Après le très bel accueil réservé à Jusant, dernière production en date des studios de développement français de Don’t Nod, ces derniers reviennent en ce début d’année 2024 avec Banishers : Ghosts of New Eden. C’est une partie de l’équipe chargée de Life is Strange II qui a imaginé ce projet, véritable saut dans l’inconnu pour le studio, passant du Point-and-Click à l’Action-RPG narratif. Lors de notre entretien avec les responsables de Don’t Nod à la Paris Games Week, le jeu nous était présenté comme un successeur philosophique à Vampyr. En somme, un titre d’action définitivement narratif dans lequel nos choix impacteront l’histoire.

Initialement présenté lors des Games Awards 2022, Banishers : Ghosts of New Eden est un Action RPG à la troisième personne se déroulant en 1695 dans la région de New Eden, lieu fictif du Massachussetts aux États-Unis. Nous y suivons les aventures d’Antea Duarte et « Red » mac Raith, couple de Banishers, un ordre de chasseurs de fantômes envoyés à New Eden pour se charger d’une puissante malédiction. Arrivés sur place, rien ne se passe évidemment comme prévu et Antea trouve la mort, devenant ainsi elle-même ce qu’elle a juré de combattre. Il va s’en suivre un jeu de morale pour un Red mac Raith tiraillé entre son devoir de Banisher et son désir de ramener le spectre d’Antea à la vie. Don’t Nod annonce ici sortir le jeu le plus ambitieux de son histoire. Le pari est-il réussi pour le studio parisien ?
Note de l’équipe : il y a quelques jours, le STJV (Syndicat des travailleurs et travailleuses du Jeu Vidéo) a fait remonter via un thread sur X la situation préoccupante des studios et des développeurs de Don’t Nod. Le STJV fait état d’un nombre anormalement élevé d’arrêts maladies. Des projets seraient aussi lancés dans le flou le plus total, et l’équipe en charge de Jusant a visiblement été dissoute à peine deux mois après la sortie du jeu, les développeurs étant dispatchés sur d’autres productions. Nous apportons tout notre soutien aux équipes, en souhaitant que la situation s’améliore rapidement pour le bien être des équipes, des projets et des studios.
En réaction au thread du STJV, Don’t Nod a transmis à communiqué au site Game Industry, déclarant que les allégations d’une maltraitance des équipes sont contraires aux valeurs et à la culture du studio. D’après l’entreprise, la situation est prise au sérieux en interne, et un dialogue « continu » est maintenu avec les employés et les représentants du personnel. Le communiqué se termine avec l’assurance de la part de Don’t Nod de leur compréhension de la nécessité de transparence et de responsabilité, et de l’engagement pris pour résoudre les problèmes soulevés de manière constructive.
Note de l’équipe de PlayStation Inside
Conditions de test : le test a été effectué exceptionnellement sur Xbox Series X, et non sur PS5. La clé nous a été fournie par l’éditeur Focus Entertainment. Le temps de jeu pour ce test a été de 45h. L’essentiel du jeu a été fait en mode performance. Des informations techniques sur la version PS5 sont disponibles en fin de test.

Un travail artistique remarquable
Les productions de Don’t Nod ont toutes un point commun, c’est un travail artistique inspiré et passionné, des effets d’altération du temps dans Life is Strange, en passant par le remarquable design minimaliste de Jusant et jusqu’à la représentation du Neo-Paris de Remember Me. Sachez dès à présent que Banishers : Ghosts of New Eden ne déroge pas à cette règle. Le choix du Massachussetts n’est pas anodin. À la fin du XVIIème siècle, cet état d’Amérique du Nord a été en proie à une multitude de chasses aux sorcières. C’est ici qu’auront lieu entre 1692 et 1693 les procès pour sorcellerie les plus notoires, nous parlons bien des procès des Sorcières de Salem. Don’t Nod se sert habilement des enseignements des procès pour écrire son jeu : extrémisme religieux, errances dans les procédures judicaires, isolement, peur de l’inconnu, tout autant de thèmes qui sont abordés directement dans les évènements vécus par nos deux Banishers.
Les artistes ont visuellement retranscrit le contexte historique de cette époque troublée avec brio. Dès le départ, New Eden frappe par son ambiance lugubre, lourde, inerte. Tout ce qui vit, ou survit plutôt, semble voué à s’éteindre dans une longue agonie. Nous y croisons de vieux camps et villages abandonnés, des forêts lugubres, des marais poisseux, des mines abandonnées, toujours baignées de pluie ou nimbées de brouillard ; autant de lieux idoines à tout l’imaginaire paranormal et ésotérique qu’évoque le titre.




