Que ce soit par son aspect de platformer 3D coloré, ou par ses grandes qualités ludiques, Tinykin est l’un des jeux vidéo les plus mémorables de l’année 2022. Si vous ne le saviez pas, il s’agit d’une production française et indépendante. Nous sommes donc ravis d’avoir pu prendre contact avec Romain Claude et Marie Marquet, les deux créateurs de ce titre, afin de poursuivre notre volonté de mettre en avant le fleuron des développeurs français indépendants. À quelques heures des Pégases, l’équivalent français de la cérémonie des Game Awards, nos deux créateurs répondent à nos questions. Leur oeuvre est nommée dans les catégories de Meilleur jeu vidéo indépendant et de Meilleur Game Design. Nous abordons avec eux le processus créatif qu’ils ont mené, leur rôle, ainsi que leurs différentes inspirations et leur rapport à l’industrie vidéoludique.
PlayStation Inside : Tinykin est sorti à la fin de l’été 2022 sur consoles et PC (et en day one via le Xbox Game Pass). Romain, Peux-tu nous présenter le jeu en quelques phrases ?
Romain Claude : Tinykin est un jeu d’exploration se présentant sous la forme d’un plateformer 3D. Le joueur incarne Milo, un explorateur intergalactique à la recherche des origines de l’humanité. Un jour, alors qu’il pense avoir trouvé des traces de vie humaine sur une planète au fin fond de l’univers, son voyage le fait atterrir dans une maison géante peuplée d’insectes faisant la même taille que lui et dotés de la parole. À l’instar d’un Olimar dans Pikmin, Milo fera la rencontre de petites créatures peuplant elles aussi la maison, les tinykin, qui vont le suivre partout et que le joueur pourra utiliser afin de progresser dans l’aventure.
PlayStation Inside : Peux-tu aussi nous présenter votre studio de développement, Splashteam ?
Romain Claude : Le nom Splashteam existe depuis une dizaine d’années, et représentait au départ l’équipe derrière le jeu Splasher sorti en 2017. C’est ensuite en 2020, après une petite année de travail sur Tinykin, que nous avons officiellement co-créé le studio à Montpellier, avec Marie Marquet. Aujourd’hui nous sommes une dizaine de personnes au travail sur un troisième jeu.
PlayStation Inside : Quel est votre rôle, à toi et Marie, dans le studio et vis-à-vis de Tinykin ? En amont lors des processus de réflexion puis de conception du jeu, mais aussi après la sortie du titre.
Romain Claude : J’endosse un rôle assez polyvalent, allant du game design au level design, en passant par la programmation, la gestion de projet, l’intégration sonore… Disons que la majeure partie du temps je suis surtout le garant de la qualité du game design et du feeling de nos jeux, ayant construit au fil des années une bonne expertise en programmation gameplay (systèmes de jeu, contrôles, caméra etc.) et en level design. Au-delà de la production, nous partageons aussi la direction du studio avec Marie.
Marie Marquet : Tout comme Romain, j’ai plusieurs casquettes. Ma mission principale est celle d’assurer la cohérence narrative et graphique sur le jeu. Je fais aussi beaucoup de gestion de projet, de gestion d’entreprise. Pour ce qui est de la technique, je suis animatrice 2D. J’ai animé tous les PNJs de Tinykin, c’était ma mission préférée.
PlayStation Inside : La genèse de Tinykin remonte à la Global Game Jam de 2019, peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Romain Claude : Le sujet de la game jam était une question : “What does home mean to you?”. Nous sommes alors partis avec l’équipe initiale du projet sur la notion de zone de confort, représentée dans le jeu par une bulle géante. Le jeu s’appelait “Bubble Town”, et le but était de sortir de la bulle pour aller chercher d’autres personnages perdus dans une forêt sombre et menaçante, encerclant le campement-bulle. On discernait déjà à l’époque les balbutiements de ce qu’allait être le jeu, même si Tinykin est très différent, avec notamment un reboot fin 2019. Car oui, au départ, ce n’était pas du tout un plateformer 3D !
PlayStation Inside : Comment avez-vous procédé pour créer des micro-histoires dans chaque monde et des « saynètes » avec des personnages aux noms si bien référencés ? Cela apporte un côté très humoristique au jeu, que nous avons beaucoup apprécié !
