Autant être clair dès le début : si vous êtes fatigué de votre journée de travail, ne jouez pas à Heavenly Bodies. Paradoxalement, ces corps célestes dégagent parfois quelque chose d’incroyablement relaxant, collant parfaitement aux images que l’on peut idylliser de l’espace. Mais seulement quand le personnage va là où l’on veut qu’il se rende. Et croyez-nous, la rêverie d’un corps en mouvement ne s’accorde que trop rarement avec le zéro gravité. On retient plus facilement l’extrême difficulté à se mouvoir, où flotter devient parfois une lutte contre nous-même et contre un corps qu’on maîtrise pas ou trop mal. Depuis notre petite dizaine d’heures sur le jeu, nous pouvons désormais le clamer sans crainte : « Thomas Pesquet est bel et bien le héros des cieux ! »
2pt, ou two-point interactive, voici le nom du studio indépendant australien derrière Heavenly Bodies. Prévu pour une sortie au 7 décembre 2021, sur PS4, PS5 et Steam, le titre n’est pas leur coup d’essai. Alexander Perrin et Joshua Tatangelo ont toute une page de projets cumulant le million de téléchargements. Si vous êtes curieux et souhaitez découvrir leurs précédents jeux, dont Pogocat qui a eu un beau succès sur l’Apple Store, voici la page en question. Sinon, on notera que leur jeu Heavenly Bodies, que nous testons dans ce papier, avait déjà fait belle impression dans la zone indépendante de la Gamescom en 2019 où il avait décroché le « Rising Star Award » (récompense de l’étoile montante). Après deux grosses années dédiées au développement et à l’enrichissement de cet univers spatial, voici où nous en sommes :
Si vous ne prenez habituellement pas le temps de visionner la vidéo accompagnant la critique, faites-le cette fois. Tout le concept y est posé, avec un contrôle du cosmonaute qui repose sur les habituels sticks couplés aux boutons et gâchettes sur le haut de la DualSense. Stick gauche pour bouger le bras droit (car le personnage est face à nous, non pas dos à nous) et inversement, complétés par le duo L1/R1 pour « pousser des jambes » et avancer puis par L2/R2 pour agripper des trucs. Assez intuitif finalement. Du moins, sur le papier. Car dans la voie lactée, la moindre tâche requiert une concentration et une précision inégalables. Oubliez les Souls et ce qui s’en rapproche, le dur labeur ludique réside bel et bien dans cette physique aussi abscons la première heure que le montage d’une armoire IKEA. Pour votre serviteur, en tout cas. Cependant, nous ne doutons pas des capacités de certains pour qui la physique sans gravité sera vite une question d’habitude. Enfin…vous nous en direz des nouvelles après cinq véritables minutes passées à tenter, vainement, de relier un câble à une simple prise.
Tout le « problème » d’Heavenly Bodies réside dans la subjectivité de son expérience : est-il plus grisant que frustrant ? Si c’est le cas pour vous, alors vous connaîtrez des moments assez mémorables dans le cosmos. Mais si, à l’inverse, la physique si âpre des personnages incarnés dans l’espace vous frustrent en permanence, alors le voyage risque de virer au cauchemar. Un cauchemar dont vous ne voudrez pas nécessairement voir le bout, et c’est là que le bât peut blesser. Si nous nous en tenions au cas de notre partenaire des débuts, une joueuse nettement moins « expérimentée », alors la note et le retour qui va avec en seraient plus aigres que doux. Oui, car le titre du studio two-point interactive se joue facultativement en coopération local. Et nous avons essayé, pendant une heure et demie. Ce qui est déjà spectaculaire, tant notre partenaire (évoquée juste avant) a pu maugréer, puis…s’énerver, lancer des noms d’oiseaux au jeu et à ses contrôles exigeants et inhabituels. Voici son ressenti, qui reste important, puisque le titre peut toucher un large public (y-compris des joueurs moins réguliers) avec son univers spatial détaillé et sa direction artistique qui sent bon les années 70 !
