Sorti le 17 juillet 2020, Ghost of Tsushima aura beaucoup fait parler de lui pour bien des raisons. Souvent critiqué pour sa forme, avec notamment son monde ouvert « classique », il est aussi très atypique, totalement unique dans l’histoire du jeu vidéo et de la pop-culture en général. La raison en est simple : Ghost of Tsushima se déroule au Japon durant l’ère Kamakura 鎌倉時代 (1185-1333).
Quand la pop culture boude l’ère Kamakura au profit de périodes plus modernes
Cela peut paraître évident, mais avoir une représentation à très grand budget de cette période capitale du Japon est une première, au minimum dans l’histoire du jeu vidéo. Peu en ont conscience, mais la plupart des œuvres traitant de l’histoire japonaise, notamment le jeu vidéo, se déroulent soit durant l’ère Edo 江戸時代 (1603-1868), soit durant l’ère Sengoku 戦国時代 (1477-1573) ou encore durant l’ère Azuchi Momoyama 安土桃山時代 (1573-1603), quand ce n’est pas durant la période moderne ou contemporaine (ou durant l’époque Heian 平安時代 (794-1185) avec l’excellent Ôkami).
La raison de cette surreprésentation des ères Edo ou Sengoku s’explique par le fait qu’il s’agit de périodes situées dans un Japon féodal très adapté pour la mise en place de beaucoup d’actions. Si un jeu comme Sekiro: Shadows Die Twice se déroule par exemple durant l’ère Sengoku, c’est pour justifier la présence d’armes à feu ou de puissants clans rivaux comme le clan d’Ashina ou celui du domaine Hirata. L’ère Azuchi Momoyama, elle, constitue l’apogée du moment des provinces en guerre où des guerriers légendaires comme Oda Nobunaga 織田信長, pour ne citer que lui, ont permis la réunification du Japon. Autant dire que cette période est parfaite pour faire un jeu d’action dans un Japon féodal. L’ère Edo, quant à elle, est plus propice à la mise en scène de grands Shogun avec une profusion culturelle permise par la paix relative de cette époque, le tout avec des samouraïs toujours très présents.
Mais qu’en est-il de l’ère Kamakura ? Pourquoi cette ère est-elle sous-représentée ? Pour avoir un début de réponse, il faut d’abord voir ce qu’est concrètement l’ère Kamakura, une période très riche dans l’histoire du Japon et qui fut marquée par bien plus qu’une invasion mongole.
De l’ère Heian 平安時代 (794-1185) à l’ère Kamakura 鎌倉時代 (1185-1333)
L’évènement le plus marquant de la période Kamakura est sans aucun doute la mise en place en 1192 d’un nouveau régime, jusque-là totalement inédit dans l’histoire du Japon : le bakufu 幕府. Littéralement le gouvernement de la tente, le bakufu est un nouvel organe de pouvoir constitué de guerriers, qui a pu se mettre en place après une série d’évènements ayant considérablement affaibli la cour impériale du Japon. Une série sur laquelle il faut s’attarder un minimum afin de comprendre le contexte de la mise en place de l’ère Kamakura.
Le clan Minamoto contre le Clan Taira round 1 : la rébellion de Hôgen (保元の乱, Hōgen no ran)
Deux hommes et deux clans de guerriers sont à retenir dans la mise en place du bakufu : Minamoto no Yoritomo 源頼朝 (1147-1199) pour le clan des Minamoto, et Taira no Kiyomori 平清盛 (1118-1181) pour le clan des Taira. Ce dernier est le premier homme issu d’un clan guerrier à avoir obtenu la confiance d’un empereur au Japon, en l’occurrence l’empereur Go-Shirakawa (後白河天皇 Go-Shirakawa Tennō, 1127-1192). Cette confiance fut gagnée suite à la victoire de Taira no Kiyomori lors de la rébellion de Hôgen (保元の乱, Hōgen no ran) en 1156, qui impliqua les trois plus puissants clans de l’époque, les Minamoto, les Taira et les Fujiwara (藤原氏, Fujiwara-shi), dans une lutte pour la domination de la cour impériale de Kyôto. Cette rébellion voit la chute du clan Fujiwara, et donc l’instauration du clan des Taira dans les hautes sphères de la cour impériale.
