Toutes les bonnes choses ont une fin et nous approchons malheureusement déjà de la conclusion des aventures de Joël et Ellie à travers les États-Unis d’Amérique. Cet épisode 8 de The Last Of Us par HBO adapte l’un des moments les plus intenses du jeu vidéo éponyme : la rencontre entre Ellie et l’inquiétante communauté menée par David. Pas d’infectés au programme, mais un rappel percutant sur le fait que l’Homme est un loup pour lui-même et que le danger ne vient pas toujours d’une bande de champignons ambulants.
Critique sans spoilers
Alors que l’épisode 7 de la série marquait une rupture narrative discutable en termes de rythme, mais essentielle pour développer en profondeur le personnage d’Ellie, ce huitième segment de cette première saison marque un retour salvateur au cœur de l’action. Si l’extension solo du jeu arrivait à chambouler le joueur grâce au pouvoir de l’interactivité qui permettait de ressentir la vulnérabilité d’Ellie cherchant des soins pour son compagnon, il faut reconnaître que l’épisode en question, malgré de grosses qualités, pouvait décontenancer à cause de sa difficile intégration dans le tempo globale de la saison. Il semble que Craig Mazin et Neil Druckmann n’ont pas oublié que si la période de l’hiver est l’une des plus marquantes de la licence, c’est justement parce que nous prenons le contrôle d’une Ellie seule qui doit porter sur ses jeunes épaules la survie de son père de substitution.
Les deux responsables de la série arrivent à retranscrire ce sentiment de vulnérabilité en transposant avec brio la désolation qui émane de cette banlieue américaine recouverte par un épais manteau de neige. La rue qui sert de décor à une grosse partie de la trame est alors autant un refuge qu’un piège dont l’étau se resserre au fur et à mesure. C’est en partant en quête de nourriture que la jeune fille va aller à la rencontre d’une des plus terribles épreuves de sa vie. L’état critique dans lequel se trouve Joel amène nécessairement l’héroïne et le spectateur à envisager l’éventualité de la suite sans ce solide texan. Le monde de The Last Of Us est beaucoup trop abrupt pour rester seul. Il est malheureusement difficile de faire confiance à des étrangers.
À l’image des deux premiers épisodes de la série, nous avons ici un résultat très proche de la version vidéoludique. Quand on a la chance de travailler sur un matériau de base aussi qualitatif, il n’est pas nécessaire de transformer l’essentiel du récit. Il suffit de supprimer le superflu ou, plutôt, ce qui ne passerait pas du tout dans un format cinématographique. À peu de choses près, ce passage est identique à ce que les joueurs ont vécu dans The Last of Us Part I. Il y a quelques modifications légères, comme la suppression des séquences d’affrontement avec les infectés, et des rajouts, comme le caractère religieux de la communauté de David. La première des modifications est utile, car la présence de cette séquence n’aurait eu que peu d’intérêt dans une version non-ludique de l’histoire. Pour ce qui est du petit pamphlet anti-religion, nous aurions préféré qu’il ne soit pas présent si c’est pour le traiter de façon aussi clichée. David n’a jamais eu besoin de lire des passages de la Bible pour être inquiétant. Entre cette décision, et certains passages de The Last Of Us Part II, Neil Druckmann affiche de plus en plus un côté anticlérical qui mériterait plus de finesse.
L’essentiel était de réussir à mettre en scène la relation entre Ellie et David, car c’est ce qui a fait la renommée de ce passage. Sous ses airs bienveillants et une volonté de garder la jeune fille en vie, ce chef de groupe représente le message de fond de la majeure partie des œuvres post-apocalyptique : le danger vient et viendra toujours des êtres humains. Les zombies, les infectés, les goules ou les vampires de l’espace ne servent que de support sur lequel peindre la folie humaine. Scott Shepherd est brillant dans son rôle et arrivera sans aucun souci à faire croire à de nombreux néophytes de sa gentillesse, avant de faire tomber le masque, en rappelant que voir ses futures victimes lutter est ce qui lui procure le plus de plaisir au monde. Troy Baker fait également une apparition remarquée dans le rôle de James, le bras droit de David. Son jeu, tout en finesse, est intéressant à plus d’un titre, car il est une sorte de reflet inversé du Joel qu’il incarnait pour les jeux vidéo de Naughty Dog. À bien des égards, James est une version désenchantée de Joel qui n’a pas trouvé sa Ellie, et qui s’est fait engloutir par le désespoir en se débarrassant du peu qui lui restait de moralité.
