Final Fantasy XVI est sorti depuis plusieurs semaines, et autant dire qu’il a suscité autant d’excitation que de réserves. Si de nombreux fans le voient comme le titre qui va redonner tout son prestige à la licence, certains pointent du doigt ses maladroites velléités de changement, à commencer par son gameplay résolument tourné vers l’action débridée, mais dépourvu de réelle difficulté. La présence de Ryota Suzuki, en tant que directeur du système de combat, a suscité de nombreux espoirs tant il avait impressionné l’industrie grâce à son travail sur Devil May Cry V. Malheureusement, la nouvelle orientation n’est pas une réussite totale, et cela a déjà commencé à cristalliser toutes les peurs d’une partie des fans qui craignent de voir la licence définitivement tourner le dos à son identité. Cependant, quand on prend le temps de se pencher sur l’histoire de la saga, il est aisé de constater que l’essence de Final Fantasy est délicate à saisir. Georges Moustaki chantait à la gloire de la révolution permanente dans les années 1970, une formulation qui sied à ravir à la création de Hironobu Sakaguchi, tant elle semble habitée par ce besoin constant de nous surprendre et de se réinventer à chaque épisode.
La série naît en toute humilité en 1987. La légende raconte qu’elle tient son nom de la situation financière délicate de son éditeur japonais, Square, qui jouait alors sa dernière carte. Contre toute attente, l’épisode fondateur de la série a donné naissance à un phénomène tentaculaire qui a laissé son empreinte aux quatre coins du monde. Elle est sans conteste l’une des sagas les plus prestigieuses de l’industrie vidéoludique, et trône fièrement aux côtés d’autres univers iconiques tels que ceux de The Legend of Zelda et Metal Gear Solid. Final Fantasy a connu de nombreux changements tout au long de son histoire. Chaque itération de la série apporte avec elle une nouvelle vision de la part de l’équipe de développement. Quand un nouvel épisode sort, le joueur sait qu’il va découvrir un univers entièrement inédit, en compagnie de personnages dont il ne sait absolument rien et qu’il va apprendre à connaître. Il y a un vrai travail de création, car chaque monde parcouru a sa propre histoire, qui remonte parfois sur plusieurs millénaires.
Cet aspect fluctuant se retrouve partout, aussi bien dans la musique que dans les systèmes de combat. La série a toujours évolué et ce changement a été nécessaire pour qu’elle puisse traverser les décennies. Ainsi, tout le monde défend « son » Final Fantasy, car chacun des épisodes de la série est une œuvre à part entière. Il n’est pas rare d’adorer un épisode et de ne pas accrocher au suivant. Chaque nouvel opus est souvent vécu comme une trahison lors de son annonce et impose le constat suivant : la saga Final Fantasy n’est jamais plus fidèle à sa nature que lorsqu’elle s’affranchit du passé, car rien n’est permanent si ce n’est le changement.
NB : Ce dossier est agrémenté de citations de la rédaction Final Fantasy World, référence sur Final Fantasy en France et qui nous a fait l’amabilité de répondre à quelques-unes de nos questions.
Innovation et tradition
Final Fantasy est une série particulière qui peut effrayer plus d’un néophyte à cause de sa longévité. Il n’est pas rare de voir des joueurs renoncer à découvrir la licence, car ils ne se sentent pas capables de rattraper leur retard et d’ingurgiter plus d’une dizaine de jeux. Ceux qui se laissent décourager par le nombre d’opus passent malheureusement à côté de la spécificité de la saga. Bien que chaque titre soit numéroté, il n’existe aucune continuité d’un épisode à l’autre, sauf pour de rares exceptions, comme Final Fantasy X et X-2, ainsi que pour la trilogie autour de Final Fantasy XIII. Chaque nouvel épisode présente un univers unique avec sa propre mythologie et ses propres personnages, ce qui permet d’aborder la saga dans le sens que nous désirons. Si Final Fantasy XVI vous fait de l’œil, vous n’avez donc aucune obligation de rattraper les aventures du prince Noctis ou de Cloud Strife. Toutefois, et c’est là que la création de Sakaguchi fait fort, il y a une forme d’unité subtile qui permet de lier tous ces univers sous une seule et même bannière.
Un élément marquant de cet esprit de tradition imperceptible d’un épisode à l’autre est bien évidemment la musique. Si chaque Final Fantasy nous régale avec des compositions musicales uniques et des sonorités différentes, il y a certains morceaux qui ont su traverser les opus, sous différentes formes. Le plus connu d’entre eux est le thème du Prélude, composé il y a plus de trente ans par le légendaire compositeur Nobuo Uematsu. C’est probablement l’une des musiques les plus iconiques de notre médium. C’est un morceau simple qui a été composé en moins de deux heures, et c’est justement sa simplicité qui lui a permis de traverser les années en se renouvelant de manière subtile afin d’épouser à la perfection les évolutions de la saga. C’est une progression flottante et éthérée de notes qui permettent de plonger directement le joueur dans l’univers des jeux en ouvrant son cœur à la magie et au rêve. Le thème du Prélude est représentatif de l’évolution de la licence, et a ainsi connu plus d’une dizaine de réinterprétations, sous forme d’orchestration épique, de chorale divine, et même de musique électronique. Ce morceau, qui a commencé comme simple musique d’ouverture du premier Final Fantasy, est désormais indissociable de la saga, au point d’être plus populaire que le thème principal officiel de cette dernière.
Le bestiaire est un autre aspect récurrent de la licence créée par Square et certainement l’un des points qui revient le plus lors de discussions entre connaisseurs, car certaines créatures sont intimement liées à Final Fantasy. Nous pensons notamment aux dangereux béhémoths ou aux bombos. Si chaque nouvel opus apporte son lot de monstres inédits, il y a toujours la possibilité de croiser la route de ces créatures qui sont presque devenues des mascottes. Toutefois, il est important de souligner que toutes les créatures imaginées ne sont pas forcément dangereuses. En effet, Final Fantasy bénéficie de quelques mascottes particulièrement attachantes comme les mogs ou les iconiques chocobos. Cette autruche à plumes jaunes est apparue pour la première fois dans Final Fantasy II comme moyen de transport pour éviter les combats aléatoires lors des longs trajets. Sa présence est devenue peu à peu totalement indispensable, c’est pourquoi nous le retrouvons de manière systématique, même lorsqu’il est impossible de monter dessus. Ces oiseaux font partie du décor, peu importe que nous soyons plongés dans un univers steampunk ou d’heroic fantasy.
Les invocations sont également caractéristiques de la série, bien qu’elles apparaissent telles que nous les connaissons à partir de Final Fantasy III. Elles sont rarement appelées de la même façon d’un épisode à l’autre. Chimères, Éons, Primordiaux ou encore Espers, elles sont parfois d’une importance scénaristique capitale, comme cela peut être le cas dans Final Fantasy X, et d’autres fois elles sont justes là pour servir d’attaques surpuissantes au joueur, à l’instar de Final Fantasy VII où elles n’apportent strictement rien au lore. Dans Final Fantasy XV, les invocations sont décrites comme des divinités qui s’amusent avec le monde des Hommes, car elles sont responsables de la tragédie millénaire opposant Noctis et Ardyn. À l’image des jeux, elles trouvent toujours le moyen de nous surprendre alors que nous pensons tout savoir de ces entités. À chaque chimère correspond généralement un élément naturel : la glace pour Shiva, le feu pour Ifrit, la foudre pour Ramuh, la terre pour Titan, ou encore l’eau pour Léviathan. L’entité la plus connue, même auprès de ceux n’ayant jamais touché à un jeu de la saga, est le dragon Bahamut, qui symbolise la toute-puissance et qui était présent dans le tout premier épisode de la licence en tant que roi des dragons.
