeance, j’ai trouvé ça vraiment intéressant. Le joueur est déstabilisé et ce qui est cool à la fin, c’est que tout cela provoque tellement de débats.
PSI : En tant que fan de The Last of Us, et connaissant donc l’histoire de Joel et Ellie, pour quel(s) personnage(s) éprouves-tu la plus grande empathie après avoir terminé les deux épisodes ? Les flashback dévoilant ce que ressent Joel pour Ellie suffisent-ils à comprendre ses choix ? Et justifier ses actes ?
Audrey Sourdive : De toute façon, les personnages, je les ai aimés très fort, tous, et très vite. Il y a peu de personnages qui m’ont été antipathiques. Même le frère de Joel, son retournement dans le 2 est compliqué et intéressant. Mais en fait, je trouve que de tous les personnages dans The Last of Us, de tous…il n’y en a pas un qui est noir ou blanc. Ce n’est pas manichéen. Aucun n’est pur ou simple. Ils ont tous la complexité humaine qui fait qu’ils ont des qualités, des défauts, des problèmes. Des trucs où ils ont des justifications qui sont les leurs et qui ne seraient pas obligatoirement les nôtres. C’est ça que je trouve intéressant dans The Last of Us: Part II.
Le personnage de Lev aussi, il y a plein de choses hyper complexes là-dedans. Il n’y en a aucun qui va être tout gentil ou méchant, où l’on va se dire : “ok, je suis complètement d’accord avec tous ses choix”. Ellie a des choix où j’ai envie de la taper, Abby pareil. Son rapport avec Owen, quand elle couche avec lui à nouveau alors que Mel est enceinte… Mais ce sont des choses de la vie, en fait. C’est la vraie complexité des vraies personnes. Et c’est très rare d’avoir ça dans un jeu vidéo.
La plupart du temps dans un jeu vidéo, le héros peut avoir fait une connerie et s’en vouloir ; il va porter sa croix de la culpabilité tout au long du jeu. Dans la vie, ce n’est pas obligatoirement ça. Non, il y a des personnages qui peuvent être très coupables et pas obligatoirement se sentir coupables jusqu’au moment où la vie les oblige à faire face à leurs démons. The Last of Us: Part II parle de ces questions.
La chose que j’ai vraiment apprécié est le fait de pouvoir autant aimer que détester Ellie. Et pareil pour Abby. Ellie, j’ai vraiment commencé par l’adorer pour ensuite la trouver compliquée, dure et égoïste par moments. Abby, c’était l’effet inverse : je l’ai d’abord détestée, puis aimée et comprise.
PSI : En parlant de complexité, il est vrai qu’il y a énormément de nuances, notamment le fait qu’Abby venait d’être sauvée par Joel juste avant de prendre la décision de le tuer. Ce n’est pas quelque chose qui l’a particulièrement touchée au moment de passer à l’acte. Il en va de même pour Ellie qui, au moment de tuer Abby, ne s’attend pas à la retrouver dans cet état. Ça joue forcément sur son choix final. Peut-être a-t-elle ressenti de l’empathie, de la pitié. Il y a beaucoup d’éléments qui viennent s’entremêler et qui complexifient le scénario.
Matthieu Collin (rédacteur) : Au sein de la rédaction, nous avons eu de sacrés débats concernant le destin d’Abby à la fin du jeu. Certains d’entre nous pensent qu’Ellie aurait dû aller au bout de sa quête, quand d’autres approuvent son choix final. Quelle est ta position sur la question ? Bon, j’avoue… Moi, je voulais qu’Ellie tue Abby.
Audrey Sourdive : Mais tu es un monstre !
Matthieu Collin (rédacteur) : Je sais, je sais… Mais elle a tué Joel (rires).
Audrey Sourdive : Je veux bien alors, mais ça veut dire que le message n’a pas été bien transmis.
Matthieu Collin (rédacteur) : C’est là que je suis un monstre jusqu’au bout. J’ai tout à fait compris le message, mais je ne veux pas l’écouter.
Audrey Sourdive : Moi je suis d’accord avec toi : oui, elle a tué Joel, mais pourquoi est-ce choquant ? C’est choquant parce que l’on a aimé Joel durant le premier épisode. Si le premier épisode avait été sur Abby et son père, tout aurait été bien différent.
Matthieu Collin (rédacteur) : Mon avis aurait été totalement contraire, effectivement. Et ça je ne le nie pas. Mais c’est juste que j’ai cet attachement à Joel.
