Si le jeu vidéo est souvent une aventure à plusieurs, elle peut dans certains cas être une épopée en solitaire. C’est le cas de The Mind Twisting Quadroids (que l’on abrégera Quadroids), jeu réalisé par le studio de Villeneuve d’Ascq Blue Loop et porté par son unique créateur, Guillaume Crouzille. Après deux ans de péripéties, il nous présente son premier jeu et un certain paradoxe puisqu’il consiste à ramener à bon port des petits bonshommes perdu dans l’espace à travers des niveaux divisés en… quatre écrans ou caméras. Mais ne vous attachez pas trop à eux : leur sacrifice sera souvent nécessaire pour triompher des tableaux les plus retors.
Florian Verdier (Playstation Inside) : Bonjour Guillaume ! Un grand merci à toi d’avoir accepté de venir répondre à mes questions sur ton parcours et sur Quadroids ! Peux-tu te présenter à nos lecteurs et nos lectrices ?
Guillaume Crouzille : Bonjour, je suis Guillaume Crouzille et j’ai créé le studio Blue Loop il y a un peu plus de deux ans maintenant, en décembre 2021. Avant cela, j’ai travaillé chez Ankama pendant huit ans en tant que développeur puis game designer, avant de créer un premier studio avec des collègues. Malheureusement, faute d’un prototype de qualité et ayant atteint notre limite financièrement, l’aventure aura fini par péricliter au bout de deux ans. Fatigué par le jeu vidéo, je suis ensuite parti dans l’informatique de gestion avant d’entamer quatre années dans une société de service. Et même si ça se passait très bien, j’ai eu le besoin de retourner à quelque chose de plus créatif et c’est à ce moment là que je suis reparti dans la création vidéoludique.
Florian (PSI) : Huit ans à Ankama, c’est une sacrée expérience. Que t’a t-elle appris ?
Guillaume Crouzille : Elle m’ a appris comment on fait un jeu (rires). Je n’avais pas fait d’école de jeu vidéo, juste une école en informatique. Au tout début, j’étais dans une petite équipe où j’ai bossé sur Dofus Arena. On était trois : un game designer, deux développeurs, et s’adjoignaient à l’équipe des graphistes en cas de nécessité. Je ne connaissais rien au game design. Mais ce qu’il y a de cool quand tu es en petit comité, c’est que les liens se créent facilement, ce qui m’a permis de comprendre tous les tenants et les aboutissants derrière la conception du jeu.
La programmation était facilitée par le fait que c’était du code maison, ce qui correspondait à la formation que j’avais eu. Au bout de quatre ans, j’ai eu l’opportunité d’évoluer dans la société et de passer en tant que game designer sur Wakfu. Ankama est un vivier de talent venant de tout horizons, qui vont et viennent, ce qui est hyper motivant pour avancer.
Florian (PSI) : Revenons sur le projet de ton premier studio. Qu’as-tu retiré de cette expérience et de son échec ?
Guillaume Crouzille : Sans cette expérience là, je pense que je n’aurai jamais été capable de faire Blue Loop et Quadroids. Après, chaque expérience est propre à chacun. Le problème avec ce premier projet était que nous avions dépensé énormément d’énergie dès le démarrage. Tellement d’énergie que l’on s’est tous épuisés dès la première année. On était arrivés à un moment où notre prototype était quelque peu solide, mais il fallait maintenant redéployer cette énergie pour aller démarcher des éditeurs. On a pas du tout eu l’énergie nécessaire pour concrétiser notre départ, on était rincés.
Ce que j’en ai retiré pour Blue Loop, c’était la nécessité de réaliser un prototype beaucoup plus rapide pour Quadroids afin de démarcher beaucoup plus vite. Cela a bien sûr demandé de l’énergie, mais je suis arrivé bien plus vite à la phase de me dire « est-ce que je vais trouver un partenaire pour m’accompagner dans ma production » ou « est-ce que j’envisage d’y aller seul ».
Florian (PSI) : Justement, tu as commencé à chercher des partenaires en ayant la chance de te rendre à la Game Developers Conference (GDC). Qu’as-tu appris là-bas ?
Guillaume Crouzille : Il y a quelque chose que j’aimerai souligner. En France, il existe plusieurs aides pour les studios. Ça ne rembourse pas tout mais ça permet d’avoir sa chance. C’est comme que je me suis rendu à la GDC. Je l’ai ensuite vécu en deux temps. Premièrement, quand je suis arrivé là-bas, je me suis retrouvé au milieu des gens qui attendaient leur badge pour rentrer dans le salon. Je me suis senti faire partie de cette communauté de développeurs et ça me faisait plaisir de me sentir à ma place. J’ai par la suite assisté à plein de conférences vraiment géniales sur plein de sujets différents. C’était fantastique.
