Viewfinder semble se tailler une place dans le panthéon des casse-têtes surréalistes en perspective. Laisse-t-il un impact durable comme une image que l’on garderait dans un album photo pour la vie, ou est-ce une image temporaire que l’on effacerait de son téléphone pour libérer de la mémoire ? Dans Viewfinder, le premier jeu du studio Sad Owl Studios, vous résolvez des puzzles en trouvant la bonne façon de voir les choses, à la fois en vous déplaçant physiquement dans ses espaces 3D abstraits et en vous creusant les méninges autour d’un ensemble de règles déroutantes. La perspective est essentielle, car il s’agit d’un monde où vous pouvez donner vie à des photos, l’image en 2D devenant une réalité en relief lorsque vous la placez dans l’univers du jeu.
C’est une accroche incroyable jamais vue dans un jeu de puzzle auparavant. Il y a des échos de Gorogoa, Superliminal, voire de la logique de Humanity mais les puzzles de Viewfinder, qui donnent le vertige, lui sont tout à fait propres. Il impressionne dès le départ et continue à sortir des tours de son chapeau tout au long des quatre heures de son aventure. Comme tous les grands jeux de puzzle, il commence simplement : il vous donne une photographie d’un pont et vous oriente vers un endroit où cette même structure pourrait se trouver. Vous soulevez la photo, l’alignez à peu près à l’endroit où vous aimeriez qu’elle soit, et voilà, vous avez un vrai pont, qui sort de la photo et se retrouve dans le monde physique du jeu.
Le but de chaque puzzle de Viewfinder est de naviguer dans un espace pour atteindre un téléporteur qui vous permettra de passer au niveau suivant. Il y a des niveaux centraux avec des chaînes de puzzles, qui, lorsqu’elles sont toutes résolues, déverrouillent le niveau suivant. Pour atteindre chaque téléporteur, vous aurez besoin de l’aide de vos photos magiques. Lorsque vous tenez une photo devant vous, les structures et les objets qu’elle contient se matérialisent dans le monde qui s’offre à vous.
Rapidement, bien sûr, Viewfinder introduit des complications. Le téléporteur nécessite maintenant une batterie. C’est assez simple : voici une photo d’une pile. Placez-la dans le décor, et elle est à vous. Vous finirez par posséder un appareil photo, qui vous permettra de découvrir le véritable potentiel de Viewfinder : l’observation et la recherche de ce qui doit être reproduit pour pouvoir continuer.
Un arc narratif contemporain mais sous exploité
Des comparaisons avec Portal apparaissent rapidement, surtout lorsque le jeu montre son histoire principale. Au début du jeu, vous créez accidentellement une erreur dans la simulation qui révèle le véritable décor. Finis les lieux chaleureux parsemés de canapés et de snacks. Alors que vous êtes extrait de la simulation, vous vous retrouvez à errer dans une structure froide et brutaliste, surplombant une ville à l’horizon couvert d’un air rouge et poussiéreux. Viewfinder est un film de science-fiction, mais plus proche du réalisme qu’on ne voudrait le reconnaître.
Vous réglez rapidement le problème qui vous a éjecté de la simulation et vous retournez dans le monde des photographies. Cependant, vous ne vous engagez pas dans la réalité virtuelle pour des raisons d’évasion. Quelque part dans ce monde numérique, vous dit-on, se trouve la solution à la crise climatique. Il s’agit d’une mise en place assez dramatique, renforcée par de nombreux carnets de notes à lire et des journaux audio à écouter, comme c’est généralement le cas dans ce type de jeu. Il y a aussi un félin parlant nommé Cait, rappelant le chat de Cheshire d’Alice aux Pays des Merveilles, qui discute avec vous tout au long de votre voyage (oui, vous pouvez caresser le chat).
Cet habillage narratif n’est pas aussi époustouflant que les énigmes, mais il constitue tout de même une belle toile de fond pour le monde. Le fait que chaque niveau principal appartienne à un chercheur spécifique et agisse comme une fenêtre sur sa personnalité est extrêmement plaisant. L’un d’entre eux semble avoir un penchant pour les sucreries si l’on en croit tout le chocolat, le thé et les gâteaux exposés, tandis qu’un autre adore les plantes et a transformé son monde en un gigantesque jardin. Ils semblent tous être de bons amis et laissent de jolies notes autocollantes les uns pour les autres. Un désordre général dans les espaces de ces chercheurs donne à chaque zone l’impression d’avoir été aimée et habitée. Tout cela est très apaisant, jusque la musique très charmante du menu. On a cette impression étrange de voguer d’un esprit à l’autre, comme si nous sautions d’un rêve au suivant pour comprendre l’histoire globale.
Tordre la réalité
Les règles des puzzles changent avec le temps. Parfois, vous devez prendre des photos vous-même, d’autres fois, vous ne pouvez utiliser que celles que vous trouvez dans le niveau. D’autres fois, votre appareil peut prendre cinq clichés, mais dans les énigmes particulièrement difficiles, il n’en aura qu’un. Les téléporteurs ont souvent besoin d’une source d’énergie, ce qui signifie que vous devrez trouver et collecter des piles tout au long du parcours. Les règles peuvent changer dans chaque série d’énigmes, mais elles restent toutes merveilleusement étranges, totalement décalées et satisfaisantes à résoudre.
Les images de Viewfinder ont la particularité d’utiliser parfois différents styles artistiques. Le monde du jeu utilise des couleurs vives et éclatantes ainsi qu’une esthétique futuriste. Cependant les joueurs peuvent le perturber avec des photographies en noir et blanc, des dessins au crayon, des peintures à l’aquarelle et d’autres éléments uniques qu’il n’est pas question de dévoiler ici. Les objets, une fois correctement placés, peuvent également déchirer le terrain, ce qui permet au joueur de littéralement remodeler le monde autour de lui avec des couleurs et des objets différents lorsqu’ils relèvent les défis du jeu.
