La French touch est à la fête en 2024. Après un Prince of Persia : The Lost Crown réalisé avec maitrise par les équipes d’Ubisoft Montpellier, c’est au tour des parisiens de Sand Door Studio de se jeter dans l’arène avec Lysfanga : The Time Shift Warrior. Passé en grande partie sous les radars à cause des nombreuses sorties fracassantes de ce mois de février dont Persona 3 Reload, Foamstars, Helldivers 2, Banishers : Ghosts of New Eden et bientôt Final Fantasy VII Rebirth, le jeu vaut le détour. Son directeur créatif Thibault Legouet revient avec nous sur son parcours singulier, du titre au début étudiant à une sortie finalement internationale le 13 février 2024, avec Quantic Dream à l’édition.
Florian Verdier (PlayStation Inside) : Bonjour Thibault ! Merci infiniment d’avoir accepté de parler de Lysfanga pour Playstation Inside. Mais avant de parler du jeu, pouvons-nous parler de l’équipe derrière sa création, Sand Door Studio ?
Thibault Legouet : Le studio a été créé en septembre 2021, il y a deux ans et demi. On était à la base une petite équipe d’un projet étudiant qui avait gagné un prix aux Pégases et nous souhaitions continuer dans cette direction. On a donc créé le studio avec une partie de l’équipe et avec l’appui de l’éditeur Fabloo Games, qui était partie intégrante du jury de l’ISART (Isart Digital School, école des métiers du jeu vidéo, ndlr), et qui nous avait trouvé comme ça. La production de Lysfanga a démarré dans la foulée. On a recruté d’autres étudiants de notre promo qui venaient d’être diplômés, ainsi que des développeurs externes. On est alors montés jusqu’à 21 personnes au moment le plus intense de la production.
On est désormais un peu moins maintenant que le projet se termine. L’ISART nous a alors proposé de nous incuber au sein de l’école et on est toujours dans leurs locaux.

Florian (PSI) : Sand Door Studio fait partie d’une branche d’édition plutôt nouvelle, Spotlight by Quantic Dream. Peux-tu nous en dire plus ?
Thibault : Dans la première année de production de Lysfanga, on cherchait un autre éditeur afin d’obtenir de nouveaux moyens et c’est comme ça que Quantic Dream nous est venu à l’esprit, puisqu’ils avaient créé leur propre branche d’édition qui s’appelait Spotlight by Quantic Dream depuis déjà quelques temps. On a alors commencé les discussions avec eux, qui se sont très bien passées. Ils étaient vraiment très conciliants, et on a pu faire ce qu’on voulait et c’est ce qui nous a convaincu de les choisir. Ils ne nous ont jamais empêché de faire ce que nous voulions. Le jeu qui sort, c’est le jeu tel que nous l’avions envisagé. Ils nous ont apporté énormément de moyens que nous n’avions pas auparavant, qui nous ont permis par exemple de localiser le jeu dans plusieurs langues. Sans compter d’autres apports.
Florian (PSI) : Parallel Studio, qui a sorti Under the Waves fin août dernier, fait également partie de Spotlight by Quantic Dream. Les deux studios étant basés à Paris, y a t-il eu des échanges de conseils, voire des développeurs qui ont permuté d’un studio à l’autre en cas de nécessité, ou est-ce que les deux entités (et les deux projets) étaient séparés ?
Thibault : Non, ce sont vraiment deux entités séparées. Je savais ce qui se passait un peu chez eux pour connaitre un ami qui travaille à Parallel. Mais, mis à part les événements communs comme les press tours, il n’y avait pas d’échanges entre les deux studios, les productions étaient indépendantes.

Florian (PSI) : Lysfanga étant un projet étudiant à la base, quels éléments ont été conservés du projet d’origine ? La mutation fut-elle difficile à réaliser ?
Thibault : On a repris l’idée globale et les noms des personnages mais tout le reste est nouveau. Ceux qui ont joué au projet étudiant et qui sauront se montrer attentifs pourront apercevoir quelques petits easter eggs cachés par-ci par-là mais dans l’ensemble, la production est repartie de zéro. Un projet étudiant fait en six mois et à mi-temps n’a pas les fondations les plus solides (ce qui ne nous empêche pas d’en être très fiers). Il est impossible de baser un moteur de jeu dont l’ensemble va générer une dizaine d’heures de contenus. Il a donc fallu repartir d’une feuille quasiment blanche.
Florian (PSI) : Lysfanga… d’où vient ce curieux nom ?
Thibault : Ah, ça a été un peu trouvé sur un coup de tête (rires). Mais pour faire simple, une des personnes qui travaillait sur le projet étudiant avait des membres de sa famille d’ origine allemande et nous a suggéré ce nom qui dérive de « porteur de lumière » dans la langue germanique. On a adoré ce nom et on l’a gardé.
Florian (PSI) : La mécanique de gameplay principale de Lysfanga et qui en donne tout son sel se nomme la « Rémanence ». Peux-tu nous en parler ?
Thibault : La rémanence est une mécanique difficile à expliquer et c’est un problème que l’on a remarqué au fur et à mesure du temps, même lors du projet étudiant. Nos professeurs étaient aussi interrogatifs que les joueurs. Une fois en jeu, ça devient extrêmement limpide. C’est l’une des forces de Lysfanga. Dans le principe, vous avez une limite de temps pour éliminer tous les ennemis d’une arène sauf que cette limite est trop courte. C’est impossible d’éliminer les ennemis d’un seul coup. Que se passe t-il donc? Et bien, vous remontez le temps et un clone de ce que vous venez de faire va apparaitre à vos côtés.
Mais ce n’est pas juste un fantôme comme on en trouverait dans un jeu de course et qui indiquerait seulement votre parcours. Il va reprendre les mêmes actions que vous venez de faire. L’intérêt est donc de complémenter votre travail à celui des clones. Par exemple, s’il y a des ennemis à gauche et à droite, vous allez d’abord vous occuper des ennemis à gauche pour ensuite remonter le temps afin de vous occuper d’occire ceux de droite désormais, tandis que votre rémanence s’occupera de ceux de gauche.

