Depuis quelques jours, l’actualité autour de Days Gone est bouillonnante. Suite aux récentes déclarations de Jeff Ross sur Twitter, on voit le monsieur s’exprimer un peu partout sur le jeu et les plans de Bend Studio pour l’avenir. Dans une récente interview donnée au site web américain For The Win, l’ancien développeur et directeur sur Days Gone revient plus en détails sur les intentions du studio, les difficultés rencontrées pendant le développement et leurs idées pour la suite annulée par Sony.
Le 6 janvier 2022, Jeff Ross reprochait à Sony par l’intermédiaire de son compte Twitter d’avoir fait passer son jeu pour un échec. Depuis, l’ex directeur de Days Gone se montre particulièrement locace et de nombreux détails pullulent sur le web au sujet de Days Gone et de Bend Studio. Ici même, nous vous parlions du rejet pur et simple d’une suite par Sony, ainsi que des discussions en interne autour du développement d’un nouveau jeu Resistance en open-world.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à une interview donnée par ce même Jeff Ross au site web américain For The Win. On y apprend de nouveaux détails sur le développement du titre, ainsi que des précisions quant aux intentions du studio pour la suite annulée. Des contraintes de développement à la philosophie de game design, en passant par les inspirations du titre et les pistes d’amélioration retenues par le studio, on vous dit tout !
« The Walking Dead meets Sons of Anarchy »
Chevauchant sa moto à travers le nord-ouest américain, esquivant les mutants et les cultistes, Deacon St. Jean est un vagabond qui vit principalement de son activité de chasseur de primes dans un monde ravagé par la pandémie.
Ainsi pourrait-on résumer le pitch initial de Days Gone, décrit par son directeur Jeff Ross comme une rencontre entre The Walking Dead et Sons of Anarchy. On parle ici d’un projet ambitieux pour un studio habitué aux spinoffs de Uncharted sur consoles portables et autres Syphon Filter sur les générations PS1 et PS2. Avec Days Gone, le studio américain Bend Studio s’essaie pour la toute première fois à l’exercice de l’open-word au travers d’un jeu first-party important pour la PlayStation 4 de Sony. C’est le genre de jeu charnière dans l’histoire d’un studio, celui qui peut tout faire basculer du bon ou du mauvais côté.
Dans son entretien avec For The Win, Jeff Ross évoque l’influence de la série TV The Walking Dead sur ce projet d’envergure. Il explique notamment qu’il a vu dans toute la partie qui se déroule dans la prison West Georgia Correctional Facility une boucle de gameplay efficace, équilibrée entre la protection offerte par les murs de la prison et la nécessité d’en sortir pour trouver des vivres.
Where The Walking Dead had a great influence on us was the prison season. […] They’re homesteading within this massively protected fence and boundary. I’m like, ‘Yeah, that’s what I would do.’ You want to be secure, go to the secure facilities. I was like, ‘Wow, this is a lived-in world. These guys live here and then they go beyond the gates to find stuff and run into all kinds of trouble.’ There’s a loop there. That’s gameplay. There’s an overworld.
Jeff Ross pour For The Win
L’occasion pour lui de revenir également sur la mise en jeu souhaitée de cette situation, suivant une philosophie orientée autour du déploiement d’un univers toujours cohérent, coûte que coûte. Pour Jeff Ross, il est primordial de respecter son univers fictif jusque dans ses aspects les plus ennuyants pour le joueur. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple d’un simulateur d’achats en épicerie dans lequel il n’y aurait pas de gestion de l’inventaire ; c’est une mécanique qui peut paraître ennuyeuse mais qui s’avère toutefois essentielle et indispensable, selon ses propos, dans le cadre d’une telle simulation.
My design philosophy is you’ve got to stick with your core fantasy […] So whatever core fantasy your IP is trying to create, if players are buying into it, they want it delivered upon. If somebody is buying a grocery shopping simulator, you’re gonna have some mechanics that people don’t love. This is the grocery shopping simulator so we have to have inventory management. Somebody who’s buying this game doesn’t get that and they’re going to be p***** off.
Jeff Ross pour For The Win
On comprend alors que les intentions du studio étaient avant tout de récréer une véritable ambiance apocalyptique et survivaliste jusque dans ses aspects les moins engageants pour le joueur. Au-delà des fusillades et des rencontres avec les hordes, le joueur de Days Gone est en effet régulièrement amené à faire le plein de sa moto, réparer les dégâts de la bécane et prendre part à des phases de chasse, de cueillette ou de pistage pas franchement passionnantes en comparaison avec les affrontements contre les mutants, mais toutefois contributrices de l’ambiance apocalyptique du titre saluée par la presse à sa sortie.