Le sens de la tradition au sein de Final Fantasy s’opère même sur des choses assez anecdotiques en apparence. Certains personnages reviennent de façons plus ou moins récurrentes à travers les différents épisodes. Ils ne sont évidemment pas les mêmes individus, mais ils restent affublés du même nom et de fonctions plus ou moins similaires. Par exemple, il y a le duo formé par Biggs et Wedge. Nous pouvons les retrouver comme soldats impériaux dans Final Fantasy VI, comme membres d’Avalanche dans Final Fantasy VII, ou encore comme joueurs de Blitzball pour les Besaid Aurochs dans Final Fantasy X. Sakaguchi, en grand fan de Star Wars, a pris plaisir à en faire un binôme récurent. Cid est l’autre personnage qui apparaît sous de multiples formes à travers les opus de la licence. Il est là depuis le tout début, mais n’a été que deux fois parmi les personnages jouables. Il est très souvent associé à la mécanique, car il est soit le créateur du vaisseau qui nous permet de voyager à travers la mappemonde, soit son pilote, soit celui qui nous le cède. Toutefois, il a parfois un rôle bien plus important, comme c’est le cas dans Final Fantasy VI où il est particulièrement lié au personnage de Celes.
À propos du sens de la tradition et de l’histoire dans Final Fantasy, voici les mots que voulait en dire Jérémie, de Final Fantasy World :
Il existe plein de manières de définir Final Fantasy, et chaque joueur a sa propre interprétation. Le fait est que la plupart des tentatives pour trouver une définition concrète sont vaines, car les épisodes sont si variés qu’ils échappent à une classification trop précise. C’est vrai qu’il y a les chocobos, les mogs, le personnage de Cid, certaines musiques… Mais ce ne sont que de minuscules éléments dans des jeux qui sont en fait totalement neufs !
Alors plutôt que de chercher à établir une liste restreinte, l’explication la plus satisfaisante reste celle donnée par Hironobu Sakaguchi lui-même. Sa définition de Final Fantasy est : « ce qui naît lorsque, ayant arpenté de nombreux chemins sur lesquels personne n’a jamais posé le pied, des gens déterminés atteignent enfin un objectif commun. » Tout est important dans cette phrase. Quand il parle des chemins que personne n’a exploré, il veut dire que chaque nouveau Final Fantasy doit aller jusqu’au bout de sa propre idée, car l’épisode suivant pourra librement en explorer une autre. Quand il parle des gens déterminés, il veut dire que le plus important restera toujours l’identité et la conviction des concepteurs. Enfin, l’objectif commun signifie que, malgré leurs différences, les développeurs doivent œuvrer à un résultat unique et cohérent.
En tant que créateur, Sakaguchi a toujours voulu unir des talents hétéroclites dans l’espoir que cela donnera un jeu plein de caractère. C’était très facile à l’époque de la NES et de la Super NES, car l’équipe de développement allait de dix à trente personnes à peine, donc chacun pouvait apporter sa pierre à l’édifice. C’est plus compliqué aujourd’hui, car les équipes comptent plusieurs centaines de personnes très spécialisées. C’est d’ailleurs la difficulté de se réunir autour d’un même concept qui a entraîné un flottement à l’époque de Final Fantasy XIII et de la première version de Final Fantasy XIV. Un grave manque de communication et de renouvellement des méthodes de travail ont gravement restreint les possibilités de ces épisodes, ce qui a nécessité une importante remise à plat, notamment illustrée par la refonte intégrale de FFXIV. L’équipe de Final Fantasy XV avait réussi à se réunir autour d’un même concept, celui du monde ouvert et du road trip, mais le projet était trop boursouflé, trop affecté par sa longue genèse pour atteindre un résultat satisfaisant.
C’est grâce aux enseignements tirés de ces épisodes contrariés que les développeurs ont réussi à reprendre pied, avec le très réussi Final Fantasy VII Remake, qui est pleinement maîtrisé en termes de technique et de mise en scène. Aujourd’hui, c’est Final Fantasy XVI qui a été conçu autour d’un concept fort, basé sur son histoire et son héros Clive. De ce point de vue, il me semble déjà évident qu’il honore la définition de Hironobu Sakaguchi en allant jusqu’au bout de sa propre idée.
Jérémie de Final Fantasy World
Il est difficile d’expliquer ce qu’est l’esprit de la saga pour un non-initié, car c’est une multitude de petites choses qui le constitue. Un Final Fantasy se ressent, et ces éléments, parfois minimes, qui se transmettent au fil des épisodes, donnent au joueur le sentiment d’être en territoire connu. C’est ce rapport particulier à l’innovation et à la tradition qui permet aux différents jeux de la licence de constituer une seule mythologie aux visages multiples.
La mythologie ou l’éternel retour
Découvrir un Final Fantasy est toujours un moment très particulier au cours duquel une petite musique nous porte jusqu’à un menu épuré qui nous permet de lancer cette fameuse « Nouvelle partie ». Nous sommes alors dans l’ignorance la plus totale, prêts à découvrir un monde dont nous ne savons rien, abritant des peuples aux cultures diverses et variées, porteur de sa propre histoire, souvent étalée sur plusieurs siècles. Chaque épisode est un récit mythologique semblable aux grands écrits grecs, nordiques, celtes, asiatiques ou sumériens. Les créateurs de ces univers n’hésitent d’ailleurs pas à piocher des concepts et des noms issus de ces marqueurs fondateurs de la culture mondiale. Ifrit, que nous pouvons vulgairement désigner comme l’invocation du feu, est directement inspiré de la culture arabo-musulmane où il y est référencé comme un Djinn de feu (un esprit). Il en est de même pour Shiva qui renvoie directement à la culture hindoue, même si sa fonction y est différente, ou à Sephiroth dont le nom et les thématiques en lien avec la vengeance et la quête de divinité renvoient directement à la Kabbale de la culture judaïque.
La saga japonaise ne se contente pas d’utiliser ces références de façon superficielle. Le but est de créer une première couche familière pour le joueur, en utilisant des concepts ou des noms qui lui évoquent vaguement quelque chose. Cela permet de le faire rentrer en douceur dans ces univers, tout en évitant de le noyer sous une avalanche de mots abstraits qu’il n’a jamais entendu de sa vie. Si chaque Final Fantasy est un retour à zéro, une ode à l’imagination et au rêve, il est pourtant clair que la licence raconte essentiellement de vieilles histoires. Ce n’est ni plus ni moins que l’éternel conflit entre le bien et le mal qui sert de terreau à l’ensemble de l’œuvre de Sakaguchi et de ses héritiers. L’histoire du jeune héros que personne ne voyait accéder à une destinée hors du commun est vieille comme le monde. Le Héros aux mille et un visages de Joseph Campbell est un écrit parfait pour comprendre cette récurrence des archétypes dans les récits que se racontent les hommes depuis la nuit des temps. Cette théorie du monomythe établie par le mythologue américain a été appliquée dans la construction de nombreux récits contemporains, pour le meilleur comme pour le pire. Final Fantasy s’inscrit dans cette droite lignée.
Comme le souligne Rémy Lopez dans son ouvrage Le Monde Selon Final Fantasy : Le RPG Japonais Comme Mythe Moderne, les scénaristes de la saga ne piochent pas de vieilles histoires en se contentant de changer les noms pour nous faire suivre les aventures de héros aux coupes de cheveux hirsutes qui se baladent à dos de chocobos. Ce qui les intéresse, c’est le côté intemporel de ces grandes histoires qu’il est possible de tordre à volonté et de dissoudre dans tous les récits initiatiques. Final Fantasy est le mythe moderne par excellence, qui s’approprie des images archaïques pour les mettre en scène selon les codes de notre époque. En utilisant ces archétypes mythiques, les scénaristes peuvent créer des personnages qui sont à la fois familiers et nouveaux. C’est ce qui procure cette aura si particulière à la licence, car elle nous narre des choses instinctives, enfouies au plus profond de nous. Peu importe que nous ayons lu Shakespeare, Homère, ou que nous connaissions l’intégrale des récits monothéistes, il y aura toujours un élément qui fera écho en nous. Il y a une universalité dans le parcours d’un inconnu qui devient l’incarnation du sauveur, ainsi que dans la tragédie d’un prince ou d’un élu qui doit aller au-devant de sa destinée. Les Final Fantasy sont souvent remplis de symbolisme et de métaphores qui rappellent inconsciemment les mythes et légendes de notre enfance.
