Comme toute entreprise quel que soit le secteur, Sony Interactive Entertainment, que l’on abrégera en SIE à partir de maintenant, est une entité qui évolue avec le temps. En bientôt 30 ans d’histoire, cela n’a rien d’anormal de voir l’organisation de SIE changer, mais depuis quelques temps, on peut tout de même observer une tendance de plus en plus visible : l’esprit japonais des débuts semble lentement se reléguer au passé. Pour comprendre cette tendance, nous allons d’abord revenir au tout début de l’histoire de SIE, du temps où l’entreprise a été créée sous le nom de Sony Computer Entertainment, que l’on abrégera donc en SCE à partir de maintenant.
La naissance de SCE et son implantation aux États-Unis
Sony n’a pas tout de suite créé SCE en arrivant dans l’industrie du jeu vidéo. Avant que le projet PlayStation ne soit ne serait-ce qu’évoqué, il existait une filiale de Sony Music Entertainment Japan (que l’on va abréger par la suite en Sony Music) appelée CSG Imagesoft Inc, puis Sony Imagesoft. Retenez bien ce nom, car cette filiale créée en 1989 et basée à Los Angeles en Californie s’occupait d’éditer des jeux vidéo exclusivement pour les consoles Nintendo de l’époque (soit la NES et la SNES). Pour citer des jeux que certains d’entre vous ont peut-être eu dans les mains dans les années 90, c’est Sony Imagesoft qui a édité chez nous le jeu Solstice (sortit sur NES en 1990) et sa suite Solstice II, plus connue sous le nom d’Equinox chez nous (sorti en 1993 sur SNES).
Sony Imagesoft a fait son office jusqu’en 1995, date à laquelle, à la suite de plusieurs mouvements internes au sein de Sony, la filiale fut absorbée par Sony Computer Entertainment of America pour ne plus que soutenir l’effort autour de la PlayStation.
En parlant de la PlayStation, il est temps de revenir sur la création de SCE. Tout d’abord, il faut savoir qu’à sa création, Sony et Sony Music détiennent chacun 50% des parts de SCE. On ne crée pas une filiale avec un projet aussi gros que la PlayStation sans un important capital financier. Beaucoup au sein de Sony ont d’ailleurs du mal avec la création d’une nouvelle entité dédiée uniquement au marché du jeu vidéo sur console. Entre 1992 et 1994, Sony traverse en effet une période difficile, où la compagnie enregistre des pertes. La branche Sony Music ne pouvait notamment pas se permettre de mettre ses billes dans un projet aussi risqué et lourd économiquement que le projet PlayStation. Mais un homme va réussir le tour de force de permettre la création de SCE : Tamotsu Iba.
Tamotsu Iba est un ancien de Sony Life, filiale d’assurance-vie de la maison-mère, où il a dirigé le service des stratégies de gestion. Il y avait pour tâche de réfléchir aux nouvelles opportunités économiques et commerciales. Déjà avant de repasser à la maison mère en été 1992, Iba recevait souvent la visite de Ken Kutaragi, qui était déjà à la tâche sur le projet PlayStation. Ce dernier avait le don de convaincre ses interlocuteurs via un discours que l’on pourrait qualifier de visionnaire. Kutaragi était un pionnier qui savait convaincre son chaland via un discours extrêmement persuasif et toujours basé sur des études détaillées. C’est ainsi que ce dernier va obtenir le soutien d’Iba, qui aura l’idée de créer une filiale puisqu’il estime alors qu’un projet aussi prometteur que la PlayStation est plus que nécessaire au vu de la sombre période que traverse à l’époque Sony.
