« Le jeux vidéos peuvent-ils rendre violent ? » Voilà une question qui revient inlassablement sur le devant de la scène, à notre grand désarroi. Qu’elle soit posée maladroitement ou délibérément, cette tendance à utiliser abusivement notre média de prédilection comme bouc émissaire est épuisante. Mais au-delà de cette lassitude, il est crucial d’apporter de la nuance et du contexte à cette accusation qui résonne sans cesse depuis la tragédie de Columbine en 1999.
Tout a été relancé ce vendredi 30 juillet suite à une partie de la déclaration du président français, Emmanuel Macron. Après une réunion consécutive à trois nuits d’émeutes urbaines après la mort de Nahel à Nanterre, le chef de l’État s’est prononcé sur de nombreux sujets, et une phrase en particulier a attiré notre attention.
“Les plateformes et les réseaux sociaux jouent un rôle considérable dans les mouvements des derniers jours. Nous avons vu sur plusieurs d’entre elles – Snapchat, TikTok et plusieurs autres – à la fois l’organisation de rassemblements violents se faire, mais une forme de mimétisme de la violence, ce qui, chez les plus jeunes, conduit à une forme de sortie du réel, et on a le sentiment parfois que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués.”.
Emmanuel Macron
Cette sortie du président français sur les jeux vidéo rappelle étrangement les propos tenus par Donald Trump en 2019 après la tuerie d’El Paso aux États-Unis, qui a fait 22 morts. À l’époque déjà, le même argument sur l’influence néfaste des jeux vidéo violents était mis en avant, sans réflexion approfondie. Dans la même veine, nous avons également assisté sur les réseaux sociaux à des rapprochements entre certains événements lors des émeutes et le dernier film de Romain Gavras, Athéna. Certains prétendent que le cinéma influence la jeunesse depuis plus de 30 ans en encourageant ces révoltes urbaines.
Olivier Mauco, CEO chez Game in Society, a été l’un des premiers à vraiment interpeller le président de la République sur ses propos via un post sur LinkedIn. Il y parle notamment de l’un de ses ouvrages, Jeux vidéo: hors de contrôle?, afin de mettre en perspective la déclaration d’Emmanuel Macron avec les actions commises à l’encontre de Nahel par la police :
« Jeu vidéo, hors de contrôle?, porte sur la construction du problème public des jeux vidéo, notamment comment à chaque panique morale un récit de causalité apparait comme cache misère du politique. Je vous félicite car vous vous inscrivez dans la lignée de Jean Pierre Chevènement en 1997, et ses « sauvageons du virtuel ». En 1999, Bill Clinton est le premier président à accuser ouvertement les jeux vidéo, là aussi, à la suite d’une tuerie de masse de personnes mineurs : « Donc si je vous comprends bien, le tir lors du contrôle de police est bien de la faute des jeux vidéo et de GTA en tête ? »
Olivier Mauro
C’est une rengaine que nous entendons depuis des décennies, une façon de déplacer le problème des contextes socio-politiques vers des médias culturels. Les accusations se sont abattues sur le rock et le métal dans les années 60, sur le cinéma régulièrement dans les années 70 et 80, et bien sûr sur les jeux vidéo depuis les années 90. Au-delà de simplement réfuter les arguments d’Emmanuel Macron, comme le fait systématiquement l’industrie du jeu vidéo à chaque accusation de ce genre, nous souhaitons prendre le temps d’approfondir notre réflexion sur le sujet.
Il est indéniable que l’industrie vidéoludique est devenue le bouc émissaire de chaque acte de violence ou de meurtre depuis 1999. Pourtant, il est intéressant de noter qu’aucune étude scientifique n’a jamais établi une corrélation solide entre les jeux vidéo et la violence. Nous allons examiner ces résultats et mettre en perspective notre relation à la violence dans les jeux vidéo. Après tout, si ces accusations persistent, il est essentiel d’aller au-delà des sempiternelles preuves « scientifiques » qui, en l’occurrence, ne sont pas infaillibles et restent situées dans un cadre bien spécifique. En effet, une étude scientifique est toujours limitée à un échantillon d’individus jamais parfaitement représentatif de la société. En tant que joueurs, nous devons examiner notre industrie et notre rapport à la violence ludique en premier lieu. Enfin, et c’est là le point crucial que nous devons rappeler chaque fois que le jeu vidéo est pointé du doigt dans des situations terribles comme celle-ci : ce ne sont pas les œuvres vidéoludiques qui rendent les individus violents, mais bel et bien la société qui nous entoure.
Le jeu vidéo pris pour cible depuis 1999
Afin de vous fournir des éléments de réponse, nous avons principalement eu recours aux sites de presse qui ont abordé ce sujet et ont relayé des articles ou des études scientifiques qui se penchent sur la question de la violence dans les jeux vidéo. En effet, les jeux vidéo font régulièrement la une des journaux et sont souvent présentés comme la cause des actes meurtriers.
Depuis Columbine en 1999, en passant par la tuerie de Virginia Tech en 2007 jusqu’à El Paso en 2019, les jeux vidéo sont toujours pointés du doigt pour tenter d’expliquer les tueries de masse et autres actes de violence. Au fil des décennies, notre média s’est inscrit au cœur de la vie culturelle. Pourtant, il continue d’être stigmatisé en tant que force extérieure, tenu pour responsable, ne serait-ce qu’en partie, des maux contemporains, notamment de la violence dans le monde réel perpétrée par de jeunes hommes profondément perturbés.