L’avis d’Aurélie, rédactrice en chef de Naughty Dog Mag
« Les infectés resteront les grands absents de cette première saison de The Last of Us. En contrepartie, la focale s’oriente vers le groupe de David. Mais les ajouts scénaristiques donnent plus de noirceur aux vices qui habitent ce prêcheur, anciennement professeur. L’Apocalypse aura fait de Joel une machine à tuer, tandis que David a probablement toujours été un prédateur. Face à lui, l’impitoyable James serait presque moins terrible. Comme dans le jeu, cet épisode 8 met en exergue les extrêmes dérangeants des humains pour leur survie. De même, c’est dans la peinture des pulsions individuelles qu’il dénonce la cruauté des hommes et, surtout, la monstruosité tapie chez ceux en qui en appellent à notre confiance… Sous la caméra d’Ali Abbasi, plus de doute quant aux intentions de David. L’urgence qui entoure Ellie n’en est que plus pressante. On a peur pour et avec elle. Alors sa frénésie fait mal au ventre, et le plan dure, dure… En comparaison, les retrouvailles avec un Joel marquant bien qu’en retrait dans cet épisode, sont quelque peu fades. On retiendra davantage le visage pâle et hagard de l’adolescente dans ce décor enneigé, à jamais entaché par le sang qui devait être versé. »
Critique avec spoilers
Si la tension est palpable, c’est grâce à la maestria avec laquelle les équipes de la série arrivent à faire monter la tension autour de cette étrange communauté. Si les premières minutes nous montrent ce qui semble être un attroupement d’individus pieux, qui vivent sous la coupe d’un leader sectaire endossant le rôle de père de la communauté, des interrogations viennent rapidement bousculer notre esprit. Premièrement, la série nous questionne sur le bien-fondé des actions de notre duo. Sont-ils forcément meilleurs et plus bienveillants que ceux qui semblent se dresser sur leur route ? C’est en mettant en lumière le lien entre l’homme responsable de la blessure de Joel et la communauté de David que la série nous pousse dans nos retranchements moraux. Dans un monde en proie au chaos, seules la survie et le sort de nos proches sont dignes d’intérêt. Il n’y a pas de place pour la vertu ou pour faire preuve d’humanité, car l’étranger en face de vous ne vous fera probablement aucun cadeau.
David est le croque-mitaine de la saison, il est le reflet déformant et brisé de nos deux héros. Il est celui qui a franchi toutes les limites morales pour assurer sa survie et celle de ceux sous son joug. Il est prêt à tout, même au cannibalisme s’il estime que c’est nécessaire. Il est dans son élément, probablement car il a toujours été un monstre, même avant la chute du monde que nous connaissons. David ne protège pas sa communauté par amour, il le fait car c’est une créature avide de domination. C’est un prédateur sexuel patriarcal, comme en attestent ses projets pour Ellie. La montée en puissance visuelle de sa noirceur atteint son paroxysme dans les dernières minutes de l’épisode. Il n’est plus qu’une silhouette en chasse. La libération s’opère dans une explosion de violence d’Ellie, qui résulte de sa peur et de sa lutte perpétuelle pour la survie. Elle n’abandonnera jamais, elle ne donnera jamais cette satisfaction à ce monde cruel. Pourtant, la série nous rappelle que cette planète peut aussi être un endroit merveilleux, à l’image de ces retrouvailles entre nos héros dans la neige d’un blanc presque immaculé. Le père et la fille s’éloignent alors vers l’horizon, laissant l’enfer derrière eux. Plus qu’un épisode avant de savoir si notre duo trouvera le paradis ou le désespoir au bout de leur périple vers l’ouest.
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