Pour créer la filiale SCE, Iba propose une association entre la maison mère de Sony et Sony Music. Cette association est une évidence puisque dans le monde du jeu vidéo, le hardware et les jeux sont indissociables. Sony fait du hardware en tout genre depuis sa création et Sony Music édite des jeux depuis plusieurs années via sa branche Sony Imagesoft (et sa branche Epic Records pour la marché japonais). Seulement voilà, Shigeo Maruyama, le patron de la division des jeux de la branche Epic Record de Sony Music, refuse dans un premier temps d’impliquer Sony Music dans la création de SCE. La cause de ce refus est tout simplement la situation économique de Sony Music qui ne permet pas un éventuel échec de la PlayStation. Au delà de Maruyama, c’est tout le bureau de planification de la filiale qui considère alors que prendre part au marché des jeux sera un gaspillage d’argent. On ne le dira jamais assez, mais depuis toujours, la maison mère de Sony et toutes ses filiales ne peuvent pas se permettre d’investir lourdement dans des projets si le risque d’échec est trop grand. Heureusement pour nous, Tamotsu Iba va réussir à convaincre Shigeo Maruyama à force d’insister, probablement en se basant sur le discours visionnaire de Ken Kutaragi.
C’est donc un 50-50 entre Sony et Sony Music qui est mis en place pour la structure du capital à la création de SCE. Ken Kutaragi en sera le président jusqu’au 26 avril 2007 et Tamotsu Iba va autoriser les dépenses nécessaires sans restriction, à condition de maintenir une trésorerie positive car selon Iba : « Le problème n’est pas que la rentabilité soit affaire d’opinion, l’argent, c’est ça, la réalité. » Le ton est donné.
L’entrée définitive et officielle de Sony dans le marché des consoles est annoncée le 27 octobre 1993 via un communiqué de presse. Ce communiqué indique : « Le 16 novembre, Sony et Sony Music Entertainment créeront Sony Computer Entertainment (SCE) pour produire et vendre des consoles de salon et des logiciels, et gérer la vente de licences aux éditeurs de jeux. Sony et Sony Music Entertainment ont tous deux investi dans cette nouvelle société. SCE vise à créer un nouveau monde de divertissement informatique, en proposant des consoles de nouvelle génération aux animations ultrarapides, comparables à celle des ordinateurs les plus puissants. »
Vous savez maintenant quelle était la philosophie de SCE à sa création. Le but était de remuer l’industrie du jeu vidéo en proposant des monstres de puissance pouvant rivaliser, voire surpasser, les ordinateurs les plus puissants de l’époque, le tout en étant le plus rentable possible. Et effectivement, la PlayStation et la PlayStation 2 étaient des monstres de puissance à leurs sorties respectives et ont sacrément modifié le paysage vidéoludique en plus de se vendre comme jamais aucune autre console ne s’était vendue auparavant (plus de 102 millions pour la PS1 et plus de 155 millions pour la PS2). Mais ces succès ont grandement été possibles via les ventes de consoles en dehors du Japon, et déjà du temps de la PlayStation, après bien des péripéties pour vendre convenablement sa console sur le marché japonais, SCE a dû s’attaquer au marché américain.
Les déboires qu’a subi SCE dans l’implantation de la PlayStation aux Etats-Unis permettent de comprendre que la stratégie d’une entreprise dépend entièrement de qui a le pouvoir de prendre les décisions. Autant vous dire tout de suite que lorsque SCE souhaite commercialiser sa PlayStation aux Etats-Unis, une des filiales de Sony of America, SEPC (Sony Electronic Publishing Company)s, rejette d’abord à peu près tout ce qu’il est possible de rejeter concernant la PlayStation : la couleur de la console, son nom, sa manette, le logo, le prix etc. Ils s’opposent à absolument tout et veulent tout faire à leur manière sur la base des conclusions des études de marché. A cette époque, Ken Kutaragi et le président de Sony of America (ainsi que toute son équipe) ont des visions totalement opposées du marché du jeu vidéo. La PlayStation est en somme beaucoup trop novatrice pour les américains et leurs préjugés. Pour l’anecdote, le président de Sony of America pensait que seul SEGA allait survivre aux Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, l’arrivée de la PlayStation au Etats-Unis est la meilleure illustration des différences de perception du marché du jeu vidéo en fonction des goûts et des cultures de chacun.