Du côté des inspirations vidéoludiques, Jeff Ross évoque le jeu de survie multijoueur DayZ dans lequel les autres joueurs constituent une menace bien plus importante que les zombies. Il salue notamment le caractère non scripté du titre de Bohemia Interactive qui fait ressortir les pires comportements humains face à une situation de survie simulée. Un aspect qui selon Jeff Ross rentre en parfaite cohésion avec l’envie et la nécessité de déployer sa vision de l’apocalypse dans Days Gone. Dans DayZ, ce sont en effet les joueurs eux-même qui permettent le déploiement d’une ambiance apocalyptique et survivaliste brutale où règne la peur de l’autre.
They would roleplay terrible, apocalyptic fantasy things like, ‘Okay, we’re gonna tie you up in a bathroom and put fruit in your mouth […] That sounds awesome in theory, but in actuality, it was rough. It was brutal. That’s what the players were bringing to that fantasy. I thought that’s what we needed to capture: humans being terrible to humans. To me, that’s the apocalypse. It’s not just the zombies. We’re caged animals.
Jeff Ross pour For The Win
Dans Days Gone, cette brutalité se ressent lors des phases d’exploration au cours desquelles le joueur peut aussi bien se faire prendre en embuscade par des clans ennemis que se retrouver subitement au beau milieu d’une horde qui ne cessera de le traquer jusqu’à ce que mort s’en suive. Concrètement, le joueur n’est jamais vraiment tranquille à l’extérieur, à l’instar des personnages de The Walking Dead, et le voyage à moto d’une mission à l’autre s’avère être toujours une petite épreuve en soit.
Une circulation des idées difficile en interne
As a leader, you have to listen […] But you also have to filter. We don’t want to just ping pong between what people say. You have to float these ideas, you have to test them, you have to even indicate what you think success is.
Jeff Ross pour For The Win
Dans son entretien, Jeff Ross donne également des détails sur la production et sur la circulation des idées en interne. Il revient notamment sur un processus de test qui ne permet pas toujours d’évaluer correctement les enjeux d’une nouvelle mécanique dans le contexte du joueur. En phase de test, les développeurs ne prennent pas forcément en compte le temps qui sépare le joueur de sa dernière sauvegarde et les objets acquis pendant ce même laps de temps. Pourtant, c’est un élément essentiel pour penser le rapport du joueur à un piège, un ennemi ou toute autre situation dangereuse et potentiellement néfaste pour la progression.
All the work that you haven’t been able to bank by saving the game at your bike created some interesting tension. But during development, the challenge was people just testing in a vacuum without all of that. It created this ‘what the ****’ type of feature like, ‘I’m being shot off my bike and I have to repair it? Oh my God.’
Jeff Ross pour For The Win
On comprend alors que la réalité de production dépasse parfois les intentions initiales des développeurs et qu’il peut être difficile pour ces derniers de se placer dans la position du joueur après des années de développement et de contact avec le jeu.
Le résultat final aura toutefois réussi à honorer l’intention initiale de produire des enjeux à échelle humaine auxquels le joueur peut facilement s’identifier. Pour Jeff Ross, il s’agissait de construire en allant du particulier vers le général, soit de se concentrer sur les êtres humains avant de se concentrer sur le contexte global du monde et sur les phases de grand spectacle. À l’instar d’un The Witcher III par exemple, l’objectif de Days Gone était de façonner le monde par les petites histoires qui le composent, de raconter le collectif par l’individuel dans l’espoir de rivaliser avec les plus grosses productions de l’industrie qui ont les moyens techniques, humains et financiers d’imaginer des mondes immenses et toujours plus vivants.
Because looking at it with our small team, how are we gonna make this open world and compete against the Rockstars, the Ubisofts, and even the Avalanche guys ?
Jeff Ross pour For The Win
Une bande-son enregistrée trop tôt
Du côté des contraintes de développement, on apprend que la bande son du jeu pour les cinématiques et les dialogues a été enregistrée très tôt, imposant de fait des limites au déploiement de nouvelles idées au fil du temps. En découlent des situations où il devenait impossible de couper des passages jugés ennuyants puisque ces derniers étaient essentiels à la cohésion de l’histoire toute entière qui a visiblement précédé le développement du jeu en lui-même et de ses mécaniques.
The cinematics and the VO were captured early […] We were bound by it. We couldn’t go back and reshoot. The beautiful thing about the story is it’s very interwoven. And that’s what makes things impossible to cut. […] I hate to say the Donald Rumsfeld quote – ‘you go to war with the army you have, not the army you want’ – but it’s true.