Le clan Minamoto contre le Clan Taira round 2 : La rébellion de Heiji (平治の乱, Heiji no ran)
Les Minamoto se mettent en retrait à la fin de cette rébellion et nouent une entente cordiale avec les Taira, mais cette dernière ne durera pas longtemps. Au fil du temps, les Taira, inquiets de voir la puissance des Minamoto augmenter, se rapprochent en 1158 de Go-Shirakawa, alors empereur retiré, tandis que son fils, l’empereur Nijō ( 二条天皇, Nijō Tennō) gouverne à la cour impériale de Kyôto. C’est en décembre 1159 que tout bascule, puisque Taira no Kiyomori quitte la cour pour un temps avec sa famille afin de se rendre en pèlerinage dans un temple de Kumano. Les Minamoto, sous la houlette de Minamoto no Yoshitomo 源義朝, profitent de cette occasion pour prendre d’assaut le pouvoir en janvier 1160. Ils attaquent le palais impérial avec une armée de 500 hommes et font prisonniers l’empereur retiré Go-Shirakawa et son fils. Taira no Kiyomori revient à la hâte à Kyôto avec son fils et quelques hommes et réussit à reprendre le contrôle de la situation dans la ville, malgré l’arrivée de renforts du clan Minamoto de la ville de Kamakura. Le clan Minamoto finit par se retrancher dans le palais impérial et subit quelques jours plus tard un assaut de 3000 cavaliers du clan Taira après l’évacuation de l’empereur Go-Shirakawa et de son fils.
Cet assaut voit les Taira décimer le clan Minamoto. Les enfants en bas âge de Minamoto no Yoshitomo sont toutefois épargnés et exilés (un choix qui se verra lourd de conséquences plus tard). Taira no Kiyomori prend alors le contrôle des richesses et des terres des Minamoto, puis il est nommé daijō-daijin (太政大臣, premier ministre) par Go-Shirakawa en 1167. Cela lui permet de former le premier gouvernement de samouraï de l’histoire du Japon. Les années passent, et les relations entre Taira no Kiyomori et l’empereur retiré Go-Shirakawa se dégradent, ce qui donne lieu au dernier évènement majeur de l’ère Heian.
Le clan Minamoto contre le Clan Taira round 3 : La guerre de Genpei (源平合戦, Genpei kassen)
La guerre de Genpei (dont le nom vient de la contraction de Minamoto 源 et de Taira 平) est le résultat de décennies de conflits entre le clan Minamoto et le clan Taira. En 1177, les relations entre l’empereur retiré Go-Shirakawa et le clan Taira deviennent très tendues, et l’ancien empereur tente un coup d’État pour renverser Taira no Kiyomori. Ce dernier fait alors abolir en 1179 l’insei 院政, le système de gouvernement retiré en place depuis près d’un siècle. C’est la goutte de trop, et cette action provoque très rapidement une forte opposition anti-Taira. Le clan Taira, malgré une ascension inédite dans la cour, n’a pas réellement gagné la confiance de la famille impériale. En réalité, cette dernière nourrit un désir de s’en débarrasser. C’est finalement le prince Mochihito (以仁王, Mochihito-ō), fils de Go-Shirakawa, qui lance l’ordre d’abattre les Taira, suite au choix du clan de soutenir le très jeune Antoku (安徳天皇, Antoku Tennō), neveu de Mochihito, à la succession au rôle d’empereur.