Marie Marquet : Dans un premier temps, on a commencé par poser l’histoire générale du jeu, le lore. Puis, on s’est amusé à imaginer des situations complètement loufoques avec des thèmes par pièces de la maison. En fait, par étape, ça donne à peu près ça : je réfléchis à une idée sous ma douche ou dans une pièce plongée dans le noir, j’en parle à mes collègues, voir si ça les fait rire. Et si c’est le cas, c’est parti ! On créait la quête associée. Pour ce qui est des micro-scénettes, notre scénariste (Benoît) et moi, on passait des heures à rigoler sur des situations absurdes, on a grandi ensemble, on a le même humour, alors ça allait très vite ! Ensuite, c’est surtout lui qui trouvait des références et qui nous proposait ses meilleures blagues. Ce mec a une culture incroyable et c’était un grand plus pour Tinykin.
PlayStation Inside : Lorsque nous entendons parler de Tinykin, ce dernier est facilement présenté comme un Pikmin-like. Que pensez-vous de cette comparaison ?
Romain Claude : Tinykin n’est pas un Pikmin-like à proprement parler, dans le sens où les mécaniques de jeu sont très différentes. Dans Pikmin on est plus proche d’un RTS avec beaucoup de micro gestion de l’équipe, le tout dans des niveaux très 2D (même si les graphismes de jeu sont en 3D). Tinykin repose davantage sur la verticalité et l’exploration, sans combat, avec une utilisation très immédiate des créatures. C’est comme s’il s’agissait de différents outils avec des recharges limitées, délaissant l’aspect stratégique et bien plus “guerrier” de la trilogie Pikmin.
PlayStation Inside : Le passage d’un jeu 2D (Splasher, votre précédent titre) à un jeu 3D avec des environnements ouverts a-t-il occasionné beaucoup de changements au sein de l’équipe et/ou des processus de développement ?
Romain Claude : L’équipe de Tinykin est à l’exception de moi même totalement différente de celle de Splasher. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui ont occupé les postes intervenant dans la production. De plus, le jeu étant plus ambitieux, nous étions également plus nombreux que sur Splasher, avec entre autres des profils d’artistes supplémentaires à cause de la 3D. Cependant les anciens de Splasher, qui sont aussi des amis, sont toujours proches de nous et nous n’excluons pas l’idée de retravailler ensemble sur de futurs projets.
PlayStation Inside : Quel est votre meilleur souvenir du développement de Tinykin ?
Marie Marquet : Il y a eu beaucoup de bons moments sur ce projet… Pour citer les meilleurs, je dirais : les séances de brainstorming sur les quêtes avec Benoît et Florian, les nuits interminables pour rendre des super niveaux avec Romain. Et évidemment, tous les moments clés partagés avec l’équipe (team-building, première annonce publique du jeu, les repas tous ensemble, etc.)
Romain Claude : De manière générale, le moment que je préfère dans la vie d’un projet est le tout début, où tous les rêves et tous les espoirs sont encore permis. Tu expérimentes des choses, tu explores, tu cherches. C’est assez grisant et donne souvent lieu à des découvertes inattendues. Après, les moments les plus chargés en émotions (et donc les plus marquants) sont souvent pour moi liés au public. Par exemple, la révélation du jeu au PC Gaming Show de l’E3 2021 est un de mes meilleurs souvenirs pour cette joie intense partagée avec l’équipe, suite aux nombreux retours positifs sur les réseaux.
PlayStation Inside : Avez-vous d’autres projets en cours ? Si vous pouvez nous en parler.
Romain Claude : Nous sommes au travail sur un tout nouveau jeu, mais il est bien trop tôt pour en parler publiquement, malheureusement !
PlayStation Inside : Avez-vous des modèles dans l’industrie ? Des gens qui vous ont donné envie de faire ce métier ?
Romain Claude : Beaucoup ! J’ai même eu l’occasion de travailler avec certains d’entre eux, comme Michel Ancel ou Eric Chahi par exemple, qui sans pour autant être des créateurs dont j’admire l’intégralité de l’œuvre, sont des gens qui m’ont inspiré chacun à leur manière, non seulement en tant que référence dans le milieu mais aussi et surtout en tant que collègues de travail. Ensuite il y a les figures qui pour moi se hissent au rang de véritables légendes, et sont pour certains de cette même génération, à savoir celle qui s’est faite un nom dans les années 80/90, et a érigé les fondations de ce qu’est le jeu vidéo d’aujourd’hui. Je pense notamment à des gens comme Shigeru Miyamoto, John Carmack, Mark Cerny, Hideo Kojima. Dans les plus jeunes générations comme la mienne, je suis assez admiratif des “nouveaux indés” comme Edmund McMillen (Super Meat Boy), ou encore Maddy Thorson par exemple (Céleste), ainsi que certains petits studios derrière de belles réussites indés comme Freelives (Bro Force) et Massive Monsters (Cult Of The Lamb).