Final Fantasy peut ainsi autant se dérouler dans un univers futuriste et crasseux comme celui de l’épisode VII, que dans un univers classique d’heroic fantasy à l’image du premier opus. Cette intemporalité des symboles est une force et permet de nourrir de façon continue une imagination sans limite. Ce qui compte, ce sont les épreuves traversées par nos héros en plein développement. Nous pouvons facilement créer des ponts avec celles que nous traversons dans la vie de tous les jours. Si nous prenons sa substance, l’histoire de Cloud Strife n’est jamais que celle d’un jeune garçon ayant quitté sa campagne natale et qui a dû faire face à la triste réalité d’un échec. Il n’est pas devenu l’homme qu’il aspirait à être quand il était enfant et toute la narration autour de lui peut être résumée au fait de s’accepter en tant qu’individu. En outre, le pèlerinage de Tidus et Yuna à travers Spira est aussi une métaphore du passage à l’âge adulte et de l’affranchissement vis à vis d’un héritage paternel bien trop lourd à porter.
Ce genre de simplification peut être fait pour tous les épisodes de la saga et c’est ce qui les rend si mémorables. En effet, ils ne parlent pas que de vaillants héros devant abattre le mal incarné, mais bien d’êtres humains qui doivent affronter les mêmes épreuves psychologiques que nous, tout en luttant contre des individus mentalement détruits par des questionnements identitaires familiers. Sephiroth est-il le mal absolu ou la victime d’un monde cruel qui a cru pouvoir l’exploiter dans une vaine quête matérialiste ? Au même titre que Kuja est plus l’incarnation de la peur millénaire de l’homme pour sa condition de mortel qu’un individu en quête de chaos. Final Fantasy est conscient de sa nature de récit mythologique moderne et c’est pour cela que la saga peut se réinventer autant qu’elle le souhaite. Peu importe le contexte ou les héros, ce qui compte, c’est de continuer à délivrer ces récits structurants qui permettent de donner du sens à nos questionnements. La création de Sakaguchi est irrationnelle et immortelle, car elle est un vecteur de la richesse culturelle et philosophique de l’humanité.
Des univers aux philosophies différentes
Créer des univers différents pour chaque Final Fantasy force le respect, cela démontre une capacité créative hors du commun pour réussir à faire cela de façon constante sur bientôt presque quatre décennies. Cependant, ce qui rend la licence si fascinante n’est pas tant cette faculté à créer des mondes fictifs, mais bien la manière dont ces contrées imaginaires prennent racine dans des concepts philosophiques et spirituels différents. Jouer à un épisode de Final Fantasy, c’est s’initier à de longs récits traitant de la nature de l’humanité, de la religion, de l’identité, de la mort et de la moralité. Des thèmes reviennent de façon plus ou moins régulière, notamment celui de la destinée et de l’opposition entre les Hommes et le divin, mais, pour peu que l’on accepte de s’intéresser au récit qui se cache derrière l’histoire du jeu, Final Fantasy se révèle être une mosaïque spirituelle. Les personnages principaux sont souvent confrontés à des forces plus grandes qu’eux-mêmes et doivent trouver leur place dans l’univers, en explorant leur propre spiritualité et en se battant pour un monde meilleur.
Final Fantasy IX a marqué toute une génération de joueurs, et pas seulement parce qu’il était un retour à l’heroic-fantasy, après deux épisodes ancrés dans des univers plus technologiques, ou parce qu’il était le chant du cygne de la première PlayStation. Les aventures de Djidane et ses compagnons sont fascinantes, car elles traitent du rapport qu’entretient le vivant avec le concept de mort. En exploitant la peur de la mortalité présente dans le cœur des hommes, cet opus prend alors l’apparence d’une magnifique ode à la vie. Le personnage de Bibi, pourtant secondaire, est l’incarnation de tous les questionnements métaphysiques de Final Fantasy IX. C’est une création artificielle qui finit par prendre vie, tel un nouveau-né. C’est un véritable enfant, naïf et timide, qui va se questionner tout le long de son périple : comment est-il né ? Pourquoi les gens « s’arrêtent » après un certain temps de vie ? Pourquoi les gens « arrêtés » sont enterrés ? Est-ce qu’un jour, il va s’arrêter aussi ? Ainsi, sa question personnelle sera la suivante : « est-ce que vivre, c’est prouver qu’on vit ? »
Ce n’est donc pas un hasard si le véritable boss de fin de l’aventure est l’entité Darkness, qui semble arriver comme un cheveu sur la soupe après une lutte acharnée contre Kuja. Dans ses derniers instants, il sombre dans la folie et dans la peur primale de la mort, qu’il refuse, et c’est ainsi que l’incarnation de la mort apparaît. Final Fantasy IX n’est alors plus un simple périple pour sauver le monde, mais une allégorie du combat contre la peur de mourir. C’est ce qui donne d’ailleurs une saveur douce-amère à la conclusion du jeu, car il est impossible de battre la mort. Nous ne pouvons que dépasser la peur de notre condition de mortel. C’est pour cela que Darkness affirme pouvoir renaître indéfiniment, car, tant qu’il restera des gens qui se laisseront consumer par la peur de la mort, il sera toujours présent.
La peur est présente dans le cœur de toute créature dès l’instant de sa naissance. Vivre c’est souffrir et connaître quotidiennement la peur de mourir. Quand l’inéluctabilité de la mort prend le dessus, la peur se réveille ; la peur de mourir devient insupportable et quand on souffre de ne pas vouloir affronter la mort, on en vient à haïr la vie et à jalouser les vivants. On ne peut arrêter la peur de mourir ; la seule solution reste de tout détruire. Survivre malgré la douleur est une preuve du désir inconscient de vivre. Lorsque la peur l’emporte, on choisi le chemin de la destruction ; on ne progresse plus que pour détruire. Vivre pour détruire revient à ne pas vivre du tout, tout n’est que contradiction… Il est inutile de nier ses propres réponses : tout est vérité et le néant est tout. Retourner au néant… Il n’y a pas d’autres choix possibles, et c’est la prière de tout être vivant.
Darkness, Final Fantasy IX
Le légendaire Final Fantasy VII, qui a permis au genre du J-RPG de s’imposer loin du Pays du Soleil Levant, peut être vu comme un reflet inversé de l’épisode IX, car si le fondement même de son monde repose sur la thématique de la vie, il le fait d’une manière bien différente. Ici, il n’y a pas de questionnement métaphysique sur ce qui fait de nous des êtres vivants ou sur notre rapport à la mort, il y a avant tout la mise en avant du lien qui unit toute chose sur la planète. Eu égard à la situation environnementale actuelle, il est fascinant de constater que cet opus, le premier de la licence à sortir sur PlayStation, était réellement avant-gardiste dans le monde du jeu vidéo sur tous les questionnements en lien avec l’écologie. Le titre reprend notamment la théorie Gaïa qui a été imaginée par le chimiste James Lovelock en 1970. D’après lui, la planète Terre est un organisme vivant qu’il choisit de rebaptiser Gaïa, en référence à la déesse grecque. Dans ses travaux, il développe l’idée que la faune et la flore qui habitent notre planète font partie d’un tout.
La Terre serait un organisme complexe dont tous les éléments seraient interdépendants. Dans Final Fantasy VII, cette théorie prend forme par le biais de la Rivière de la Vie. C’est un flux qui parcourt sans cesse la planète, et qui contient l’essence de cette dernière, ainsi que les souvenirs, les émotions et les connaissances de ceux qui ont vécu à sa surface. Tout ce qui vit sur Gaïa provient de ce flux d’énergie incessant, et tout ce qui meurt est voué à y retourner pour constituer cette forme de conscience absolue. Les aventures de Cloud nous questionnent alors sur notre rapport au vivant et au monde qui nous entoure, ainsi que sur le sens de l’évolution humaine, car le progrès technologique incontrôlé y est dépeint comme un long assassinat de la source de toute vie. Sephiroth, bien qu’il finisse par sombrer dans un délire mégalomaniaque dans son plan pour devenir un dieu qui permettra à la Planète de repartir de zéro afin de connaître un avenir radieux, doit sa folie au moment précis où il découvre qu’il est le fruit d’un viol de la nature, une expérience allant à l’encontre de toute éthique. Il est l’incarnation de la haine des dérives des hommes qui passent plus de temps à s’enorgueillir de ce qu’ils peuvent faire, plutôt que de se questionner sur ce qu’ils ont le droit de faire. Final Fantasy VII, par le biais de son dernier plan qui nous montre le retour en force de la nature sur les vestiges d’une mégalopole, le tout accompagné de rires d’enfants innocents, nous incombe de penser à l’éventualité d’un monde où l’Homme ne ferait qu’un avec son environnement.