L’écriture n’est pas en reste. Elle nous propose des évènements palpitants à suivre, des intrigues tout en nuance lors des cas de hantises sur lesquels nous reviendrons plus tard. Les personnages sont eux aussi crédibles et attachants, à commencer pour notre couple de protagonistes Red et Antea, qui évoquent Orphée et Eurydice. Deux êtres brisés pour lesquels devenir Banisher a été une forme de salut. Antea, née à Cuba, a eu une vie marquée par la souffrance, détestant au plus haut point les âmes qui tourmentent les vivants. Red, lui, traîne les fantômes des différentes guerres européennes dans lesquelles il a servi en tant que mercenaire, ainsi qu’une profonde culpabilité. Les deux personnages se rencontrent en Europe lors de la formation aux arcanes des Banishers de Red. Antea tombera alors amoureuse de Red, puis, en tant que Banisher expérimentée, l’aidera à se débarrasser de ses vieux démons intérieurs. Cette aventure viendra mettre en péril toute leur détermination, leurs sentiments ainsi que leurs certitudes.
Leur crédibilité est renforcée par le superbe travail de modélisation réalisé, mais surtout par l’excellent doublage que propose le jeu. Que ce soit en français ou en anglais, la qualité est au rendez-vous, avec une préférence personnelle du testeur pour la version anglaise et le doux accent écossais de notre cher Red. Les personnages secondaires et tertiaires sont eux aussi très bien doublés, ce qui renforce l’aspect immersif du titre. La seule ombre au tableau vient de la synchronisation labiale. Elle n’est faite qu’en anglais et n’est pas toujours des plus précises. Le sound design du jeu est lui aussi convainquant, on ressent les atmosphères des lieux, les bruits de la forêt sont plus vrais que nature et la bande originale bien que discrète saura parfaitement accompagner chaque instant du jeu.



Un jeu qui assume ses inspirations tout en créant son propre univers
Banishers est pour le Don’t Nod une véritable prise de risque. Comme le dit Philippe Moreau, directeur créatif, il est à ce jour le jeu le plus ambitieux à sortir de leur studio. Créer un Action-RPG narratif n’est pas chose facile, surtout pour une équipe n’étant pas habituée au genre. Afin d’aiguiller leur travail, ils déclarent s’inspirer des productions cinématographiques des Playstation Studios et notamment de God of War. Si évidement le niveau de réalisation n’est pas aussi poussé que sur les productions à gros budget de Sony, nous sommes en face d’un des AA les plus aboutis de l’industrie.
Dès l’introduction, nous ressentons toute l’influence de notre cher dieu barbu sur Banishers. Rapidement au début du jeu, dans une caverne, une silhouette jaillit de l’entrée noyée de lumière, nous rappelant directement la cinématique d’annonce de God of War Ragnarök. Les transitions entre cinématiques in-engine et gameplay sont tout aussi fluides, nous avons même droit à certains effets de caméra, en particulier les flous et les rotations, qui rappellent le titre de Santa Monica. Le jeu de Don’t Nod bénéficie d’une très belle réalisation globale, les cinématiques sont de qualité, les échanges évitent le champ/contrechamp systématique avec des angles de caméra plus dynamiques. Banishers reprend aussi un monde semi ouvert bien construit, tortueux, nous proposant de la verticalité, et nombre de découvertes, de détours et de raccourcis. Il emprunte même les marquages de couleurs jaunes dans le décor pour nous indiquer les éléments interactifs. La carte laisse une part à l’exploration et les pouvoirs d’Antea seront une aide pour déceler des éléments dissimulés dans le décor et ouvrir des passages bloqués.
Le jeu reprend aussi cette philosophie de duo, magnifiée par The Last of Us sur PS3, puis reprise pour le reboot de God of War. Don’t Nod parvient à mieux équilibrer le nombre d’interventions d’Antea ainsi que l’aide qu’elle peut nous donner au cours du jeu, elle nous laisse chercher, essayer, et après un moment de recherche va nous donner un petit indice.