Audrey Sourdive : C’est pour ça qu’il faut réfléchir. Ça pose problème à cause de l’attachement émotionnel qu’on a pour Joel, parce qu’on l’a incarné lui et pas Abby. Mais ça ne devrait pas justifier le fait de la tuer. À la fin du jeu, Abby est enfermée dans un camp et s’est faite violer et torturer des mois durant. Elle est dans une horrible situation, et Ellie vient la retrouver pour l’achever. Elle la sauve, certes à la fin, mais ce n’était pas l’objectif premier, alors même qu’Abby ne lui a rien fait. Au fond, elle se sont toutes les deux épargnées…
Je veux bien qu’Abby ait tué Joel, le père spirituel d’Ellie. Mais Ellie a tué Owen, sa femme et leur bébé. Elle a écrémé tous les gens auxquels Abby tient. Et par-dessus le marché, Abby a perdu son père. Donc quand Ellie revient à la charge une énième fois… Le jeu va au bout de ce besoin absolu de vengeance d’Ellie, il va aussi au bout des envies du joueur. Mais personnellement, je comprends qu’Ellie ne tue pas Abby à la fin, parce que cela ne résoudra rien. Elle aurait déjà pu la tuer des mois auparavant, et elle ne l’a pas fait. Elle se rend compte que cela n’ajoutera rien à sa vie ni ne résoudra ses problèmes ; c’est une pulsion de mort basique. Le vrai problème d’Ellie est qu’elle n’a pas été avec Joel quand il le fallait, elle ne lui a pas pardonné quand il le fallait. C’est de sa propre culpabilité dont elle cherche à se venger.
Yacine Ouali (rédacteur) : C’est ça. Matthieu, voilà ! (rires).
Audrey Sourdive : C’est une façon, encore une fois, d’avoir l’impression qu’elle peut agir sur une peine perdue. C’est se donner l’impression qu’elle est maîtresse et que ce n’est pas quelque chose qui la dépasse. Que c’est quelque chose qu’elle peut elle-même gérer… En fait, elle ne peut pas le gérer. C’est trop tard, c’est fini. Et c’est ça que ça veut dire. Ellie n’aurait pas pu tuer Abby après l’avoir sortie d’une sorte de camp de concentration. Et je trouve ça très bien d’ailleurs, très intéressant, qu’on ait pas obligatoirement le détail de ce qu’elle a vécu. C’est encore plus mystérieux. On la voit juste totalement métamorphosée. Elle n’a plus la même gueule, elle n’a plus la même coupe de cheveux, elle est complètement abîmée. C’est devenu un déchet… Elle a été traumatisée par un groupe d’hommes pendant des mois, on imagine la torture qu’elle a vécu… Si à ce moment-là, Ellie tue Abby, pour moi on a la naissance d’un monstre. Encore plus gros que ce qu’elle n’était.
Matthieu Collin (rédacteur) : Moi, j’attendais qu’Ellie devienne un monstre, en fait.
Audrey Sourdive : Alors, je comprends. Mais dans ces cas-là, ça veut dire que tu finis sur quelque chose qui est totalement noir. C’est un choix artistique. Moi, je trouve ça intéressant que ce soit plus complexe. Quand tu vas aller au bout du bout de la chose et que tu te rends compte de l’absurdité du truc : tu n’es pas obligatoirement en train de sauter à pieds joints dans le fait de devenir un monstre. Ellie est déjà devenue un monstre, elle a déjà tout perdu à la fin. Autant qu’Abby. Les deux ont déjà tout perdu. Et faire tuer Abby par-dessus le marché, ça voudrait dire quoi ? Que la violence gagne. Ça veut dire que le fait qu’elle ait tué Joel justifie tout. Donc en tant que joueur, tu es content de devenir un monstre ? Moi je trouve ça plus intéressant qu’elle ait tout perdu et qu’elle devienne “une grosse merde”. Qu’elle ait tout paumé dans sa vie et qu’elle se retrouve avec rien. Je trouve ça beaucoup plus fort que de devenir juste une “badass” qui finit par tuer tout le monde.
Et je ne sais pas si un jour il y aura un 3. Mais si un jour il y a un III, il y a énormément de possibilités. Alors que si le II se termine sur Ellie qui tue Abby, tu as un personnage qui est moins complexe et qui est devenu un monstre. Tu vas jouer avec un monstre. Donc ça va être quoi : le retour à l’humanité ?