Final Fantasy trouve ses racines dans les influences de fantasy et de science-fiction de ses créateurs, mais les choses étaient encore naïves dans les premiers épisodes. En effet, les capacités graphiques des vieilles consoles ne permettaient pas d’exprimer des émotions nuancées.
C’est au fil des épisodes que des thématiques plus profondes ont commencé à se dessiner, notamment après que le créateur de la série, Hironobu Sakaguchi, ait perdu sa mère dans un accident tragique. Cela l’a poussé à amorcer une réflexion sur le sens de la vie et la difficulté de perdre des êtres chers. L’aboutissement de cette idée arrivera dans Final Fantasy VII, qui raconte que la planète est traversée par un flux d’énergie qui relie les êtres vivants entre eux. Cela a des implications autant dans le propos écologiste du jeu que dans la fameuse séquence de la disparition d’un des personnages principaux.
Sakaguchi a de nouveau abordé ce sujet dans Final Fantasy IX et dans le film Les Créatures de l’esprit, et il est certain que cette vision bien plus sérieuse et humaniste a aidé la série à gagner ses lettres de noblesse en montrant qu’il est possible de transmettre des messages dans les jeux vidéo à une époque où le support était souvent considéré comme purement divertissant et immature.
Aujourd’hui, même après le départ de Sakaguchi il y a plus de vingt ans, les développeurs continuent à axer leurs jeux sur des histoires de personnages avant tout, avec leurs propres joies et peines, si bien qu’il est très facile de s’identifier à eux et à leurs dilemmes. Récemment, Final Fantasy XIV s’est illustré dans sa dernière extension, Endwalker, en évoquant à son tour la question du sens de la vie en mélangeant des données scientifiques récentes sur la physique de l’Univers et des réflexions plus philosophiques.
Jérémie de Final Fantasy World
Final Fantasy X, souvent considéré comme le dernier grand Final Fantasy, occupe une place importante dans l’esprit des joueurs, car il traite avec brio de nombreux concepts et de multiples thématiques. C’est un titre qui fait encore écho aujourd’hui, car il avait un discours avant-gardiste contre le radicalisme religieux. Cet opus nous raconte l’histoire de Tidus, un jeune homme propulsé dans une réalité qui semble se dérouler 1000 ans dans le futur. Il est arraché à sa mégalopole pour se retrouver dans un autre monde, Spira, où l’utilisation de la technologie est proscrite, vivant sous un régime de théocratie. La religion de cet univers, nommée Yevon, est essentielle à l’organisation sociétale, car elle est le rempart contre une entité millénaire du nom de Sin qui sème le chaos et la destruction. Les protecteurs de la population sont les Invokeurs, de fervents pratiquants qui ont la capacité d’invoquer des créatures dont ils peuvent obtenir la maîtrise en faisant la démonstration de leur foi. Ces individus dévoués sont consacrés entièrement à leur art et entreprennent un pèlerinage afin d’acquérir l’ultime chimère, une entité capable de vaincre Sin, même si celui qui l’invoque doit le payer de sa vie. Malheureusement, le monstre revient à la vie après chaque défaite, malgré un court temps de paix appelé la Félicité. C’est un cycle infini forçant les locaux à se réfugier dans la religion, en espérant que la boucle finisse par se briser.
Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne nous montre pas une population écrasée par le régime et qui se plaint de son sort. Au contraire, les croyants sont ravis de se donner corps et âme à l’Église, afin de trouver de l’espoir. Dès le plus jeune âge, ils sont éduqués à croire et à ne pas dévier de la voie de Yevon, repoussant ainsi les populations qui osent faire usage de la technologie. C’est le personnage de Tidus, étranger à ces coutumes, qui permet d’avoir un regard critique sur une si grande dévotion dénuée de toute contradiction. Le questionnement religieux du jeu prend une tournure désabusée quand le joueur apprend que de nombreux préceptes ne reposent que sur des mensonges. Sin n’est en rien une punition divine pour rappeler aux hommes qu’ils ne doivent pas utiliser la technologie, et il y a bien un moyen de vaincre la créature définitivement sans avoir à sacrifier à la chaîne des Invokeurs depuis plus de 1000 ans. Tidus a la posture de celui qui fait barrage au radicalisme. Il ne rejette pas la religion, mais ne l’épouse pas non plus. Il est en permanence dans une posture de tolérance, même envers ceux considérés comme des hérétiques par l’ordre dominant. Il décide de tout faire pour briser le cycle, car il refuse d’accepter l’idée que la survie de ce monde se fasse par le biais de sacrifices humains. Il devient le symbole de l’humanité qui doit reprendre son destin en main et ne plus se contenter de suivre aveuglément les préceptes d’un pouvoir divin.
La grande beauté du monde de Spira repose en grande partie sur ses liens avec le shintoïsme. Nous pensons notamment au concept de vie et de mort, et donc surtout à la cérémonie d’accompagnement. C’est un rituel destiné à diriger les morts vers l’au-delà et qui ne peut être réalisé que par les Invokeurs. C’est un des éléments les plus important de Final Fantasy X. Il n’est pas uniquement présent sur la jaquette du jeu, mais tout au long de l’aventure et permet de porter les thèmes de la mort et du deuil. Les morts ont besoin d’être guidés vers l’au-delà, car il y a toujours le risque que certains d’entre eux puissent regretter d’avoir été arraché à la vie. Ils peuvent jalouser les vivants, au point que ce sentiment devienne de la haine et les transforme en monstres. La cérémonie d’accompagnement est l’unique moyen d’apaiser les âmes et de les acheminer à bon port. Si de nombreuses cultures et religions ont des rites funéraires avec la conviction que le fait de ne pas les accomplir conduira l’esprit à ne pas trouver de repos, le lien avec le shintoïsme se ressent surtout dans le rapport à la danse qu’il y a dans la religion japonaise ainsi que dans celle qui domine le monde de Spira.
Dans le folklore japonais, nous trouvons trace de la danse asobi, ce qui, en japonais ancien, signifie apaiser les esprits des défunts. Ces danses étaient notamment menées lors de cérémonies funéraires. L’une des plus anciennes histoires en lien avec cette importance de la danse pour calmer les âmes est celle de la déesse Amaterasu qui s’était cachée au fond d’une grotte, entraînant avec elle la disparition du soleil. Seule la danse menée par Ame-No-Uzume permis de faire sortir la déesse frustrée de sa tanière, et ainsi ramener le soleil et l’ordre sur Terre. Cette danse est à l’origine du Kagura, la danse traditionnelle shintoïste visant à apaiser les esprits. Cette danse a été transmise à travers les siècles, et a trouvé son chemin jusque dans le monde du jeu vidéo. C’est dans ses moments d’apaisement que nous pouvons observer une union parfaite dans le monde de Spira. Il y a une fusion idyllique entre la puissance de l’amour et la tragédie de la perte, qui préfigure de l’entièreté du scénario de Final Fantasy X. La saga Final Fantasy est riche de concepts et semble toujours être en mesure d’en trouver de nouveaux à exploiter. Elle épouse l’ensemble de l’histoire de l’humanité pour la réinventer à sa guise. Toutefois, malgré ce goût prononcé pour le renouvellement, elle ne repart pas systématiquement d’une page blanche. En effet, la licence est obnubilée par une idée fixe, celle du héros opposé à la figure d’un empire destructeur, qu’elle s’amuse à décliner de bien des façons.