C’est alors que Minamoto no Yoritomo profite de l’occasion pour se lancer dans des préparatifs pour renverser une bonne fois pour toutes le clan Taira. Minamoto no Yoritomo est en réalité l’un des enfants de Minamoto no Yoshitomo ayant été exilé suite à la mort de ce dernier durant la rébellion de Heiji. Il est recueilli pendant son exil par la famille Hôjô 北条, qui deviendra la plus importante du pays à la fin de la guerre. Forcément, avec les années, sa haine du clan Taira ne fait que se développer, et après s’être installé à Kamakura vers 1180, il initie une série de batailles contre le clan Taira qui durera jusqu’en 1185. Cette année-là a lieu la célèbre bataille navale de Dan no Ura (壇の浦の戦い, Dan no ura no tatakai), durant laquelle le clan Taira est noyé avec le jeune empereur Antoku (ce n’est encore qu’un enfant de 6 ans à ce moment là). Cette bataille marque définitivement la fin d’une époque et reste encore aujourd’hui le moment où, selon la tradition, le magatama et l’épée sacrée Kusanagi, deux des trois trésors sacrés du Japon, coulent au fond de la mer avec l’empereur. L’épée sacrée Kusanagi n’a malheureusement jamais été retrouvée.
La victoire du clan Minamoto
Minamoto no Yoritomo, qui sort donc victorieux de toute cette histoire, se voit investi par la cour en 1192 du titre de seii taishôgun 征夷大将軍, soit le général chargé de la pacification des barbares. La même année, le nouveau régime du bakufu 幕府 de Kamakura 鎌倉, du nom de la ville de l’est où réside alors Minamoto no Yoritomo, est fondé. Minamoto no Yoritomo devient celui qui garantit leurs droits et possessions aux guerriers les plus influents répandus dans les provinces et devenus ses vassaux, et leur interdit toute relation avec la cour. Les guerriers sont au sommet de la hiérarchie du pays pour la première fois de l’histoire du Japon, et cela ouvre le début d’une immense période qui se finira des siècles plus tard dans le bain de sang généralisé connu comme étant l’ère Sengoku 戦国時代 (1477-1573), et notamment l’ère Azuchi Momoyama 安土桃山時代 (1573-1603).
L’ère Kamakura à proprement parler s’étend jusqu’en 1333, date à laquelle un nouveau clan de guerrier, le clan Ashikaga, prend le pouvoir. Cette période, qui constitue l’ère Muromachi 室町時代 (1336-1573), voit la fin de la ville de Kamukura comme le centre du pouvoir au profit d’un retour à Kyôto, et est souvent considérée comme la deuxième moitié du moyen-âge japonais.
L’ère Kamakura et l’essor des guerriers
Maintenant que vous en savez plus sur la série d’évènements qui a amené la classe des guerriers à la tête du Japon, il reste encore à voir comment fonctionne le pays durant l’ère Kamakura avant les invasions mongoles.
Nous sommes donc à la toute fin du 12ème siècle, le bakufu est installé à Kamakura, une ville située à l’est du Japon assez proche du Tôkyô actuel. La cour impériale existe toujours et a techniquement encore autorité sur la population, mais ce sont les guerriers du bakufu qui ont l’autorité concrète sur les guerriers de province répartis dans tout le Japon. Retenez simplement le terme shugo 守護 qui désigne un gouverneur militaire ou gouverneur de province. Ces gouverneurs sont chargés à la base de maintenir la paix dans leur territoires, mais au fil des siècles, chaque gouverneur devint le chef des vassaux de la province. Ce titre de shugo deviendra daimyo 大名, qui signifie littéralement grand nom. Ce sont eux qui deviennent propriétaires de domaines, voire d’une province entière, et qui voudront sans cesse agrandir leur territoire jusqu’à un point qui mènera le Japon vers une période de chaos que sont donc les ères Sengoku et Azuchi Momoyama. Tout prend sa source durant l’ère Kamakura.