Le personnage de Joel qu’on a tant aimé… Ellie, au début du jeu, le déteste vraiment à cause de son choix. À cause du choix qu’il a fait, de la sauver elle, au détriment de tous les autres. Et d’en avoir tué plein au passage. C’est à cause de ça qu’Ellie a une vraie rage contre Joel. Et normalement, tout ça se mélange. Et tout ça justifie les changements d’émotions du joueur par rapport à ces personnages. La haine qu’Ellie a vis-à-vis de Joël, on peut comprendre qu’Abby l’ait vis-à-vis de Joel aussi quand même. Que, à cause de cet homme, il n’y a pas eu de vaccin. Que toute l’humanité est condamnée. Et en plus, on a tué son père et plein de ses amis…
Mais j’apprécie ta cruauté Matthieu, j’aime que tu l’assumes (rires).
Matthieu Collin (rédacteur) : Ah, mais j’assume. Mais tu sais qu’à la base…justement quand on trouve Abby ; moi, j’étais pour que ça s’arrête là. Il y a eu un élément déclencheur qui a été contre-productif en fait, c’est quand à la fin ils ont montré à nouveau la scène avec Joel. J’avais complètement oublié ça, et ils ont montré la séquence de sa mort. Toute la rage m’est remontée d’un coup, et c’est là que j’ai dit : c’est terminé, il faut la tuer. Et je n’ai pas réussi à me détacher de ce sentiment de rage. Je comprends pourquoi Abby l’a fait. Mais pour moi, en fait, ça n’a pas de sens. C’est l’idée de la vengeance. Ellie l’aurait tuée, ça n’aurait pas été cohérent. Mais j’aurais préféré qu’elle le fasse, parce qu’elle est aveuglée par la haine.
Audrey Sourdive : Oui, parce que c’est un besoin de vengeance personnelle, que tu as en tant que joueur avec ta manette. Mais ton personnage, c’est normal qu’il ait beaucoup plus de difficultés à aller la tuer alors qu’il n’y a plus de raison de le faire. C’est ça que je trouve intéressant. Ce jeu joue avec les émotions du joueur. Il lui provoque des décharges d’adrénaline, de rage, d’affection, de tristesse… Il joue avec tes émotions et il te bouscule. Et c’est comme ça qu’il te fait réfléchir. Et c’est ça qui est génial ! Parce que la plupart du temps, quand tu es dans un film, une série ou un jeu vidéo, on t’explique pourquoi le personnage ressent ça. Et tu es un peu extérieur. Là, c’est génial, parce que dans le jeu vidéo, tu te sens concerné. C’est toi qui joue avec le personnage, donc c’est une partie de toi. Ça met en exergue tout ce que tu peux ressentir. Et là, ils essaient de t’emmener à des endroits qui te dérangent avec ce jeu. Et c’est ça qui est super ! C’est que tu es dérangé… C’est que tu n’aies pas ce que tu voulais. La vengeance n’est pas aussi simple. Ça ne peut pas être juste “on va la tuer, ça va tout régler”. Pas pour un personnage aussi complexe qu’Ellie. Pour un personnage comme Kassandra, oui, ça peut tout régler. Mais pas pour Ellie.
Mérouan Goumiri (rédacteur) : Même sur la vengeance d’Ellie, il y a aussi quelques fragilités. Parce que tu as touché du doigt le mot tout à l’heure : la culpabilité. Au fond, ce qui la motive essentiellement est le fait que Joel soit mort alors qu’elle n’a pas eu le temps, ni fait la démarche, de lui pardonner. Du coup, il y a tout ce cheminement personnel de regret. Je ne sais pas si elle cherche vraiment à tuer Abby parce qu’elle a tué Joel ou parce qu’elle lui a retiré sa chance de lui pardonner. Y’a une nuance un peu entre les deux. C’est même un peu des deux d’ailleurs. C’est un jeu qui est terriblement complexe…
PSI : Penses-tu qu’il est encore possible de développer le personnage d’Abby ? Et si oui, serais-tu contente de le faire ?
Audrey Sourdive : Je me suis vraiment laissée embarquer en tant que joueuse, avec les choix que Naughty Dog a fait. Et je n’ai pas obligatoirement réfléchi à ce que j’aurais fait différemment, parce que l’histoire en tant que telle m’a vraiment parlé, telle qu’elle était. Après, évidemment, on peut imaginer des types de réactions différentes. Mais, justement, c’est ce que je trouve intéressant. C’est que les personnages parfois sont bêtes, mais comme dans la vie. Je ne sais pas si vous avez des amis que vous avez envie de secouer. Ça m’arrive personnellement. Régulièrement.
Donc, moi ça ne me dérange pas. Il n’y a rien dans ses réactions à elle que j’aurais voulu modifier parce que je me suis laissée embarquer par l’histoire.