Les revisites de l’idée de l’empire du mal
Dans cette réinvention constante de la saga, et malgré les multiples registres exploités, il y a une idée qui se retrouve dans presque tous les Final Fantasy : l’opposition face à un empire du mal. Ce dernier prend des formes variées. Sa présence est souvent évidente, même si elle est parfois plus subtile. Un empire, c’est pratique à exploiter comme antagoniste, car la connotation négative qui entoure ce régime permet de mobiliser instantanément le joueur. Il représente la tyrannie, l’oppression, l’assujettissement et la perte de l’individu face à une force qui uniformise les masses. L’avantage ludique d’un tel antagoniste, c’est qu’il permet de déployer une flotte d’ennemis charismatiques et puissants à battre. Nous n’affrontons jamais l’empereur ou celui qui tire les ficelles dès le début de l’aventure, avant cela, nous devons battre les nombreuses figures emblématiques qui constituent le bras armé de ce système à détruire. De plus, cela permet également d’offrir un autre point de vue à l’histoire. En effet, si nous incarnons les héros qui cherchent à renverser l’ordre établi, nous sommes confrontés à une vision opposée, souvent acceptée par la majorité du peuple. Ainsi, le joueur est plongé au cœur de confrontations idéologiques poignantes.
Final Fantasy II a été le premier jeu à vraiment utiliser le concept de l’empire du mal dans la série, car le principal méchant était l’empereur lui-même. C’était une opposition très manichéenne. En effet, le régime impérial cherchait juste à dominer l’ensemble du globe sans réelle autre explication que le besoin de domination. De plus, le jeu reste assez flou sur la nature de nos ennemis, qui semblent être plus proche de monstres de la nature que d’êtres humains. Ce système fait le mal parce que sa nature profonde est d’être le mal incarné, ni plus ni moins. Nous sommes alors très loin des antagonistes complexes et brisés par la vie que nous connaîtrons dans le futur. Nous retrouvons ensuite ce concept dans Final Fantasy IV. Le joueur est plongé dans un conflit impérial dès le début de l’aventure. Cecil, le protagoniste, commence en tant que chevalier noir envahissant un territoire pour le compte de sa terre natale. Il suit alors une longue évolution psychologique qui l’amène à prendre conscience de la véritable nature de sa patrie. Celle-ci n’est qu’une façade d’un empire beaucoup plus vaste mené par le diabolique Golbez, qui est lui-même manipulé par une entité supérieure venue d’ailleurs. Tous les personnages qui rejoignent notre croisade sont liés par le fait d’avoir subit une perte à cause de cet empire. Une grande partie de l’histoire consiste à obtenir réparation pour les torts subits. Les souffrances accumulées à cause d’un système répressif et destructeur permettent de cimenter les liens entre les héros.
Final Fantasy V ne parle pas de manière explicite d’un empire à combattre, mais Exdeath, l’antagoniste, en reprend toutes les caractéristiques. Il a son propre palais, à partir duquel il fait la guerre au monde, et une armada d’hommes de main et de généraux. Il envahit des territoires, et est déterminé à dominer le monde. Toutefois, comme les précédents opus, nous restons sur quelque chose de très binaire. Les méchants font le mal sans raison particulière. Ils n’ont pas un but ou un rêve qui justifie de renoncer à toute vertu morale. Ils sont juste profondément vils. Comme pour tous les autres antagonistes de la saga, une entité monstrueuse finit par surgir de l’ombre, pour bien insister sur le fait qu’un tel système est souillé par une profonde inhumanité. Il faut attendre Final Fantasy VI pour enfin avoir un empire centré autour de problématiques humaines. L’empereur Gesthal n’est pas un monstre ou une créature venue d’ailleurs. C’est un homme aux motivations basiques, rongé par la cupidité et la soif de pouvoir. Il n’a pas de pouvoirs destructeurs, il doit sciemment utiliser son armée, son intelligence et sa fourberie pour arriver à concrétiser ses plans. Ses lieutenants sont tout aussi humains que lui, et incarnent différentes postures morales, parfois radicalement différentes. Le général Leo vit selon un code d’honneur strict et refuse de recourir à toute forme de bassesse. Nous observons là une première tentative de la licence pour montrer que le camp ennemi n’est pas forcément composé que d’individus de la pire espèce. Kefka, le grand méchant de l’histoire, n’est pas diabolique par nature, c’est un général rendu fou par les nombreuses expérimentations menée par l’empire pour augmenter sa puissance, ce qui permet d’en faire bien plus qu’un monstre avec une soif de destruction innée.
C’est avec Final Fantasy VII qu’on assiste à une exploitation novatrice de cette idée d’empire. Il modernise ce concept en le transformant en une grande entreprise qui possède essentiellement tous les produits et services industrialisés de la planète. Dans cet opus, les méchants ont déjà gagné au début de l’aventure, car ils dominent l’ensemble du globe. La quasi-totalité des villes est sous leur joug, et ils sont les seuls producteurs d’énergie, en plus d’avoir la main mise sur les média du monde entier. En 1997, nous sommes deux petites années avant la sortie du premier Matrix, mais les questionnements vis à vis des grandes corporations sont déjà palpables dans les différents secteurs culturels. L’empereur est ici remplacé par la figure du CEO, et tous ceux qui ont le malheur de s’opposer à lui sont traités comme des complotistes illuminés et des terroristes. À bien des égards, Final Fantasy VII est un précurseur de nombreuses thématiques morales qui affectent notre monde en 2023. Les deux épisodes suivants reprennent un concept plus traditionnel d’empire, en gardant toutefois l’aspect humain du sixième opus. Les personnages qui tirent les ficelles dans l’ombre sont également beaucoup plus profonds que par le passé, malgré une mégalomanie et un complexe de supériorité très prononcés.
Il faut attendre Final Fantasy X sur PS2 pour retrouver une nouvelle représentation originale de cette imagerie impériale. Le mot empire n’est jamais prononcé, il n’y a pas non plus de nation ou d’entreprise cherchant à dominer un territoire encore plus vaste. Nous parcourons un monde sous l’emprise d’un dogme religieux tout-puissant, qui contrôle tous les aspects de la vie humaine. Les autres épisodes retournent à un concept plus classique, en particulier les épisodes XII et XV. Final Fantasy XII est d’ailleurs souvent comparé à Star Wars dans sa manière de raconter son histoire de guerre contre un empire. La présence de figures telles que le contrebandier charismatique, ou du grand général d’armée masqué et intimement lié à l’un des protagonistes n’y est certainement pas pour rien. Toutefois, cet opus a une approche beaucoup moins binaire que l’œuvre de George Lucas. L’empire n’est pas vu comme un régime qui doit à tout prix disparaître. Au contraire, c’est un régime qui peut fonctionner, à condition que les hommes de bonnes volontés ne restent pas passifs face à la montée de la vanité. Malgré tout, Final Fantasy XV tente d’apporter une pointe d’originalité en montrant l’opposition entre le royaume du Lucis et l’empire du Niflheim comme des futilités servant juste à occuper l’échiquier sadique des dieux. Le seizième épisode ne fait pas non plus l’impasse sur cette idée, même si l’empire a un rôle moins central que par le passé. Il incarne malgré tout la structure la plus puissante du monde de Valisthéa, et est en partie responsable de l’effondrement du socle familial de Clive Rosfield.
Il est fascinant d’observer cette récurrence subtile au sein d’une licence aussi changeante. Cela permet de créer un socle invisible mais palpable. Final Fantasy, c’est l’histoire de l’éternelle lutte du bien contre le mal, sous toutes ses formes. Cette notion de mal à évoluer avec son époque, grâce aux outils de narration de plus en plus développés. Nous sommes passés de quelque chose de très manichéen à des exploitations plus subtiles et nuancées. Sur les derniers épisodes, il est même possible de comprendre certains agissements de ces empires ou des personnages qui les poussent à agir. Ardyn est un méchant particulièrement intéressant à analyser. Selon le prisme que nous prenons, il peut même être perçu comme le héros déchu de l’histoire de Final Fantasy XV, car il est celui qui permet de briser une boucle millénaire en assumant le rôle perfide que les dieux lui ont attribué par pur sadisme. La saga initiée par Hironobu Sakaguchi invente, innove, parfois de zéro, parfois en remodelant des éléments déjà bien ancrés, comme en atteste également la multiplicité des systèmes de combat que nous avons connus au fil des décennies.