Jeff Ross pour For The Win
Jeff Ross précise cependant que certains passages potentiellement ennuyants – majoritairement au début du jeu – s’avéraient nécessaires au déploiement de l’histoire et étaient parfaitement intentionnels. Ils s’inscrivaient notamment dans une stratégie visant à surprendre le joueur par l’apparition subite, aux moments où les joueurs commençaient à s’installer dans une forme de routine, de divers évènements marquants et impactants par le contraste qu’ils imposaient avec la situation routinière.
It was a bit of a calculation on our part, some of the pacing issues early on. Let’s lull the player into a sense of complacency. They’ll think nothing’s happened in a while and then – boom, that’s when something will happen. You can’t have that unless you do the small things that keep the game grounded in some form of reality.
Jeff Ross pour For The Win
Quelques expérimentations …
Au rang des expérimentations, on notera les idées concernant la moto qui aurait pu se voir équipée d’un lance-roquettes ou d’un pare-buffle afin de traverser les hordes de zombies plus facilement. Des idées qui n’auront pas été retenues par manque de cohérence avec la situation de survie très terre-à-terre que le studio souhaitait explorer.
À propos de la survie justement, il aurait été question à un moment donné d’inclure un système de gestion de la soif et de la faim. Une idée avortée au profit d’un système simplifié basé sur la consommation de nourriture pour regagner de la santé. Cependant, la gestion des mécanismes de survie n’a pas tout à fait disparue du jeu final et s’est matérialisée sous la forme de contraintes techniques liées à la moto. Plutôt que de contraindre le joueur à trouver de quoi boire et manger, les développeurs ont fait le choix de le contraindre à trouver de quoi faire le plein de sa moto et la réparer.
At one point we did discuss the player having food and water management because that’s what all the survival games were doing […] It was too much for the kind of believability that we’re going for – eating a candy bar that’s going to immediately give you 100 hit points, or whatever. So we basically said, ‘Let’s take the survival mechanics like the food, and let’s move them to repairing bike damage and managing gas.’
Jeff Ross pour For The Win
… et des idées pour la suite
We have to be able to crawl before you can walk, and walk before you can run.
Jeff Ross pour For The Win
Enfin, on sent bien que le refus par Sony de donner une suite à Days Gone a beaucoup impacté Jeff Ross puisqu’il semblait voir le jeu comme une formule à améliorer, comme le font les autres jeux au fil du temps. Pour exemplifier son propos, il utilise la licence Uncharted et sa mécanique de nage qui a évolué pour permettre aux joueurs de non plus seulement nager à la surface mais bien de pouvoir nager sous l’eau jusqu’à proposer des phases de plongée sous-marine dans le quatrième opus. Selon lui, les suites permettent d’implémenter ce qui n’avait pas pu être fait dans le premier opus faute de temps. Il voit ainsi le premier épisode d’une franchise comme le minimum à offrir, comme la promesse d’un prochain épisode plus riche en contenu.
Pour Days Gone 2, Jeff Ross aurait souhaité se concentrer d’avantage sur la relation entre Deacon et Sarah, et plus précisément sur leur nouveau rapport au couple en période d’apocalypse. L’histoire serait restée au cœur de l’expérience, tout comme la moto, et les technologies NERO auraient pris plus d’importance.
Yeah, they’re back together, but maybe they’re not happy […] Well, what can we do with that? Okay, we were married before the apocalypse, but what about the future ?
Jeff Ross pour For The Win
Au milieu de tous les détails envisagés pour la suite, on retiendra surtout l’importance accordée par Jeff Ross aux données des joueurs qui permettent un retour réflexif intéressant sur les mécaniques et les aspects techniques à améliorer. On notera par exemple la volonté d’améliorer les phases d’infiltration en tenant compte des habitudes des joueurs, ainsi que la volonté de réduire le nombre de morts du joueur causées par le joueur lui-même, en ajoutant notamment la possibilité de nager pour éviter de mourir d’une noyade – qui représentait déjà 75% des morts accidentelles dans le jeu au moment des tests avant la sortie du titre.
Enfin, Jeff Ross aurait souhaité enrichir les comportements des animaux et des êtres humains en leur donnant d’avantage de personnalité et de possibilités d’interactions dynamiques.
Si vous souhaitez aller plus loin encore dans les détails, nous vous conseillons vivement d’aller lire l’interview complète sur le site For The Win. Comme vous avez pu le constater à la lecture de cet article, Jeff Ross n’a pas sa langue dans sa poche et n’hésite pas à dévoiler de nombreux détails jusqu’ici restés secrets ! Rendez-vous donc – peut-être – au prochain épisode.