PSI : Ellie et Abby partagent (paradoxalement) de nombreux points communs. Mais pour retranscrire au mieux et cerner ces liens qui vous unissent, ainsi que vos différences, as-tu été amenée à travailler en collaboration avec Adeline Chetail (VF de Ellie) afin de construire au mieux le personnage d’Abby ? Et bien au-delà du contexte professionnel, avez-vous eu des échanges au sujet de vos personnages respectifs ?
Audrey Sourdive : On s’est croisées une fois en studio. Donc évidemment, on n’a jamais bossé ensemble. Je n’ai pas entendu sa voix sur les cinématiques. Par exemple, sur la scène de fin avec le bateau : j’ai vu quelques bouts mais je l’ai pas vue dans la continuité, je ne l’ai pas vue dans l’ordre. Je croyais que c’était avant, je n’avais pas obligatoirement tout compris. Et je crois que j’étais la première voix, la première des deux à avoir enregistré. Donc je n’avais pas la voix d’Ellie comme repère. Et comme il y a beaucoup de clauses de confidentialité, on n’a pas le droit d’en parler, ne serait-ce qu’entre nous. On ne se connait pas dans la vie. On n’a pas eu obligatoirement l’occasion de se croiser. D’ailleurs, je serais ravie de la découvrir plus car je trouve que c’est une très bonne comédienne, j’adore ce qu’elle fait. Mais c’est vrai qu’on ne s’est pas croisées autour d’un café pour discuter de nos personnages. Hélas à ce niveau-là, il n’y a pas eu de travail en amont, ou d’échanges… Je ne sais pas comment Adeline a vécu la chose, je ne sais pas si elle connaissait vraiment mon personnage et je ne sais pas si elle a joué au jeu…
PSI : Elle y a joué.
Audrey Sourdive : Si elle a joué au jeu, je pense qu’elle a dû découvrir toute une partie de mon personnage en jouant. Parce qu’il y a très peu de scènes où elles sont ensemble au final.
PSI : Comme toi, tu as dû découvrir pas mal de choses sur Ellie, car il y a des scènes où Abby n’est pas avec Ellie.
Audrey Sourdive : Absolument. La différence est que j’avais joué au premier jeu, donc je connaissais Ellie et je l’aimais. Donc quand j’ai enregistré les scènes, j’avais quand même un affect particulièrement fort pour Ellie. Mais c’est vrai que de toute façon, quand j’ai commencé à jouer au jeu, j’ai été hyper perturbée et hyper captivée parce que je ne m’attendais pas à l’enchaînement des scènes de cette façon. Et puis j’ai découvert des personnages que je connaissais et qui mourraient alors que j’avais encore certaines scènes avec eux… Tout cela m’a un peu choquée, parce que j’étais dans un ordre différent au niveau chronologique et du ressenti.
Après, ce qui était chouette, c’est que j’ai joué au jeu avec mon conjoint. On fait souvent les jeux à deux. Donc très régulièrement, je lui demandais son ressenti. Ça c’était intéressant, de voir comment lui percevait les choses, de ne pas lui dire ce qui allait se passer. Et il y a plein de moments où mes attentes ont été trompées. La scène du bateau à la fin, je ne pensais vraiment pas qu’elle était là. Donc au bout d’un moment, je l’ai oubliée. Quand elle est revenue, j’étais surprise…
PSI : Tu es arrivée récemment dans le milieu des comédiens de doublage de jeux vidéo. D’abord, bravo à toi car ton succès est déjà fulgurant (beaucoup de AAA). Pour terminer, peux-tu nous donner des indices sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir ou est-ce que tu es un peu dans le flou sur les prochains personnages de jeux que tu auras l’occasion d’interpréter ?
Audrey Sourdive : Alors, je n’ai aucune idée de mes prochains jeux. Parce que, souvent, on ne prévient pas très longtemps à l’avance. Le problème se situe après, lorsque je dois tenir le secret sur des jeux qui tardent à sortir…
Là, il y a un jeu que j’ai fait dont je ne peux pas parler. J’en commence un autre. Donc là aussi, je ne peux pas en parler…
PSI : On te remercie vraiment et sincèrement de nous avoir accordé ce temps-là. C’était très sympa. On est très contents aussi que ça ait pris davantage la tournure d’une discussion plus que d’une interview formelle classique comme on peut en avoir l’habitude. Ça fait ressortir ton côté joueuse. On sent que tu vas au fond de tes idées et c’est super intéressant ! Donc merci beaucoup à toi.
Audrey Sourdive : Ah bah tant mieux, je suis contente ! De rien, ce fut un plaisir.
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