En 1199, Minamoto no Yoritomo décède. C’est la famille Hôjô 北条, qui avait adopté Yoritomo durant son exil quand il n’était encore qu’un enfant, qui prend alors la tête du bakufu de Kamakura. Le dernier fils de Yoritomo est poussé au suicide en 1219 et la cour impériale, toujours située à Kyôto, pense alors pouvoir profiter des discordes du bakufu afin de l’abolir.
Cela ne fonctionne pas du tout car les guerriers tiennent absolument au maintien du système qui leur permet d’avoir des droits et des terres. La machine est lancée et il est trop tard pour revenir à l’ancien temps. Cette tentative de la cour de faire tomber le bakufu ne fait que renforcer ce dernier et affaiblit tout ceux ayant pris le parti adverse. La cour finit comme une relique du passé qui s’évertuera alors à perpétuer la culture du pays (littérature, poésie, etc.).
La classe guerrière
En parlant de culture, il faut savoir que durant l’ère Kamakura, les guerriers provinciaux étaient dans leur ensemble rustres et peu instruits, avec un taux d’illettrisme assez élevé. Malgré tout, ils éprouvent du respect pour les aristocrates et s’efforcent d’acquérir leur culture et de la répandre. Les demeures des guerriers de province sont loin des châteaux en pierre du monde occidental. Tout est en bois, ce qui rend de facto toutes ces constructions très fragiles.
Cependant, la fabrication des armes et des armures était très importante. L’armure était faite de plaques de cuir ou de métal réunies par des lacets de couleur vive. Des jambières protégeaient les jambes et des espèces d’ailes les bras. Le casque métallique, rond et prolongé vers l’arrière par des lames de métal, était orné d’un cimier en forme de cornes encadrant quelques fois un motif. Les armes offensives étaient principalement le sabre et l’arc. Le sabre ne devait devenir une arme offensive de grande valeur qu’au XIVème siècle, quand sa fabrication fit des progrès décisifs. L’arc, de deux mètres de long environ, était fait de bois et de bambou collés ; il existait une grande variété de flèches plus ou moins longues suivant l’éloignement de l’objectif, certaines étant trouées, de façon à produire un ronflement et à effrayer l’adversaire. L’éventail rigide ou pliant était aussi un accessoire des guerriers qui pouvaient s’en servir pour diriger des manœuvres.
Comme celles des chevaliers du Moyen-Âge occidental, les distractions constituaient un entraînement au combat. Il s’agit de makigaki 巻狩, (de la traque, une forme de chasse qui consiste à pousser le gibier dans un enclos préparé où on peut l’abattre), ou de divers exercices de tir à l’arc, yabusame 流鏑馬, tir à l’arc monté sur une cible fixe, ce qui demandait beaucoup de vigueur, car il fallait virer le torse pour tendre l’arc, tout en maintenant le cheval par la seule force des genoux. Enfin, le inuoumono 犬追物 était un jeu consistant à tirer, tout en chevauchant, sur une cible mouvante, et en l’occurrence un chien.
Les guerriers, comme le peuple, se plaisaient aux anecdotes édifiantes et surtout aux récits épiques comme le Heike monogatari 平家物語 (Le Dit des Heike, une chronique poétique racontant les luttes entre le clan Taira et le clan Minamoto), que les conteurs errants, habillés en moine, biwa-hôshi 琵琶法師, chantaient en s’accompagnant d’un biwa.
Longtemps, ce que l’on appelait « voie des guerriers » était surtout l’habileté dans les sports ou arts militaires, mais au cours de l’époque de Kamakura apparut la conception d’une morale, propre aux guerriers, qui mettait l’accent sur la loyauté, le sens du protocole, toutes les qualités recommandées par la morale ancienne, et en outre sur l’honneur, le goût de la sobriété, de la simplicité, le mépris de la mort, le sacrifice.