Cette stigmatisation persistante trouve ses racines dans une tendance récurrente à chercher des boucs émissaires faciles plutôt que d’examiner de manière approfondie les véritables causes sociales et psychologiques de tels comportements. Les jeux vidéo, en tant que médium interactif et en constante évolution, sont souvent perçus comme un étranger menaçant qui corrompt la jeunesse et favorise des actes d’une grande brutalité. On trouve une première mention en France entre violence et jeux vidéo dès 1993 dans le Figaro. À la suite à une prise d’otages dans une maternelle, le journal avait fait un lien douteux entre cet événement et certains aspects de Super Mario.
Parmi les 100 massacres scolaires les plus meurtriers de l’histoire moderne, 40 ont tragiquement eu lieu aux États-Unis. Le plus meurtrier d’entre eux remonte à 1927, lorsque 38 enfants et 6 adultes ont été victimes d’un homme animé par le désir de se venger de son échec à obtenir un poste électif. Il convient de noter que 7 attaques de ce genre se sont produites à une époque où les jeux vidéo n’étaient pas encore intégrés dans la vie quotidienne des Américains. Cependant, entre 1980 et 2018, on recense 33 fusillades dans des écoles, où plusieurs personnes ont été tuées. Nous pouvons noter que dans 4 de ces 33 massacres, les auteurs ont été définitivement identifiés comme étant des passionnés de jeux vidéo. Étant donné que les jeux vidéo ont connu une popularité presque universelle parmi les garçons et les jeunes hommes au cours des 30 dernières années, cela ne semble pas du tout surprenant. Cependant, il n’est pas rare, loin de là, de trouver des individus de moins de 35 ou 40 ans qui n’ont jamais joué aux jeux vidéo aujourd’hui. En général, d’autres facteurs ont été plus évidents ou marquants pour les responsables de l’application de la loi et les journalistes, tels que des comportements antisociaux ou obsessionnels, ainsi que des antécédents de problèmes de santé mentale.
Prenons le triste exemple de Columbine qui sera à l’origine de cette association entre jeu vidéo et violence : le 20 avril 1999, Eric Harris et Dylan Klebold, tous deux élèves de terminale, ont perpétré une attaque meurtrière qui a coûté la vie à 12 étudiants et à un enseignant. Il est intéressant de noter que les deux tueurs étaient passionnés par des jeux vidéo tels que Doom et Quake, alors extrêmement populaires à l’époque. Toutefois, il faut souligner que ces deux individus avaient des intérêts culturels très variés, incluant la musique « sombre », l’informatique et le théâtre. Ils étaient victimes de brimades et avaient souvent des problèmes personnels. Ils tenaient chacun un journal, écrit ou vidéo, dans lequel ils détaillaient leurs plans. De plus, ils étaient tous les deux fortement intéressés par les explosifs et les armes à feu.
La France a effectué le même traitement sur Kylian B., responsable pour des coups de feu qui ont fait quatorze blessés, jeudi 16 mars 2017, au lycée Tocqueville, à Grasse. Les journaux, à l’époque, ont rapidement sorti les mêmes fourches et torches : le responsable était “visiblement fan de jeux vidéo violents” (Le Figaro), plus précisément de “jeux vidéo de massacre” (Le Parisien). Il est tout de même à noter que le traitement médiatique autour du portrait dressé de l’auteur de la fusillade ne cherchait pas de motif explicatif dans ses passe-temps (musique, cinéma d’horreur, …).
Le 14 décembre 2012, la tragédie de Sandy Hook a bouleversé les États-Unis lorsque Adam Lanza, âgé de 20 ans, a commis l’impensable en prenant la vie de 20 enfants et 6 adultes à l’école primaire de Newtown, dans le Connecticut. Adam Lanza était un individu solitaire, largement reconnu pour ses problèmes de santé mentale et son obsession pour les fusillades de masse. Il consacrait de longues heures à jouer à une multitude de jeux dans son sous-sol. Parmi ces jeux, son préféré était Dance Dance Revolution.
D’autres tueurs ont été à tort associés aux jeux vidéo. Après la fusillade de Virginia Tech en 2007, il a été rapporté que Seung-Hui Cho, responsable de la tragédie qui a coûté la vie à 32 personnes, était un fervent joueur du jeu de tir multijoueur Counter-Strike. Cependant, cette information a été réfutée plus tard par son colocataire, affirmant n’avoir jamais vu Cho jouer à des jeux vidéo. Ces derniers sont souvent associés aux fusillades dans les écoles, principalement parce qu’elles sont généralement perpétrées par de jeunes hommes qui sont ou ont été en lien avec l’établissement scolaire concerné. En revanche, les fusillades de masse qui se produisent dans d’autres contextes surviennent souvent sur les lieux de travail ou dans des espaces publics. Les motivations de ces auteurs sont généralement liées à des croyances, vices, échecs professionnels, problèmes de santé mentale, relations brisées, plutôt qu’à leurs choix de divertissement.
Cependant, il arrive aussi que les jeux vidéo soient mis sur le devant de la scène par les tueurs mêmes. Prenons par exemple la fusillade dans un cinéma à Aurora en 2012. L’auteur de l’attaque, James Holmes, était un joueur de jeux vidéo. Il avait également des antécédents de maladie mentale, incluant des hallucinations. Anders Breivik, le terroriste d’extrême droite norvégien responsable du massacre de 77 personnes en 2011 sur l’île d’Utøya, a affirmé qu’il jouait à World of Warcraft pour se détendre. Il a également prétendu, de manière douteuse, que les jeux de la série Call of Duty l’aidaient à améliorer sa précision de tir.