De SCE à SIE : le transfert de la direction de PlayStation aux États-Unis
Maintenant que nous avons établi le contexte de la création de Sony Computer Entertainment et de ses déboires à son entrée dans le marché américain, il est désormais plus simple de comprendre certaines décisions récentes, et ce, d’autant plus lorsque l’on prend conscience de ce qu’implique la passage de SCE à SIE, qui a été annoncé le 26 janvier 2016 pour être effectif au 1er avril de la même année. Sony Computer Entertainment était basé à Tôkyô, dans le quartier de Minato, tandis que Sony Interactive Entertainment (qui consiste en la réorganisation et la fusion de Sony Computer Entertainment avec Sony Network Entertainment International) est basé dans la ville de San Mateo, en Californie. De plus, contrairement à SCE qui était composé d’une branche américaine (SCEA) et européenne (SCEE), SIE est une entité unique qui représente toute la marque PlayStation dans le monde entier. Le pouvoir a donc été centralisé aux Etats-Unis en 2016, et vous savez maintenant que depuis toujours, les américains ne voient pas les choses de la même façon que les japonais. Ce passage de SCE à SIE change donc tout, et cela commence à se voir de plus en plus, surtout si l’on s’attarde sur la différence entre son président actuel et ses prédécesseurs (en prenant en compte l’époque SCE), mais nous y reviendrons dans un second temps.
Depuis quelques années donc, on décèle ci et là des signes plus ou moins visibles résultant du passage de SCE à SIE. C’était assez discret au début, et au final, durant tout la durée de vie de la PlayStation 4, cette idée d’américanisation de la marque PlayStation n’a pas dépassé le stade de ressenti. Mais la PlayStation 5 est sortie, et au delà de certains évènements antérieurs à cela, il y en a un, ultérieur, qui confirme ce que l’on pouvait ressentir depuis quelques années : la fin de Japan Studio.
La fin de Japan Studio. Inimaginable au premier abord, et un marqueur absolument immense de ce que sera le catalogue de la PlayStation 5. Même si le studio n’a pas fermé ses portes à proprement parler, il a été complétement restructuré au 1er avril 2021 et a vu le départ de tous ses grands noms, à l’exception du français Nicolas Doucet, qui reste en place avec son équipe ASOBI afin de mettre les bouchées doubles sur la licence Astro Bot.
Dans son communiqué officiel, SIE indique au sujet de Japan Studio :
Dans un effort pour renforcer davantage les opérations commerciales, SIE peut confirmer que le PlayStation Studio Japan Studio sera réorganisé le 1er avril. Japan Studio sera recentré sur l’équipe ASOBI, l’équipe créative derrière Astro’s Playroom, ce qui permettra à l’équipe de se concentrer sur une seule vision et de tirer profit de la popularité d’Astro’s Playroom.
En outre, les rôles de production externe, de localisation de logiciels et de gestion de la propriété intellectuelle des titres Japan Studio seront concentrés au sein des fonctions globales des PlayStation Studios.
D’autres sources indiquent aussi que cette décision aurait été poussée par la récente prise de pouvoir des Etats-Unis avec la mise en place de SIE en Californie. Chacun est libre de juger, mais il n’y a pas de fumée sans feu.
Quoi qu’il en soit, la fin de Japan Studio au profit de la team ASOBI est actée, et vous pouvez lire et relire toute l’histoire de ce studio mythique ici. Nous allons quand même prendre des éléments de cette grande histoire afin de rappeler (parce qu’il est toujours bon de le faire) la belle créativité qui a émané de ce studio.