Don’t Nod muscle son jeu
Comme tout bon Action RPG , Banishers propose tous les systèmes de gameplay inhérents au genre. Le système de combat est classique mais efficace : attaque légère, attaque lourde, parades, esquive, mousquet à distance, rien de bien nouveau ici. Red possède en plus la compétence de bannir un esprit au combat. Cette attaque se recharge en infligeant des dégâts et permet soit d’éliminer directement un ennemi faible, soit d’infliger de lourds dommages à un ennemi plus robuste. Elle ajoute un soupçon de stratégie dans la manière d’aborder les groupes de monstres et d’établir des priorités de ciblage. Et à propos du ciblage, le système proposé dans Banishers reste aussi classique, s’activant en effet d’une pression de joystick (R3). On regrettera cependant un petit manque de souplesse dans la navigation entre les différents ennemis.. L’originalité se trouve dans l’utilisation d’Antea, qui avec une simple pression de bouton peut prendre possession de Red quelques instants et utiliser le petit arsenal de ses pouvoirs. Dash, explosion d’énergie et sort d’entrave viendront aussi dynamiser le gameplay. Nous regretterons seulement un manque de variété de combos malgré la présence d’Antea. Les pouvoirs se débloqueront avec l’avancée du scénario principal, ils ont chacun un arbre de talent dédié et permettront aussi d’explorer des zones de la carte autrefois inaccessibles.
Comme il n’y a pas de combat sans ennemi, parlons du bestiaire. Nous dirons qu’il a les mêmes qualités et défauts que celui de God of War 2018, étant ainsi relativement réussi et bien animé, mais trop peu varié. Il est composé de plusieurs types de spectres et de créatures possédées, mais nous retombons rapidement sur les mêmes ennemis. Il propose en revanche quelques subtilités de game design. En effet, les créatures possédées devront être tuées deux fois. Une première fois pour détruire l’enveloppe physique possédée, puis une seconde pour tuer l’esprit à présent vulnérable. Il faut aussi prendre en compte qu’un esprit peut posséder un corps gisant au sol pour se renforcer. Antea nous préviendra quand l’un d’eux ira en direction d’un corps. Vous aurez alors quelques secondes pour l’en empêcher à l’aide d’un coup d’épée ou d’un tir de mousquet bien placé. Les boss, sans être mauvais, restent aussi très classiques dans leurs mécaniques, et nous auront aimé un peu plus de créativité sur cet aspect. Concernant la difficulté, Banishers propose en tout 5 niveaux différents, le mode normal étant déjà parfois un petit défi. Nous avons constaté un léger souci d’équilibrage. Lors de notre test, nous étions souvent face à des adversaires ayant quelques niveaux de plus que nous. C’est un problème mineur, rien qui ne saurait être corrigé par un patch. La caméra est aussi bien travaillée, elle n’est prise à défaut que dans des zones plus étroites comme les grottes. En revanche, la progression vis-à-vis Vampyr, le titre de Don’t Nod sorti en 2018, est flagrante, le jeu étant bien plus agréable manette en main et beaucoup moins rigide. Remercions des animations qui, sans atteindre les standards des grosses productions AAA d’aujourd’hui, sont fines et précises. Nous devons avouer qu’il était même difficile d’imaginer un tel niveau il y a quelques années sur un AA.
Nous avons aussi à notre disposition une vision d’aigle via les pouvoirs d’Antea, qui va nous aider lors des phases d’enquête mais aussi d’exploration. Le jeu prend le parti de nous guider jusqu’à la zone de notre objectif et de nous laisser ensuite le chercher dans celle-ci. L’environnement propose lui aussi son lot de casses-tête et de chemins détournés, mais on regrettera un trop grand nombre de détours prétextes au cours de l’aventure ainsi qu’un trop grand nombre de petits passages exigus utilisés, en général, pour masquer des temps de chargements sur la génération de console précédente. Ces passages représentent une grande frustration sur l’ensemble de l’aventure. Nous y voyons une incohérence entre le game design et le level design du titre. Le jeu nous faisant faire un grand nombre d’aller-retours, ils apparaissent comme des freins constants dans notre progression. Nous comprenons l’apport sur le plan de la mise scène lors d’une première découverte. Nous comprenons aussi qu’ils renforcent cette idée de lieu isolé de tout. Mais à la longue il en résulte un rythme haché, avec la sensation d’être ralenti sans raison valable.



Banishers : Ghosts of New Eden, un titre au contenu généreux
Concernant le contenu, Don’t Nod a mis les petits plats dans les grands. Le jeu reprend l’ensemble de l’enrobage light RPG, avec un système de progression du personnage, de l’équipement, du crafting et de la récolte de ressources. De plus, la carte est elle aussi peuplée de nids de fantômes à détruire, de coffres, de statuettes à trouver, de points d’énergie et de mini boss. Nous sommes là aussi sur des activités qui constituent un standard pour ce type de jeu.
La vraie bonne idée du jeu réside toutefois dans les cas de hantise qui en sont quelque part le cœur. Ils interviennent autant au cours de l’aventure principale qu’en tant que mission secondaire. Ce sont des enquêtes permettant de résoudre le cas de personnes hantées par un esprit. C’est ici que réside la fonction première des Banishers, soit blâmer un humain, soit élever ou bannir un esprit. C’est aussi lors des cas de hantise qu’interviennent les choix moraux si chers à Don’t Nod. En effet, élever ou bannir un esprit conduira à l’élévation du fantôme d’Antea, alors que blâmer un humain sera un moyen de conduire à sa résurrection. Ce sont aussi lors de ces cas de hantise que les pouvoirs de nos Banishers seront les plus utiles. Nous avons plusieurs rituels à notre disposition, nous permettant d’écouter un écho résiduel comme de forcer un esprit à se manifester dans le monde réel. Si leur utilisation est contextuelle, nous devons quand même choisir le rituel approprié à la situation. L’écriture est qualitative, les intrigues variées ; Don’t Nod s’est efforcé de mettre de l’originalité dans ces courtes histoires. L’une d’entre elle nous narre par exemple l’histoire d’une espionne française exilée dans le Nouveau monde, tandis qu’une autre nous guide au moyen de courts poèmes. Ces phases d’enquêtes que représentent les cas de hantise et les combats constituent les deux boucles principales de Banishers.