Les mariages, dans le monde des guerriers, à l’image de ce qui se faisait déjà chez les paysans et à la différence de ce que pratiquaient les aristocrates, se faisaient par l’entrée de la femme dans la maison de son mari, les époux ensuite cohabitant. Les femmes étaient souvent choisies non pour leur grâce ou leur beauté, mais pour leur vaillance. Certains récits caractérisent le vrai guerrier par le fait qu’il prenne une femme « laide ». Plusieurs des femmes de ce temps n’hésitèrent pas à combattre, telle Tomoe Gozen, compagne de Minamoto no Yoshinaka. On cite aussi le caractère viril de l’épouse de Yoritomo, Hôjô Masako.
La classe paysanne
Un mot sur la classe paysanne s’impose. La plus grande partie de la population vit à cette époque de la terre et dans le cadre domanial, soumise à l’administration des officiers domaniaux. On enregistre des progrès agricoles : début de l’usage du moulin à eau (qui ne devait pourtant se répandre qu’au XVIIème siècle), utilisation plus grande d’animaux, chevaux et bœufs, pour le travail de la terre et surtout dans les régions les plus privilégiées, et enfin développement du procédé de la double récolte annuelle sur le même terrain. Certaines familles paysannes purent s’élever dans la hiérarchie des maîtres de lots de rizières, et purent même pénétrer dans le groupe des vassaux du shôgun et recevoir ainsi la fructueuse charge d’intendant domanial nommé par le bakufu.
Les artisans et les commerçants
Pour finir sur les classes de l’époque, il y a celle des artisans et des commerçants. Les villages ont longtemps vécu en économie fermée, fabriquant ce qu’ils consommaient. Les artisans étaient essentiellement des spécialistes habiles au service de la cour. Mais avec les progrès de l’agriculture, le nombre des artisans grandit ; grandes familles, temples et sanctuaires, surtout dans les régions centrales, s’attachèrent les services de groupes qu’ils protégeaient, donnant naissance à des espèces de corporations za 座.
Le transport et la distribution des biens s’étaient faits longtemps dans un cadre officiel, puis semi-officiel, des gouverneurs de province fournissant à la cour ce dont elle avait besoin, tandis que leurs agents avaient du surplus à vendre. Mais l’accroissement de la production agricole, le développement d’une classe d’officiers domaniaux et de maîtres de rizières, dont certains récoltaient ou levaient plus qu’ils ne consommaient et avaient besoin, donnèrent un premier essor au commerce, grand ou petit. Des officiers domaniaux, chargés de commercialiser d’assez importantes quantités de céréales ou de sel, furent amenés à créer des espèces d’entreprises de gros qui stockaient, transportaient, vendaient moyennant commission : ce sont les toimaru 問丸 (entrepôts). Certains paysans se sont aussi livrés à l’industrie des transports par des chevaux de bât, ce sont les bashaku 馬借, qui travaillaient de préférence durant la morte-saison agricole.
La vie religieuse
L’ère Kamakura est la dernière grande époque de création de sectes au Japon. En fait, ces sectes existaient déjà en Chine et leurs doctrines n’étaient pas inconnues au Japon, mais elles s’érigèrent alors en entités indépendantes. On peut diviser en trois groupes principaux les nouvelles sectes créées durant cette période : les sectes amidistes et les sectes Zen auxquelles s’ajoute la secte Nichiren, le trait commun aux trois groupes étant l’hostilité à l’ésotérisme.
L’amidisme est la croyance dans le vœu du bouddha Amida, dans l’incapacité pour tout être de la période finale de la loi, mappô, de parvenir à l’illumination sans aide, dans l’efficacité de la récitation du nenbutsu, gage de la renaissance dans le paradis de la Terre Pure de l’Ouest.
Le Zen est une méthode pour retrouver la « nature de bouddha » qui est en chaque être. Elle consiste à vider l’esprit par la pratique de la concentration assise, zazen : l’esprit, une fois nettoyé, sa véritable nature apparaît. Ceci s’obtient par soi-même, jiriki 自力, par la force propre de celui qui médite. Rites et livres de doctrines sont, en principe, dépréciés.