Si vous aussi êtes joueur invétéré depuis de nombreuses années, vous êtes probablement lassés des mêmes arguments. Pourtant, ils méritent d’être rappelés. Les jeux vidéo occupent une place centrale dans le divertissement de la plupart des jeunes. Par conséquent, lorsqu’ils commettent des délits, il est fort probable qu’ils aient une expérience préalable en tant que joueurs de jeux vidéo. Comme toutes les formes d’art, les jeux vidéo abordent parfois la violence extrême. Cela conduit à l’argument d’une participation active à la violence qui pourrait avoir un impact plus important sur le comportement réel que des formes de divertissement plus passives. Cependant, comme l’a souligné la Cour suprême des États-Unis dans son jugement protégeant les jeux vidéo au titre du premier amendement, des décennies d’études scientifiques n’ont pas réussi à prouver l’existence d’un tel lien.
Aucune étude scientifique fiable pour prouver cette corrélation
De nombreuses études ont été menées au cours des dernières années au sujet de la relation entre les jeux vidéo et la violence sociétale. Selon une étude publiée dans la revue Molecular Psychiatry en mars 2018, les inquiétudes concernant les effets néfastes des jeux vidéo violents pourraient être injustifiées. L’étude a révélé que le fait de jouer à un jeu vidéo violent tous les jours pendant deux mois n’avait pratiquement aucun impact sur l’agressivité ou le comportement prosocial des participants.
Les jeux vidéo sont extrêmement populaires, et tant les universitaires que les citoyens ont exprimé leur inquiétude quant à l’impact psychologique des jeux violents. Les preuves scientifiques ne sont pas concluantes, certaines études suggérant que les jeux vidéo violents déclenchent des pensées agressives, tandis que d’autres ne parviennent pas à mettre en évidence de tels effets.
La majorité des études existantes ont testé les effets à court terme des jeux, mais les auteurs de l’étude, Simone Kühn et son équipe, affirment que les résultats de ces études pourraient représenter des effets d’amorçage. Par exemple, une augmentation de l’agressivité après une heure de jeu vidéo violent pourrait simplement indiquer que le jeu violent a rendu les pensées agressives plus accessibles. Pour aller au-delà des effets d’amorçage, Kühn et ses collègues ont concentré leur expérience sur les effets à long terme d’une pratique régulière de jeux vidéo violents. Des adultes âgés de 18 à 45 ans ont été répartis au hasard entre trois groupes. Le groupe « jeux vidéo violents » devait jouer au jeu vidéo Grand Theft Auto V au moins 30 minutes par jour pendant deux mois. Un groupe de contrôle actif a joué à un jeu vidéo non violent, Les Sims 3, pendant la même durée. Enfin, un groupe de contrôle passif n’a pas été affecté à un jeu vidéo mais a été testé en même temps que les autres participants. Aucun des participants n’avait d’expérience préalable avec les deux jeux vidéo, et tous les sujets ont déclaré avoir peu ou pas utilisé de jeux vidéo au cours des six derniers mois.
Les participants ont effectué un large éventail d’évaluations avant et immédiatement après l’intervention de deux mois sur les jeux vidéo. Ils ont également participé à une évaluation de suivi deux mois après la fin de l’intervention. Les évaluations couvraient divers domaines psychologiques et comprenaient des mesures multiples de chaque concept. Ces concepts comprenaient l’agression, l’empathie, le comportement prosocial, l’impulsivité, l’anxiété, la dépression et le contrôle exécutif. Les chercheurs ont effectué deux analyses distinctes pour comparer les scores des participants ayant joué au jeu vidéo violent à ceux des participants ayant joué à ceux non violents ou n’ayant pas joué. Ils ont également effectué une analyse pour voir si les participants au jeu violent avaient obtenu des scores différents avant et après l’intervention. Aucune de ces analyses n’a révélé d’effets néfastes des jeux vidéo violents, suggérant que les craintes qui concernent leur impact négatif pourraient être infondées.
Les résultats vont à l’encontre d’études antérieures démontrant que les jeux violents favorisent les pensées agressives et diminuent les comportements prosociaux. Toutefois, des travaux scientifiques antérieurs ont principalement révélé des effets à court terme et des résultats divergents. L’étude actuelle a, elle, prouvé que le fait de jouer quotidiennement pendant deux mois à un jeu vidéo violent n’était pas associé à une augmentation de l’agressivité ou à une diminution de l’empathie, que ce soit immédiatement après l’intervention ou lors d’un suivi effectué deux mois plus tard.
« À notre connaissance, la présente étude a utilisé la batterie de tests la plus complète couvrant une multitude de domaines dans lesquels des changements dus aux jeux vidéo violents auraient pu être attendus. Par conséquent, les présents résultats apportent des preuves solides contre les effets négatifs souvent débattus des jeux vidéo violents ».
Simone Kühn
Étant donné que l’étude a été menée auprès d’un échantillon d’adultes, les auteurs affirment que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si les jeux vidéo violents ont un impact sur les enfants.
