Mondialement connu pour sa licence God of War, Santa Monica est un studio de développement appartenant à PlayStation depuis sa fondation en 1999. Particulièrement appréciée et réputée depuis son commencement en 2005 sur PlayStation 2, God of War a su se faire une place importante dans le paysage vidéoludique en tant que licence phare de PlayStation depuis maintenant 17 ans. Entre symboles d’une époque du jeu vidéo aujourd’hui révolue et brillant renouveau, la licence de Santa Monica a su grandir avec son médium au fil des générations. Pour autant, la vie du studio n’a rien eu d’un long fleuve tranquille, particulièrement durant la période ayant suivie le développement de God of War Ascension. À travers ce papier, nous nous intéresserons donc à cette période particulièrement difficile de l’histoire de Santa Monica en tentant de répondre à la question suivante : comment le studio est passé d’une période de vide à l’attente démesurée entourant God of War Ragnarök ?
La traversée du désert
Profitant d’une immense réputation, Santa Monica aborde la 8ème génération de consoles avec une confiance totale. Malheureusement pour le studio, God of War : Ascension, préquel de la série, ne connaîtra pas le succès critique et commercial des précédents opus. La sortie d’Ascension marque ainsi le commencement d’une longue traversée du désert pour le studio californien entre 2013 et 2018. Cette période sera particulièrement difficile en interne pour les équipes du studio entre projet annulé et méfiance de Sony quant au soft-reboot de la licence proposée par Cory Barlog.
La sortie de God of War Ascension marque le début des difficultés rencontrées par Santa Monica. La réception critique du titre est moins bonne comparativement aux précédents opus. Le sentiment général qui prédomine est que les joueurs en ont marre de Kratos du fait de son manque de profondeur. En effet, l’emblématique fantôme de Sparte est un personnage unidimensionnel dont la principale caractéristique est sa colère. De plus, Kratos n’a finalement que très peu évolué au cours de la saga alors même que l’industrie vidéoludique proposait des expériences de plus en plus profondes à travers des œuvres comme Red Dead Redemption ou encore The Last of Us.
Malgré la volonté du studio de continuer à travailler sur la suite de God of War, Santa Monica souhaite également créer une nouvelle propriété intellectuelle et c’est ainsi que débutera en 2011 la pré-production d’une nouvelle licence dont le nom de code était « Internal-7 ». Jeu de science-fiction et d’action aventure, le projet est finalement annulé en 2014 face aux difficultés du studio à obtenir un résultat convaincant. Vrai séisme pour le studio, cette annulation est sans aucun doute l’événement le plus difficile dans son histoire.
Comme le montre le documentaire « Raising Kratos », cette annulation a laissé de profondes séquelles aux équipes de Santa Monica qui garde le souvenir douloureux d’un « rêve qui est mort ». Il n’y a rien de plus difficile pour un développeur que de voir des années de travail abandonnées et le studio avait réellement touché le fond à cet instant précis. De plus, cette annulation a eu pour conséquence le licenciement de nombres employés du studio étant donné l’état d’avancement du soft-reboot de God of War qui n’en était qu’à ces débuts. Cory Barlog nous apprend d’ailleurs qu’il a soudainement récupéré 110 développeurs sur le projet avec 8 ou 9 mois d’avance alors que le titre était toujours en pré-production. Shannon Studstill sous-entend même à travers un billet publié sur le site officiel de Santa Monica que cette annulation aurait même pu entraîner la fermeture du studio.
« En l’état actuel de l’industrie du jeu vidéo, se remettre d’une perte aussi significative est un immense défi. Nous n’aurions pas pu le faire sans un certain nombre de personnes qui ont cru dans les fondations de notre studio et en notre promesse de livrer des jeux innovants et exceptionnels. »
Shannon Studstill
Pour les curieux, voici quelques concept arts publiés par Erik San Juan, un ancien Concept Designer du projet Darkside, rares traces de ce qu’aurait pu être ce jeu étant donné le peu d’informations accessibles entourant ce projet jamais officiellement présenté.
Un nouveau départ …
Comme vous avez pu le comprendre dans la partie précédente, le défi auquel allait devoir faire face de Santa Monica Studio était donc colossal et ce dans un contexte particulièrement tendu. En effet, le studio californien n’avait plus le droit à l’erreur et devait absolument réussir à redresser la barre. Il fallait réussir à rassembler à nouveau les équipes autour d’un projet commun.