Florian (PSI) : Avec un concept aussi solide sur le papier, n’y a t-il pas eu de difficultés à le faire évoluer ?
Thibault : Oui, ça a été très difficile de faire évoluer ce concept, notamment parce qu’il est assez unique dans un jeu d’action de ce type là. C’est un concept présent dans des jeux de puzzles ou d’autres genres mais pas forcément présenté de la même manière. On n’avait donc pas réellement de référentiel sur lequel s’appuyer. C’était beaucoup de réflexion et de déduction pour trouver des mécaniques cohérentes. On ne pouvait pas juste se dire « ah oui, eux ils font ça très bien, voyons voir comment ça fonctionne ». C’était à nous de trouver de notre propre chef. On est parvenu à trouver plein de solutions et les gens qui ont joué au projet étudiant verront qu’il y a des éléments qui ont été ajoutés pour faciliter l’utilisation de la rémanence.
Qui plus est, de nombreux paramètres doivent être pris en compte. Par exemple, si vous bougez un ennemi, les rémanences vont taper dans le vide. On a du faire des choses pour éviter que vous déplaciez les ennemis sans faire attention, ce qui aurait demandé de nombreux efforts de concentration de la part du joueur. Pour ce qui est de rajouter des éléments qui twistent un petit peu la formule, ce fut aussi un autre défi. Nous étions par exemple devenus trop bons pour notre propre jeu. Mais ce qui était facile pour nous ne l’était pas pour les gens qui découvraient le concept. Il fallait donc se retenir de ne pas mettre des mécaniques trop alambiquées. Toutefois, un mode supplémentaire a été rajouté afin de rejouer les niveaux, et il se veut très ardu pour donner du fil à retordre aux joueurs les plus expérimentés.
Florian (PSI) : Tu parles du projet étudiant. Cela signifie t-il que vous avez réussi à le convertir dans le jeu ? Est-il jouable ?
Thibault : Le projet étudiant n’est pas présent dans le jeu final. Il est toujours accessible sur le site de l’école mais il n’est pas intégré au jeu commercial notamment parce que les moteurs de jeu sont différents.

Florian (PSI) : Il et évident de voir la filiation entre Lysfanga et Hades. Est-ce réellement une inspiration et quelles ont été vos autres principales ressources de création pour Lysfanga ?
Thibault : Ce qu’il faut savoir, c’est que quand on a commencé la production du prototype étudiant, Hades était encore en Early Access et personne n’y avait joué. Il est sorti pendant notre travail sur le jeu étudiant (rires). Ça se ressemble donc mais c’est un hasard (rires). On s’en est toutefois forcément inspirés par la suite parce qu’on y a beaucoup joué, j’ai moi-même terminé le jeu à 100%. C’était quelque part obligatoire de reprendre un peu de cette influence là. Mais les principales influences sont plus anciennes et l’une d’entre elles, pour la structuration des combats, est Doom pour son côté gestion et priorités des ennemis.
Quand on arrive dans une arène du jeu Doom, tu as des petits ennemis à gauche, à droite puis un gros mec au milieu et un gros machin au fond, etc. Et là, tu dois te poser la question de ton cheminement. Est-ce que c’est mieux d’attaquer les petits qui sont plus rapides et plus faibles ou le gros qui ne bouge pas mais qui fait de gros dégâts ? C’est un peu la même réflexion dans Lysfanga. Comment vais-je gérer mon cycle ? Qui j’élimine en premier ? Qui j’élimine en dernier ? Et c’est un peu cette logique de game designer qu’on a prise parmi d’autres évidemment.
Typiquement, ceux qui joueront au mode « Figments of Battle » verront aussi un peu de Devil May Cry dans l’approche du système de scoring mais les inspirations sont nombreuses en réalité : Diablo, d’autres jeux en vue isométrique. Pour les boss, on s’est aussi inspiré des MMO par exemple.