Pour commencer, retenez que Japan Studio a été fondé en 1993 à Tôkyô, et qu’il s’agit du tout premier studio interne de SIE. Japan Studio, c’est le studio historique de la marque PlayStation. Depuis 1994, plus d’une centaine de jeux ont vu le jour grâce au travail ou la collaboration de Japan Studio. Ce dernier a accueilli en son sein des créateurs parmi les plus influents de l’histoire du jeu vidéo avec par exemple Fumito Ueda ou Keiichiro Toyama. Japan Studio a aussi permis à Hidetaka Miyazaki d’exploser dans le monde entier grâce à Demon’s Souls en 2009, qui fut initié par Takeshii Kajii, alors producteur au sein du studio. Sans Japan Studio, il n’y aurait jamais eu Ape Escape, Ico, Shadow of the Colossus, The Last Guardian, Forbidden Siren, Locoroco, Patapon, Gravity Rush, Knack, Demon’s Souls, Bloodborne, Astro Bot, Puppeteer, Everybody’s Golf, et des dizaines d’autres productions (sans compter tout ce qui n’aurait jamais vu le jour sans l’inspiration qu’ont pu procurer les jeux de cette liste.) Tous ces jeux n’ont pas toujours fait l’unanimité, mais tous ont tenté quelques chose, avec parfois une réussite ayant totalement changé le paysage vidéoludique (Ico, Demon’Souls).
A la question « pourquoi avoir restructuré un studio avec une telle créativité autour d’une seule licence loin d’être parmi les plus populaires de la marque PlayStation ? », la réponse est financière. Quand des jeux sur lesquels le studio a travaillé se vendent très bien, comme Bloodborne par exemple, (plus de 3 millions de ventes), l’argent va avant tout dans les poches de From Software, puisque ce sont eux qui développent concrètement le jeu de A à Z. Quand le jeu est directement développé par Japan Studio, les ventes sont toujours largement moins bonnes, comme ce fut le cas pour Gravity Rush 2 qui n’aurait pas réussi à franchir la barre du million d’exemplaires vendus. Et autant vous dire que c’était encore pire pour des jeux comme Knack II qui n’aurait même pas franchi la barre des 500 000 ventes. Le problème est que ce ne sont pas de petits jeux pas chers à produire, loin de là. Le standard des AAA a complètement explosé ces dernières années, mais à une autre époque, des jeux comme Knack et Gravity Rush aurait été considérés comme des AAA. Quoi qu’il en soit, durant la génération PlayStation 4, SCE, puis SIE à partir de 2016, a permis l’existence de tous ces jeux au succès d’estime, mais en 2021, cela ne passe plus. C’est donc la fin symbolique de Japan Studio et de ses presque 30 ans d’histoire, avec des conséquences sur le catalogue de la PlayStation 5.
Les dirigeants de SCE puis SIE : une lente américanisation du système
Intéressons-nous maintenant un minimum à l’historique des présidents de SCE puis SIE, car il est toujours intéressant de connaitre les hommes à la tête de la marque que nous affectionnons tant. Cela permet aussi de comprendre l’évolution de la marque PlayStation au fil du temps.
Le premier président de SCE est donc Ken Kutaragi, le père du projet PlayStation. On aura l’occasion de détailler bien plus son œuvre dans un dossier à venir, mais retenez que c’est avant tout un ingénieur surdoué, avec une très bonne notion du business (il est le fils d’un commerçant). Kutaragi a notamment réalisé une thèse portant sur les différentes applications des images de synthèse dans le domaine médical. Sans lui, les deux premières PlayStation n’auraient pas été des monstres de puissance, surpassant allégrement les PC de l’époque, chose absolument impossible aujourd’hui. Ses notions en business auront permis de sortir la première PlayStation à seulement 400€, avec une baisse de prix de 100€ très rapidement dans la vie de la console. Dans tous les cas, retenez que sans lui, la marque PlayStation n’aurait jamais existé.
Lorsque Ken Kutaragi se retire totalement de SCE le 26 avril 2007, c’est ce bon Kazuo « Kaz » Hirai qui prend la relève. Ce dernier a un tout autre profil par rapport à Ken Kutaragi, puisque c’est un homme qui a toujours voyagé dans le monde entier depuis son enfance. Son père était un riche banquier, et de ce fait, il emmenait souvent son fils aux quatre coins du monde. Kaz Hirai a notamment effectué une partie de sa scolarité au Canada. Tout ça pour dire que lorsqu’il devient le PDG de SCE à la suite de Ken Kutaragi, c’est un homme ayant une vision très large du marché à l’international qui se trouve à la tête de la marque PlayStation. Ce n’est pas un hasard si c’est la PlayStation 3 marque le début d’un processus d’occidentalisation de la marque. C’est notamment durant la 7ème génération de console, entamée en 2005 avec la Xbox 360, que SCE va acquérir des studios comme Guerrilla Games (2005), Media Molecule (2010) et Sucker Punch Productions (2011). Sans même parler de ce que Naughty Dog a produit durant cette période, ce qui se passe aujourd’hui prend racine durant le règne tourmenté de Kaz Hirai (la PS3 se situant tout de même à des kilomètres du succès de la PS2).