Heureusement, Santa Monica possède tout d’abord des fondations solides entre sa mythique licence et les nombreux développeurs travaillant depuis de très nombreuses années dans le studio. Dans le même temps, la volonté de nouveau départ des dirigeants se matérialise par le déménagement des équipes vers leurs nouveaux locaux baptisés The Reserve en 2014, quittant ainsi Penn Station, locaux historiques du studio occupé durant 15 longues années. Un déménagement particulièrement bien reçu par les développeurs de l’époque chez qui on sent un grand enthousiasme.
De plus, Shannon Studstill, la directrice de Santa Monica Studio de l’époque, a fait revenir au sein du studio Cory Barlog, figure majeure du développement de God of War 2, afin de trouver comment transformer la licence. Les années ayant passé et la vie ayant suivi son cours, Cory était, des propres mots de Shannon, une personne totalement différente, transformé par son mariage et la paternité. Ainsi, le retour de Cory Barlog en tant que game director constitue une des pierres angulaires de la réussite du studio.
Ce désir de nouveau départ se matérialise également par les ambitions entourant le soft reboot de God of War. Conscient de la nécessité de faire évoluer Kratos pour lui donner de l’épaisseur, Cory Barlog projettera sa paternité à l’intérieur de son personnage offrant une nouvelle perspective aux joueurs. Ainsi, à la manière de The Last of Us, Santa Monica placera le développement de ses personnages au cœur de son récit et forgera son succès en s’inspirant de Naughty Dog, nouveau studio phare de PlayStation à l’époque.
… conduisant à un soft reboot d’exception
De manière globale, le nouveau God of War de Santa Monica en 2018 est un jeu remarquable à tous les niveaux : gameplay, histoire, narration, bande originale, technique… Alors même qu’il n’est finalement qu’une introduction à la suite qui nous sera racontée dès aujourd’hui dans God of War Ragnarök. Revenons sur quelques points un peu plus en détail.
Tout d’abord, le choix de proposer un soft reboot de la licence en déplaçant le dieu spartiate dans une nouvelle mythologie est un choix audacieux mais pertinent puisque ce titre se place donc à la fois comme une porte d’entrée à la licence pour les nouveaux joueurs, mais également une nouvelle expérience pour les connaisseurs tout en conservant l’héritage des précédents opus.
Imaginer Kratos comme un père constitue un vrai défi pour ce personnage uniquement caractérisé comme un antihéros jusqu’à présent. La volonté d’explorer des thématiques très humaines à travers un nouveau Kratos alors même que le personnage massacre toute sa famille au début de sa vie, peut paraître étonnante, mais cela constituera une des grandes réussites du titre. L’audace de Santa Monica, symbolisée par la volonté de mêler des moments épiques aux plus intimistes, sera finalement un des facteurs prépondérants de la réussite du titre.
De plus, les équipes de Santa Monica feront preuve d’une grande originalité dans la mise en scène de God of War puisque le jeu se déroulera à travers un unique plan séquence. Un défi technique remarquable montrant l’ingéniosité du studio pour faire face aux défis techniques résultant de ce choix. Le jeu a ainsi une mise en scène plus intimiste, mais de grande qualité, les développeurs jouant de manière très habile avec la caméra.
Enfin, God of War est également une superbe vitrine technologique pour la PlayStation 4, montrant toute l’expertise du studio dans ce domaine et les capacités de la console. C’est donc tout naturellement que le jeu rencontrera un succès critique et commercial très important au point de replacer Santa Monica à son rang de studio d’exception après 8 années plus difficiles. Le titre recevra finalement de nombreuses récompenses louant ces qualités et fera partie des plus beaux succès de la PS4 avec ses 23 millions de ventes.
L’attente démesurée de God of War Ragnarök s’explique donc à travers deux facteurs principaux. Tout d’abord, Santa Monica a toujours su développer d’excellents jeux depuis sa création en 1999 et ce sont ces fondations qui permettront au studio de renaître. De plus, l’introduction de Kratos dans la mythologie nordique à travers le long développement de God of War fut une superbe réussite expliquant tout naturellement les attentes entourant l’épopée nordique de Kratos.