Le retour dans le passé, c’est un peu le fil conducteur de ce mois de février 2024, avec notamment Persona 3 Reload et Final Fantasy 7 Rebirth, sans compter tous les jeux annoncés récemment. Holy Cap, studio nantais, a décidé dans cette lignée de ressusciter un genre en vogue à la fin des années 90 et début des années 2000. Si nous vous parlons de Spyro the Dragon, Jak and Daxter : the Precursor Legacy ou encore Banjo-Kazooie, des souvenirs vont ressurgir. Mais Promenade a une ambition : retirer une dimension à ce style de jeu que l’on nomme Collectathon. Entre inspirations et réflexion sur ce dernier, discutons de la création du jeu avec Romain Chateigner.
Florian Verdier (Playstation Inside) : Bonjour Romain ! Un grand merci d’avoir accepté de répondre à mes questions ! Peux-tu présenter le studio nantais Holy Cap et l’historique derrière la création de Promenade ?
Romain Chateigner : Holy Cap a été créé le 7 février 2020. C’était une volonté de ma part de lancer une société et je voulais faire du jeu vidéo puisque j’en suis fan depuis que je suis tout petit, comme beaucoup de gens de ma génération. Je cherchais à réaliser un projet quand j’ai rencontré Maxence Plou dans mon école de développement, qui est devenu mon associé. Il avait une base de projet intéressante qui m’a tout de suite plu.
On a donc décidé de lancer la société en la créant tous les deux et en partant sur la base d’une idée qui allait devenir Promenade, le premier jeu du studio. Maxence en est le creative director. J’avais trouvé un peu avant le directeur artistique Léo Ferrand, qui nous a rejoint et a réalisé la DA du jeu. Et un peu plus tard dans le développement, Manon Audion Renard nous a rejoint en tant qu’animatrice 2D. Elle s’est chargée de faire les animations du jeu. On est donc resté cette petite équipe de quatre personnes jusqu’à la fin du développement, soit en février 2023. Nous sommes trois développeurs normalement. On est passé à cinq sur le projet avant de revenir à notre chiffre initial lors de sa conclusion. Et après Red Art Games, notre éditeur, a pris le relais pour porter les versions consoles.
Florian (PSI) : Comment s’est passé le portage des diverses versions ? Ce fut difficile à réaliser ?
Romain Chateigner : Ce fut notre éditeur, Red Art, qui s’en est occupé puisqu’il est spécialisé dans le portage des jeux. En plus de gérer la communication et le marketing, l’éditeur s’est chargé de prendre notre version PC et de la mettre sur les consoles.
Florian (PSI) : On parle beaucoup de Paris, de Montpellier ou de Bordeaux comme places fortes du jeu vidéo en France, mais Nantes commence à se faire un nom également ! Comment l’expliques-tu ?
Romain Chateigner : À Nantes, nous avons la chance d’avoir Atlangames. qui regroupe plein de studios indépendants de la ville et des alentours. C’est le véritable cluster du jeu vidéo de la région. Pour Promenade, nous leur avons demandé un peu d’aide sur certains points. Et puis Nantes est une ville qui contient beaucoup de start-up que ce soit dans la tech ou dans le web et, naturellement, en ont dérivé des start-up de jeu vidéo.
Le fait qu’on ait aussi de bonnes formations, de bonnes écoles comme Epitech et Artsup permet à de nombreux talents d’éclore. Je pense que c’est un tout et que les choses se mettent progressivement en place. Rune Studio, Sweet Dreams Studio ou encore Endroad, les développeurs de Goldorak : Le pacte les loups sorti récemment, ne sont que quelques exemples de studios commençant à percer. Et je trouve qu’on fait des productions de plus en plus qualitatives.
Florian (PSI) : Parlons désormais de Promenade. Peux-tu nous le décrire ?
Romain Chateigner : Promenade, c’est un Collectathon. C’est un terme un peu désuet qui était énormément utilisé à la fin des années 90. Cela décrit les jeux où il faut récupérer des collectibles interchangeables qui permettent de progresser dans le jeu. Les plus évidents sont Super Mario 64, Banjo Kazooie ou Super Mario Odyseey où on a respectivement un système d’étoiles, de pièces de puzzle ou de lunes à ramasser pour pouvoir accéder aux zones suivantes.