Florian (PSI) : Entre Prince of Persia : The Lost Crown dont nous avions pu discuter avec Jordan Mechner, 30 Birds de Ram Ram Studio qui se révèle de plus en plus et désormais Lysfanga, on constate un regain d’intérêt pour la culture persane. As-tu une explication?
Thibault : Il y a quelque chose à préciser sur Lysfanga. Le jeu commence effectivement dans une zone inspirée de la Perse. Mais ce n’est pas le seul endroit du jeu. Le second monde est beaucoup plus inspiré de la Grèce tandis que le dernier offre une jungle mixant côté futuriste et fantaisiste. On a donc trois zones avec des styles bien déterminés. Je ne saurai donc pas dire pourquoi beaucoup de jeux tournant autour de cette mythologie sortent en cette période. C’est sûrement à nouveau le fruit du hasard.
Je pense juste que tout le monde s’est dit que personne n’avait fait un jeu sur ce thème depuis longtemps. Cela dit, Lysfanga mixe pas mal de mythologies. Nos ennemis qui ressemblent à des démons s’inspirent de la mythologie hindouiste, plutôt inhabituelle à voir dans un jeu. On ne voulait pas refaire des zombies ou des choses gothiques parce qu’on ne fera jamais aussi culte que Diablo. On s’est juste dits à ce moment là « tiens, personne n’a fait de jeu sur la Perse récemment, on va voir s’il n’y a pas des choses à prendre. » On voulait créer cet univers unique et c’est comme ça qu’on en est arrivé là.

Florian (PSI) : Quand on s’est rencontrés lors de la Paris Games Week, tu avais insisté sur le fait que seul le skill du joueur comptait. Que ce n’était pas une question d’améliorer ses sorts ou son loot. C’était l’objectif principal de Lysfanga ?
Thibault : Clairement. Quand on s’attaque à un jeu dans le genre du Hack’n Slash, il est très difficile d’outrepasser l’évidence du loot et c’est vraiment quelque chose que l’on voulait éviter. Parce que plus le joueur progresse, plus la stratégie devient prépondérante. Le Hack’n Slash devient peu à peu une mécanique secondaire, la planification et la réflexion des stratégies primant sur le reste. Si on ajoutait un système d’équipement ou de spécialisation, le focus aurait été ailleurs que sur la stratégie et ce n’est pas ce que nous voulions.
Florian (PSI ) : Quelles ont été les difficultés que l’équipe a rencontré durant la création du jeu ?
Thibault : Les choses qui étaient les plus dures à réaliser du point de vue créatif, c’était tout ce qui concernait l’accessibilité du jeu et la mécanique de Rémanence. Comme dit précédemment, c’est facile à comprendre en jeu mais très dur à expliquer sans contexte. C’était vraiment la partie la plus compliquée de l’expérience, à savoir transmettre cette idée afin que les gens commencent à avoir un peu ces épiphanies. Et c’est un peu le même cheminement avec tous les éléments qu’on a introduit dans le jeu.
Florian (PSI) : Comment cette accessibilité a t-elle été pensée ?
Thibault : On l’a pensée aussi dans la mesure du budget qu’on avait. Par exemple, faire des filtres pour les personnes atteintes de daltonisme ou autres déficiences visuelles était très compliqué car il y en a énormément et tu n’es pas à l’abri de créer un filtre qui va en handicaper davantage certains. Par rapport au temps et au budget qu’on avait, c’était ardu de faire quelque chose de bien. En revanche, on a ajouté l’option pour reconfigurer entièrement ses touches. On y a passé le temps qu’il a fallu parce que c’est quelque chose de très important, en adoptant cette approche pour les personnes ayant des soucis de mobilité.
Florian (PSI) : On parle souvent de la reconfiguration des touches comme base de l’accessibilité. D’un point de vue développeur, c’est difficile à réaliser ?
Thibault : Ça dépend de comment le jeu est fait, quel moteur est utilisé etc. Typiquement, sur notre projet étudiant, et par manque de temps, on s’était attelés à avoir une configuration pour manettes standard plus que la possibilité de la personnaliser. Mais on avait fini par réussir à l’implémenter dans le jeu. C’est quelque chose qu’on a forcément en tête quand on développe mais avant de rendre un jeu accessible, il faut le finir. C’est déjà compliqué de finir le jeu (rires).
Florian (PSI): Pour terminer, peux-tu nous faire part d’une de tes attentes niveau jeu vidéo cette année ou plus tard (en évitant les gros mastodontes (rires)) ?
Thibault: J’attends avec impatience Stormgate. C’est un peu le successeur spirituel de StarCraft 2 par une partie de l’équipe de ce dernier qui est partie faire sa propre boite.

Merci beaucoup Thibault de nous avoir accordé cette interview. Nous te souhaitons le meilleur ainsi qu’à l’ensemble du studio Sand Door pour le lancement de Lysfanga !