A la suite de plusieurs promotions l’emmenant progressivement vers la maison mère de Sony, Kaz Hirai est remplacé le 1er septembre 2011 par Andrew House. Ce dernier est un businessman gallois travaillant chez Sony depuis 1990. Il a commencé dans le département des communications pour ensuite être transféré en 1995 dans le département marketing de SCE afin de contribuer au lancement de la PlayStation. Il est ensuite promu l’année suivante vice-président au marketing chez SCEA pour finir vice-président de tout SCEA en 2002. Bien qu’Andrew House soit la première personne occidentale nommée à la tête de SCE à la suite de Kaz Hirai, il a tout de même vécu et travaillé pendant des années à Tôkyô, avant même que le projet PlayStation ne soit sur les rails. C’est donc tout naturellement qu’Andrew House parle couramment japonais et reste un choix qui ne va pas radicalement changer la politique de la marque PlayStation. La PlayStation 4 reste une console avec un catalogue fourni et extrêmement varié, et la PS VITA (lancée en 2011) reste une belle tentative de faire les choses différemment avec notamment un catalogue rempli de titres novateurs comme Gravity Rush ou encore Tearaway.
Le prochain président de SCE, devenu SIE pendant le mandat d’Andrew House, n’est pas quelqu’un qui aura marqué les esprits pour la simple raison qu’il n’est pas resté longtemps en poste (fin 2017-avril 2019). Il s’agit de John « Tsuyoshi » Kodera. Kodera est un ancien de la maison mère de Sony puisqu’il y rentre en 1992. Il s’occupe des produits audios et mobiles de Sony jusqu’en 2010, date à laquelle il rejoint la branche Sony Network Entertainment International (celle qui pour rappel fusionnera en 2016 avec SCE pour former SIE). Il deviendra président de cette branche en 2013 et s’occupera à ce titre d’apporter plein de nouvelles fonctionnalités et services à l’écosystème du Playstation Network (PSN). En somme, le PlayStation Store de la PS4, le PS Plus, ainsi que le PS Now et d ‘autres services, c’est lui.
Nous arrivons maintenant au président actuel, qui depuis avril 2019 a pris la succession de John Kodera au post de Président de SIE (ce dernier en est actuellement le vice président). Il s’agit donc de Jim Ryan, là aussi un vieux de la vieille de la marque PlayStation puisque cela fait plus de 25 ans qu’il est employé chez SCE. En 2011, il est nommé président de la branche européenne de SCE (SCEE). Il rejoint naturellement SIE lors de sa création en 2016, en tant que directeur des ventes et du marketing, avant d’en être nommé vice-président en janvier 2018. Comme le PlayStation Network est depuis quelques années une des principales sources de revenues de SIE, Kodera souhaite au début de l’année 2019 baisser d’un cran dans ses fonctions afin de se concentrer pleinement sur le développement du PSN, comme il sait si bien le faire depuis 2013. Pour faire simple, en avril 2019, John Kodera et Jim Ryan ont tout simplement échangé leur poste.
De l’édition à l’accueil de jeux tiers : une stratégie différente pour un résultat presque similaire
Depuis quelques temps, des analystes soulignent que SIE serait en train d’abandonner le marché japonais et d’en laisser tomber les jeux. Comme toujours dans la vraie vie, les choses sont toujours plus complexes et nuancées. Tout d’abord, laissons la parole à Jim Ryan, puisqu’il s’est confié sur la question auprès de Games Radar en décembre 2020 :
La position officielle de Sony est que le marché japonais reste incroyablement important pour nous. Cela fait très longtemps que nous n’avons pas été autant enthousiasmés par l’engagement de la communauté des développeurs de jeux japonais que nous le sommes maintenant.
