Depuis quelques années, la stratégie transmédia est devenue partie intégrante du jeu vidéo. Pour leur développement, pour leur émancipation, les studios n’hésitent pas à écrire, réaliser ou produire films, séries, produits dérivés afin d’asseoir leur place sur le marché. Si une telle stratégie ne date pas d’hier, la multiplication de ces concepts a permis à certaines licences de dépasser le simple cadre du jeu vidéo. Mais l’inverse est également vrai. L’univers de Fabien Thollot, d’abord décliné en romans, franchit désormais le pas de la promesse du jeu vidéo avec Blade Prince Academy. Rencontre.
Avant le jeu vidéo, la série de livres…
Florian Verdier (PlayStation Inside) : Bonjour Fabien ! Encore un grand merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Avant de parler longuement de Blade Prince Academy, peux-tu nous parler de l’historique de son studio qui n’est donc pas un studio de jeu vidéo à la base ?
Fabien Thollot : Pas de problème et pour cela, je vais vous raconter une histoire. Celle d’un rêve de gosse. Je suis en effet passionné depuis tout petit par les mondes imaginaires. Les pirates, les ninjas, les chevaliers Jedi… Que ce soit sous forme de livres, jeux vidéo ou de films. J’ai aussi pas mal baigné dans l’univers jeu de rôle comme joueur, puis comme maître du jeu. Et à force de créer des mondes pour ces jeux, cela m’a donné l’idée de bâtir un univers, d’en écrire un roman. Et lorsque j’ai eu 18 ans, j’ai commencé à écrire ce roman qui décrivait le monde de Tenebrae.
Au cours des années, en parallèle de mes études, de la vie professionnelle et familiale, j’ai continué à l’enrichir et le projet a gagné en ampleur. D’un roman, c’est devenu le scénario d’un cycle de romans, puis d’un univers complet à décliner en transmédia. En étudiant un peu le secteur des industries créatives, je me suis rendu compte que c’est ce qui fonctionnait le mieux avec des univers étendus comme Star Wars, Pokémon, ou Harry Potter. Ça m’a amené à mûrir ce projet pendant près d’une vingtaine d’années avant de créer Angel Corp. en 2019.
Ça faisait longtemps que j’y pensais. Ça m’a amené à me renseigner sur comment développer une entreprise, comment créer un jeu vidéo. C’est ici que mon premier salarié m’a rejoint, Alexandre, qui était un game designer et qui m’a aidé à poser les bases du projet du jeu Blade Prince Academy. On a été rejoints par Ilona qui était la responsable artistique sur le jeu, puis Theo, développeur informatique et programmeur, et enfin Vincent pour la partie marketing. Et petit à petit, l’équipe a grandi, chacun apportant ses compétences. Au plus fort de l’activité en 2023, on avait une douzaine de salariés et d’apprentis ainsi qu’une quinzaine de freelance dans l’entreprise. Le projet a bien avancé et sur la période 2020- 2021, on a travaillé sur sur un prototype.
On l’a présenté fin 2021 au Game Camp de Lille. On a par la suite poursuivi les discussions avec les éditeurs qu’on avait rencontré là-bas ou qu’on avait contactés en ligne. Au final, un éditeur franco suédois du nom de Firesquid nous a fait confiance. Leur siège social est basé en Suède mais le bureau principal est lui à Paris tandis que notre interlocuteur, Simon, vit à Lyon, ce qui nous facilite beaucoup la vie puisque nous sommes basés à Saint-Etienne. Lancé en 2019, le projet va sur sa cinquième année d’existence.

Florian (PSI) : Comment transpose-t-on un univers littéraire en univers vidéoludique ?
Fabien Thollot : Je pense qu’il y a deux choses. Il y a à la fois des méthodes assez classiques d’adaptation, d’univers littéraire en jeu vidéo. Ce sont des choses qui se font très, très souvent comme pour les mangas en Asie, les romans dans le monde occidental ; beaucoup d’univers sont adaptés comme ça. Et puis il y a une part de feeling aussi. C’était vraiment de belles discussions qu’on a eu avec l’équipe. On possédait un univers vaste, très complet et on ne pouvait pas tout mettre dans le jeu. Il a fallu faire des choix.
