Ces dernières années, la nostalgie a été un des moteurs principaux de la création audio visuelle, plus particulièrement au sein du médium vidéoludique. Si la génération précédente était sous le signe du remaster, cette génération semble plutôt partir vers le pur remake. Autant le remaster n’aurait évidemment pas sa place dans des cérémonies de remise de prix, le jeu restant identique, autant le statut de remake, bien que flou pour beaucoup, ne devrait pas être bloquant. Un remake est censé être une œuvre sensiblement différente de l’originale, en offrant a minima une vision alternative de l’œuvre. Et dans le cas d’un bon remake, celui-ci ne serait effectivement pas moins méritant que d’autres jeux. Malgré tout, les Game Awards de cette année, qui ont inclus Resident Evil 4 Remake dans les concurrents au jeu de l’année voient leur choix être critiqué par beaucoup car le jeu n’est « qu’un remake » et ne mériterait pas cette place au profit d’autres jeux comme Starfield ou Final Fantasy XVI. Il est donc temps de finalement montrer le tort de cette vision extrêmement réductrice et de prouver que Resident Evil 4 Remake est bel est bien aussi méritant que les autres au titre de GOTY.
NB : cet éditorial reflète avant tout l’opinion de son rédacteur, et non forcément celle de toute la rédaction de PlayStation Inside.
Y’a le bon remake, et puis y’a le mauvais remake quoi
Le seul véritable argument qu’on voit régulièrement passer est souvent le manque d’originalité d’un remake. Un peu comme si le remake n’était d’office qu’un ersatz de sa version originale. Mais il n’en est rien. Enfin, disons plutôt que ce n’est pas censé être le cas. Car si effectivement, certains remakes sont plutôt du réchauffé de leurs homologues, tous ne s’arrêtent pas à la simple retouche graphique. Et la licence qui a donné ses lettres de noblesse à cette vision jusqu’au-boutiste dans sa recette de la subversion des attentes reste Resident Evil.
Le premier Resident Evil avait d’ailleurs été refait dans une version qui au premier abord pouvait paraître comme une simple refonte graphique. Mais ce qui a fait de ce remake un grand jeu était la subversion des attentes des joueurs. Et le jeu d’horreur est le client parfait pour ça. Les scènes qui restent gravées en tête sont souvent les jumpscares, et les scènes d’horreur de Resident Evil jouent beaucoup avec les habitudes des joueurs ayant déjà fait le jeu. L’exemple le plus concret est évidemment le couloir de l’aile est du manoir, qui voit surgir au passage du joueur plusieurs chiens infectés. Une scène qui aura traumatisé tous les joueurs du premier jeu. Or, dans ce remake, quand le joueur passe la première fois, les vitres casseront mais aucun chien ne passera. Évidemment, tous les joueurs seront une première fois surpris, et continueront leur route, avant de repasser dans le couloir une heure plus tard dans le sens inverse, en se sentant donc en sécurité. C’est à ce moment là que les chiens décideront de mener leur assaut et passeront à travers les fenêtres, offrant donc un véritable renouveau à cette scène. Il en est de même avec les ennemis que l’on pouvait tuer sans vergogne tout au long du premier jeu, mais qui reviennent plus rapides et dangereux dans le remake. Ils surprendront n’importe quel joueur qui ne s’est pas attardé à brûler les cadavres des zombies qu’il a vaincu. Tout cela sans compter la pléthore de nouveaux environnements et couloirs qui permettent d’ajouter une couche supplémentaire de surprise aux joueurs, ou même l’ajout de Lisa Trevor, antagoniste supplémentaire du jeu qui ajoute une touche de tristesse totalement absente de l’original.

Alors évidemment, quand on compare un remake comme celui de Resident Evil au remake de The Last Of Us, ce dernier fera vraiment pâle figure. Dans le fond, le travail fourni sur The Last Of Us, bien que nécessaire pour la poignée de joueurs ne l’ayant jamais fait (dont les nouveaux spectateurs de la série HBO) et qui peuvent profiter du jeu dans les meilleures conditions possibles, n’apporte absolument rien au médium, ni même à l’œuvre de base. Ce n’est en réalité qu’une refonte graphique plan par plan du premier jeu. Même si certains changements mineurs ont fait aussi acte de présence, on est bien plus proche d’un remaster boosté que d’un véritable remake, et le jeu reste le même que sa version PS3 ou PS4. Alors certes, techniquement la version PS5 est un remake, dans le sens où tout à été refait, mais de manière très fainéante.
Mais dans ce cas, quel jeu entre The Last Of Us Part 1 ou Resident Evil représente l’essence de ce que devrait être un remake ? Mon avis est assez tranché sur la question, Resident Evil est ce que tout remake devrait viser. Un jeu excellent pour une première découverte du jeu, tout en offrant un renouveau conséquent pour un joueur qui aurait déjà traversé le manoir. Capcom a compris cela, puisque le remake du deuxième opus est quasiment aussi magistral. Dans un autre style certes, puisque il troque les caméras fixes pour une caméra à l’épaule, plus moderne et dynamique, mais en continuant de jouer sur les attentes des joueurs très intelligemment. Si la scène qui représente pour beaucoup le premier Resident Evil est le « couloir aux chiens », la scène qui représente Resident Evil 2 et aura marqué bien des joueurs est la première rencontre avec le Licker dans l’aile ouest du commissariat. Les développeurs savaient ça, et ont donc décidé de ne pas laisser le Licker passer devant la fenêtre à notre arrivée, mais de laisser comprendre qu’il est présent dans le commissariat quelque part avec la narration environnementale. Des traces de griffes très profondes partout, un policier défiguré par son attaque, un autre cadavre empalé à l’endroit où le Licker est censé nous accueillir, tout est fait pour rappeler l’horreur de sa rencontre dans le 2, tout en le gardant de côté, pour mieux nous surprendre après coup. Les références au jeu original ne s’arrêtent pas là, le « Wellcome Leon » qui est corrigé dans le remake pour voir finalement que le second L de la bannière était en fait tombé. Dans le fond, chacun de ces remakes est un jeu profondément différent de leur original. Et c’est ce qui fait de ces remakes de bons remakes. Sans parler de la refonte totale du commissariat qui joue cette fois bien plus avec l’obscurité du bâtiment, qui était bien plus éclairé dans sa version originale.