La secte Nichiren, ou secte du Lotus, est la seule à ne pas avoir d’origine continentale. Son fondateur, le moine Nichiren 日蓮 (1222-1282) lui a donné son nom. Pour lui, le sûtra du Lotus représentait l’essence de l’enseignement du Bouddha, et il en fit l’objet principal du culte.
Toutes ces nouvelles sectes présentent, au moins pour leur fidèles laïques, un aspect accessible pour obtenir l’éveil ou le paradis. Elles conservent cette tendance essentielle du bouddhisme japonais, qui est le souci d’obtenir la prospérité du pays par leurs prières et leurs rites.
La première invasion mongole dans Ghost of Tsushima
On y est, après vous avoir présenté sans trop entrer dans les détails l’ère Kamakura, et certaines représentations de cette époque dans Ghost of Tsushima, il est temps d’aborder ces fameuses invasions mongoles.
Les prémices de l’invasion
Tout commence au début du 13ème siècle, lorsque les Mongols commencent leurs chevauchées de conquête. C’est d’abord la Corée qui subit cette expansion mongole, puisqu’elle devient un royaume vassal en 1258. C’est à ce moment-là que l’empire mongol s’intéresse au Japon, relativement proche de la Corée. En 1268, une lettre des Mongols arrive jusqu’au bakufu de Kamakura. Cette lettre demande tout simplement la soumission du Japon. Le bakufu ne répond pas à la lettre ainsi qu’aux suivantes et prévient ses vassaux de l’ouest de redoubler de vigilance. La cour, quant à elle, agit comme elle l’a toujours fait depuis des siècles : elle commande des services religieux à différents temples et sanctuaires. C’est en 1274 que les festivités commencent avec la première tentative d’invasion (Bun.ei no eki 文永の役).
Tsushima et la première invasion mongole
Un petit point s’impose sur l’île de Tsushima dans la réalité. 対馬 (Tsushima, littéralement « île Tsu ») est une île située aux abords du détroit de Tsushima. Elle dépend de la préfecture de Nagasaki dont elle est la plus grande île avec une superficie de 696,26 km2. Oui 696,26 km2, c’est largement plus que la représentation de l’île dans Ghost of Tsushima. Pour rester dans la géographie, l’île est depuis toujours considérée comme une île unique, car elle est constituée de deux îles distinctes séparées par une baie profonde, la baie d’Aso 浅茅湾 au centre de Tsushima, mais reliées entre elles par un isthme. Les deux parties de l’île sont composées de montagnes dont la plus haute culmine à 649 mètres. Enfin, l’île n’est située qu’à 50 kilomètres de la Corée, qui est donc légèrement plus proche de Tsushima que le port japonais le plus près. Il est par conséquent possible d’observer les montagnes coréennes depuis les montagnes de la partie nord de Tsushima. Aujourd’hui, Tsushima comprend environ 41 000 habitants.
C’est une flotte construite en Corée, portant environ vingt mille Mongols, qui débarque non loin du siège du gouvernement général de Kyūshū (la troisième plus grande île située au sud du Japon). L’île de Tsushima a en quelque sorte la malchance de se situer sur le chemin, puisqu’encore une fois l’armée mongole est partie de la Corée. Ce sont donc ces troupes composées de soldats coréens qui ont massacré de nombreux habitants de Tsushima, mais c’est bien au Kyūshū que les invasions mongoles ont réellement lieu. Cette première invasion de vingt mille hommes a largement le dessus militairement parlant sur les guerriers japonais, la survie de Jin Sakai et du seigneur Shimura dans Ghost of Tsushima étant en réalité improbable. Le pire est que cette invasion mongole n’est en quelque sorte qu’un coup d’essai, puisque les Mongols préfèrent rembarquer, du fait de leur éloignement, avec leurs bases. Cette première invasion, bien qu’au cœur de Ghost of Tsushima, n’est qu’un avant goût de ce qui va suivre. Mais avant de s’attarder sur la prochaine étape de l’invasion mongole, revenons un peu sur Ghost of Tsushima et les prises de liberté de Sucker Punch par rapport à la réalité.