Le premier s’est fait au niveau des personnages et des lieux qu’on avait envie de mettre en scène dans le jeu vidéo. Le roman est assez complet et il raconte l’histoire de son personnage principal qui s’appelle Phobos, qui est mi-ange, mi-démon, de sa petite enfance à son adolescence. Pour le jeu, on a fait le choix de se concentrer sur cette partie adolescente où il est étudiant à l’école des Lames. C’est une école un peu spéciale, une école de magie versant du côté obscur de la force, puisque la ville d’Abjectalia est en réalité sous le joug d’une dictature. Les jeunes adolescents sont enrôlés dans l’école pour y être soldats, assassins ou espions au service du régime.
Dans Blade Prince Academy , on s’est plutôt concentré sur la partie où ils vont défendre la cité et sa population contre toutes les menaces qui se présentent à elles. Une fois choisi le héros, le lieu et la temporalité de l’histoire, on a pu décider quels personnages du roman on allait mettre en scène mais aussi quels PNJ on allait choisir. Dans le roman, il y a des centaines d’étudiants à l’école des Lames, on ne pouvait pas tous les prendre.

Florian (PSI) : Est-il nécessaire d’avoir lu le (les) roman(s) pour pouvoir jouer au jeu dans de bonnes conditions ?
Fabien Thollot : C’est une excellente question. On a vraiment fait en sorte que les médias puissent être indépendants les uns des autres, même si c’est un univers étendu et que les parties livres et jeux vidéo se complètent. Toutefois, chaque livre, roman, recueil de nouvelles, manga (en cours de création) peut se découvrir indépendamment. Le jeu vidéo peut donc être découvert sans avoir lu les livres. Cela dit, on ne s’est pas contentés de reprendre des personnages pour Blade Prince Academy. On en a aussi créé des nouveaux, de manière à ce que des personnes qui ont lu les livres aient aussi de la nouveauté en parcourant le jeu.
L’objectif, c’est que cela donne envie au lecteur de jouer au jeu et au joueur de continuer à explorer l’univers à travers les livres. Mais par contre, cela serait dommage d’obliger les joueurs à lire les livres pour vraiment profiter du jeu.
Florian (PSI) : Sur le site d‘Angel Corp., il est possible de voir la carte de Tenebrae. On parle beaucoup de personnages et d’histoires mais quid de l’adaptation des environnements, des régimes politiques ou encore de la faune et la flore ?
Fabien Thollot : Ce fut aussi un des challenges. Comme on peut le voir sur la carte, il y a vraiment un travail de conception du monde qui a pris une vingtaine d’années, avec différentes contrées, différents continents, des royaumes et des systèmes politiques particuliers. Et on ne pouvait pas se permettre de faire un jeu à aussi grande échelle alors que nous étions novices dans le domaine du jeu vidéo.
On a donc fait le choix de se concentrer sur la ville d’Abjectalia. On conserve ainsi un univers qui a des influences assez affirmées avec du Cyberpunk puisqu’on navigue dans une ville un peu tentaculaire avec des néons, des prothèses cybernétiques, des véhicules volants, mais aussi une touche de fantasy, et plus précisément de dark fantasy, avec pour classiques, des démons, des elfes, de la magie.
Lors de l’adaptation, on a donc pas pu prendre tous les ingrédients de l’univers pour les retranscrire dans le jeu. Ça aurait fait vraiment trop de choses et du coup ça a été un très très gros travail de l’équipe narrative de choisir ce qu’il fallait mettre en avant comme détails de l’univers, des magies aux animaux.

Florian (PSI) : Comment as-tu fait pour aiguiller les développeurs et leur transmettre vos volontés en rapport avec l’univers que vous avez créé depuis si longtemps ?