Mais Promenade, c’est un collectathon en 2D. Et cela fait donc toute la différence. Dans un jeu 3D, il est assez facile de créer un environnement qui soit à la fois petit et dense, dans lequel on peut se balader un petit peu partout à la recherche de divers objectifs. Mais quand on enlève une dimension, la création du level design devient assez compliquée. C’est par exemple pour ça que l’on a créé un personnage avec un ensemble de mouvements qui permet de se déplacer librement et qu’on a pensé nos niveaux de manière circulaire ou concentrique, autrement dit, où il y a pleins de choses à faire sur une courte distance.
Florian (PSI) : Quand j’ai joué à la démo du jeu, je me suis rappelé au bon souvenir des jeux flashs qui sévissaient au milieu des années 2000, dont certains restent des références dans leur style comme Super Mario 63. Est-ce que c’était une inspiration pour le game design global de Promenade ?
Romain Chateigner : J’avoue que Maxence et moi, nous n’étions pas clients des jeux flashs au moment où c’était en vogue. Je n’irais donc pas jusqu’à dire que c’était une inspiration, on a joué à vraiment trop peu de jeux de ce type. Nos inspirations, elles viennent des jeux cités précédemment auxquelles on peut en adjoindre d’autres comme Jak and Daxter. Ce sont des jeux qui ont fait l’âge d’or de ces Collectathons et on a essayé de reprendre cette formule qui fonctionnait très bien à l’époque, qui fonctionne d’ailleurs toujours très bien aujourd’hui, de l’arranger à notre manière, et de faire un monde qui est agréable à parcourir.
Florian (PSI) : Parmi les inspirations qui me paraissent évidentes et que vous ne citez pas, la série Klonoa tient une place prépondérante. Avez-vous joué aux jeux ? Si oui, comment vous a t-elle influencé ?
Romain Chateigner: Et ben c’est une très bonne question puisque figure toi…
Florian (PSI) : … Vous n’avez pas joué à Klonoa (rires).
Romain Chateigner : Nous n’avons jamais joué à Klonoa (rires). On l’a découvert parce que des gens en 2021 nous ont fait remarquer cette ressemblance et c’est là que l’on a appris l’existence de ce jeu. On y a joué sur la pause du midi de temps en temps pour voir ce que c’était et effectivement, je comprends ce que les gens disaient. Il y a cette mécanique de gameplay qui permet d’attraper des objets ou des ennemis ou de faire un double saut, qui se retrouve être notre signature move dans Promenade.
On donc a joué au premier (Door to Phantomile, ndlr), mais pas aux autres, et on a pris note que la mécanique était sous exploitée est pas très agréable à utiliser. Mais c’est vrai que la corrélation est cocasse. Après, j’ai envie de dire, est-ce qu’un bon game design, finalement, ce ne sont pas des bonnes idées singulières présentent partout ? De là à dire ça, il n’y a qu’un pas… (rires)
Florian (PSI) : Quels ont été les principaux défis à relever pour réaliser un collectathon dont les références en deux dimensions sont finalement très rares ?
Romain Chateigner : Je n’ai pas la prétention de dire que c’était plus difficile parce que nous n’avons pas fait de collectathon en 3D. Je ne sais pas quels défis on aurait pu avoir si on avait du faire le jeu en 3D. Mais je ne vais pas non plus dire que c’était une partie de plaisir parce qu’il y avait cette dimension en moins à gérer. Par conséquent, on était obligé de penser les niveaux différemment. Par exemple, on s’était fixé un temps de 30 à 35 secondes pour parcourir tout le stage en se déplaçant très vite, de gauche à droite (et inversement).