Un moral en demi teinte ?
Don’t Nod est aujourd’hui un studio reconnu pour ses productions à forte dimension narrative impliquant des dilemmes moraux et leurs conséquences. Les choix moraux se font ressentir tout au long de l’aventure, et nous remarquons le poids de nos décisions sur nos protagonistes. Ils se questionnent sur la justesse de leurs actions, sur la force de leur détermination. Cet impact sur Red et Antea leur donne une profondeur supplémentaire, et leurs réflexions sont parfois bouleversantes de justesse et de vérité. Ces choix aussi se ressentent sur le monde, les habitants des communautés de New Eden réagissant différemment à notre égard selon notre manière d’avoir traité les cas de hantise. Les lieux eux mêmes changent, se peuplent ou dépeuplent, l’atmosphère évolue, l’activité de la malédiction aussi. Certains de nos choix impactent le destin de villages entiers. Pour ces deux aspects là, nous pouvons dire que le studio remplit pleinement son objectif. Concernant l’impact de nos actions sur la fin du jeu, nous allons être plus mesurés, celle obtenue dans notre partie étant par exemple vraiment déceptive bien que cohérente, pas tant sur les conséquences mais pour ce qu’elle est. Elle nous donne ainsi la sensation d’un coup d’épée dans l’eau. N’ayant pu boucler le jeu qu’une fois, il est difficile de dire de quelle importance sont les changements par rapport aux autres fins, ni leur cohérence, mais il n’y a que peu de raison de douter de Don’t Nod sur ces aspects. Sachez donc que le jeu possède plusieurs fins distinctes, selon le parcours et les choix que nous faisons, mais nous ne pouvons pas les juger ici.



Point technique (version PS5)
Comme écrit au début du test, le jeu a été fait sur une version Xbox Series X en mode performances. Cette version est plutôt propre techniquement, et nous n’avons noté que quelques micro freezes pendant les transitions entre deux zones et quelques chutes de framerate dans la zone enneigée du jeu.
Concernant la version PS5, nous remercions Yannick, de la chaîne The Share Players, pour son retour éclairé sur la version PS5. Là aussi, la version est bien travaillée sur l’aspect technique. Yannick a lui aussi joué en mode performances, et cette version subit elle aussi quelques chutes de FPS dans cette même zone enneigée et lors des transitions. En dehors de cela, aucun bug particulier ou crash ne sont à signaler sur les deux versions. Le support de la Dualsense est lui aussi réussi, notamment dans l’utilisation des gâchettes adaptatives et du haut parleur de la manette. Nous espérons que le patch day one viendra corriger ces dernières petites imperfections techniques.

CONCLUSION
Banishers : Ghosts of New Eden
Nous pouvons le dire, Banishers : Ghost of New Eden nous a convaincu. Don’t Nod réussit son pari de proposer une aventure narrative crédible, très bien réalisée et cela sans oublier l’héritage direct du studio. L’histoire de Red et d’Antea est une belle surprise de ce début d’année 2024. Banishers s'inscrit dans la liste des nouveaux gros AA dans l’industrie aux côtés de Remnant II et Lords of the Fallen par exemple, ou encore de la série d'Asobo Studio, A Plague Tale. C’est une proposition pertinente dans le marché du jeu vidéo actuel, avec ces jeux qui se permettent de l’ambition, portés par un superbe travail artistique, mais tout en maitrisant les coûts. Banishers : Ghosts of New Eden constitue aujourd’hui un véritable bond en avant pour les équipes de Don’t Nod. Si le titre n'est pas exempt de défauts, il nous propose un concept solide ainsi qu'une œuvre inspirée, poussée par une réalisation maitrisée. Le travail accompli fait entrer Don't Nod dans une autre dimension et envoie un signal fort pour le jeu vidéo français. Espérons simplement que le quotidien des équipes s'améliorera lui aussi, et que leurs conditions de travail seront valorisées et respectées.
LES PLUS +
- Une qualité globale de réalisation surprenante
- Les cas de hantise
- Le sound design réussi
- Une écriture inspirée
- New Eden du plus bel effet
- Des combats efficaces...
LES MOINS -
- ... mais qui manquent de variété
- Un système light Rpg un peu superflu
- Un peu de remplissage sur la carte
- Une structure un poil dépassée