Et après il y a eu la partie où je devais rencontrer des éditeurs pour pitcher le jeu en anglais. Parce que je suis assez réservé, assez timide, je me mettais beaucoup de pression pour réussir, pour les convaincre. Mais malheureusement, ça n’a pas suffi. Je sais que je n’ai pas été bon, que je ne suis pas parvenu à porter le message que je voulais avec le jeu.
Florian (PSI) : C’est ici que l’absence d’études dans le domaine du jeu vidéo t’a pénalisé ?
Guillaume Crouzille : Honnêtement, je n’en sais rien. Je ne saurais même pas te dire s’ils apprennent ça en école. Je pense qu’il faut juste le vivre. Si dans un sens, la GDC a été un échec puisque je n’ai pas trouvé d’éditeur, cela m’a servi tout de suite après pour réadapter mon discours, changer ma façon d’aborder ces rendez-vous. Pour moi, c’est surtout une étape dans le parcours pour rechercher ce que l’on veut.
Florian (PSI) : Tu parlais des aides financières. Est-ce que cela a suffi pour subvenir à une partie des besoins de la création de ton jeu ?
Guillaume Crouzille : Je pense que je mentirais si je disais que c’était simple (rires). Déjà, il faut bien se préparer. Si on ne parle que de l’aspect financier, c’est encore une fois dépendant de beaucoup de choses. Je savais ce que je voulais faire comme type de jeu. J’avais une idée du temps de production que je voulais y passer. J’avais misé sur le fait que j’avais deux ans de chômage devant moi pour me permettre de me lancer de plein pied, en me fixant une année pour trouver un éditeur qui pourrait m’accompagner sur la suite de la production. Sans ça, je me serai pas relancé dans une telle aventure.
On a plusieurs aides disponibles en France, la plus connue étant le FAJV (Fond d’aide aux jeux vidéo) du CNC qui peut financer une partie de la production et de la pré-production. Je ne l’ai utilisée que pour la production. Dans le Nord, on a également Pictanovo qui offre des services plus ou moins similaires. Et puis il y a eu pour moi Pôle Emploi (France Travail) qui a été une bonne aide pour démarrer et avoir une petite assise financière.
Florian (PSI) : Nous avons parlé de la GDC mais tu as aussi eu l’occasion de te rendre à la Gamescom, où tu as réussi à convaincre un éditeur. J’imagine que ça a été une autre bataille, n’est-ce pas ?
Guillaume Crouzille : Oui (rires). Ce n’est pas facile de convaincre un éditeur mais c’est normal. Ils reçoivent tellement de sollicitations qu’ils doivent faire des choix, et prendre des risques. Avec ma petite expérience dans le jeu vidéo, le fait de n’avoir rien sorti avec mon studio ou le précédent, il fallait forcément davantage convaincre, montrer que je voulais aller jusqu’au bout du projet. Que je n’avait pas juste un joli prototype et qu’il n’y avait rien d’autre derrière. Après, il faut se battre, démarcher, relancer parce que les réponses sont rares. Il ne faut pas lâcher l’affaire, se battre et compter sur un peu de chance.
Pour revenir sur la Gamescom, j’ai eu la chance d’être accompagné par Business France qui m’avait déjà accompagné sur la GDC. Ils m’ont proposé de participer à un concours de pitch qu’ils organisaient en amont du salon. J’avais commencé le projet en décembre 2021. Cela faisait huit mois que je cherchais toujours un éditeur. Je ne voulais pas abandonner le jeu mais je me suis dit que c’était peut-être ma dernière chance avant de passer en autoédition.
À partir du moment où on m’a dit que j’allais participer à ce concours, je me suis mis à bosser mon pitch et sa présentation. J’ai fait une quinzaine de slides animés, avec une histoire autour de moi et du jeu pour me présenter, de ce que ça allait être, de ce que je cherchais, tout ça de manière animée avec du pixel art et avec humour pour retenir l’attention. Parce que c’est ça le but : se démarquer pour retenir l’attention.