Ce qui change dans Ghost of Tsushima
Tout d’abord, et comme évoqué dans le paragraphe précédent, c’est au Kyūshū que l’invasion mongole a réellement lieu. Les Mongols ont pour but de soumettre le Japon, pas l’île de Tsushima, cette dernière ayant juste eu le malheur d’être sur le chemin. Le deuxième gros changement du jeu peut paraitre évident, mais Tsushima ne contient pas en réalité un écosystème aussi varié, comme cela est représenté dans le jeu. Tsushima possède un climat subtropical maritime, avec une forte influence des vents de mousson. La température moyenne est de 15,5 °C et la température la plus basse jamais enregistrée est de -8,6°C en 1895. C’est aussi une île qui souffre rarement des typhons.
Le troisième gros changement par rapport à la réalité est le Hwacha. Il s’agit d’une arme d’artillerie coréenne, utilisée pendant la dynastie Choson. En 1377, un chercheur coréen nommé Choi Mu-seon découvre un moyen d’obtenir de la poudre par l’extraction de nitrate de potassium à partir du sol, et inventera par la suite le juhwa (ko) (주화), la toute première fusée de la Corée. C’est un ancêtre du Lance-roquettes. La Hwacha est une évolution de la juhwa, et la première Hwacha est développée en Corée en 1409 lors de la dynastie Joseon par plusieurs scientifiques coréens, y compris Yi Do (이도) et Choi Hae-san (최 해산). La première invasion mongole au Japon, et donc à Tsushima, ayant eu lieu en 1274, la Hwacha n’existait pas encore. Mais pour des raisons de gameplay et du scénario du jeu, Sucker Punch a décidé d’incorporer cette arme d’artillerie coréenne.
La quatrième prise de liberté de Sucker Punch pour Ghost of Tsushima se situe dans certaines armures. C’est notamment la tenue du fantôme qui est anachronique, puisqu’elle est clairement inspirée de la fameuse époque Sengoku, dite des provinces en guerre, que la pop culture affectionne tant. D’autres éléments comme des chapeaux sont aussi anachroniques et n’existent pas du temps de l’ère Kamakura.
Enfin, la dernière prise de liberté n’est tout autre que le personnage de Khotun Khan, qui dans Ghost of Tsushima est le cousin de Kubilai Khan. Ce personnage n’existe pas en réalité, tout comme les Mongols n’ont pas envoyé de membres de la famille de Kubilai Khan pour conquérir le Japon.
La deuxième invasion mongole
A partir de maintenant, on sort de Ghost of Tsushima pour entrer dans ce qui pourrait être présenté dans un hypothétique Ghost of Tsushima 2.
Kamikaze 神風
Suite à la première invasion mongole, le bakufu fait fortifier la baie de Hakata et fait partir pour l’ouest tous les vassaux possédant des biens. L’empereur mongol Qoubilai (une autre écriture de l’empereur mongol de l’époque), lance sa deuxième expédition (Kôan no eki 弘安の役) pour le Japon en 1281 lorsqu’il achève sa conquête de la Chine. Contrairement à la première expédition mongole, celle-ci part de Corée et de Chine avec une armée largement plus nombreuse que celle déployée la première fois (on parle de plus de cent mille hommes cette-fois). Mais cette deuxième expédition se fait balayer par un typhon d’autant plus meurtrier que, pour éviter les harcèlements des japonais, ordre est donné d’attacher ensemble les bateaux pour la nuit. La délivrance est attribuée au vent divin, shinpû 神風 ou kamikaze (la lecture purement japonaise des deux kanjis) qui passe pour la réponse des divinités. La croyance en la pérennité de la dynastie régnant sur un pays divin, shinkoku 神国, pays protégé par les dieux, est alors renforcée.
