Ces derniers jours avec les révélations de Jason Schreier sur Bloomberg, Sony et sa division PlayStation ont beaucoup été critiqués pour leur choix de stratégie accompagnant le début de vie de la PlayStation 5. Nous vous analysions la situation samedi dernier sur ce papier. Aujourd’hui, nous souhaitons apporter de la nuance à la situation, avec un mot d’ordre : si Sony assume bel et bien son virage vers une stratégie globale, son portfolio n’est cependant pas en danger d’uniformisation.
Il y a quelques semaines, nous réalisions un dossier sur l’agencement des exclusivités par Sony sur la PlayStation 4, ce qui avait grandement participé au succès exceptionnel de la console. Notre conclusion, vu les jeux à venir de la PS5, était que Sony était en train de poursuivre cette stratégie.
La semaine dernière, les informations sur les prochaines grosses exclusivités à venir chez PlayStation sont venues relativiser le propos. Nous y apprenions qu’en interne, Sony commençait à privilégier de plus en plus les PlayStation Studios qui lui rapportent le plus financièrement, au détriment d’équipes comme celles de Bend Studio, à qui la firme japonaise a refusé le développement d’une suite à Days Gone.
Sur ce point, les critiques adressées à Sony sont compréhensibles et même nécessaires, et nous en faisions l’analyse samedi dernier. Cette réflexion devait en plus s’accompagner de la situation des employés mêmes de Sony Interactive Entertainment, dont certains (en haut lieu et en particulier chez Japan Studio) ont quitté la maison en désaccord avec le chemin pris par l’entreprise. D’autres, comme certains employés de Bend Studio ou du Groupe des arts visuels et des services à San Diego, ont quitté la boîte par dépit de ne pas voir leurs projets être soutenus.
Les critiques à ce sujet étant faites et de manière nécessaire, il nous semble toutefois important de ne pas enterrer Sony au cimetière des entreprises sans âme ni créativité. Certes, plusieurs suites sont en chantier chez les PlayStation Studios. Des équipes comme Naughty Dog, qui n’ont publié aucune création originale depuis 2013 et The Last Of Us, travaillent justement sur un remake de ce jeu et une suite à Uncharted, selon Bloomberg.
Mais dire cela doit, pour être le plus objectif possible, s’accompagner de l’analyse de l’autre versant des exclusivités Sony à venir. Lorsqu’il était encore chez Sony, Shawn Layden disait ainsi que pour certains jeux, les ventes n’étaient pas le but premier (voir la vidéo ci-dessous).
Dans la lignée des propos de Shawn Layden, il faut noter que Sony continue aujourd’hui à soutenir de « petites » équipes se dédiant à des jeux moins gros, moins chers, mais plus originaux. C’était le cas de Dreams début 2020, et ce sera le cas entre autres de jeux comme Kena : Bridge of Spirits ou Returnal en cette année 2021. Ces deux productions, développées respectivement par Ember Lab et Housemarque, sont la preuve que Sony continue à faire confiance à tous les types de développeurs. La firme japonaise, à côté de ses grosses productions qu’elle privilégie naturellement et qui lui rapportent des centaines de millions de dollars, n’est pas, comme certains ont pu le dire, devenue seulement un mastodonte aux propriétés intellectuelles aseptisées.
Sur le sujet des nouvelles exclusivités ou des expériences originales et avec moins de prétention que les triple A, nous pourrions aussi citer Deathloop, Ghostwire Tokyo, Forspoken ou encore Abandoned. Tous ces jeux, qui partent quasiment tous de zéro en termes de notoriété et donc de prévisions de ventes, sont aujourd’hui couvés et mis en avant par Sony.
Notons aussi le soutien indéfectible de Sony à l’expérience de réalité virtuelle, qui si elle est une technologie qui n’a pas encore touché le très grand public, continue néanmoins d’être portée par PlayStation, ce qui n’est pas le cas de ses concurrents principaux. Et quand on voit l’importance mise sur l’annonce du PSVR2, de ses manettes et de ses jeux, on ne peut que saluer l’initiative d’une entreprise qui agit comme la locomotive dans ce domaine.
Enfin, il est nécessaire de traiter la question des suites à grand budget de Sony. Mis à part la situation à Naughty Dog, dont le travail sur le remake de TLOU et de la suite d’Uncharted peut légitimement être critiqué pour un manque d’ambition créative, le reste des suites à destination de la PS5 ne lésine pas sur le renouvellement. Plus haut, plus loin, plus fort : c’est le leitmotiv de Guerrilla Games pour Horizon Forbidden West, sur lequel le studio promet une amélioration sur tous les points par rapport au premier jeu. La nouveauté dans la continuité : tel est le projet de Polyphony Digital avec Gran Turismo 7, qui aura la lourde tâche d’être le premier épisode « canonique » de la série depuis près de 10 ans.
De ces deux exemples ressort une évidence : Sony et PlayStation ne sont pas prêts d’aseptiser leurs créations ou de devenir une machine à billets sans âme.
Bien évidemment, le virage de Sony vers une stratégie globale pour la marque PlayStation peut poser question. À trop vouloir s’engager dans tous les domaines (même le mobile), la force créatrice des équipes pourrait se diluer. De même, il ne s’agit pas de nier les informations de Bloomberg sur les tensions entre la firme japonaise et certaines de ses équipes moins prestigieuses. Oui, Sony est une entreprise, et oui, son but principal est de dégager des bénéfices ; d’autant plus que sa santé financière n’est pas au sommet et que les caisses ne sont pas aussi profondes que celles de Microsoft, par exemple. Oui, Sony assume aussi le fait de privilégier un peu plus ses grosses licences (on parlerait de budgets à 200 millions de dollars pour certains jeux). Mais non, Sony n’est pas devenu une entreprise où les petites équipes et les expériences plus originales sont partout bridées.
Comme d’habitude, la vérité est à rechercher dans l’équilibre. Entre une stratégie globale voulue et assumée, et un soutien à des jeux moins « clinquants » qui ne se démentit pas, Sony tente de concilier toutes les sensibilités dans la grande marmite du jeu vidéo. Parfois, certains projets comme Days Gone 2 sont sacrifiés, et des équipes sont mises « à la disposition » d’équipes plus prestigieuses pour travailler sur des projets qui ne les concernent pas. Il sera donc nécessaire de rester vigilant à ce sujet (comme sur d’autres touchant notamment au patrimoine et à la mémoire vidéoludiques), en s’assurant que Sony n’écrase pas le travail du reste de ses studios et n’arrête pas d’astucieusement alterner entre blockbusters et jeux plus intimistes, tout en lui accordant le bénéfice du doute et en respectant son héritage de locomotive créatrice de l’industrie.
En attendant, restons nuancés, restons alertes, et surtout restons passionnés : dans le jeu vidéo, il y en a encore bienheureusement pour tout le monde. Profitons-en.
Merci Yacine pour cet article d’une grande clarté et qui permet de remettre les choses en perspective.
Je reste aussi confiant sur les choix de Sony, j’ai trouvé que la campagne de déstabilisation que venait de subir Sony était disproportionné et pouvait que servir la concurrence, même si j’ai suivi les derniers épisodes de loin.
Après au sein des équipes de Dev et de Créa forcement c’est toujours un coup dur de devoir abandonner un projet sur lequel on y met toutes ses trippes et son énergie depuis des années et que tu te prends une fin de non recevoir, il faut arriver à passer outre et rebondir, c’est forcement moins évident en interne dans les studios que de notre côté simple Gamer.