En le présentant, j’ai eu la chance de tomber sur Fabloo Games, éditeur que je ne connaissais pas, présent à cette soirée. Son président Michael Sportouch était intéressé. On a donc décidé de se revoir deux jours après. Je lui ai parlé un peu plus en détail du jeu, de ce que j’avais en tête, de ce dont j’avais besoin. Tout s’est enchaîné très vite. Il a été très réactif, il a testé de son côté le prototype que je lui avais envoyé. Pour le coup, ça a été une belle collaboration tout au long de la production.
Florian (PSI) : Parlons désormais de ce fameux jeu, Quadroids. Comment le décrire ?
Guillaume Crouzille : C’est plein d’idées qui étaient je pense dans ma tête et qui, à un moment donné, se sont rencontrées et ont croché ensemble. J’avais, à la base, l’idée de faire du platformer un peu exigeant avec des références comme Celeste ou Super Meat Boy, en sachant que je ne voulais pas faire la même chose qu’eux. J’avais aussi en parallèle, une idée reposant sur la modification du level design par le joueur. Pour cela, je voulais utiliser les cadavres que les joueurs laisseraient quelque part dans le niveau, ce qui leur permettait d’atteindre des endroits inaccessibles.
Mais les idées ne fonctionnaient pas au démarrage parce qu’avec un seul joueur, l’idée mettait trop de temps à se mettre en place in game. Il fallait mourir à un endroit puis faire exactement le même chemin pour atteindre la nouvelle zone… Il fallait donc la repenser. Et puis il y a eu une autre idée. Si je veux faire mourir plus de personnages et avoir plus de cadavres pour les utiliser dans le level design, j’ai qu’à montrer plusieurs endroits différents d’un même niveau.
Et c’est ainsi que les 4 caméras se sont matérialisées. À un moment donné, j’étais parti pour mettre jusqu’à 8 ou 16 caméras, mais ça devenait illisible. De fil en aiguille, les idées sont arrivées plutôt logiquement puisqu’avec 4 caméras et jusqu’à 4 joueurs, je ne pouvais pas demander au joueur de tout contrôler. C’est là que j’ai eu l’idée des personnages qui se déplacent tout seuls. J’ai aussi limité les interactions des Quadroids pour éviter de rendre le jeu trop complexe. Ça m’a donné des contraintes qui m’ont limité, mais qui font tout l’équilibre du jeu.
Florian (PSI) : Comment as-tu élaboré ton level design, que tu voulais chaotique, tout en faisant en sorte que le joueur ne s’y perde pas ?
Guillaume Crouzille : Le plus gros défi a été de gérer la courbe de difficulté avec ce principe des quatre boutons et la nécessité pour le joueur de se désynchroniser. Vu que je jouais au jeu tout le temps et que je concevais les énigmes, je ne rencontrais plus les difficultés qu’un joueur pouvait avoir. Le plus dur a donc été de me mettre à la place du joueur et d’ajuster la difficulté pour que ce ne soit pas trop dur, tout en conservant le défi pour apporter ce sentiment de satisfaction quand le niveau est complété. Ça, c’était la plus grosse difficulté.
Il a aussi fallu doser l’apport des diverses mécaniques tout au long du jeu pour éviter que le joueur s’ennuie, ce qui est une de mes hantises. J’ai toujours peur que le joueur se dise « c’est pas intéressant, il n’y a rien de neuf, je fais toujours les mêmes choses ». Au début, j’avais donc chargé les niveaux en mécaniques diverses. La résultat est qu’il y avait trop de choses à apprendre. J’ai dû réduire leurs implémentations tout en les distillant certaines de manière plus équilibrée. Doser la difficulté était le plus gros challenge, ça a demandé énormément de playtests.
Florian (PSI) : Parlons de ces playtests justement. Qu’est-ce que cela t’a appris en tant que développeur solitaire ?
Guillaume Crouzille : La difficulté, c’était le point primordial. Pour moi, les premiers niveaux envoyés en version playtest étaient assez faciles, ce qui était loin d’être l’avis général. Après, ce sont des questions de ressenti. C’était beaucoup d’ajustements par rapport aux niveaux, sur la progression, l’apport de certaines mécaniques à certains moments clés. Ce sont des discussions qu’on a pas mal eu tout au long de la production. Mais c’est difficile de revenir en détail sur des points spécifiques. Après tout, il y en a eu tellement en deux ans. (rires)
Florian (PSI) : En regardant le jeu tourner en stream, j’ai eu la surprise de voir qu’il n’utilisait que les gâchettes arrières (R1,R2, L1, L2 sur consoles Sony) en lieu et place de la croix directionnelle ou des boutons principaux pour interagir avec les Quadroids . Pourquoi avoir fait ce choix ?