L’APA (American Psychological Association) a réalisé une étude en 2020 concluant qu’il n’existe pas de preuves scientifiques suffisantes pour établir un lien de causalité entre les jeux vidéo violents et les comportements agressifs. Le nouveau apport de l’APA sur cette question est une mise à jour de leur précédent rapport de 2015, qui, selon le groupe de l’époque, « confirme le lien entre le fait de jouer à des jeux vidéo violents et l’agression« . Mais cette augmentation de la brutalité généralisée ne peut et ne doit pas être étendue pour relier les oeuvres violentes aux comportements violents, malgré « de nombreuses occasions où des membres des médias ou des décideurs politiques ont cité ce rapport comme une preuve que les jeux vidéo violents sont la cause de comportements violents, y compris les fusillades de masse« , a déclaré l’APA.
Le rapport actualisé établit d’emblée cette distinction importante :
“Le rapport suivant ne doit pas être mal interprété ou utilisé en attribuant la violence, telle que les fusillades de masse, à l’utilisation de jeux vidéo violents. La violence est un problème social complexe qui découle probablement de nombreux facteurs qui méritent l’attention des chercheurs, des décideurs politiques et du public. Attribuer la violence aux jeux vidéo violents n’est pas scientifiquement fondé et détourne l’attention d’autres facteurs.”
American Psychological Association
Les nouvelles orientations de l’APA se fondent sur de multiples méta-analyses qui couvrent plus de vingt ans d’études et abordent le lien entre les jeux vidéo et la violence sous de multiples angles. Sur un large éventail de méthodes d’étude et d’échantillons, le groupe de travail de l’APA indique que ces analyses montrent un lien de causalité faible mais fiable et bien établi entre l’exposition aux jeux vidéo violents et les comportements agressifs, notamment « les insultes, les menaces, les coups, les bousculades, l’arrachage de cheveux, les morsures et d’autres formes d’agression verbale et physique« . Ces études établissent également un lien entre l’utilisation des jeux et la diminution du « comportement prosocial, de l’empathie et de l’engagement moral » chez les enfants, bien que l’APA prévienne qu’il n’existe que « très peu de recherches sur les enfants de moins de dix ans« .
Alors que de nombreuses études et articles de presse tendent à utiliser indifféremment les termes « agression » et « violence« , l’APA précise que la littérature scientifique actuelle « ne s’est pas concentrée sur la violence mortelle en tant que conséquence » de l’utilisation des jeux vidéo.
« Toute violence, y compris mortelle, est une agression, mais toute agression n’est pas une violence ».
Précision du rapport actualisée de l’APA.
Par conséquent, le fait de considérer les jeux vidéo violents comme une raison majeure des fusillades de masse (comme beaucoup l’ont fait ces dernières années) détourne l’attention des causes mieux établies de la brutalité, selon l’APA.
« La violence est un problème social complexe qui découle probablement de nombreux facteurs qui méritent l’attention des chercheurs, des décideurs politiques et du public. Attribuer la violence aux jeux vidéo n’est pas scientifiquement fondé et détourne l’attention d’autres éléments, tels que les antécédents de violence, dont nous savons, d’après les recherches, qu’ils sont un facteur prédictif majeur de la brutalité future ».
Sandra L. Shullman, présidente de l’APA
Le rapport de l’APA invite à poursuivre l’étude des effets des jeux vidéo violents, en particulier en ce qui concerne la persistance des résultats négatifs dans le temps. Des études supplémentaires sont également nécessaires pour déterminer si le sexe, l’origine ethnique, la classe sociale et le contexte culturel ont une incidence sur l’ampleur des effets observés chez les joueurs.
Un autre rapport, publié en 2020 dans la revue Royal Society Open Science, constate que les études montrent une corrélation positive statistiquement significative mais minuscule entre le jeu vidéo et l’agression, en deçà du seuil requis pour être considéré comme un « petit effet ». Les chercheurs, dirigés par Aaron Drummond de l’université Massey de Nouvelle-Zélande, ont réexaminé 28 études des années précédentes portant sur le lien entre le comportement agressif et les jeux vidéo sur plus de 21 000 individus du monde entier.
« Les recherches actuelles ne permettent pas d’étayer l’hypothèse selon laquelle les jeux vidéo violents ont un impact prédictif significatif à long terme sur l’agressivité des jeunes ».
Extrait du rapport de la Royal Society Open Science
Entre elles, les différentes études incluses dans cette recherche remontent à 2008 et font état d’un éventail d’effets, notamment une légère corrélation positive entre la violence et l’utilisation des jeux vidéo dans environ un quart d’entre elles et aucune conclusion globale dans la plupart des autres. Une étude de 2011 fait aussi état d’une corrélation négative. Un argument courant en faveur d’un effet « néfaste » des pratiques vidéoludiques réside dans le fait que de petits dommages peuvent s’accumuler au fil du temps : si un joueur termine chaque partie en étant légèrement plus agressif, à long terme, cela pourrait se traduire par un changement de tempérament significatif. Or, l’étude n’apporte aucune preuve d’une telle accumulation, et met en avant des preuves allant dans le sens contraire. Les études concluent systématiquement que l’impact à long terme des jeux violents sur l’agressivité des jeunes est proche de zéro.
« Nous demandons aux chercheurs individuels et aux associations professionnelles d’être plus ouverts sur la relation extrêmement faible observée dans les études longitudinales entre les jeux violents et l’agression des jeunes »
Conclusion du rapport de la Royal Society Open Science
Si ce lien est très mince, d’autres études ont montré des effets intéressants sur le comportement émotionnel au sens large. Des recherches menées en 2018 par l’université de Nouvelle-Galles du Sud ont par exemple révélé que les personnes qui jouaient fréquemment à des jeux vidéo violents étaient moins distraites par des images violentes dans d’autres contextes, un phénomène que l’auteur de l’étude a qualifié de « cécité induite par l’émotion ».
