Toutes les bonnes choses ont une fin, et il est déjà temps de dire au revoir à Ellie et Joel. L’épisode 9 de The Last of Us a clôturé cette nuit la première saison de l’adaptation du monument vidéoludique de Naughty Dog. Bella Ramsey, qui campe la fougueuse héroïne de la série, a averti il y a quelques jours que ce neuvième épisode diviserait énormément les gens. Les joueurs savent à quoi elle faisait allusion, tant la fin du premier jeu a provoqué de nombreuses discussions et débats d’ordre philosophique ces dix dernières années. Une seule question en suspens : ce dernier segment est-il à la hauteur ?
Critique sans spoilers
L’épisode 8 de The Last of Us par HBO nous plongeait dans l’horreur de l’humanité, en confrontant Ellie à un groupe de survivants s’adonnant au cannibalisme, et mené par le terrible David, un prédateur sexuel adepte de la chasse. Après une confrontation sanglante, au cours de laquelle Ellie fut contrainte d’exprimer sa rage et sa peur dans un cocktail sanglant, avant de retrouver Joel dans le blanc souillé des neiges d’hiver, nous retrouvons nos deux héros à Salt Lake City. Cette ville représente l’un des tous derniers espoirs du duo quant au fait de retrouver une base des Lucioles pour réussir à exploiter l’immunité d’Ellie, afin de sauver ce qu’il reste de l’humanité. L’épisode 9 épouse parfaitement la continuité du précédent, en nous peignant une relation plus fusionnelle que jamais entre les deux protagonistes.
Joel n’est plus ce vieux monsieur grincheux qui ne décroche jamais un sourire. La bête s’est attendrie au contact de sa jeune protégée. Nous avons désormais un homme avenant, soucieux du bien-être de sa fille de substitution. Il s’inquiète de ses silences inhabituels, et fait tout pour décrocher un sourire à Ellie en présentant avec enthousiasme la boite de conserve appétissante qu’il vient de trouver. Il déborde désormais d’affection et titille Ellie sur l’éventualité de s’amuser sur un jeu de plateau qu’il vient de trouver, une fois qu’ils auront terminé ce long périple. Les deux compères se connaissent désormais par cœur, et il est amusant de voir ce vieux contrebandier essayé de prendre Ellie à contre-pied quand il se rend compte qu’elle peut désormais anticiper la moindre de ces décisions de voyage. Pedro Pascal livre ici une prestation de haut niveau, pleine d’humanité, réussissant à marcher dans les pas de Troy Baker.
La force de l’épisode est de laisser place à énormément de tendresse. Cette douceur est bienvenue après l’âpreté des événements de la semaine dernière. La série arrive à retranscrire l’un des plus beaux moments du jeu : la rencontre avec une girafe. Cette séquence permet d’insister sur ce nouveau Joel que nous découvrons. La brute épaisse a définitivement laissé place à un homme aimant qui contemple Ellie et voit en elle la seconde chance qu’il pensait ne jamais avoir. Cette séquence pleine de poésie naturaliste laisse la place à un échange déchirant entre nos deux héros. Le protecteur se livre pleinement à celle qu’il ne considérait que comme une livraison il y a de cela quelques mois. À l’aide de quelques sous-entendus, et de regards appuyés de Pedro Pascal qui ne manqueront pas d’arracher quelques larmes au spectateur, Joel fait comprendre que c’est bien Ellie qui l’a sauvé de l’abîme dans lequel il s’était perdu, il y a de cela tant d’années. Nous sommes là face à un moment charnière. S’il est prêt à faire demi-tour pour vivre paisiblement avec elle, notre héroïne ne peut se résoudre maintenant à abandonner, pas après tout ce qu’ils ont traversé. La série amène alors brillamment sur la table un questionnement quant aux responsabilités de chacun.
Cette tendresse laisse malheureusement place à une fin haute en intensité qui, comme celle du jeu il y a des années, amène de nombreux questionnements. Dans un monde tel que celui de The Last of Us, il n’y a pas de mauvais choix, il n’y a qu’une question de point de vue. Nous faisons face à un homme qui contemple ses propres démons, résolu à ne pas échouer cette fois. Il a perdu une fille, il n’en perdra pas une deuxième. La tendresse de la première partie de l’épisode et la violence extrême de sa seconde moitié fusionnent en un tout déstabilisant. Ali Abbasi, le réalisateur de cette conclusion, arrive à donner une forme de grâce à ce dernier acte, par l’utilisation habile de la musique, tout en créant un paradoxe par les images sur l’atrocité de ce qui est en train de se passer. L’échange final entre nos deux personnages est percutant et arrive à soulever avec brio les mêmes questionnements philosophiques que ceux du jeu. Comme ce dernier, la série s’achève sur un mensonge parental des plus classiques. Être un parent, c’est aussi prendre la responsabilité d’un mensonge pour ce que nous pensons être le mieux pour son enfant, quitte à accepter de briser les illusions de ce dernier quant à notre perfection, avec l’espoir qu’il finira par comprendre.