Marie Marquet : Pas vraiment, je pense plutôt que je suis admirative des qualités de chacun, qu’ils soient connus ou non. J’admire l’implication absolue de Romain, l’imagination de notre level designer, les capacités techniques de nos artistes, l’immense culture de notre scénariste… Au début de ma carrière, j’avais regardé “Indie Game : The Movie” avec Edmund McMillen notamment, et la première chose que je me suis dit, c’est : “jamais je travaillerais dans l’indé, c’est trop dur !” Et finalement, c’est plus la bienveillance et l’entraide qui m’ont donné envie, plus que les gens qui représentent cette industrie.
PlayStation Inside : Afin de bien cerner vos aspirations, pouvez-vous nous parler de deux ou trois jeux qui vous ont profondément marqué et qui vous ont construit en tant que joueurs ?
Romain Claude : En tête il y’a Super Mario Bros sur NES, qui est le premier jeu vidéo sur lequel j’ai mis les mains il y’a une trentaine d’années, et m’a fait réaliser assez jeune qu’il existait une façon totalement inédite de communiquer avec les autres via un écran : l’interactivité. Pour moi c’était une révolution sans précédent, une passion est née dès les premières minutes de jeu. Par la suite, je me suis surtout forgé une culture du jeu vidéo à l’ère de la Playstation première génération, avec des jeux comme Crash Bandicoot, Tomb Raider ou encore Oddworld. Dans les productions plus récentes, on peut trouver des chefs-d’œuvre comme Céleste ou It Takes Two, parmi tant d’autres.
Marie Marquet : Pour Tinykin, mon inspiration principale était Fur Fighter, un TPS sorti en 2000 sur Dreamcast. Dans ce jeu on se retrouve plongé dans une immense maison… vous voyez ? Plus récemment, Outer Wilds et It Takes Two ont été d’énormes claques, narrativement pour le premier, et cinématographiquement pour le second. Sinon, je suis une fan inconditionnée des jeux de gestion / stratégie. J’ai passé des centaines d’heures sur Civilization, Game Dev Tycoon, Warcraft 3 ou Timberborn.
PlayStation Inside : En tant que développeurs indépendants, pouvez vous nous donner votre avis sur les formules d’abonnements telles que le Game Pass et le nouveau PlayStation Plus ?
Romain Claude : Ce sont des super opportunités pour les studios comme le nôtre (mais aussi les plus petits ou les plus gros), permettant à la fois de faire découvrir le jeu à plein de joueurs qui ne l’auraient jamais découvert autrement, et faire bénéficier les créateurs d’une compensation financière pouvant monter assez haut, en fonction de la période d’exclusivité et du montant négocié avec le constructeur.
PlayStation Inside : Avant d’être des développeurs, vous êtes aussi des joueurs, pouvez-vous nous faire part de votre ou de vos jeux de l’année 2022 ?
Marie Marquet : J’ai pratiquement joué à aucun jeu en 2022, mais je dirais tout de même Elden Ring !
Romain Claude : Kena Bridge of Spirits (excellent jeu sorti en 2021 sur PS5 mais que j’ai découvert sur PC en 2022), Cult of the lamb (feeling excellent, très addictif, vraiment inspirant pour le développeur que je suis), Stray (un jeu impressionnant développé par des potes de Montpellier), Psychonauts 2 (sorti aussi en 2021, mais je voulais le citer aussi car c’est une belle réussite).
PlayStation Inside : Histoire de poser la manette, qu’est-ce que vous aimez en dehors des jeux vidéo ? Qu’est- ce qui vous branche au niveau musique, cinéma, série télé, littérature ou expo ?
Marie Marquet : J’écoute du rock, de l’électro. Je voyage beaucoup à travers l’Europe (pour l’instant) pour découvrir de nouvelles capitales. Je suis aussi lectrice de science-fiction (ce qui est très inspirant quand on doit inventer un scénario !). Et sinon, bien sûr, je regarde énormément de séries sur Netflix. J’ai dû éplucher les 3⁄4 du catalogue.
Romain Claude : En ce moment je travaille beaucoup sur notre nouveau projet et j’affectionne particulièrement Netflix pour la détente de fin de journée (si je ne suis pas dehors avec des amis autour d’une bière). Plus jeune j’étais beaucoup plus branché cinéma que séries, mais depuis quelques années je trouve que les séries me transportent et me surprennent davantage. J’ai par exemple récemment été très scotché par des séries comme Ozark, Mister Robot ou encore des productions françaises comme l’excellente Dix Pour Cent.
PlayStation Inside : Nous arrivons ainsi à la fin de notre entretien. Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé.
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