Nous avons commencé le jeu Heavenly Bodies en coopération. Mes premières sensations sur le jeu n’ont pas été très bonnes ! Je ne suis peut-être pas très patiente mais j’ai détesté contrôler le personnage, en effet, le jeu veux nous donner la sensation d’être vraiment dans l’espace, ce que je comprends mais je me suis plus énervée sur ma manette pendant 39 min de jeu (temps passé pour effectuer une première mission) au lieu de prendre réellement du plaisir. Cependant, avec du recul, je trouve que ce jeu créé de l’intérêt puisque j’ai quand même eu envie de réessayer…
Salomé, notre cobaye d’un soir
Fort heureusement, Alexander Perrin et Joshua Tatangelo ont pensé à proposer trois difficultés ou plutôt niveaux de gameplay. Avant de démarrer un niveau, il nous est demandé si l’on veut joueur seul ou accompagné d’un autre cosmonaute en coop, puis de paramétrer les contrôles sur l’option « soutien », « classique » ou « newtonien ». Autant vous dire que ce dernier choix relève de la folie. Déjà, le second est bien corsé. Et encore, c’est presque euphémique…
Sachez-le, notre préférence va au mode soutien qui fluidifie vraiment l’expérience et la rend accessible aux pauvres gens qui ne sont ni les rois de la physique, ni les princes de Dance Dance Revolution ou Guitar Hero. Toutefois, si vous franchissez le pas, nous vous conseillons de faire vos premiers pas en classique puisqu’il faut « expériencier » la joie des mouvements que l’on parvient à synchroniser afin d’aller en avant vers notre objectif. Derrière chaque réussite, de la plus petite à la plus remarquable réside une certaine satisfaction. C’est aussi le sentiment qui peut nous traverser lorsque l’on joue au jeu seul. D’une part, on éprouve la sensation d’être seul sur Mars (je n’ai pu m’en empêcher…) et d’autre part, on relève un défi encore différent. Tantôt, être tout seul nous simplifie la tâche, tantôt un deuxième gugusse pour mettre la main à la pâte ne serait pas de refus. Comme là, lorsque Salomé nous a abandonné, alors qu’il restait de la place pour elle sur le siège du bas.
Ce que vous ignorez, c’est le temps investi afin de réaliser ce quatrième niveau. Avant de le recommencer et de l’achever en 35 raisonnables minutes, il nous a fallu un déclic. Là où la plupart des joueurs voyant deux sièges dans une navette vont immédiatement en conclure que les commandes liées actionnent différentes parties de l’engin, nous n’y avons d’abord vu qu’un second siège inutile car nous jouions seul. Donc aucune raison d’occuper celui du bas, non ? Que nenni ! Si nous avions pris plus de temps (en début de partie notamment) pour observer et comprendre le guide des opérations, faire attention aux couleurs et aux schémas, cela nous aurait évité de sortir de la navette pour forer les minerais en tenant laborieusement cette foreuse de nos mains alors que notre véhicule incluait une perche et différents outils contrôlables d’un simple joystick via le siège inférieur. Histoire de remplir la tâche bien au chaud et sans risque de se perdre dans les profondeurs de l’espace… Bien qu’harassant de par sa physique sans gravité, le jeu reste bien fichu dans ses instructions et dans la teneur des missions qui se veulent réalistes et inspirées de prouesses spatiales réalisées au cours de l’Histoire.
C’était pourtant bien indiqué dans ce fameux guide des opérations… Ces phases rappellent les machines de fêtes foraines où l’on ne parvient jamais à ramasser la peluche désirée.
C’est aussi un rêve d’avoir ce partenariat avec PlayStation, ils nous ont demandé de mettre ce projet sur leurs plateformes et c’est un plaisir de travailler avec eux. Mais en même temps, nous sommes deux personnes n’ayant jamais lancé un jeu de cette envergure auparavant, alors tout à coup, nous avons dû travailler avec une organisation de type entreprise et livrer le jeu sur la génération précédente, la prochaine génération de consoles, puis sur PC également, et tout cela dans des délais assez… Pas vraiment stricts, mais vous savez, vous devez délivrer (le jeu à temps).