Si l’on regarde les niveaux à une échelle macro, ils finissent par avoir une structure concentrique comme dit précédemment. Avec cette forme, on utilisait ainsi tout l’espace à disposition. Ça nous a forcés à penser différemment. Après, Promenade n’est pas qu’un jeu de plateforme. On a aussi des énigmes, des courses, des donjons, des boss et même des bornes d’arcade. C’est un vrai monde ouvert. On arrive dans le niveau et on peut faire ce que l’on veut, aller dans toutes les directions, remplir les objectifs dans l’ordre que l’on souhaite. Mais on s’est aussi permis à quelques moments minoritaires, quand on voulait appuyer une mécanique ou lors de la traversée d’un donjon, de transgresser notre règle pour revenir à quelque chose de plus linéaire.
Florian (PSI) : Parlons des personnages du jeu. Comment ont-ils été conçus ? Ici aussi, on retrouve quelques références.
Romain Chateigner : Absolument ! Nous avons un peu repris le motif de Banjo-Kazooie, à savoir un binôme de personnages qui peuvent travailler ensemble et effectuer diverses actions. Étant partisan de l’école du « gameplay first », on a d’abord pensé à notre mécanique de gameplay avant de nous pencher sur son design. L’objectif était d’avoir un sorte de boomerang pouvant récupérer des ennemis ou des objets. On a trouvé ça rigolo de l’associer à un animal. On s’est donc posés la question de savoir quel animal pourrait être dans le dos de notre protagoniste principal, permettant d’agir avec des sortes de tentacules. Le poulpe nous est naturellement venu en tête.
Ensuite, on a procédé à énormément de recherches pour notre duo. L’objectif était de retranscrire quelque peu l’esprit un peu enfantin, presque adolescent du chara design du personnage pour que cela vienne soutenir la narration que l’on souhaitait amener avec le jeu. Il fallait qu’il soit référencé de manière juste. Le personnage a ainsi un petit hoodie avec des oreilles de lapin, une salopette comme Mario. On a essayé de faire un méli-mélo de plein de nos influences et ça a donné le design que nous avons adopté définitivement.
L’opposition des couleurs était également importante. On voulait bien faire la distinction entre la couleur du poulpe et la couleur du personnage pour que le joueur sache exactement où se trouve le céphalopode à n’importe quel moment, donc l’opposition vert/rose était une évidence. Et à côté de ça, on a essayé de rendre nos deux protagonistes les plus attachants possible. On a rajouté plein d’animations où il se font des câlins ou agissent dans plein de petits moments rigolos, comme quand par exemple nous tombons dans l’eau. Le poulpe remonte alors notre personnage et lui donne une petite tape dans le dos pour enlever ce qui lui reste dans les poumons. Tout ça pour renforcer le lien qu’ont les deux personnages, et forcement le lien qu’entretient le joueur avec eux.
Florian (PSI) : Promenade se veut être une sorte de voyage avec des niveaux totalement différents les uns des autres. Mais est-il possible d’être original dans les propositions des univers, du game design, quand tout semble avoir été fait dans le genre du Collectathon ?
Romain Chateigner : La question est assez complète. Tout a été un peu fait mais tout n’a pas été fait de la même manière à chaque fois. On a essayé de prendre beaucoup de choses qui nous ont nourri en tant que joueur et de les recontextualiser dans ce jeu tout en apportant nos propres idées. Le jeu se veut être une aventure dans un onirisme certain. Ça nous a donc permis d’être assez libres sur les environnements que l’ont souhaitent créer.
Il y a dix niveaux dans le jeu et chacun a un univers et une humeur qui s’accompagne de manière générale d’une à deux mécaniques de plateforme particulières. Dans « Virée sur le rivage » (le niveau de la démo et accessoirement le premier niveau du jeu), il y également ce petit aparté, quand l’on passe la porte dorée, qui donne sur l’épreuve des canons.
Ces parenthèses sont présentes sur chacun des niveaux, et permettent d’exploiter à 100% la mécanique qu’on a essayé d’y implémenter. Toujours pour reprendre « Virée sur le rivage », l’objectif était d’instruire la mécanique du double saut, mouvement le plus important du jeu qu’il faut bien maitriser. Autre exemple, plus tardif dans le jeu, l’utilisation de tyroliennes. On a donc fait une zone, une source (c’est comme ça qu’on l’appelle dans le jeu), dans laquelle il n’y a que de la tyrolienne. Le but étant de la maitriser en réussissant le parcours.