Fabien Thollot : Ça a été une phase importante d’une part au démarrage du projet, et d’autre part quand de nouveaux membres de l’équipe nous rejoignaient. La plupart des membres de l’équipe ont pris du temps pour lire le roman, pour s’imprégner de l’univers et des personnages afin de ne pas trop reposer sur moi qui suis l’auteur initial. Pour aussi s’approprier l’histoire et ainsi apporter leur petite touche dans la création.
Et le deuxième point, c’est qu’en travaillant sur le jeu, on a commencé à faire des documents de synthèse comme le game design document dans lequel on a résumé l’univers, les lieux, les héros, les PNJ. Un document important puisque partie intégrante pour des dossiers de financement comme le CNC, qui nous a accordé le crédit d’impôt jeux vidéo.
Dans ces dossiers de subventions, on doit faire l’effort de présenter le projet pour des personnes qui ne connaissent pas l’univers et qui doivent juger de son potentiel. Ces documents ont permis d’accélérer l’entrée des nouveaux arrivants dans le projet puisqu’ils ont pu s’y référer pour rapidement connaître le projet sans avoir à lire tout le roman.
Florian (PSI) : Le fait d’avoir écrit des livres avant de se lancer dans la création de Blade Prince Academy a t-il été un accélérateur ou un frein à convaincre des financeurs ou des éditeurs ?
Fabien Thollot : Ça a ralenti les choses pendant la période d’écriture puisque pendant 20 ans, je me suis concentré sur la partie littéraire et non sur le jeu vidéo. Mais par contre, une fois l’entreprise créée, ça a vraiment aidé à accélérer les choses dans le sens où on n’est pas arrivés avec un projet 100 % jeux vidéo mais avec un projet d’univers complet. Et ça, c’est quelque chose qui a beaucoup plu à nos interlocuteurs, aux partenaires, aux financeurs. Ils ont très bien compris quelle était la stratégie de l’entreprise, qu’elle était inspirée par ce qui fonctionne déjà dans l’industrie, à savoir les univers transmédia que l’on évoquait tout à l’heure comme Star Wars ou Pokémon. À chaque fois, ces univers qui trouvent un public au niveau mondial, y sont déclinés en stratégie transmédia.
Quand on parlait avec des lecteurs, on voyait dans leurs yeux que le fait d’annoncer la création d’un jeu vidéo, ça renforçait l’attractivité de l’univers. De même quand on a cherché des éditeurs. Le fait qu’on ait déjà publié des livres, ça les a rassurés sur le fait qu’on ait de la matière sur laquelle travailler. On ne partait pas de zéro. Ça, c’était plutôt des points positifs pour trouver un éditeur et pour, in fine, avancer sur le projet.
Florian (PSI) : As-tu eu l’occasion de discuter avec des entreprises ayant déjà réalisé des œuvres transmédias ?
Fabien Thollot : Bien sûr ! Tout à l’heure, on a parlé dé la Game Camp qui est un beau lieu de rencontre. Il y a aussi eu l’association du jeu vidéo en Auvergne Rhône-Alpes qui s’appelle Game Only où on est adhérent depuis les débuts. Il y a plus d’une centaine de studios ce qui permet de se rencontrer, de discuter. Ce sont des moments qui nous ont permis d’échanger sur les bonnes pratiques de chacun, de faire des retours d’expérience sur les deux volets, soit par des œuvres qui ont d’abord commencé en jeux vidéo, puis qui ont été déclinées par la suite ou inversement.
Il y a une très belle référence transmédia en France qui est Ankama avec Dofus. Dans les créations françaises, on pense souvent à Astérix aussi par exemple, qui étaient des bandes dessinées et qui ensuite, ont été adaptées sur divers supports. On a la chance d’être dans un secteur d’activité qui est vraiment foisonnant et c’est toujours un plaisir d’échanger avec des créateurs et de s’inspirer de ce que font les autres.
Florian (PSI) : Comment vient cette volonté d’adapter cet univers en jeu vidéo ?