Enfin, une autre étude réalisée sur une période de 10 ans et publiée en décembre 2020 dans la revue Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking continue d’aller dans le sens de ce manque de corrélation entre jeu vidéo et violence. Un duo de chercheuses de la Brigham Young University (États-Unis) a réalisé une recherche portant sur 500 adolescents, filles et garçons, recrutés en 2007, les plus jeunes âgés d’environ dix ans à l’époque. Au moment de la publication des résultats, les volontaires avaient en moyenne 23 ans. L’objectif de cette étude était de déterminer si le fait de jouer à des jeux violents pendant l’adolescence pouvait entraîner des comportements agressifs à l’âge adulte. Les chercheuses ont adopté une approche centrée sur la personne afin d’obtenir une représentation plus précise de la relation entre les différentes variables et l’individu lui-même. Les 500 participants ont été répartis en trois groupes distincts. Dans le premier groupe, 4 % des volontaires ont joué à des jeux très violents dès leur adolescence. Le deuxième groupe (23 % des volontaires) a joué à des jeux modérément violents, tandis que le dernier groupe (73 % des jeunes) a joué à des productions considérées comme peu brutales.
Selon les résultats, les membres du groupe « jeux peu violents » ont progressivement évolué vers des jeux plus violents au fil du temps. De plus, relevons que les individus des deux premiers groupes étaient principalement des hommes. En conclusion, les chercheuses ont souligné une quasi-absence de comportement prosocial entre les trois groupes à la fin de l’expérience. Cependant, elles ont observé des niveaux plus élevés de comportement agressif lors de la dernière phase de test pour le groupe ayant joué à des jeux modérément violents.
Toutes ces études, réalisées sur plusieurs années et plusieurs milliers de participants tendent à démontrer qu’il n’existe pas de lien assez tangible entre les pratiques vidéoludiques, la violence, les agressions et le fait de passer à l’acte lors des tueries de masse. Toutefois, ces études restent limitées, aussi bien en terme d’échantillon de personnes, qui ne représenteront jamais la totalité des joueurs du monde, que de tranches d’âges des participants (comme dit plus haut, il n’y a presque aucune recherche réalisée sur des enfants de moins de 10 ans). Il est aussi important de nuancer ce propos amené par toutes ces études en portant un regard critique sur le médium même du jeu vidéo. Notre tendance première consiste effectivement à vouloir défendre le fait qu’il n’y ait pas de preuves scientifiques démontrant cette corrélation que les médias aiment tant. Toutefois, nous ne pouvons nier que le jeu vidéo tend à nous faire accepter la représentation de la violence et que son usage comme élément narratif est trop rarement réfléchi.
Quel blâme porter sur le jeu vidéo ?
Les réseaux sociaux nous exposent à la violence inhérente à notre humanité et à notre monde. Pendant ce temps, l’industrie vidéoludique a tendance à adoucir cette réalité avec certaines catégories de jeux. Mais comment définir « le pire » ? Comment ce médium parvient-il à nous faire accepter des situations horribles ? La complexité de cette question ne fait aucun doute, car « le pire » peut revêtir des formes subjectives. Nos angoisses, nos peurs et notre répulsion diffèrent d’un individu à l’autre, et nos réactions face à ces éléments sont tout aussi variées. Quand nous évoquons « le pire », nous faisons généralement référence à la notion de « violence » sous toutes ses formes : physique, psychologique, visuelle ou auditive.
Lorsque nous pensons aux jeux vidéo, nous avons souvent en tête des titres tels que GTA ou Call of Duty. La violence physique varie selon les genres. Tandis que GTA encourage une agressivité dite « gratuite », Call of Duty s’inscrit dans le cadre d’un conflit réglementé, avec des règles informelles. Même dans les moments les plus violents, la guerre est régie par des principes, même si certains sont oubliés. Des règles ont été établies lors de la Convention de Genève dès 1864. La violence visuelle est également présente. Le sang, la mort et les environnements perturbants sont monnaie courante dans l’univers des jeux vidéo. Par exemple, Scorn plonge les joueurs dans des graphismes étranges, inspirés des créations de Hans Ruedi Giger et Zdzisław Beksiński. Le sang et la mort sont des éléments récurrents dans ce médium, où le game over du personnage incarné par le joueur survient régulièrement, pouvant être considéré comme une forme de brutalité.
Il est aussi plus qu’important d’aborder la violence psychologique. Les paroles, les ambiances ou les idées représentées à l’écran peuvent toutes constituer une forme de brutalité symbolique allant à l’encontre des individus. Par exemple, représenter le régime nazi peut troubler certains joueurs, car cela peut être dérangeant… Les scènes de sexe peuvent également poser problème. Le rôle de l’industrie vidéoludique est donc de tenter de limiter ces formes de violence en les intégrant de manière logique. Il est essentiel de faire la distinction entre les jeux vidéo qui mettent en scène un univers fictif et ceux qui utilisent l’histoire comme trame principale.