Il a fallu donc qu’on pense à la fois les mondes, les mécaniques, mais aussi leurs imbrications jusqu’à leurs intégrations au Grand Ascenseur, le hub du jeu, la zone qui va relier tous les mondes entre eux, comme l’est le château de Peach de Super Mario 64.
Florian (PSI) : Avec un univers aussi enfantin, on aurait pu s’attendre à ce que le jeu soit surtout pour les plus jeunes, mais certains défis sont quand même un peu ardus en finalité. À qui s’adresse le jeu ?
Romain Chateigner : On est très friands de la philosophie Nintendo « easy to play, hard to master » donc le jeu s’adresse un peu à tout le monde. C’est ça la force d’un Collectathon et c’est pour ça qu’on adore ce genre là. Comme les objets dans le jeu sont interchangeables, il y a pas besoin de faire tous les challenges. Si quelque chose en tant que joueur nous parait dur ou pas fun, on peut le laisser de côté. Ne jamais le faire.
Dans Promenade, il y a 180 petits rouages à trouver au total. Mais seul 99 d’entre eux sont nécessaires pour le finir. On peut donc potentiellement passer la moitié des défis. L’objectif, c’est que le joueur se crée sa propre difficulté. S’il y a des choses qu’il trouve agréable à faire, il va pouvoir les faire. Et l’inverse jusqu’à ce qu’il maitrise mieux les mécaniques, s’il le souhaite.
Florian (PSI) : Promenade profite de sa sortie pour s’offrir une version physique, en quantité limitée. Pourquoi avoir fait ce choix ? Est-ce un plus pour un jeu indépendant de sortir aussi en version physique ?
Romain Chateigner : En tant que joueur, je suis très attaché au format physique. C’est un format avec lequel j’ai grandi. J’aime bien avoir un bel objet chez moi qui représente un jeu que j’ai aimé. C’est certes assez personnel mais on partage un peu tous ce sentiment dans l’équipe. Le fait est que notre éditeur, Red Art Games, fait du format physique (et il le fait très bien). Il nous a convaincu de partir là-dessus parce que le format est aussi tiré en petite quantité, quelques milliers d’exemplaires par console.
Et ça permet à ceux qui collectionnent et aux gens comme moi, qui aime bien le format physique, de se procurer le jeu. Je trouve cela intéressant parce que ça fait qu’on a un jeu qui existe vraiment (rires) et qui attire la curiosité. C’est quelque chose qui ne se fait plus maintenant, ça rajoute une plus value je trouve. Un peu de la même manière que pour la sortie d’un jeu lambda, on a désormais des éditions collectors.
Quand les AAA font des éditions collectors de leur jeu, les gens préfèrent acheter davantage l’édition collector que l’édition de base qui contient statuettes, artbooks ou d’autres surprises. Je trouve que le format physique du jeu maintenant, et peut-être plus tard encore, deviendra lui même ce goodies et je trouve ça un peu dommage. J’aimerais bien voir cela perdurer. Avoir un objet que l’on récupère, qu’on affiche chez nous, qu’on place dans notre bibliothèque. C’est peut-être un plaisir de collectionneur mais je pense que beaucoup de gens le partagent.
Florian (PSI) : Terminons par des jeux à recommander. Y a-t-il des jeux sortis récemment que tu aimerais conseiller à notre communauté ?
Romain Chateigner : Il y a un copain qui a sorti il y a peu son jeu nommé Dice of Olympus sur lequel je n’ai pas encore pu me pencher, comme c’est aussi le cas de Lysfanga : The Time Shift Warrior. Du côté de Nantes, Sweet Dreams Studios que nous évoquions précédemment, a lui sorti il y a une quinzaine de jours The Last Stand at Camp Zombie, un twin stick shooter en monochrome. Toujours en monochrome, Blanc sorti l’année dernière est un jeu que je recommande, tout comme En Garde.
Florian (PSI) : Merci beaucoup Romain de ton temps ! C’était un plaisir de discuter avec toi pour PlayStation Inside. Bon courage pour le lancement de Promenade (le jeu est sorti le 23 février, ndlr).