Fabien Thollot : C’est venu assez rapidement dans le projet finalement. Comme je le disais tout à l’heure, ça a vraiment commencé par le livre, et la création du world building. Placer des villes, placer des royaumes, prendre des notes sur les personnages, sur la magie, etc. Mais en étudiant le secteur des industries créatives, je me suis très vite rendu compte qu’il serait assez difficile de se faire une place sur un projet purement littéraire.
Ça aurait été plus compliqué de faire connaître l’univers alors qu’en combinant la partie édition de livres et la partie création vidéoludique, un projet en somme plus ambitieux mais aussi plus difficile à réaliser, j’avais plus de chances de le faire remarquer et de lui faire trouver son public. Donc finalement, cette combinaison, cette stratégie transmédia est venue assez rapidement.
Florian (PSI) : Quel a été ton rôle sur l’élaboration de Blade Prince Academy ?
Fabien Thollot : De manière surprenante, je ne me suis pas occupé de l’écriture du jeu. Au cours des années, j’ai eu de moins en moins de temps pour la partie créative. J’ai eu plus de temps au démarrage justement, quand on a fait les premiers dossiers pour poser les bases du projet. Et puis en cours de route, finalement, on a recruté un narrative designer en freelance, puis un autre narrative designer salarié ainsi qu’un dialoguiste qui est également romancier. Ils avaient donc toute l’expertise requise pour ce travail. Et ce sont eux qui se sont chargés de tout le processus d’écriture.
J’ai plutôt pris la casquette de producteur sur le jeu vidéo. Je me suis chargé du planning, du budget, du recrutement, de l’équipe, des échanges avec l’éditeur, etc. Ça m’a amené à être moins dans l’opérationnel, à prendre davantage de recul pour avoir une vision d’ensemble du projet. Et c’était aussi un beau challenge.
Florian (PSI) : Finalement, le fait de ne pas avoir été à l’écriture sur le jeu n’a t-il pas posé des problèmes de cohérence vis-à-vis de l’univers? Comment faire pour l’entretenir malgré tout ?
Fabien Thollot : Le premier point, c’est de recruter une bonne équipe (rires), avec des gens qui sont suffisamment compétents pour garder cette cohérence narrative. Le deuxième point est que je n’ai pas complètement abandonné le projet. Il y avait quand même des points réguliers avec l’équipe narrative et si elle avait des doutes sur certaines choses, on en discutait. Et puis le troisième axe, c’est aussi d’accepter le fait qu’une adaptation ne sera pas au mot près, pas avec les mêmes dialogues, Ça ne sera pas exactement les mêmes personnages. Finalement, on crée une sorte de multivers, un univers qui a une cohérence dans des espaces temps qui sont parallèles.
Et finalement, l’univers qui est dans le roman n’est pas le même que celui du jeu et c’est normal. La trame narrative a des points communs avec le roman, mais aussi des divergences volontaires pour que les personnes qui ont lu le roman puissent être aussi surprises en jouant au jeu. Les protagonistes, les antagonistes, ne sont pas exactement les mêmes dans le jeu. Et puis surtout, la fin de l’histoire n’est pas la même.
Florian (PSI) : Le fait d’être divergent avec l’œuvre de base, c’est une volonté dès le départ ou un choix des équipes narratives ?
Fabien Thollot : C’est un cheminement qui s’est fait progressivement. On est assez vite arrivés à discuter de ce qu’on allait garder du roman et ce qu’on allait changer. Et finalement, en discutant avec l’équipe, ça s’est imposé assez vite de proposer des dérivations par rapport à l’œuvre originelle. D’une part parce que ça permet d’avoir une certaine originalité, et d’autre part parce que ça évite le problème qu’on évoquait à la question précédente de toujours devoir faire du contrôle de cohérence. On doit certes le faire sur les éléments qu’on veut garder, notamment certains personnages, mais on accepte en contrepartie de moins le faire sur sur d’autres aspects.