Pour comprendre les différentes fonctions de ce médium, Michel Nachez et Patrick Schmoll soulignent que « la vision subjective précipite l’identification à l’agresseur« , notamment en ce qui concerne la violence physique. C’est dans cette position que le joueur peut se placer, par exemple, dans un jeu de tir à la première personne. Cependant, cette réflexion souvent simpliste mène à un raccourci célèbre : les jeux vidéo rendent les gens violents en atténuant cette agressivité à travers les genres du combat et de la guerre. En ce qui concerne les jeux vidéo historiques, prenons l’exemple du régime nazi. Représenter l’ennemi que nous combattons a souvent posé problème aux studios de développement, en particulier lorsqu’ils travaillent sur la période de la Seconde Guerre mondiale. Les studios ont une part de responsabilité dans leur travail de représentation du « pire ». Cependant, il est important que les joueurs prennent conscience de ce qu’ils voient. Le paysage vidéoludique détient à la fois une fonction ludique et pédagogique.
Dans leur vidéo « Pourquoi les JEUX sont DOMINÉS par les FLINGUES », Maxime et Hugo de la chaîne Game Next Door s’interrogent autour de la place prépondérante des armes dans le paysage vidéoludique qui soulève des questions légitimes. Ces arsenals sont devenus emblématiques du médium vidéoludique. Depuis les débuts de l’industrie, les flingues font partie intégrante des expériences vidéoludiques. Des premiers titres comme Spacewar!, qui proposait des vaisseaux spatiaux s’entretuant à coup de torpilles, jusqu’à la précision et la flexibilité inégalées acquise grâce à la souris, les armes à feu ont su évoluer et s’adapter aux nouvelles technologies. Le succès des jeux de tir à la première personne (FPS) est indéniable, que ce soit sur PC ou sur console. Leur concept simple et efficace, viser et tirer, a permis aux designers de créer des systèmes ludiques de plus en plus engageants. La gestion des points de vie, les dégâts infligés par des projectiles, la réflexion tactique et la personnalisation des armes offrent une expérience immersive et divertissante.
Les « flingues » dans les jeux vidéo sont souvent conçus avec un (grand) souci de réalisme. Certaines licences utilisent même des modèles 3D basés sur d’authentiques modèles, ce qui permet aux fabricants d’armes de bénéficier de royalties et d’accroître leur notoriété. Cependant, il est important de souligner que la plupart des placements de produits visent avant tout à faire connaître les produits, plutôt qu’à les vendre directement. La customisation de ces dernières et la recherche de designs uniques sont également des éléments clés dans les jeux vidéo. Les concepteurs ont su s’inspirer des pratiques de l’industrie de l’armement pour créer des répliques avec des visuels distinctifs, qui définissent ainsi l’identité de certaines licences. De plus, la diversité des mécanismes de tir, tels que le « hitscan » ou les projectiles, offre des possibilités de gameplay variées et stimulantes.
Malgré leur omniprésence, notre médium parvient souvent à traiter la violence avec légèreté. Les râles d’agonie et les scènes de souffrance sont généralement atténués pour privilégier le plaisir du jeu. Certaines productions offrent même aux joueurs des choix moraux et des conséquences en fonction de leurs actions, ce qui permet ainsi une réflexion plus profonde sur la brutalité. Les armes à feu dominent donc les jeux vidéo en raison de leur efficacité dans les mécaniques de gameplay, de leur adaptabilité aux nouvelles technologies et de leur capacité à offrir une expérience immersive et divertissante. Toutefois, il est important de rester conscient des débats éthiques et sociétaux qui entourent la représentation de la violence dans les jeux vidéo, ainsi que de l’influence potentielle sur les joueurs. Il est possible d’aller encore plus loin dans cette réflexion en se penchant sur quelques articles de VICE autour des armes et des jeux vidéos que la chaine Game Next Door a mis en lien de sa vidéo (présentée ci-dessous).
Dans une interview accordée à l’Éclaireur, Mathieu Triclot, philosophe et auteur de « Philosophie des jeux vidéo », remet en question l’idée selon laquelle les jeux vidéo seraient responsables de la violence. Il souligne que contrairement aux autres médias, le joueur est souvent un acteur de la brutalité virtuelle, sans conséquence réelles. Il explique que les effets de l’agressivité dans les jeux vidéo sont influencés par le contexte de pratique et les sociabilités qui l’entourent, ce qui est souvent plus puissant que les effets propres au médium en tant que tel.
Mathieu Triclot aborde également la thèse de la désensibilisation, soutenue par David Grossman, selon laquelle les jeux violents peuvent habituer les joueurs à résoudre les situations de manière violente. Cependant, il souligne que d’autres facteurs tels que la pauvreté, la dépression, l’alcoolisme, l’affiliation à un gang ou la structure familiale jouent également un rôle dans la violence sociétale. Il met en doute le mécanisme postulé par Grossman, affirmant qu’il n’y a pas de consensus clair dans le domaine de la psychologie sur cette question. Il considère que ces thèses font écho à de vieux discours sur les effets délétères des fictions, et souligne que les effets des fictions sur nos manières de vivre sont complexes et ne peuvent être réduits à un simple effet déterministe.
En ce qui concerne le plaisir pris à la violence dans les espaces virtuels, Mathieu Triclot explique que cela relève du paradoxe des fictions, où nous pouvons éprouver du plaisir à des émotions désagréables dans un cadre fictif. Il souligne que la brutalité dans les jeux vidéo est souvent un moteur narratif utilisé pour des histoires d’action où la justice est rendue par le protagoniste. Cependant, il invite à réfléchir davantage sur l’usage de la violence dans l’industrie vidéoludique et les messages qu’elle véhicule.