Des systèmes de jeu toujours en mouvement
Le gameplay dans la saga Final Fantasy est un sujet qui provoque de nombreux débats. En effet, si la création constante de nouveaux univers ravit souvent les fans, les discussions sont beaucoup plus crispées quand il faut parler des systèmes de combats. Elle a connu de nombreuses mutations, et n’a jamais reproduit les mêmes mécaniques de combat d’un épisode à l’autre. Elle puise cependant ses racines dans le fameux tour par tour, qui est la marque de fabrique des J-RPG à la fin des années 80. La licence forge son identité à travers ce gameplay précis où, comme son nom l’indique, les joueurs et les ennemis attaquent chacun leur tour. Le premier Final Fantasy pose les bases de certains aspects iconiques de la saga, tels que le système de classes avec le mage blanc, le mage noir, le voleur ou le paladin. C’est un jeu de rôle japonais au tour par tour sans fioriture, dans lequel on fait évoluer ses personnages en les faisant simplement monter de niveau à force de multiplier les affrontements.
Dès le deuxième épisode, nous pouvons constater la volonté de prendre des risques en ne se contentant pas de reproduire ce qui a précédemment fonctionné. Final Fantasy II va très loin, car il met en avant un système d’amélioration des personnages que nous ne reverrons jamais dans la saga. Il n’y a pas de niveaux, ni de points d’expérience. Nos héros évoluent en fonction de la façon dont nous les utilisons. Plus nous encaissons de coups de la part de nos ennemis, plus nos capacités de défense se développent. Plus nous attaquons au corps-à-corps, plus les dommages infligés par des attaques de mêlées deviennent dévastateurs. C’est un point fort du jeu, car cela pousse le joueur à utiliser l’ensemble des capacités des personnages. Final Fantasy III retourne à un système d’évolution beaucoup plus classique, mais a pour lui de grandement enrichir le système de classes. C’est ainsi qu’apparaissent les emblématiques Chevalier Dragon, Chevalier Noir, Mage Rouge ou Invokeur. La multiplication des classes permet d’enrichir les stratégies envisageables, car il appartient au joueur de décider lesquelles il veut développer avec quel personnage, ainsi que des moments où il souhaite passer d’une catégorie à l’autre. Malheureusement cela en fait un jeu très lent qui oblige à passer de longues heures à farmer les combats pour avoir suffisamment de puissance afin de continuer l’aventure. C’est également l’opus qui voit l’apparition des invocations au cœur des combats. Ce troisième épisode marque la fin des itérations de la saga sur la NES de Nintendo. L’arrivée de la Super NES va permettre à Square Soft de continuer à pousser les curseurs de l’innovation.
Final Fantasy IV est un premier bouleversement de la saga. C’est la première fois qu’un jeu de la licence propose un script abouti et travaillé, ainsi que des personnages réellement caractérisés par leurs histoires personnelles, avec des classes prédéfinies. Dans cet opus, on ne change pas comme on le souhaite de classe, un mage blanc ne peut pas devenir un voleur ou un chevalier, c’est au joueur de penser intelligemment à la composition de son équipe en fonction de ce qu’il souhaite faire. Cependant, ce premier Final Fantasy à débarquer sur Super NES, utilise sa narration plus recherchée pour avoir des classes fluctuantes en fonction de l’avancée de l’histoire. L’incarnation de cette idée passe bien évidemment par Cecil, qui commence l’aventure en tant que Chevalier Noir, avant de devenir un Paladin une fois qu’il se détourne de l’empire qu’il servait. Désormais, les classes disent quelque chose sur la nature de nos héros, ainsi que sur le monde qui s’offre à nous. C’est également l’arrivée fracassante de la barre d’Active Time Battle qui vient remplacer le tour par tour. Ce système se matérialise par une barre qui se remplit en fonction de différentes statistiques, comme la vitesse de votre personnage. Le joueur ne peut décider d’une action que lorsque cette barre est complète, et il doit faire vite, car les ennemis ne vont plus gentiment attendre qu’il se soit décidé pour attaquer à leur tour. Cela donne un côté plus technique, en plus d’ajouter un sentiment d’urgence aux combats. Le cinquième épisode reprend l’utilisation de la barre d’ATB, mais revient au système de classes de Final Fantasy III, en contribuant à l’évolution de ces dernières. Dès qu’une certaine maîtrise est développée avec l’une des classes, le joueur peut en changer et progresser ailleurs, tout en gardant une technique de la précédente. Il fait cependant face à un choix cornélien puisqu’il ne peut garder qu’une seule capacité de ses autres classes, sauf pour le Mime, qui peut en ajouter trois autres. Ainsi, un mage blanc devenant chevalier pourra choisir d’utiliser la magie blanche comme seconde spécialité. L’aspect tactique est densifié, ce qui permet de donner un enjeu aux séances de farm.
Final Fantasy VI utilise à son tour le système d’ATB, actant définitivement le fait que le tour par tour soit devenu une relique du passé. Il marque le retour des héros définis par une classe précise. Chacun d’entre eux possède des capacités uniques, ce qui permet de les identifier clairement et de tous les rendre plaisants à jouer pendant les affrontements. La grande nouveauté repose dans l’apparition des attaques de désespoirs, un précurseur du système de « Limite ». Quand un personnage atteint un niveau de santé critique, il peut avoir la possibilité de lancer une attaque alternative beaucoup plus puissante que son attaque physique normale. Malheureusement, les probabilités de pouvoir lancer cette offensive sont tellement basses, qu’il est parfaitement possible d’arriver au bout de l’aventure sans avoir connaissance de ce système. C’est principalement pour ses musiques et son histoire dense et complexe que ce sixième épisode est entré dans la légende, et non pour ses idées novatrices de gameplay. C’est la fin de la première grande étape de vie de la saga, qui va connaître un essor stratosphérique avec l’apparition de la première PlayStation.
L’arrivée de Sony sur le marché des consoles est un véritable raz-de-marée, car elle embarque aussi l’arrivée des jeux vidéo en 3D, donc de nouvelles capacités visuelles et narratives. Final Fantasy VII emporte le monde entier dans son sillon et entérine définitivement le statut d’icône du jeu vidéo de la licence. Son histoire est prodigieuse, riche en thématiques et en niveaux de lecture, mais c’est bien son système de combat qui le fait entrer dans la légende. Il hérite de la barre d’ATB du quatrième épisode, mais nous livre une version aboutie du système de Limite aperçu dans le précédent opus. Une autre barre se remplit au fur et à mesure qu’un personnage encaisse des coups. Une fois celle-ci pleine, le joueur peut alors déclencher des attaques surpuissantes qu’il débloque au fil de l’aventure à force d’utiliser celles dont il dispose. L’évolution des personnages est classique, car elle repose sur le principe des niveaux, mais tient sa particularité dans le système de « Materia ». C’est une révolution à l’époque, que beaucoup considèrent encore comme inégalée. Pour vulgariser, les Materias permettent d’utiliser de la magie, des compétences spéciales et les fameuses invocations. Il y a une synergie entre ce système et celui des armes, car chaque équipement dispose d’orifices qui permettent de placer ces petits orbes magiques. Les possibilités deviennent alors infinies, car il est possible de lier des Materias entre elles. Nous pouvons par exemple associer le pouvoir du feu à la compétence Tout, ce qui permet d’attaquer simultanément tous les ennemis présents, mais nous pouvons également faire des combinaisons beaucoup plus vicieuses, permettant de frapper jusqu’à 8 fois avec un seul personnage dans un même tour. Cet épisode s’affranchit donc du système de classe, car, si certains personnages ont des caractéristiques spécifiques, ils peuvent faire usage de l’ensemble des capacités que le jeu peut offrir. La possibilité de faire évoluer toutes les compétences instille donc un côté très addictif à Final Fantasy VII, car il y a un plaisir lié à la découverte et à l’expérimentation.