Florian (PSI) : S’il y a des livres qui sont déjà sortis, d’autres sont en cours d’écriture. Doit-on tenir également compte de cela dans la réalisation de Blade Prince Academy?
Fabien Thollot : Effectivement et c’était une autre des difficultés. D’arriver à se projeter sur les années, sur les décennies à venir, sur la suite de notre univers transmédia. Et ça inclut les romans qui ne sont pas encore publiés. Comme je le disais, le jeu vidéo a une fin différente du roman qui fait que si on travaille sur une série de jeux vidéo en parallèle de la série de romans et en parallèle du manga et du recueil de nouvelles, il est possible qu’on ait des timelines différentes.
Ce n’est pas rédhibitoire, ça se retrouve après tout dans beaucoup d’univers de fiction, que ce soit des Star Wars, des Game of Thrones, et d’autres. Et finalement, une fois que c’est accepté, que c’est posé, ça peut participer à enrichir l’univers.

… jusqu’au jeu
Florian (PSI) : Parlons désormais de Blade Prince Academy dans toutes ses largeurs. Peux-tu nous le présenter ?
Fabien Thollot : Avec plaisir. Pour résumer, c’est un jeu de rôle tactique en temps réel avec pause. Jeu de rôle pour le côté narratif qui est vraiment au cœur du projet avec une ville à explorer qui est relativement riche en termes de lieux, de personnages qu’on va rencontrer, des dialogues qu’il peut y avoir, et des relations qu’on peut y nouer. Ce sont des composantes qui sont importantes dans Blade Prince Academy.
Le côté tactique se retrouve au niveau de la gestion des différents héros et de l’équipe. Le joueur va pouvoir constituer un groupe parmi un peu plus d’une dizaine de personnages avant d’affiner son choix à trois ou quatre héros lorsqu’ils devront partir en mission, en fonction de ses préférences, de leurs pouvoirs magiques particuliers, des ennemis qui vont être en face, et des situations qui vont être rencontrées. Une fois en mission, une grosse emphase est placée sur le positionnement des troupes. Si on attaque un ennemi de manière frontale ou latérale, on ne va pas causer les mêmes dommages. Il faut donc bien réfléchir à son positionnement. Ce n’est pas du tout un hack’n slash..
La dernière originalité vient du temps réel avec pause. Il y a beaucoup de jeux de rôle tactiques qui existent et qui sont au tour par tour ; c’est un grand classique. Là, nous avons fait le choix de proposer quelque chose de différent et d’assez dynamique. Si les parties explorations et combats se déroulent donc en temps réel, la pause tactique permet d’ajouter de la profondeur aux affrontements. On doit ainsi réfléchir au positionnement des personnages, leur envoyer des instructions pour qu’ils se déplacent et qu’ils incantent leurs sorts judicieusement. Ce n’était pas facile à programmer, mais on est finalement assez contents du résultat. Une grosse inspiration qui nous a conduit à faire ça fut le premier Baldur’s Gate. C’est vraiment un hommage qu’on rend à ce type de jeux qui ont bercé notre adolescence.

Florian (PSI) : Blade Prince Academy a bénéficié d’un Kickstarter comme beaucoup d’autres créations avant lui. Mais celui-ci est arrivé très tardivement dans la réalisation du jeu, en mars 2023. Pourquoi avoir fait ce choix ? Est-ce une décision de votre éditeur ?
Fabien Thollot : Tout à fait. La réflexion sur le Kickstarter s’est faite au démarrage du projet mais on a pensé que c’était un peu tôt, parce qu’on n’avait pas de communauté, pas grand chose à montrer, et le risque de faire un crowdfunding trop peu ambitieux ou de faire un flop était certain. On a donc décidé de faire un crowdfunding sur Ulule, plateforme plutôt adaptée pour les projets littéraires, puisque les livres, eux, étaient prêt à sortir. C’était un projet assez modeste ; on visait 4000 euros et finalement on a réuni un peu plus de 13 000 euros, ce qui nous a permis de financer la publication des premiers ouvrages, de commencer à communiquer, de faire connaitre l’univers.