La fin du bakufu et de l’ère Kamakura
Cependant les conséquences de cette invasion mongole sont plus vicieuses qu’il n’y paraît. En 1281, on est loin d’un Japon unifié comme cela sera le cas des siècles plus tard durant l’ère Edo. Seuls les guerriers de l’ouest ont combattu durant l’invasion et, car le Japon n’était pas unifié, ces guerriers ne se battaient pas au nom de leur pays mais sous la promesse de recevoir des biens et des territoires. Mais contrairement aux guerres internes précédentes, il n’y a rien à gagner durant l’invasion mongole. Tout est à perdre. Le plus gros problème est que cette situation perdure pendant des années, car le Japon entier s’attend à une troisième invasion, évènement qui ne se produira jamais. Les guerriers et vassaux du bakufu resteront ainsi mobilisés pour rien pendant des années et s’appauvriront au fil du temps. Avec les années qui passent, et l’intervention de la cour qui souhaite revenir au temps d’avant, le bakufu de Kamakura tombe en 1333, marquant la fin de l’ère Kamakura.
Ce qui advient après l’ère Kamakura est considéré comme la deuxième partie du moyen-âge japonais, période d’éclatement progressif du pays ayant pour apogée l’ère Azuchi Momoyama 安土桃山時代 (1573-1603). Cette deuxième moitié du moyen-âge japonais est celle qui fait l’objet de nombreuses retranscriptions dans la pop culture depuis des décennies. C’est l’époque des shoguns de la famille Ashikaga 足利 et de l’émergence de personnages parmi les plus populaires de toute l’histoire du Japon : Toyotomo Hideyoshi 豊臣秀吉 Oda Nobunaga 織田信長 et Tokugawa Ieyasu 徳川家康.
Le Hamburger samouraï
Avant Ghost of Tsushima, l’ère Kamakura n’avait jamais fait l’objet d’une telle représentation à destination d’un public aussi vaste que celui d’un jeu AAA. Le plus fou dans cette histoire est que le studio derrière Ghost of Tsushima, Sucker Punch, est un studio américain. En réalité, au même titre qu’il existe des westerns spaghettis (des westerns réalisés en Italie), Ghost of Tsushima est, selon Nate Fox, Creative Director chez Sucker Punch, le premier Cheeseburger (ou Hamburger) Samouraï de l’histoire. C’est à dire que Ghost of Tsushima est le premier jeu occidental à représenter avec une telle ampleur le Japon féodal, et surtout l’ère Kamakura. Le jeu est une lettre d’amour au Japon féodal et aux samouraïs, notamment ceux dépeints par le réalisateur japonais Akira Kurosawa 黒澤 明 (1910-1998).
Il est clair que Ghost of Tsushima restera dans les mémoires. La question qui se pose est de savoir si d’autres suivront les pas de Sucker Punch. L’ère Kamakura est d’une richesse qui n’a rien à envier aux époques qui ont suivi. Il serait notamment intéressant de voir un studio japonais s’atteler à la tâche afin d’avoir une comparaison avec Ghost of Tsushima. En attendant, on peut au moins espérer une suite à ce jeu, qui pourrait dépeindre la seconde invasion mongole. Et pour finir, soyons fous, souhaitons aussi un jour l’arrivée d’un jeu situé dans une époque antérieure à l’ère Kamakura. Ôkami l’a déjà fait avec l’ère Heian 平安時代 (794-1185), il y a donc de la place pour d’autres titres prenant place dans cette époque, voire dans une époque encore plus ancienne comme celle de Nara 奈良時代 (710-794), ou celle du Yamato qui comprend l’ère de Kofun 古墳時代 (~250-538) et l’ère Asuka 飛鳥時代 (6ème siècle-710).
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