Enfin, le philosophe aborde la question des comportements toxiques et violents présents dans les communautés de jeu en ligne. Il rejette l’idée que ceux-ci permettent la libération les pulsions négatives des joueurs, mais plutôt que ces comportements sont liés à des phénomènes politiques et à la structuration de communautés d’extrême droite (en ligne) qui ont investi le médium vidéoludique. Mathieu Triclot encourage à considérer les jeux vidéo comme une culture ludique diverse plutôt que de les stigmatiser en les tenant responsables de la violence. Il souligne l’importance d’analyser les contextes de pratique et les sociabilités qui entourent ce médium pour comprendre pleinement leurs effets.
Les jeux vidéo ne rendent pas violent, c’est la société dans laquelle nous évoluons
Comme nous l’avons vu, il y a un schéma récurrent où l’industrie vidéoludique est souvent blâmés pour les fusillades de masse. Les médias pointent du doigt les jeux vidéo comme responsables, les politiques demandent des lois restrictives et le public s’inquiète de la dangerosité des médias pour les jeunes. Selon une étude sur la violence juvénile, les fusillades de masse impliquent des profils différents selon le lieu de l’agression. Les facteurs qui contribuent à cette agressivité sont multiples, tels que le rejet social, la pauvreté, la personnalité, l’exposition à la violence et l’accès aux armes. Ce rapport à la brutalité virtuelle est lié à des comportements violents, mais ce n’est pas le seul facteur déterminant. L’accès (trop) facilité aux armes à feu en est un exemple.
Les jeux vidéo violents ont été associés à des pensées, émotions et comportements plus violents, mais ces comportements restent dans les limites de la normalité quotidienne et ne conduisent pas directement aux fusillades de masse. La différence de degré entre les violences virtuelles et réelles est importante, et il ne faut pas confondre les deux. Le contexte social dans lequel les jeux vidéo sont consommés, ainsi que les modes coopératif ou compétitif, semble aussi influencer les comportements après la partie. Les mondes virtuels ne sont pas directement responsables des fusillades de masse, mais plus faciles à blâmer que le contexte social dans lequel ils sont intégrés.
La focalisation sur les jeux vidéo comme solution évidente aux problèmes de violence est un véritable cancer aujourd’hui, car cela permet d’éviter de traiter les véritables problèmes tels que la pauvreté et l’isolement social. Il faut nuancer les biais cognitifs, tels que le « biais de l’heuristique disponible », qui nous font surévaluer les informations répétées et chercher des informations qui confirment nos croyances préexistantes. Les débats publics sur les jeux vidéo et la violence sont souvent influencés par des biais cognitifs qui privilégient les similarités et les causalités simples, ce qui empêche de s’attaquer aux véritables problèmes sociaux.
En France, Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas hésité à tenir un double discours autour des jeux vidéo. On a pu le voir aussi bien promettre une « nouvelle ère » pour l’e-sport en France et accueillir en juin 2022 de nombreuses personnalités de ce milieu à l’Élysée, que profiter du Zevent de septembre 2022 pour afficher son soutien à l’évènement tout en faisant un green-washing version gouvernementale. Ce retournement de veste permanent devient fatigant pour l’industrie vidéoludique. Nous sommes passés d’une année où le président de la République apportait son soutien au monde vidéoludique, pour aujourd’hui ressortir ce bouclier afin de détourner l’attention du véritable sujet et débat lié à sa déclaration : le contexte socio-politico-culturel dans lequel d’inscrivent les émeutes françaises.
Le débat actuel se concentre principalement sur les mineurs, car il est reconnu que leur développement peut être influencé négativement par une exposition excessive à la violence. Cette théorie est tout à fait valable, et il est indéniable qu’un enfant de 11 ans ne devrait pas jouer à des jeux tels que GTA V sans aucune forme de surveillance. Il est légitime de pointer du doigt ce médium, mais il est tout aussi important d’aborder le rôle des parents dans cette situation. Une classification existe pour guider les acheteurs. Bien qu’on puisse regretter qu’elle ne soit pas plus présente et stricte, elle existe bel et bien. La PEGI (Pan European Game Information) fournit des recommandations pour les productions destinées aux enfants de 3 à 18 ans. On peut aussi s’interroger sur le rôle des revendeurs dans cette situation. En comparaison avec le cinéma, chaque salle peut refuser de vendre des billets à des enfants lorsqu’un film dispose d’une interdiction aux moins de 16 ou 18 ans en France. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce modèle pour l’industrie vidéoludique ? (On connait déjà la réponse : l’argent). Lors de la sortie de Read Dead Redemption, l’un des développeurs de Rockstar a été très clair sur la vente aux mineurs en déclarant :
« Nos jeux ne sont pas conçus pour un jeune public. Si vous êtes un parent et que vous achetez l’un de nos jeux pour votre enfant, alors vous faites preuve d’une mauvaise parentalité. »
Rockstar
Il est important de reconnaître que les jeux vidéo peuvent potentiellement jouer un rôle dans certaines formes de violence, mais il ne faut pas nier les pathologies sous-jacentes avérées qui sont responsables des comportements explicitement violents. Milena Riva, neuropsychologue et docteur en psychologie cognitive, souligne que la violence d’une oeuvre vidéoludique ne peut être considérée comme le seul facteur responsable, mais il est également essentiel de ne pas négliger son possible rôle de catalyseur chez les enfants, les adolescents et les adultes dont le fonctionnement psycho-cognitif ne leur permet pas de faire la distinction nécessaire entre le réel et le virtuel.