Une fois qu’on a signé avec un éditeur, on a pu reprendre la réflexion et les discussions sur un crowdfunding propre au jeu vidéo, et ça s’est assez vite imposé comme une des options qu’on avait. Pour participer au financement, mais aussi pour faire connaître le projet. On a donc visé un objectif qui était assez modeste à savoir 40 000 euros. Ça nous a permis de montrer plus de choses, puisqu’on avait avancé sur le développement, et d’autre part, d’être plus forts en étant deux puisque notre éditeur Firesquid nous a rejoint. Sans compter les partenaires qui nous ont accompagné sur le crowdfunding. Ça nous a permis de moins galérer que si on l’avait fait au tout début.
Florian (PSI) : Quand est-ce que Firesquid décide de vous rejoindre dans l’aventure Blade Prince Academy ?
Fabien Thollot : Les premiers échanges datent de fin 2021. À l’époque on cherchait des éditeurs. Les négociations ont démarré début 2022. On devait détailler l’univers, notre vision du projet, mais aussi les parties liées au planning, au budget ou encore aux aspects juridiques. La discussion autour du Kickstarter a eu lieu dans ces eaux-là. Ce n’était pas l’élément déterminant, mais un des paramètres de l’équation. On a donc signé avec Firesquid en mars 2022, ce qui nous a permis d’avancer sur le projet main dans la main.
On a la chance d’avoir trouvé un éditeur qui cherchait des projets où intervenir assez tôt. Parce qu’il y a différent types d’éditeurs. Il y en a qui aiment bien arriver très tard dans le projet, quand il est quasiment prêt à sortir. Ils interviennent, eux, davantage sur la partie marketing. Alors qu’il y a d’autres éditeurs qui préfèrent accompagner les équipes jusqu’à à un tiers du parcours ou à mi-parcours pour pouvoir apporter leur petite touche créative, et aider à améliorer le projet en cours de route sans qu’il soit déjà terminé. Sans Firesquid, nous n’aurions pas pu mener le projet à bien, ou en tout cas pas sous sa forme actuelle, et pas de manière aussi aboutie.
Florian (PSI) : Baldur’s Gate est donc une des inspirations du jeu et ce, bien avant la sortie du troisième volet, qui a tout emporté sur son passage. Est-ce qu’il était tentant de s’inspirer aussi de ce troisième volet ou cela était trop tard dans la production ?
Fabien Thollot : Dans l’équipe on est tous des grands fans de RPG donc on était très heureux de le voir sortir. S’il y a une partie de l’équipe qui a pu y jouer, ce ne fut pas mon cas, étant très pris par le travail et la vie de famille, mais il est dans ma liste. Et non, il ne nous a pas inspiré pour modifier le projet. Ce n’est pas du tout la même catégorie. On parle ici d’un jeu qui a un budget colossal avec un studio qui a un historique assez important.
On peut le citer comme référence mais c’est difficile de s’en servir pour adapter ce qu’on fait. Comme souvent, lorsque l’on discutait avec des éditeurs ou des joueurs, il y avait la tendance de prendre comme élément de comparaison des gros hits, des jeux qui sont connus, parce que c’est souvent les références qui s’imposent, mais il faut rester humble. Nous sommes un jeune studio indépendant qui travaille sur son premier projet. On est très fiers du travail qui a été accompli, mais on reste conscients qu’on ne joue pas dans la même catégorie que des jeux, des inspirations qu’on a pu avoir avec des Darkest Dungeon, des Fire Emblem, des Hades ou des Baldur’s Gate. On espère juste modestement que Blade Prince Academy va trouver son public, qu’on va pouvoir continuer à développer des jeux, et qu’un jour nous serons nous aussi partie intégrante de cette catégorie.

Florian (PSI) : La direction artistique est souvent un point discuté lors des adaptations littéraires en jeux vidéos. Comment avez vous choisi celle de Blade Prince Academy ?