Alexander Perrin, co-fondateur de 2pt, pour Kotaku (notre traduction)
Il est toujours intéressant de jeter un œil vers l’envers du décors, pour saisir l’état d’esprit de la petite équipe qui s’est retrouvée à signer un partenariat avec PlayStation. Et en tant qu’exclusivité console, on peut dire qu’Heavenly Bodies fait le travail, à fortiori sur la dernière-née de Sony : la PlayStation 5. Le jeu embrasse totalement les retours haptiques et nous amène à ressentir chaque mouvement, chaque contact de manière plutôt singulière. La manette reste en activité permanente, soulignant les efforts du cosmonaute, à tel point que sa batterie fond comme neige au soleil. N’oubliez donc pas de la recharger entre deux sessions, c’est impératif ! Sinon, l’enveloppe sonore proposée est très cohérente. La musique sait se faire discrète, bien mixée dans les niveaux, les bruitages sont très bien rendus, avec des sons assez sourds et impressionnants lorsque notre personnage cogne une parois par exemple. On se surprend même parfois, mais c’est très bien fait car les impacts « lourds » sont autant d’indicateurs de la force et de la vitesse des chocs, impalpables par l’image, en raison de l’absence de gravité. Les feedbacks passent donc régulièrement par l’audio. Sur la fin du jeu, les bruits d’une ou deux machines peuvent vite devenir envahissants, réellement imposants, voire à la limite du supportable…montrant là-encore à quel point l’humain n’est pas grand chose face aux embûches spatiales.
Le jeu se découpe en une suite d’opérations, autrement dit de missions, ayant toutes un ancrage dans la réalité quotidienne des « petits hommes » envoyés dans nos cieux. Ou tout au moins de l’idée qu’on s’en fait. Nous serons donc amenés à réparer des optiques, rétablir les communications terre-espace, maintenir des organismes végétaux en vie dans une salle spécialisée… Nous accordons une mention toute particulière à l’avant-dernier niveau qui se déroule largement dans une obscurité des plus complètes, avec un sound design lui conférant un côté horrifique qui n’est pas là pour nous déplaire. Pour un jeu construit autour d’un concept phare (éprouver la motricité des cosmonautes en apesanteur), tout est soigné finalement : le feeling manette en mains (composante la plus importante, ce qui retient notre attention), le level design, la direction artistique léchée et mise en valeur par une technique impeccable, l’ambiance sonore. Mais aussi les nombreux détails (manuels papiers, appareils, objets analogiques…) qui n’en sont pas, contribuant à en faire un titre hommage à la science-fiction des années 60-70.
CONCLUSION
Heavenly Bodies
D'une durée de vie comprise entre cinq et huit heures, selon la difficulté choisie et votre goût pour les défis et collectibles, Heavenly Bodies est un jeu difficile à noter. L'expérience vécue fut très sympathique, menée avec un certain brio de bout en bout là où nombre de jeux à concept s'essoufflent plus rapidement qu'il nous faut de temps pour terminer cette phrase. Donc en soit, le jeu brille de mille feux ! Il perd quelques points, car en dépit des efforts menés pour le rendre accessible au plus grand nombre, il reste âpre. Mais finalement, n'est-ce pas sa condition sine qua non ?
LES PLUS +
- Un concept original...
- ...efficacement traduit en mécaniques de jeu
- Un jeu léché (DA, level design, sound design, ambiance...)
- Ni trop long, ni trop court
- Une DualSense savamment mise à profit (aussi sur PC, via Steam)
- La coop local à deux, source de rejouabilité tant l'expérience diffère !
- Les trois niveaux de difficulté bien pensés
LES MOINS -
- Réservé à des joueurs patients, motivés ou avertis