En réalité, les jeux vidéo ne sont probablement pas la cause première de ces pathologies, tout comme le cinéma ou tout autre média. La tendance à stigmatiser systématiquement notre forme de divertissement préférée est donc une simplification excessive. Nous vivons dans une société violente, sans même avoir à regarder dans les mondes virtuels. Dans le cas spécifique de la fusillade de Sandy Hook, accuser les jeux vidéo serait une immense hypocrisie dans un pays où la vente d’armes est légale. Cependant, compte tenu du puissant lobby de ces dernières, il est peu probable que des changements significatifs se produisent.
L’étape suivante est de savoir quels sont les avantages de jouer à des oeuvres vidéoludiques pour nous. Outre l’améliorationle renforcement de valeurs morales de la moralité, les jeux vidéo améliorent et développent nos capacités cognitives. Des études ont montré que les joueurs sont meilleurs élèves et aptes à apprendre plus d’informations que la moyenne.
« 3000 jeunes enfants de six pays européens (ayant) une utilisation élevée des jeux vidéo (plus de 5 heures par semaine) (étaient) significativement associés à un meilleur fonctionnement intellectuel, à de meilleurs résultats scolaires, à une moindre prévalence des problèmes de relations avec les pairs et à une moindre prévalence des difficultés en matière de santé mentale ».
School Children Mental Health Europe project
En outre, healthygamer.gg présente des dizaines d’études scientifiques qui mettent en évidence différentes aptitudes cognitives positives, telles que l’attention, la mémoire, l’apprentissage, la résolution de problèmes, la conscience spatiale et la prise de décision. Les étudiants qui ont un exutoire sain, comme être membre d’un club de sport électronique ou de trouver le temps de s’évader dans un espace virtuel pendant un moment, obtiennent de meilleurs résultats scolaires et sociaux. Bien qu’un excès de tout puisse mener à la ruine, il est temps de mettre fin au vieux mantra selon lequel « les jeux vidéo pourrissent le cerveau ».
En parlant de cerveau, les jeux vidéo sont probablement l’un des meilleurs exercices cérébraux existants parce qu’ils sont ingénieusement enveloppés dans des objectifs amusants et des mondes luxuriants. Une étude menée par six chercheurs sud-coréens a analysé des années de données antérieures et de nouvelles informations montrent que les jeux vidéo améliorent les fonctions cognitives « mieux que les méthodes d’apprentissage conventionnelles en transmettant l’information d’une manière différente de celle des médias traditionnels ». Étant donné que la télévision et les films n’incitent pas le spectateur à faire progresser activement l’histoire par le biais de sa propre découverte physique, les jeux vidéo apprennent au cerveau de diverses manières que la plupart des médias ne peuvent pas exploiter.
Une autre motivation majeure est l’attrait d’une pause mentale. D’après ces treize études, les jeux vidéo occasionnels en particulier « peuvent être prometteurs pour traiter l’anxiété, la dépression, le stress et la mauvaise humeur« . Ils ne devraient pas remplacer une attention médicale nécessaire, mais peuvent offrir à votre cerveau une expérience à la fois relaxante et stimulante.
Bien qu’il ait été prouvé que les jeux vidéo violents sont déconnectés de l’agression et de la violence armée tout en favorisant une stimulation cérébrale saine et une amélioration cognitive, ceux-ci peuvent toujours générer une dépendance puisque l’Organisation mondiale de la santé a reconnu en 2019 le « trouble du jeu » comme une maladie répertoriée. En s’engageant à faire des pauses, en sortant, en lisant, en pratiquant un sport ou tout autre passe-temps qui permet de prendre l’air loin des écrans, nous pouvons mieux profiter des oeuvres vidéoludiques, qu’elles soient violentes ou non, car elles restent une excellente forme d’art et de divertissement.
Cette perception liant ce médium et violence occulte les nuances et ignore les multiples facteurs qui contribuent à la brutalité dans notre société. Elle détourne l’attention des véritables problèmes sous-jacents tels que les inégalités socio-économiques, les problèmes de santé mentale, la désintégration des communautés et le manque d’accès à l’éducation et aux ressources. Les jeux vidéo ne sont pas des entités indépendantes agissant de manière autonome sur les individus. Ils sont le reflet d’une culture, d’une société et de ses préoccupations. Ils sont un produit de notre temps, façonnés par les valeurs, les influences artistiques et les aspirations collectives.
Il est crucial de ne pas réduire les jeux vidéo à de simples agents de corruption ou à des catalyseurs de violence. Ils peuvent également être des outils d’expression artistique, de narration immersive, de développement cognitif et de socialisation. En outre, la grande majorité des joueurs jouit de ces expériences virtuelles sans que cela n’engendre de comportements violents dans la réalité. Il est temps de dépasser les préjugés simplistes et de promouvoir une réflexion critique, basée sur des preuves solides et une compréhension nuancée, pour aborder la question complexe de la violence dans les jeux vidéo. Cela nécessite une analyse rigoureuse des études scientifiques, une évaluation des facteurs contextuels et une prise de conscience des responsabilités partagées entre l’industrie vidéoludique, les parents, l’éducation et la société dans son ensemble.
Réduire la violence dans la réalité à la simple influence des jeux vidéo est une simplification excessive qui nous éloigne de la véritable compréhension du problème. Pour faire face aux défis de notre époque, il est impératif d’adopter une approche plus nuancée, d’encourager des discussions constructives et d’explorer des solutions plus exhaustives qui tiennent compte de la complexité de ces problématiques sociétales.