Annoncé en 2020, Kena : Bridge of Spirits était l’un des jeux les plus attendus de la rentrée. En ce sens, l’inquiétude commençait à poindre à l’approche de sa date de sortie tant il restait discret. Très prometteur par son esthétique et son univers, le premier jeu d’Ember Lab tient-il ses promesses ?
Fondé en 2009 par les frères Josh et Mike Grier, Ember Lab est avant tout un studio d’animation. Il se fait notamment repérer en 2016 grâce à un court-métrage hommage à The Legend of Zelda: Majora’s Mask (Nintendo, 2000). Éveillant l’engouement des éditeurs vidéoludiques, la fratrie Grier entame un tout nouveau projet : son premier jeu, Kena: Bridge of Spirits.
D’abord prévu fin août, le jeu a finalement été repoussé au moins suivant. Alors malgré sa présence aux conférences vidéoludiques qui ont rythmé l’été 2021, beaucoup se sont étonnés du peu de communication de la part de PlayStation. Il faut dire que si le titre est pour le moment disponible sur PS4, PS5 et PC, il reste une exclusivité seulement temporaire. Heureusement, Ember Lab ne manquait pas d’enthousiasme de son côté, assurant le décompte jusqu’à la sortie.
Maintenant que nous avons le titre entre les mains, autant vous dire que les inquiétudes peuvent être mises au placard. Allez ! prenez votre ticket, l’aventure de Kena nous appelle !
En route, Kena ! Tu as une forêt à exorciser
Sous ses faux-airs de Ghibli 3D, Kena: Bridge of Spirits est un conte merveilleux qui puise dans le folklore de l’Asie orientale. Vous y incarnez la jeune Kena, guide spirituelle chargée d’accompagner sur le plan astral. Alors qu’elle cherche à rejoindre le Sanctuaire de la montagne sacrée, elle traverse une forêt corrompue par un mal mystérieux. Elle ne tarde pas à découvrir que les esprits du village, situé au cœur du lieu, n’y trouvent plus la paix. Kena entreprend alors de leur venir en aide et de redonner des couleurs à cette forêt mourante…
Voilà l’essence du jeu d’Ember Lab. Avec un scénario en trois actes, le studio parvient à trouver un équilibre entre l’histoire personnelle de Kena et celle des esprits qu’elle doit parvenir à apaiser. Les trois esprits à guider sont qui plus est l’occasion d’aborder des thématiques différentes, aux frontières de l’amour et du devoir. Fort est à parier qu’au moins une de ces histoires saura toucher votre corde sensible. En outre, l’exploration du village et de ses alentours dévoile progressivement quelques bribes de la vie des habitants. Même les adversaires qui entravent l’avancée de Kena se révèlent moins hostiles qu’il n’y paraît au fond.
Enfin, Kena fait des rencontres qui lui sont fort utiles. Outre les esprits, souvent drôles et attachants, elle est accompagnée tout du long par les Rot. Mais ne vous fiez pas à l’adorable apparence de ces petits monstres, sorte de mélange entre les noiraudes du Voyage de Chihiro (Studio Ghibli, 2001) et les minions de Moi, Moche et Méchant (Illumination, 2010). Non seulement ils sont d’une précieuse aide au combat, mais recèlent leurs propres mystères. Même les Rot contribuent finalement à la beauté du jeu et de son histoire. Et puis les voir se mettre à l’aise et vivre leur vie autour de Kena fait partie des petits plaisir du jeu.
Pour le plaisir de jouer
En termes de mécaniques de jeu, nous sommes en terrain connu avec Kena: Bridge of Spirits. Les joueurs et joueuses PlayStation ne seront pas perdus : Ember Lab sait où puiser son inspiration. L’esthétique fait des clins d’œil à Ghost of Tsushima (Sucker Punch, 2020) jusque dans la map, de même que l’épuration dans l’interface. L’ « élan » à débloquer et à utiliser pour traverser certains portails évoquera sans peine Ratchet and Clank: Rift Apart (Insomniac Games, 2021) autant que Returnal (Housemarque, 2021). Mais surtout, Kena a en partage avec Aloy, l’héroïne de Horizon Zero Dawn, son agilité et son arsenal principal. Même l’exploration verticale est souvent guidée à la manière des fresques banuks dans le DLC du jeu de Guerrilla Games.
Mais le petit bijou d’Ember Lab ne pioche pas que chez les PlayStation Studios. Le coup de cœur évident du studio pour la saga Zelda inspire par exemple les casse-tête à résoudre. Si vous avez joué à Breath of The Wild (Nintendo, 2017), vos méninges seront donc déjà préparées. Mais c’est aussi ce qui fait la force du titre. Certes, toutes ces mécaniques sont connues, mais leur assemblage est finement mené. Ember Lab construit ainsi la personnalité de Kena: Bridge of Spirits en repensant ce qu’ils ont aimé ailleurs pour coller à l’univers.
Enfin, vous alternerez entre des phases d’exploration dans une map semi-ouverte, globalement divisée en trois zones, et les affrontements. Le jeu est ainsi bien rythmé entre les moments de fouille, d’énigme et de combat. Il y a en donc pour tous les goûts, avec une générosité dans les collectibles qui fera plaisir aux complétionnistes.