Guillaume Crouzille : Pour moi, cela paraissait assez logique d’avoir les 4 écrans en face du joueur et donc, d’avoir les gâchettes qui sont plus ou moins la symétrie de ces écrans là, afin que le joueur puisse identifier rapidement ses doigts avec les écrans. Ça offre par la suite la possibilité d’appuyer sur les 4 boutons en même temps plus facilement, ce qui est demandé par le jeu à certains moments. Sélectionner les quatre boutons de la croix directionnelle me paraissait moins évident. C’était plus une intuition au départ qu’un choix théorique (rires).
Florian (PSI) : Quadroids se déroule dans un univers spatial. D’où vient ce choix ?
Guillaume Crouzille : Je pense que c’est juste un type d’univers que j’aime bien. J’ai toujours un peu lu de science fiction quand j’étais plus jeune. C’est une envie personnelle pour le coup d’avoir cet univers spatial. J‘ai été aussi biberonné aux dessins animés, à Tex Avery par exemple, ce qui explique le côté un peu cartoon du titre. Pour les Quadroids, j’aimais bien le contraste d’avoir des personnages mignons, bêtes et en même temps attachants, ce qui contraste avec le pouvoir de les sacrifier. C’est Un peu le côté happy tree friends, des trucs mignons mais qui se font massacrer de plein de manières différentes.
Florian (PSI) : Peut-on parler du mode multijoueur local de Quadroids ?
Guillaume Crouzille : Si l’expérience de jeu optimale est le solo, je voulais quand même offrir l’opportunité aux gens de le faire à plusieurs, juste pour le partager entre amis, voire même pour se rendre le jeu plus simple. J’avais eu l’occasion de le tester et on avait pas mal rigolé avec un pote. Si ce côté de séparer les écrans et de s’en attribuer un ou plusieurs décharge les joueurs de se désynchroniser, une touche de difficulté se rajoute sur la communication entre les participants. Des fois, il faut ainsi prévenir l’autre qu’un Quadroids va arriver sur son écran pour qu’il puisse anticiper son mouvement. Ça ajoute un peu de piquant aux parties.
Florian (PSI) : Il y a multijoueur en local mais aussi, d’une certaine manière avec l’ajout d’un mode Twitch Play (uniquement sur la version Steam), un multijoueur en ligne. Comment cela se déroule-t-il ?
Guillaume Crouzille : J’avais eu des retours de presse à la Gamescom de l’an dernier où on me disait que le jeu pouvait être assez marrant pour la communauté Twitch, parce que les viewers allaient apprécier voir le streamer un peu galérer sur le jeu. De là, l’idée était de pousser le concept plus loin afin de faire participer tout le monde. J’ai cherché ce qui pouvait être intéressant et cela à découlé en deux modes. Le premier est de se porter volontaire pour être le prochain Quadroids. De là, une liste d’attente se met en place et un nom de viewer qui sera attribué au prochain Quadroids qui apparaitra est alors tiré au sort. Le reste dépendra par la suite du skill du streamer (rires).
La deuxième idée, c’est de laisser les viewers interagir avec le jeu. Ils ont une commande Twitch à rentrer par écran et ça fait la même action que si on appuie sur le bouton correspondant. Ils peuvent donc faire avancer et sauter les Quadroids. Mais le fait d’être plusieurs, sans compter la petite latence obligatoire entre la commande et l’action, rend l’ensemble bien confus et bien marrant.
Florian (PSI) : Terminons cette interview par une petite carte blanche. Y a-t-il des jeux qui t’ont marqué récemment et dont tu aimerais parler ? Ou des titres que tu attends beaucoup cette année ? Interdiction de me dire Final Fantasy 7 Rebirth (rires)…
Guillaume Crouzille : C’est dur ce que tu demandes, puisque Final Fantasy 7 sur PS1 est l’un des jeux qui m’a le plus marqué de ma vie. Je vais quand même t’en citer deux, deux puzzles games. Le premier est The Case of the Golden Idol, qui fonctionne super bien. Mais celui qui m’a le plus marqué en fin d’année dernière n’était autre que Chants of Sennaar. J’ai adoré découvrir le jeu et ses langues.
Merci beaucoup Guillaume de ton temps. C’était un plaisir de discuter avec toi pour PlayStation Inside. Bon courage pour le lancement de Quadroids (le jeu est sorti le 22 février, ndlr).