Fabien Thollot : Bien que ce soit une réflexion qu’on a mené au démarrage du projet, c’est surtout l’arrivée d’Ilona, la première artiste de l’équipe, qui a précipité les choses. C’est elle qui a commencé à donner vie en image aux personnages, aux environnements. Au début, on s’est cherchés un peu. Il y a eu une phase d’itération. En parallèle de son arrivée, de nombreux stagiaires artistes nous ont accompagné sur le projet ce qui a permis de faire tout un travail de concept, sur les personnages ou les environnements.
Et après plusieurs mois de travail, on a commencé à vraiment poser les bases de ce qu’allait être la direction artistique de Blade Prince Academy. On a pu la figer, adopter une vue isométrique que l’on voulait mixer en mission avec des personnages en 3D, et en partie narrative avec des personnages en 2D. Et puis à partir de là, itérer pour développer le jeu en suivant ces grandes lignes.
Florian (PSI) : Parlons désormais de quelques mécaniques du jeu, à commencer par le système de « Pactes ». Peux-tu nous le décrire ?
Fabien Thollot : C’est un système qui a plusieurs origines. Comme on a un univers inspiré de dark fantasy, on voulait trouver une mécanique de jeu un peu à double tranchant. D’où l’idée de ces pactes magiques qu’on va appliquer sur nos héros. Chaque pacte a des effets positifs mais aussi des effets négatifs. Ça pousse le joueur à faire des choix. Lorsqu’il va ouvrir un coffre magique ou avoir une récompense de fin de quête, on va lui donner le choix entre plusieurs pactes, et il choisira quel pacte il veut et sur quel personnage il l’appliquera.
Il se met alors en place toute une réflexion à avoir pour ne pas trop plomber les statistiques de ses personnages, essayer de maximiser leur force, et essayer de trouver des synergies entre les pactes appliqués sur un même personnage. L’idée c’était vraiment de « pactiser avec le diable ». Et la deuxième raison d’être des pactes est que l’on voulait faire un RPG mais on savait très bien qu’on n’aurait pas la capacité de développer des équipements, des sortilèges aussi étoffés que ça peut l’être dans un Baldur’s Gate.
Les pactes étaient donc une bonne solution pour combiner ce côté équipement magique et armement, puisque certains agissent plutôt comme des sortilèges, à appliquer au personnage, tandis que d’autres pactes sont plutôt associés à de l’équipement.
Ça a été un gros travail de game design, mené par Alex principalement. Et pour aller plus loin dans l’histoire, les pactes étaient des aspects qu’on avait mis en récompense lors du Kickstarter. Cela donnait la possibilité aux contributeurs de créer leur propre pacte. On a ainsi eu le plaisir de discuter avec des backers qui ont proposé des noms, des effets particuliers qu’on a ensuite intégrés au jeu. C’était très sympa.

Florian (PSI) : Le jeu bénéficie également d’un système de choix dans les dialogues. ça rejoint ce que l’on disait concernant les univers parallèles ?
Fabien Thollot : Exactement. On ne voulait pas que les héros soient juste de la chair à canon qu’on envoie à la bataille. Comme ce sont des adolescents qui sont dans une école un peu spéciale, on trouvait intéressant de creuser leurs personnalités, leurs émotions, et les relations qu’ils pouvaient créer les uns avec les autres, en fonction des évènements qui se produisent dans le jeu, des relations que le joueur va créer entre les personnages, etc.
Leurs travaux pratiques sont les missions, sur le terrain, la défense de la ville, la traque les ennemis. Mais lorsqu’ils reviennent à l’école, ça reste des étudiants, et du coup ils font la fête ensemble, ils développent des affinités particulières, des amitiés, et aussi parfois des relations amoureuses. C’est quelque chose que le joueur pourra explorer dans le système de relations.

Florian (PSI) : Les livres sont faits pour tous les publics avec l’intégration d’un format jeunesse éliminant toutes les scènes qui pourraient se révéler choquants. Avez-vous intégré la même chose dans le jeu ?