Une formule à peaufiner
Il se dégage de Kena: Bridge of Spirits un sentiment de déséquilibre. L’axe de gameplay, cette ligne imaginaire qui dresse le chemin direct entre votre point de départ et celui d’arrivée dans un niveau, se perd parfois dans un décor qui veut vous inviter à l’exploration. Et faute de radar à l’écran, il y a vite fait de se perdre. L’absence de mini-carte ou de boussole peut cependant se comprendre. Néanmoins, la magie de cet univers aurait pu justifier des repères visuels pour toujours savoir où se rendre en définitive.
À cela, il faut ajouter une difficulté étrangement pensée. Le jeu offre un véritable sentiment de progression grâce aux compétences à débloquer. Il faut pourtant regretter un manque de répondant dans les touches. Il n’en faut pas plus pour compliquer les affrontements contre les boss. Ainsi, le mode « Histoire », le plus facile, pourra manquer de challenge. En revanche, les deux modes de difficultés suivant passent un cap sans entre deux. Ce sera toujours plaisant pour les amateurs de défi, qui plus est avec le mode « Maître » à débloquer une fois le jeu fini. Mais un niveau plus équilibré entre difficulté et aventure aurait été souhaitable (ou simplement des commandes plus réactives et des adversaires plus lisibles).
Car c’est aussi là qu’Ember Lab peine parfois à faire face à la concurrence de titres forts du savoir-faire des jeux précédents. Combien de flèches ne seront pas décochées en raison de commandes contre-intuitives ? Combien d’esquives seront ratées pour cause d’animation précédente à laisser se dérouler ? Et si l’exploitation des gâchettes adaptatives de la DualSense est appréciable, elle épuise aussi les mains. Des détails techniques donc, mais qui peuvent devenir relativement frustrants, au point de switcher entre les niveaux de difficulté pour les combats (et c’est une pourfendeuse de Valkyries made in God of War qui vous le dit).
L’univers de Kena, un délice pour les yeux et les oreilles
Le grand point fort de Kena: Bridge of Spirits est au bout du compte sa direction artistique. C’est probablement ce qui aura retenu à ce point l’attention dès que le jeu fût annoncé. Alors une fois dans l’aventure, autant dire qu’Ember Lab fait preuve de son savoir-faire.
À peine lancé, Kena: Bridge of Spirits nous transporte dans son monde merveilleux et magique. Le chara-design cartoonesque n’enlève rien au charme de cette forêt à flanc de montagne enneigée. Et bien qu’il soit court, entre 8 et 10 heures pour finir l’histoire en ligne droite, le jeu propose des environnements suffisamment divers pour nous dépayser. Les créatures sont, quant à elles, le clou du spectacle : mignonnes ou effrayantes, majestueuses ou lugubres, elles ne laissent assurément pas indifférents. Profitez alors du mode photo, certes sommaire mais doté d’une option « ouistiti » amusante, pour immortaliser vos explorations et combats (ce n’est pas précisé in-game, alors retenez bien : bouton « haut » sur les flèches directionnelles).
Il faut ensuite saluer les performances parfaitement exploitées de la PS5 ici. Le jeu est parfaitement fluide, ce qui le rend d’autant plus appréciable à l’œil. Nous retiendrons un peu de clipping, rien de dommageable, et seulement quelques rares et (très) courts temps de chargement. Les cinématiques sont, enfin, la petite cerise sur le gâteau qui renforce le charme du titre. Bien que leur 24 FPS puissent surprendre après des phases de gameplay bien plus fluides, elles attestent du talent d’Ember Lab pour raconter visuellement des histoires. Seulement disponibles en anglais, les doublages sont bien assurés. N’hésitez pas à égaliser vous-mêmes le niveau sonore, car ils peuvent souvent se fondre sous les effets sonores ou la musique.
À ce propos, l’aventure s’accompagne d’une bande son mémorable. Inspirée par les musiques traditionnelles de Bali, et plus particulièrement la Gamelan, elle apporte une touche à la fois légère et épique à l’histoire. Le thème principal revient régulièrement, magnifiquement réarrangé pour sied au mieux au moment. En fin de compte, le voyage ne serait assurément pas le même sans cette OST.
CONCLUSION
Kena: Bridge of Spirits
Ember Lab convainc largement avec son tout premier jeu. Kena: Bridge of Spirits est un conte magnifique qui souligne tout le potentiel vidéoludique du studio. Bien sûr, la formule est perfectible. Néanmoins, la force imaginative du studio et l’amour des jeux qu’il dégage pallie suffisamment ces imperfections. En outre, même si les frères Grier ne semblent pas vouloir se pencher sur une suite directe dans l’immédiat, l’univers qu’ils proposent laisse entrevoir toute sa richesse. L’héroïne en elle-même ne dévoile pas tous ses secrets, alors nous avons hâte de pouvoir la redécouvrir, que ce soit dans un autre jeu ou sous une autre forme, tout comme nous sommes déjà impatients de découvrir les prochaines productions de ce studio indépendant qui pourrait bien devenir incontournable.
LES PLUS +
- Kena et les Rot, aussi attachants que surprenants
- Un monde magique et magnifique
- Une structure en trois actes bien équilbrée avec des perso convaincants
- La pluralité du gameplay, entre exploration, plateforme, énigme et combat
- Une bande son qui nous transporte
LES MOINS -
- Un système de difficulté mal équilibré
- Une lecture de l'environnement parfois confuse
- L'impossibilité de revoir certains didacticiels
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