Final Fantasy VIII a eu la lourde tâche de succéder à un jeu mondialement reconnu. Il aurait pu se reposer sur ce qui avait fait le succès du précédent épisode, mais il n’en est rien. Les développeurs ont pris un grand risque avec son système de magie qui n’a jamais fait l’unanimité. Il n’y a pas de classes, ni d’orbes à utiliser. Ici, il faut voler aux monstres les magies que nous souhaitons utiliser. Ce qui fait qu’elles ont un statut semblable à de vulgaires consommables. C’était fastidieux en plus d’être particulièrement chronophage. Malgré cela, il y a un bel effort de fait sur les invocations, appelées ici les G-Forces, car elles font partie intégrante du gameplay. Elles peuvent être améliorées, ce qui permet d’apporter des bonus aux personnages porteurs. Le neuvième épisode est un retour aux sources, aussi bien dans son univers médiéval-fantastique, que dans son cœur de jeu. Les classes de personnages définies selon la personnalité des héros sont de retour. L’ATB et le système de Limite sont encore de la partie. La grosse innovation vient du système des équipements, car ils contribuent à la personnalisation des personnages. Les armes, comme les objets de défenses, sont porteurs de compétences spéciales que le joueur doit maîtriser à force de les utiliser. Il peut ainsi continuer de les utiliser même s’il change complètement d’équipement. Chaque objet a donc un intérêt ludique, ce qui pousse encore une fois à l’expérimentation.
L’année 2001 marque la sortie en grande pompe de Final Fantasy X, véritable bijou technologique, grâce à ses cinématiques en images de synthèse somptueuses, et premier opus de la saga à bénéficier du travail de comédien de doublage pour donner vie à ses personnages. Pour la première fois depuis 1991, la licence laisse tomber la jauge d’ATB pour revenir à un système de tour par tour classique. La petite nouveauté, c’est que nous avons un menu visible en plein combat qui permet de voir l’ordre de passage à l’action des personnages et des ennemis. Le joueur peut ainsi anticiper et planifier ses différentes stratégies. La première grosse innovation, c’est qu’il est possible de modifier son escouade de personnages en plein combat, là ou cela n’était envisageable que lors des phases d’explorations ou lors de moments précis dans les précédentes aventures. Le joueur peut ainsi réagir à toutes les situations pour exploiter les faiblesses des ennemis au maximum. Final Fantasy X a marqué son temps grâce à son système d’évolution novateur. Les niveaux sont toujours présents, mais sous une forme radicalement différente. Il n’est plus question d’aller du niveau 1 au niveau 99. Les niveaux gagnés servent de points à dépenser afin d’évoluer dans un sphérier. Chaque niveau nous permet d’avancer d’une case, et donc d’augmenter des statistiques précises, selon notre bon vouloir. Nous pouvons ainsi mettre l’accent sur la magie, la rapidité, les attaques physiques, ou les points de vue. Si les personnages ont des styles précis au début de l’aventure, au bout d’un moment, ils deviennent entièrement personnalisables ; un personnage de type Chevalier peut parfaitement devenir un Mage, et inversement. Les invocations subissent également une grosse refonte, car elles sont entièrement jouables. Seul le personnage de Yuna peut les invoquer, car elle est l’unique Invokeur de l’équipe. Elles deviennent également évolutives, et le joueur peut leur apprendre des compétences spécifiques. C’est à ce jour le meilleur système d’invocation de toute la licence.
Lancé officiellement en 2002 au Japon, Final Fantasy XI est le premier MMORPG de Square-Enix, mais également l’un des rares à être commercialisé sur la PlayStation 2. C’est un jeu particulier, car, en dépit de sa quasi-absence de notoriété, il a été le jeu le plus rentable de l’éditeur japonais pendant près d’une décennie. De par son statut de jeu en ligne, il ne pouvait pas imposer de personnages prédéfinis. C’est donc le premier opus à permettre la création de son héros. De la même façon, le système de combat a été entièrement repensé. Les monstres sont visibles directement dans les zones et les affrontements se font en temps réel. Ce fut une authentique révolution pour la série. En un sens, il ouvre la voie à Final Fantasy XII, le dernier opus solo à sortir sur PlayStation 2. Le jeu est découpé en zones plus ou moins ouvertes, sur lesquelles les ennemis sont visibles directement, laissant au joueur le choix de se lancer dans la mêlée ou non. Cette nouvelle façon d’appréhender les territoires et les affrontements est nommée l’Active Dimension Battle. Le système d’évolution des personnages est en quelque sorte une version alternative du sphérier du précédent épisode solo. C’est la grille des permis. Pour la faire simple, c’est par ce biais que nous pouvons booster les statistiques des protagonistes, ainsi qu’obtenir les permis qui permettent d’utiliser les équipements, magies et techniques achetés dans les boutiques. La grande nouveauté est le système de « Gambits ». Ce sont des commandes que nous pouvons assigner aux personnages que le joueur ne contrôle pas, afin qu’ils exécutent une action à un moment donné du combat. Leur grande variété permet de faire de cet opus l’un des plus stratégiques de toute la saga.
En 2009, quatre ans après son annonce, Final Fantasy XIII débarque sur PlayStation 3 et impressionne l’ensemble de l’industrie grâce à ses visuels époustouflants. Ce treizième épisode renoue avec les fondamentaux de la saga en offrant des combats au tour par tour avec une jauge d’ATB entièrement remaniée. Cette dernière est découpée en plusieurs segments. Au début de l’aventure, il y en a deux, mais, au fur et à mesure de sa progression, le joueur peut en avoir cinq à disposition par personnage. Chaque segment permet de lancer une action, même si certaines compétences très puissantes peuvent en nécessiter plusieurs. Vu que tout repose sur cette évolution de l’Active Time Battle, la série fait l’impasse pour la première fois de son histoire sur les points de magie, ce qui veut dire que les sorts peuvent être utilisés sans limite. Les combats se font à trois protagonistes, mais seul le chef d’escouade désigné est sous la responsabilité du joueur. Les compagnons sont donc contrôlés par l’IA, mais c’est au joueur qu’il appartient de définir en amont différents schémas de stratégies, et d’en changer en fonction de la tournure de l’affrontement. Mais ce qui marque une vraie évolution, c’est la création de la barre de choc, qui apparaît en supplément de la barre de vie des ennemis. Le but est de tout faire pour la remplir en exploitant les faiblesses des adversaires pour que toutes nos attaques fassent autant de dégâts que des coups critiques. Final Fantasy XIV, étant lui aussi un MMORPG, se rapproche beaucoup du XI, même s’il abandonne le système d’auto-attaque de ce dernier pour mettre en place un menu d’action où le timing est au centre de tout.
Noctis Lucis Caelum, prince héritier du royaume de Lucis, et héros de Final Fantasy XV sort sur PlayStation 4 en 2015. Malgré son développement chaotique, le jeu initié par Tetsuya Nomura, et finalisé par Hajime Tabata, réussit à s’inscrire dans la tradition de renouvellement constant des systèmes de combat de la saga. Ici, on s’oriente vers l’action débridée, et cela n’a rien d’étonnant car le projet a été porté par de nombreuses personnes ayant travaillé sur Kingdom Hearts. L’idée était de proposer un action-RPG virevoltant. L’esquive devient le maître-mot, ainsi que le dash, cette attaque téléportée vers l’ennemi qui permet de donner un aspect dynamique et aérien sans commune mesure. Le personnage de Noctis est parfait pour incarner cette identité. Il est d’ailleurs le seul personnage jouable au début, mais des mises à jour ont rendu possible le fait de passer de notre bon prince à l’un de ses compagnons en plein combat. Toutefois, même lorsque nous ne les contrôlons pas, ils se révèlent utiles, car ils peuvent nous relever d’un KO, utiliser des objets de soutien sur nous, ainsi que déclencher des attaques en binômes permettant de fragiliser plus rapidement la posture de nos adversaires. Avec le principe d’armes fantômes, Noctis peut porter jusqu’à 4 armes en même temps, ainsi que 4 magies. Le tout est assigné aux différentes flèches, et le joueur peut donc changer d’équipement à la volée. Les invocations sont évidemment de la partie, avec des attaques dévastatrices à très grande échelle. Malheureusement, elles se déclenchent automatiquement et les conditions pour avoir le droit à leur intervention demeurent encore inconnues.