Est-il étrange de dire que Viewfinder nous donne l’impression d’être des magiciens ? C’est un jeu tellement ludique qui ne demande qu’à être joué, et qui peut devenir vraiment fou dans les derniers niveaux. Lorsque l’on réalise pleinement le pouvoir que l’on exerce, on commence à regarder le monde différemment. Après plusieurs niveaux, on ne peut s’empêcher d’imaginer tout ce qu’il est possible de faire avec notre environnement, et on se prend à vouloir retourner notre univers comme un rêve d’Inception.
Si Portal consiste à créer des ouvertures permettant de parcourir le monde, Viewfinder consiste à créer des mondes permettant de parcourir des ouvertures. À la fin du jeu, les niveaux vont bien au-delà du simple « faites un pont avec une image de pont » et entrent dans un territoire beaucoup plus compliqué et satisfaisant. Nous avons plusieurs fois été bluffés par certains puzzles, nous retournant les méninges pendant de longues minutes, jusqu’à être ébahis devant l’inventivité de la solution.
C’est une prise de conscience subtile, mais qui a un impact. Nous commençons par créer de simples rampes et ponts, mais à la fin, nous démontons et reconstruisons des niveaux entiers, remplaçant l’architecture initiale par nos propres idées. Certains des puzzles se complètent d’une manière tellement bizarre que nous avons l’impression que quelqu’un a écrasé un tas de croquis de MC Esher.
Ce n’est que l’une des idées les plus étranges de Viewfinder, mais elles évoluent dans bien d’autres directions. Dans une série de puzzles, vous découvrez que lorsque vous placez une photo, ce n’est pas seulement la surface de l’image qui se matérialise, mais le monde entier qu’elle contient. Vous avez pris une photo d’un labyrinthe ? Placez-la dans le monde et vous pourrez vous y déplacer et trouver une récompense au cœur du labyrinthe. Chaque photo est son propre espace à explorer, comme une porte d’entrée vers un autre monde.
Un objectif court mais énergique
On sent qu’un effort a été fait pour que les salles de puzzle soient courtes, avec des solutions qui peuvent être exécutées rapidement. Grâce à cela, Viewfinder n’est jamais ennuyeux, mais la nature restreinte des niveaux et le rythme auquel de nouvelles mécaniques sont introduites peuvent donner l’impression que certaines d’entre elles sont sous-exploitées. La découverte de quelques mécanismes en fin de jeu est un véritable moment de surprise, mais on ne peut s’empêcher de penser que ces moments sont éphémères, car après quelques niveaux, le générique de fin défile et on pense à toutes les possibilités d’énigmes qui n’ont jamais vu le jour.
Parfois, nous avons l’impression que Viewfinder ne fait qu’effleurer la surface de ce qu’il est possible de faire avec sa technologie dans un contexte de puzzle, ce qui est compréhensible, car la faire fonctionner est un exploit en soi, et l’appliquer à des puzzles qui ont du sens et qui ne peuvent pas être fondamentalement cassés est une tâche énorme – une tâche que Sad Owl Studios a définitivement réussie ici. Toutefois, il n’y a pas cette couche supplémentaire époustouflante qui vous récompense de sortir des sentiers battus, comme dans des jeux tels que The Talos Principle et ses énigmes en étoile, ou The Witness et ses puzzles environnementaux. L’absence de ce niveau de défi supplémentaire signifie que le jeu n’atteint pas les sommets de certains des meilleurs jeux de puzzle à la première personne, ce qui est décevant, car les mécanismes sont parfaits pour repousser les limites du possible.
Ce type de jeu s’est progressivement transformé en un genre à part entière, et il est intéressant de considérer l’impact que chaque jeu a eu sur ceux qui l’ont suivi. Viewfinder se place facilement au-dessus de jeux sortis ces dernières années, comme Manifold Garden, Superliminal et Maquette. En outre, il nous questionne sur ce que ce genre de jeux doit proposer pour se démarquer et faire avancer l’idée des jeux de puzzle qui manipulent la réalité.
Il est fantastique que des développeurs apportent de nouvelles idées et de nouvelles technologies, car nous voulons voir les limites repoussées dans le genre des jeux de réflexion à la première personne. Par ailleurs, il est peut-être temps d’accepter que les sentiments que nous avons eu en découvrant des jeux novateurs comme Portal et Antichamber ne seront peut-être jamais reproduits, et qu’il n’est peut-être pas juste de s’attendre à ce qu’ils le soient.
CONCLUSION
Viewfinder est magique, mais aussi éphémère. Même avec les puzzles optionnels, vous pouvez facilement terminer l'ensemble en deux ou trois soirées, et le jeu n'exploite jamais vraiment la promesse de l'appareil photo, la promesse de se perdre dans une image après l'autre. Chaque niveau est personnalisé, minuscule, même si la toute dernière séquence, une course chronométrée à travers une succession de puzzles, laisse entrevoir un potentiel plus grand. Les possibilités offertes sont ahurissantes et nous en redemandons. Que vous soyez un joueur de puzzle occasionnel ou expérimenté, Viewfinder mérite une place dans l'album photo des titres incontournables de l'année.
LES PLUS +
- Un jeu de puzzle unique en son genre
- Une utilisation intelligente de la perspective
- Une prise en main facile
- Un jeu (trop) rapide et efficace
- Un gameplay addictif
LES MOINS -
- ... mais qui pourrait être approfondi
- Une durée de vie un peu courte
- Certains puzzles mériteraient plus de complexité