Mais au fond, quelle différence y a t-il entre le bon remake et le jeu original ?
C’est le point important qui nullifie entièrement cet argument des remakes non éligibles aux cérémonies comme les Game Awards. En quoi le remake d’un jeu serait-il moins original qu’une simple suite ? Évidemment, ce n’est pas vraiment aussi binaire que ça, certaines suites comme le récent Alan Wake 2 sont si différentes de leur opus de base qu’on est presque plus sur un jeu purement original qu’une suite.
Mais pour une majorité de ces suites, hormis la continuité de la trame, le jeu n’aura ludiquement que peu d’ajouts conséquents. Le récent Spider-Man 2 en est un exemple parmi d’autres, car il ne révolutionne pas la recette. Il est une suite assez classique du premier et de son stand-alone Miles Morales. Il en va de même pour le dernier God Of War qui reste peu ou prou le même jeu avec un bestiaire et une histoire différente. Mais alors dans le cas d’un remake, et en particulier celui de Resident Evil 4, qui est la cible de ces critiques contre les remakes, qu’est ce qui le différencie d’un jeu comme God Of War Ragnarok ?
En résumé, les principales nouveautés de Ragnarok restent un nouvel environnement, une nouvelle histoire et de nouvelles armes. Les ajouts au sein de Resident Evil 4 ne vaudraient donc pas ceux-là ? La possibilité de se baisser, qui donne celle d’esquiver les attaques ennemies ou de les exécuter discrètement, l’ajout des contres au couteau rendu destructible, qui force à une prise en main entièrement différente du jeu, ne seraient pas des ajouts assez conséquents pour les rendre aussi valables que God Of War ?
Alors peut-être faut-il parler du changement des environnements, qui sont plus variés, complets, et souvent différents de leur version initiale, particulièrement le Château qui n’est absolument plus le même que dans la version PS2. Ça devrait suffire, non ? Toujours pas, alors ajoutons à cela la réécriture de l’entièreté des personnages, des changements dans les évènements et dans la narration. Certes les grandes lignes restent les mêmes, Léon est envoyé sauver la fille du président des États-Unis kidnappée par une secte obscure dont les membres sont infectés par un parasite. Mais il ne faut pas que le seul critère différenciant ce genre de remake d’une suite d’un jeu comme Spider-Man 2 soit la trame principale qui serait la même que leur version originale. Pour avoir une meilleure idée de la qualité du remake de Resident Evil 4, je vous invite à lire le test de Locus sur le jeu, qui parlera plus en profondeur de ce qui fait la grande qualité du titre.

Mais est-ce que cette différence en particulier est un élément si majeur qu’elle invaliderait totalement un remake au profit d’une suite ? Ou même d’un jeu si classique et « cahier des charges » qu’il en serait presque une suite sans l’être, à l’instar de Starfield qui dans le fond serait plus proche d’un Skyrim dans l’espace que d’un jeu révolutionnaire qui redéfinirait le RPG occidental moderne. La trame principale d’un jeu serait-elle alors le seul point d’accroche auquel se rapporter quand on parle d’originalité dans le jeu vidéo et de leur éligibilité à des récompenses ? Mais alors dans ce cas ne perd-on pas l’essence même de ce qui fait le jeu vidéo, c’est à dire son ludisme ? Ce serait une question trop vaste et complexe pour y répondre dans cet édito, mais selon moi, aucun facteur ne peut prédominer sur un autre pour juger si oui ou non tel ou tel jeu devrait recevoir une récompense ou non. Et la différence entre un remake et une suite n’est pas assez conséquente pour réellement invalider un remake à recevoir une récompense ou être nommé à une quelconque célébration.

Donc oui, Resident Evil 4 mérite amplement sa nomination aux Game Awards cette année. Même si il ne remportera probablement pas le titre selon moi, la compétition étant tout de même très rude face aux réussites fulgurantes de Baldur’s Gate 3 et Alan Wake 2, il n’en reste pas moins qu’il a très largement sa place dans les meilleurs jeux de l’année, et n’a pas à rougir de beaucoup de ses concurrents, même si bien d’autres jeux auraient aussi eu leur place. Mais si vous voulez savoir, pour moi Resident Evil 4 a bien plus sa place dans cette compétition qu’un jeu comme Spider-Man 2, et remake ou non, Resident Evil 4 est bien plus original dans sa proposition que ne peut l’être le jeu de Insomniac qui, cependant, fait bien moins débat. Alors pourquoi cela ?