Pour la première fois de l’histoire de la saga, Square Enix s’est retrouvé à devoir jongler avec le poids d’un système de combat à succès lorsque le remake de Final Fantasy VII a été annoncé. Si l’audace et l’originalité sont appréciées pour chaque nouvel épisode, autant dire que les armées de fans du septième épisode attendaient le résultat final avec le couteau entre les dents. L’éditeur japonais aurait donc pu jouer la sécurité, et se contenter de sortir un jeu fidèle avec de meilleurs graphismes, mais cela aurait signifié mépriser ce qui a permis à Final Fantasy de traverser les décennies. Que ce soit dans son gameplay ou dans son histoire, ce remake peut se résumer en un mot : audacieux. Les troupes menées par Tetsuya Nomura ont réussi à surprendre tout le monde en proposant l’un des tous meilleurs systèmes de combat de la franchise. Cette première partie du remake est un pont parfait entre la vieille tradition de l’Active Time Battle et de l’action en temps réel. Nous avons donc du basique à base d’attaque standard, de magie, d’esquive et de garde, mais nous avons aussi quelques subtilités comme le changement de posture pour Cloud qui, en plus d’augmenter les dégâts, permet d’asséner des contre-attaques surpuissantes. L’ATB revient, empruntant le système de barres multiple de FF XIII. C’est le remplissage des barres qui permet de lancer une ou plusieurs attaques de magie ou spéciales. Le sel de cet épisode repose sur deux éléments. Le premier est la pause tactique, qui permet de réduire tellement la vitesse de combat que le temps semble se figer, laissant ainsi au joueur la possibilité de planifier tranquillement les différentes actions qu’il souhaite effectuer avec son escouade. Cela permet d’apporter un aspect tactique de la vieille école et de tempérer le rythme effréné des nombreux combats qui dictent le tempo de l’aventure. Le deuxième point est le changement instantané de personnage en plein combat. Chacun ayant des spécificités qui permettent de prendre l’avantage sur différents types d’ennemis, le passage ultra rapide d’un protagoniste à l’autre permet d’amplifier le dynamisme des affrontements. Avec de la pratique, le joueur peut ainsi enchaîner des combos sans limite.
Pendant longtemps, Final Fantasy n’a pas beaucoup changé de système de jeu, en conservant les combats en tour par tour, qui sont réputés pour leur aspect stratégique. Dans Final Fantasy IV, le système Active Time Battle a été inventé afin d’inclure une notion de temps dans les affrontements, et les développeurs ont largement exploré cette voie par la suite, jusqu’à une sorte d’apothéose dans Final Fantasy XIII où les combats jouent beaucoup sur la vitesse et la fluidité des enchaînements.
Dans ce cheminement, on note des formules différentes, entre les équipes qui privilégient des systèmes de personnalisation très poussés (les jobs dans FFIII ou V, les associations dans FFVIII) et celles qui préfèrent des progressions plus concrètes ou linéaires (les matérias dans FFVII, le sphérier dans FFX, les permis dans FFXII). Découvrir l’approche choisie par chaque nouveau jeu est toujours un motif de curiosité, et chacun a ses préférences.
En revanche, il est certain que le déclin du JRPG dans le courant des années 2000, pour diverses raisons technologiques et stylistiques, a encouragé les créateurs de Final Fantasy à adopter des systèmes de combat plus dynamiques et riches en action, afin d’accompagner la montée en puissance des jeux d’action-aventure occidentaux. Cela culmine dans l’approche totalement action de Final Fantasy XVI, qui a complètement abandonné le tour par tour parce que ce style est considéré comme une relique du passé qui n’est pas compatible avec une superproduction qui veut se vendre à des millions d’exemplaires.
C’est vrai qu’il existe des contre-exemples, mais il ne s’agit pas seulement de séduire le public, car l’amélioration des graphismes des jeux a rendu de plus en plus « bizarre » le fait de représenter des combats figés, avec deux camps qui s’attaquent chacun leur tour. Pour les développeurs, un système riche en action permet de créer une relation plus naturelle et concrète entre le joueur et son personnage, en plus de permettre d’explorer le monde de manière plus fluide que s’il était sans cesse interrompu par des combats aléatoires. Pour moi, il s’agit d’une approche logique, qui contribue à l’authenticité du jeu, et je me verrais mal revenir au tour par tour.
Jérémie de Final Fantasy World
Final Fantasy XVI est encore frais dans nos esprits, il est donc difficile d’avoir le moindre recul sur la portée de son impact pour le futur de la licence. Nous pouvons cependant affirmer qu’il s’agit d’une expérience forte qui, à défaut de définir de nouveaux standards de maestria, va être le jeu de toute une nouvelle génération de fans de Final Fantasy. Malgré des défauts et un côté parfois abrupt, c’est une grande aventure qui offre des moments de grâce comme peu de jeux arrivent à le faire. Vous pouvez retrouver en détail notre avis sur le titre dans notre critique en profondeur. Ce seizième opus pousse les curseurs de l’action plus loin que jamais, et la présence de Ryota Suzuki, en tant que directeur des systèmes de combat, se fait ressentir. Pour ceux qui se demandent qui est ce monsieur, c’est le responsable des affrontements de Devil May Cry V. Adieu la stratégie via le contrôle d’autres personnages ou la programmation de tactiques en amont, ici on ne contrôle que Clive, même s’il est possible de donner certaines directives à son chien Torgal, qui sert de compagnon. Tout repose sur le rythme de vos attaques, et il faut maîtriser le principe d’esquive parfaite et de parade parfaite pour prendre l’avantage rapidement. Pour la première fois dans l’histoire des Final Fantasy solo, la saga abandonne le système des faiblesses élémentaires. Avant, il était logique de frapper un ennemi aquatique avec de l’électricité pour faire plus de dégâts, mais c’est désormais fini, le temps de cet opus tout du moins. L’aspect stratégique et frénétique passe par le fait que Clive peut jongler entre les capacités des différents primordiaux en plein combat. C’est ainsi au joueur de trouver le bon tempo et d’utiliser les pouvoirs d’Ifrit ou de Titan au moment le plus approprié pour garder l’avantage. Sous une forme différente, on retrouve la logique de combos ininterrompus de Final Fantasy VII Remake.
La saga Final Fantasy a commencé il y 36 ans dans l’humilité la plus totale. Ce n’était que l’histoire de quatre héros réunis autour de la quête des cristaux pour sauver un monde au bord de l’extinction. Près de quatre décennies plus tard, la licence la plus prestigieuse de Square Enix continue de rayonner. Elle a connu toutes les grandes phases de notre belle industrie, en sachant évoluer et gagner en maturité à chaque moment charnière de l’histoire du jeu vidéo. La création de Hironobu Sakaguchi ne s’est jamais reposée sur ses acquis et a toujours été en quête de renouveau, comme si le besoin d’être insaisissable était plus fort que tout. De nombreux registres ont été exploités, de l’heroic fantasy à la science-fiction pure et dure, en passant par le steampunk. À sa manière, Final Fantasy est une ode à l’histoire de l’humanité. La licence reine du J-RPG s’intéresse à tous les concepts spirituels et à toutes les structures de société que notre espèce a connu et continuera de connaître. C’est par le biais de ce travail d’introspection civilisationnelle qu’elle arrive à créer des mondes tous plus passionnants les uns que les autres.
Il est impossible de définir ce qu’est Final Fantasy, chaque joueur aura son avis sur la question, mais ce qui fait la puissance de la saga, c’est ce sentiment d’incertitude et d’excitation à la sortie de chaque nouvel opus, car il est impossible de savoir ce qui nous attend… Nous sommes sans cesse face à la promesse d’une aventure sans pareille. Les accusations de trahisons à l’encontre de Final Fantasy XVI sont presque aussi vieilles que la licence, car chaque épisode a toujours cherché à créer son propre héritage pour ne pas seulement être catalogué comme la suite d’un jeu encombrant qui capte toute la lumière sur lui. Au final, est-ce que la trahison de l’esprit Final Fantasy ne se traduirait pas par un refus de trahir le joueur, en se contentant de rester en territoires conquis ? Tel Yuna dansant sur les eaux de Spira, la saga de Square se laisse porter par le vent et les flots avec une maîtrise hypnotisante.