Nous avons noté un plus haut niveau d’engagement des éditeurs japonais au cours de la seconde moitié du cycle de vie de la PS4. Cela se poursuit et se renforce même sur PS5.
Je soulignerais également que nous envoyons un message en sortant la PS5 au Japon le même jour qu’aux États-Unis, ce que nous n’avons pas fait avec la PS4. Je lis les articles. Nombre de ces commentaires sont inexacts. Le Japon, qui est notre deuxième plus gros marché, et la mère patrie de Sony, continue d’être très important pour nous.
Propos relayés par le site gameblog
C’est le deuxième paragraphe qui va nous intéresser pour la fin de ce dossier. La PlayStation 4 a connu une belle brochette de jeux japonais de grande qualité en exclusivité temporaire plus ou moins longue, voire en exclusivité totale. On peut citer en vrac : NieR : Automata, Final Fantasy XII : The Zodiac Age, Final Fantasy VII Remake, 13 Sentinels : Aegis Rim ou encore Persona 5. Il en sera de même avec la PlayStation 5, la différence étant que là où SIE a participé directement à faire grandir le catalogue de jeux japonais de la PlayStation 4 (avec Gravity Rush, The last Guardian, Bloodborne etc), ce sont les éditeurs tiers qui vont désormais s’atteler à cette tâche. Nous avons déjà des exemples concrets avec Final Fantasy XVI, qui est annoncé uniquement sur PlayStation 5 et semble être bel et bien une exclusivité temporaire. C’est loin d’être un petit morceau et il y a aussi de fortes chances que la deuxième partie de Final Fantasy VII Remake soit aussi une exclusivité temporaire. On peut enfin citer Ghostwire: Tokyo, qui sera une exclusivité temporaire d’un an et qui est développé par Tango Gameworks. Il y aura des jeux japonais sur PlayStation 5, il n’y a aucun souci à se faire là-dessus, mais la source de ces jeux sera donc légèrement différente que celle de la précédente génération.
Pour finir, un petit mot sur Ghost of Tsushima est nécessaire, car c’est peut être le jeu qui incarne le mieux la stratégie de SIE pour la 9ème génération de consoles : des jeux produits par des occidentaux, mais des jeux japonais de qualité tout de même présents dans le catalogue. Il est franchement impossible de dire que PlayStation est une marque qui délaisse la Japon alors qu’un jeu de l’ambition de Ghost of Tsushima est sorti il y moins d’un an. Nous vous invitons à lire ou relire notre dossier qui revient en profondeur sur le jeu, mais on peut juste évoquer ici que Ghost of Tsushima est une des plus grandes lettres d’amour au Japon jamais créée dans l’histoire du jeu-vidéo. La prise de risque du jeu est phénoménale, étant donné que contrairement à 99% des produits culturels destinés au grand public se déroulant dans un Japon féodal ; soit de l’ère Edo 江戸時代 (1603-1868) ; soit durant l’ère Sengoku 戦国時代 (1477-1573), Ghost of Tsushima a choisi de poser son histoire et sa représentation du Japon durant l’ère Kamakura 鎌倉時代 (1185-1333). Les experts de cette période ne sont pas prêts d’oublier un tel évènement, les joueurs avisés non plus. La cerise sur le gâteau est que cela paye, puisque Ghost of Tsushima est un énorme succès avec ses désormais 6,5 millions de ventes au 25 mars 2021. Une suite est évidente, ne serait-ce qu’au regard de l’Histoire du Japon avec les invasions mongoles.
En conclusion, oui, la marque PlayStation évolue au fil du temps dans un processus tout à fait naturel lorsque l’on approche des 30 ans d’histoire. Cependant, même si la source des jeux japonais va être différente sur PlayStation 5, il y en aura bien une, et elle risque d’être encore plus abondante que celle ayant alimenté la PlayStation 4 durant toute sa vie.