L’avis d’Emma, rédactrice en chef adjointe de Naughty Dog Mag
Le voici, le dernier épisode de la saison 1 de la série The Last of Us. Une adaptation phénomène dont nous ne sortons pas indemnes. Une fois encore, la plume des réalisateurs nous touche en plein cœur, et ce, jusqu’à l’ultime dialogue. Nous ne pouvons que sourire à l’égard de la justesse d’Ashley Johnson, notre Ellie originelle. Elle donna vie à l’héroïne dans les jeux, et désormais à l’écran. La performance transcendante de Pedro Pascal et Bella Ramsey a de nouveau satisfait les fans et les néophytes. Un épisode 9 rigoureux et fidèle à la matière d’origine, parfait pour conclure les premières aventures de notre duo favori. Neil Druckmann, Craig Mazin, ainsi que les équipes de production, nous offrent un final des plus marquants et sont déjà en route pour nous promettre une saison 2 aussi impressionnante que la première. Bien entendu, nous sommes prêts à découvrir cette suite qui tend d’ores et déjà vers le succès qui lui est promis.
Critique avec Spoilers
L’épisode se démarque du jeu dans son introduction. Faire incarner la mère d’Ellie par Ashley Johnson, qui incarnait Ellie dans les deux opus de The Last of Us, est un petit clin d’œil méta très bien pensé, et s’inscrit à merveille dans ce que l’épisode 8 faisait avec Troy Baker. Dans ces premières minutes, nous suivons donc Anna, une femme enceinte prête à accoucher qui court pour sa vie, traquée par un infecté. Elle trouve refuge dans une maison où elle contraint d’accoucher dans la panique, tout en tuant l’infecté qui arrive à la mordre avant de recevoir le coup fatal. La série explique ainsi l’origine de l’immunité d’Ellie qui était encore liée à sa mère par le cordon ombilical lors de la morsure. Anna est alors retrouvée par Marlene, qui décide de cacher le fait que son enfant et elle étaient encore connectées lors de l’infection. Ce mensonge permet à la mère de sauver la vie de sa progéniture, avant d’être achevée de façon miséricordieuse. Si cette scène permet de renforcer le lien entre parentalité et mensonge pour le bien de son enfant, elle permet aussi de développer le lien entre Ellie et la cheffe des Lucioles. Joel n’est pas le seul à se sentir parent de la jeune fille. Cela permet d’opposer deux visions radicales du monde. Nous avons d’un côté celle qui est prête à dire adieu à une enfant qu’elle connaît depuis sa naissance si cela peut permettre de mettre un terme au cordyceps, de l’autre nous avons un homme qui se refuse à sauver cette humanité qui lui a tout pris. D’autant que nous pourrions être tentés de nous demander si l’espèce humaine peut être sauvée par un vaccin, tant la série insiste sur le fait que les hommes n’ont pas besoin de la présence d’infectés pour se faire du mal aux quatre coins du pays.
L’aptitude des hommes à se faire du mal entre eux est présentée par le dernier tiers de l’épisode. La boucherie finale vient d’une incompréhension totale entre Joel et les Lucioles qui n’ont pas pris le temps de demander à Ellie si elle acceptait de mourir pour donner une chance aux chercheurs de créer un vaccin. Il est assez tragique de se dire que si les hommes de Marlene avaient posé la question à la jeune fille, sans lui mentir quant à l’inexorabilité de sa mort, Joel n’aurait sans doute pas pris les armes pour libérer sa fille de substitution. De l’absence de communication résulte un bain de sang qui anéantit le dernier espoir de l’humanité. Toute la séquence est magnifiquement mise en scène, et les bruits du massacre disparaissent peu à peu pour laisser place à la musique lancinante de Gustavo Santaolalla qui accompagne la marche déterminée du contrebandier. Le manichéisme est écarté d’un revers de manche pour laisser place à une vérité : nous sommes tous disposés à faire preuve d’une violence extrême pour sauver ceux que nous aimons, ou pour défendre ce en quoi nous croyons. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises décisions, juste deux réalités incompatibles. Chacun se fera son opinion sur Joel et décidera d’en faire un meurtrier égoïste ou un père aimant prêt à tout. La série s’achève après une courte ellipse qui permet à Ellie d’exprimer sa culpabilité de survivante. L’horreur est alors totale, elle avait besoin que son immunité ait un sens. Malheureusement, son partenaire a réduit cela en néant. La série s’achève alors sur un enfant qui contemple le mensonge de son père et décide malgré tout de le croire, car il ne lui reste plus rien d’autre.