Fabien Thollot : Alors ça, c’est une excellente question. Effectivement, pour les livres, on a fait l’effort de le décliner en différentes versions. Comme c’est un univers cyberpunk, dark fantasy qui est assez sombre, il s’adresse plutôt à un public mature, on va dire 15 ans et plus. Mais on trouvait dommage de ne pas raconter l’histoire à un public plus jeune. On a donc fait une adaptation jeunesse pour les 8-15 ans où le texte est un peu plus épuré, où on se concentre plus sur la trame principale, les aventures du héros, la découverte du monde, de la magie, de l’amitié.
On s’est aussi posé la question pour le jeu, mais ça aurait représenté quand même beaucoup de travail en plus pour faire les deux versions. Et puis surtout le type de jeu ne correspondait pas trop ; on parle d’un jeu de rôle tactique. Il s’adresse donc à des publics plus matures, pas des 8-15 ans. La conséquence a été d’assez vite abandonner l’idée de faire une version jeunesse pour le jeu. C’est à la fois plus épuré que dans le livre mais moins épuré que pour des 8-15 ans. On est dans un entre-deux qui nous semblait plutôt bien.
Florian (PSI) : Si le premier jeu rencontre son succès, une suite voire une série est-elle envisageable? Resterait-elle dans le même genre?
Fabien Thollot : Alors, il y a plusieurs éléments de réponse. Il y a une vraie volonté de continuer à sortir des livres et de créer des jeux. On a assez vite évoqué l’idée d’une suite avec Firesquid si le premier opus marche bien. Mais on y verra plus clair dans quelques mois, et peut-être même quelques années puisqu’il faut le temps que le jeu sorte.
On va bien sûr procédé à une communication au moment de la sortie, mais aussi dans les mois et les années à venir. Il y a parfois des jeux, notamment indépendants, qui prennent un peu de temps à trouver leur place auprès du public. On ne peut donc pas annoncer tout de suite qu’on va faire un deuxième opus. Mais effectivement, c’est quelque chose en réflexion.
Et la deuxième chose concerne le type de jeu. Ici, nous avons un tactical RPG, mais la porte est ouverte pour la suite. Il y a néanmoins une certitude. Celle de mettre en scène le monde de Tenebrae, et les Princes Lames. Mais par contre on ne s’oblige pas à faire un tactical RPG pour la suite. Ça pourrait être être un jeu plus orienté action, gestion, tout est possible.
Florian (PSI) : Concluons cette interview par un coup de cœur vidéoludique que tu as eu récemment. Y a t-il des jeux qui t’ont marqué lors de ces dernières semaines ou que tu attends ?
Fabien Thollot : J’ai un jeu dont je peux parler, qui est un gros coup de coeur de ce début d’année 2024. Il s’appelle Chants of Sennaar, édité par Focus Interative. Il est multi-nominé aux Pégases (et primé depuis avec notamment le prix du GOTY, ndlr), et en termes de gameplay, d’expérience de jeu, il est vraiment incroyable. C’est un jeu auquel je joue avec ma fille, Michaela, qui a 5 ans. On joue souvent ensemble. Ce côté exploration, et découverte du langage dans chaque niveau du jeu, c’est vraiment quelque chose de très sympa à vivre.
Sinon j’adore citer le jeu auquel j’ai le plus joué sur la décennie écoulée, et c’est The Elder Scrolls V : Skyrim. Je suis un très très gros fan de la série Elder Scrolls. Étant un amateur de jeux de rôle, je trouve que c’est une des séries qui en a la plus belle transposition. J’y ai passé des jours et des jours, des semaines et des semaines. Je pense que c’est le jeu auquel j’ai le plus joué de ma vie, et vu que c’est un jeu de rôle, je suis content de te le citer aujourd’hui.

Merci Fabien pour cet échange ! On retrouve Blade Prince Academy sur tous les supports à partir du 7 mars !